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de tous les pouvoirs, mais peut s'emparer quand il lui plaît de tous les actes de l'administration publique par les évocations et l'extension illimitée qu'il peut donner à la responsabilité sans que le roi y mette obstacle.

» Il est donc dans une dépendance effective et continue de cette Assemblée, qui s'est donné d'ailleurs constitutionnellement une portion considérable du pouvoir exécutif, telle que l'organisation détaillée de l'armée, celle de tous les offices et emplois, la distribution des honneurs et des récompenses, la disposition des forces militaires dans la résidence du roi lorsque c'est aussi celle de l'Assemblée.

>> Comment trouver dans cette distribution le balancement et l'équilibre des pouvoirs dont vous avez eu l'intention? Et si vous vous rappelez que pour avoir donné un corps à deux abstractions, la souveraineté du peuple et la volonté générale, vous leur avez subordonné dans l'opinion les pouvoirs suprêmes, vous trouverez toutes les forces physiques et morales réunies contre le trône, qui doit être indépendant pour protéger efficacement vos droits, et tous les pouvoirs expirant en certains cas devant ceux qui doivent obéir.

» La composition et les fonctions des corps administratifs ajoutent à cette démonstration.

» La division du royaume en départemens est sans doute une bonne opération; la répartition, la perception de l'impôt par les délégués du peuple, l'examen, la révision de toutes les dépenses qui s'exécutent dans chaque département, sont encore dans les principes d'un bon régime; mais la partie active de l'administration, celle qui exige une responsabilité continue, peut-elle être avec sûreté exercée collectivement. par les mêmes délégués? N'appartient-elle pas tout entière au pouvoir exécutif?

» Le roi a la surveillance de cette administration, peut en annuler les actes, en suspendre les agens; mais comment serait-il averti des négligences, des prévarications? Ces corps, étrangers à la couronne, où aucun de ses agens ne peut la représenter, sont nécessairement les rivaux de l'autorité royale, et tendront toujours, de concert avec le peuple et le corps législatif, à l'énerver.

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» En transportant aux conseils et aux directoires de département une autorité et des fonctions dont ils ne devraient avoir que le contrôle, vous vous êtes privés de la meilleure forme d'administration qui peut exister, celle qui place la surveillance à côté de l'action, et l'inspection des dépenses à la suite de leur exécution: c'est ainsi que vous pouviez assurer la meilleure et la plus exacte comptabilité; car l'institution des chambres des comptes, si importante dans son objet, si bien combinée dans son organisation primitive, pouvait être encore plus utilement remplacée par les dépar

temens.

La charte, en n'assignant aucune fonction précise aux municipalités, semble reconnaître le danger de cette puissance royale dont elles sont aujourd'hui investies, et de leur insuffisance pour l'exercer; mais si la constitution ne guérit pas ces deux plaies qui pourra les guérir?

>>

Enfin, messieurs, si à la suite de tant d'entraves mises au pouvoir exécutif et à sa direction centrale, si après les mesures extraordinaires récemment adoptées, et contre lesquelles je ne cesse de réclamer, je considère les cas de dé chéance du trône que vous avez décrétés, et qu'aucun législateur avant vous n'avait ainsi multipliés et déterminés, je trouve que la royauté, dépouillée dans l'opinion et en réalité de tout ce qu'elle avait d'imposant, n'a plus les moyens d'acquitter ce que vous lui demandez.

» Je ne dis rien du nouvel ordre judiciaire; le silence de la charte semble un aveu tacite de ses inconvéniens.

» Mais l'organisation et l'emploi de la force publique présentent de bien graves considérations. Voilà donc la nation tout entière constituée en armée permanente! Quel a pu être l'objet de cette étrange et dangereuse innovation, qui rappelle parmi nous les mœurs des Germains, lorsque tant d'autres habitudes et d'institutions les repoussent?

» Il était sans doute utile d'avoir une milice non soldée proportionnée à l'armée de ligne; mais tous les citoyens actifs convertis en gardes nationales, l'usage habituel des armes séparé d'une discipline sévère, les fonctions, les travaux militaires se mêlant à tous les actes, à toutes les professions civiles!

Je vois dans ces nouvelles dispositions plus d'inquiétude que de sûreté, plus de mouvement que d'harmonie, et une perte immense de temps et de travail, qui sont la seule propriété du pauvre.

>>

Quant à l'action et à la direction de la force publique pour l'ordre intérieur, la condition d'être requis par les officiers municipaux est une sage mesure; mais la tranquillité publique ne doit cependant pas dépendre de la complicité, de la faiblesse ou de la terreur des officiers du peuple ; et le pouvoir exécutif, sous sa responsabilité, doit être autorisé, comme en Angleterre, à l'emploi de la force lorsqu'elle est nécessaire.

>>

Si des principaux points de la constitution je passais aux détails et au classement des objets, j'adopterais une autre méthode et plus de concision, car il est des détails qui me paraissent inutiles.

» Je termine ici mes observations, et je ne me flatte pas de faire adopter les amendemens qui en résultent; mais je ne saurais accorder mon suffrage à une constitution contraire aux principes que je viens d'exposer : j'y soumettrai ma conduite en me rangeant désormais en silence dans la classe de ceux qui obéissent. Je me borne à demander, si l'Assemblée ne juge pas à propos de délibérer sur mes observations, qu'on accélère les mesures qui doivent assurer la plus parfaite liberté du roi, et que la délibération sur la charte constitutionnelle se termine par un appel nominal. »

M. Malouet ne parvint à prononcer qu'une partie de ce discours (1); vivement interrompu par M. Chapelier, il se hâta d'arriver à sa conclusion, applaudie du côté droit, improuvée du côté gauche; puis il resta à la tribune, où

(1) Il le fit aussitôt imprimer avec cet envoi :

« Envoi à M. Chapelier, qui m'a interrompu.

>> Vous n'avez pas voulu m'entendre, monsieur; vous aurez la peine de me lire, et vous me feriez grand plaisir de me répondre.

» Je vous ai laissé travailler sans interruption pendant deux ans et demi à un ouvrage que vous appelez superbe; il eût été juste de m'accorder une demi-heure pour en dire mon avis. Je vous prouverais

il brava longtemps les murmures et le trouble en insistant ou pour reprendre la parole ou pour obtenir un décret qui la lui ôtât formellement; il n'obtint ni l'un ni l'autre. M. Chapelier, qui s'était étonné qu'à propos de l'ordre et de la distribution du projet de constitution l'orateur se fût livré à la critique des décrets constitutionnels, demanda qu'on mît aux voix la question principale, et l'Assemblée, immédiatement consultée, « déclara qu'elle adoptait l'ordonnance générale du travail et la distribution des ma→ tières présentées par ses comités. » Cette décision proclamée, la discussion s'établit successivement sur chaque partie du projet.

SUR LA DÉCLARATION DES DROits (1).

M. Thouret. ( Méme séance.)

«La Déclaration des Droits est en tête de notre travail telle qu'elle a été décrétée par l'Assemblée; les comités n'ont pas cru qu'il leur fût permis d'y faire aucun changement: elle a acquis un caractère religieux et sacré ; elle est devenue le symbole de la foi politique; elle est imprimée dans tous les lieux publics, affichée dans la demeure des citoyens de la campagne, et les enfans y apprennent à lire : il serait dangereux d'établir en parallèle une déclaration différente, ou même d'en changer la rédaction. Nous croyons qu'elle contient tous les germes d'où dérivent les conséquences utiles au bonheur de la société ; c'est pourquoi je proposerai de passer au titre qui garantit les droits qui en émanent. »

M. Dupont (de Nemours) rappela à l'Assemblée qu'en décrétant la Déclaration des Droits elle s'était réservé de

bien par vos propres axiomes que le refus est déloyal et inconstitutionnel; mais j'aime autant que nous restions chargés vis à vis de nos contemporains et de la postérité, vous de la responsabilité de votre admiration, moi de celle de mes censures.

>> MALOUET. >>

(1) Voyez, tome I, liv. 2, les discussions relatives à la Déclaration des Droits.

"

là compléter lorsque la constitution serait terminée. Depuis cette époque, dit-il, vous êtes devenus bien grands; il faut que le portique soit digne en tout de l'édifice. » Les développemens demandés par M. Dupont se retrouvant dans plusieurs parties de l'acte constitutionnel, l'Assemblée adopta la Déclaration telle qu'elle l'avait décrétée au mois d'août 1789.

SUR LE PRÉAMBULE DE LA CONSTITUTION. (1) — ( Mểme séance.)

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M. Thouret soumit ensuite à la délibération le préambule de la constitution, lequel proclame l'abolition de la féodalité, des priviléges et distinctions, de la vénalité des offices, des vœux religieux, de la pairie, de la noblesse, etc., etc.

M. Dharambure. « Je demande la parole... (Ah, ah, ah! du côté gauche. ) Tant que l'Assemblée n'aura pas statué sur le premier article (titre Ier) de l'acte constitutionnel, qui porte « que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois sans autre distinction que celle des vertus et des » talens >> mon engagement solennel d'honneur envers ceux qui m'ont envoyé pour soutenir la noblesse subsiste toujours. Je pense que je n'ai rien de mieux à faire que de m'en remettre aux lumières de cette Assemblée; elle examinera quelle influence peut avoir cette suppression sur le bonheur du peuple, unique objet de mes vœux et de ceux de mes

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commettans. >>

M. Decroix. « Quant à moi, si je n'avais point été absent de l'Assemblée le 19 juin 1790, je me serais opposé de toutes mes forces à l'anéantissement de la noblesse héréditaire ; l'honneur et la délicatesse m'auraient obligé... (Murmures.) Si vous ne voulez pas m'entendre je déclare que je ne prends nulle part à la délibération. » (On rit.)

(1) Voyez, tome I, Abolition de la féodalité, des priviléges, de la vénalité des offices, etc.; tome II, Abolition de la noblesse, Abolition des ordres et des vœux religieux; ordres de chevalerie, etc.

tome III, Suppression des

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