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être que provisoire jusqu'à ce qu'elle ait été soumise à un examen réfléchi, à une acceptation libre tant de la part du

roi que de la part de la nation ce sont donc les motifs et les conditions de cet examen définitif que je viens vous proposer. Je ne prétends pas renouveler ici la tentative que j'ai déjà faite inutilement de m'expliquer devant vous sur les points principaux de la Constitution... ( Murmures.) La dernière tâche qui me reste à remplir est de vous parler librement des moyens de la réformer; qu'il me soit enfin permis de vous dire tout ce que je crois utile et vrai. Vous voulez sans doute que cette Constitution soit exécutée, qu'il en résulte le rétablissement de l'ordre, que nous jouissions de la liberté, de la paix intérieure... Tel est aussi l'objet de mes vœux ; cherchons-en donc les moyens.

» Fixer une époque éloignée pour la réforme d'une Constitution c'est supposer que pendant l'intervalle de temps qui s'écoulera jusqu'à cette époque il ne s'y développera aucun vice essentiel qui en altérera la solidité.

» Si à cette supposition on substituait celle des grands inconvéniens constatés, des vices essentiels reconnus, il serait absurde de dire qu'il faut atteindre vingt-cinq ans de désordre et d'anarchie pour y remédier.

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» Les conventions périodiques ne sont donc admissibles que dans le cas où l'on ne prévoit pas la nécessité d'un changement assez important pour en accélérer l'époque; cette hypothèse ne convient qu'à une Constitution éprouvée par le temps et formée successivement par le résultat des mœurs, usages, des habitudes d'un peuple; car, il faut le dire en passant, il n'exista jamais de Constitution absolument neuve qui eût quelque succès que celle de Lycurgue, et elle était fondée sur les mœurs tous les autres gouvernemens dont nous avons eu connaissance se sont formés par des actes successifs dont l'amélioration et le complement à une certaine époque est devenue une Constitution; ainsi les capitulaires sous Charlemagne, la grande charte en Angleterre, la bulle d'or dans l'empire Germanique ont été la Constitution de ces états, en fixant des droits et des usages autérieurs garantis par l'expérience et par le consentement ou les réclamations des peuples.

La Constitution anême des Etats-Unis, fondée sur des usages, des mœurs, des établissemens antérieurs à la déclaration de leur indépendance; cette Constitution, qui n'a effacé que le nom du prince pour y substituer celui du peuple; qui n'a rien détruit, mais tout amélioré; qui a tenu compte de tous les intérêts, de toutes les prétentions; qui a réuni tous les vœux en appelant toutes les réclamations; cette Constitution se prête sans doute à l'examen successif des Conventions nationales.

Pour abroger ou changer de telles lois il est sage d'attendre qu'une longue expérience en montre l'insuffisance: mais lorsqu'une Constitution, au lieu d'être la réunion des anciens statuts, la fixation légale et solennelle des anciens usages, en établit complétement la proscription, il faut deux choses pour donner à cette loi nouvelle un caractère permanent; il faut que l'expérience en justifie le succès, et que le consentement universel ait pu se manifester librement.

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>> Aucune de ces deux conditions ne se trouve encore dans votre nouvelle loi : on peut bien en attendre la liberté, la prospérité publique; mais il est permis de craindre qu'elle n'en offre pas une garantie suffisante; et lorsque l'on considère combien d'anxiétés, de troubles et d'entraves environnent cette loi nouvelle, il me semble qu'il serait bien imprudent de se priver longtemps des moyens d'en seconder l'intention. Remarquez, je vous prie, dans quelle circonstance on vous propose d'imposer silence aux vœux et aux réclamations de la nation sur les nouvelles lois : c'est lorsque vous ne connaissez encore que l'opinion de ceux qui trouvent qu'elles favorisent leurs intérêts et leurs passions; lorsque toutes les opinions contraires sout subjuguées par la terreur ou par force; lorsque la France ne s'est encore expliquée que par l'organe de ses clubs; car tout ce qui existe aujourd'hui de fonctionnaires publics est sorti de ces sociétés ou leur est asservi,..., ( Murmures. ) Et qu'on ne dise pas que la Constitution, fondée sur les principes immuables de la liberté, de la justice, doit avoir l'assentiment de tous les bons citoyens; qu'importe la pureté de votre théorie si les modes de gouvernement auxquels elle est unie perpétuent parmi nous les désordres sous lesquels nous gémissons!

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> Avez-vous donc pris quelques mesures pour que cette multitude de sociétés tyranniques qui corrompent et subjuguent l'opinion publique (1), qui influent sur toutes les élections, qui dominent toutes les autorités, nous restituent la liberté et la paix qu'elles nous ont ravies ?

» Avez-vous pris quelques mesures pour que cette multitude d'hommes armés dont la France est couverte soit invinciblement contenue dans les limites que la loi tui prescrit? (Ah, ah, ah!)

» Si donc la Constitution ne tend pas à réprimer l'abus des moyens extraordinaires dont on s'est servi pour l'établir, 'comment peut-on nous proposer un long espace de temps à parcourir avant qu'il soit permis de la réformer!

» Il me serait facile, en parcourant toutes vos institutions, de vous montrer comment elles vont s'altérer et se corrompre si, au lieu de les confier aux épouses et aux mères, vous ne vous hâtez de les soustraire à ce fanatisme bruyant qui les célèbre pour les livrer à une raison sévère qui les corrige, qui seule peut résister au temps et commander aux évé,

nemens.

>> Vous voulez des Conventions nationales, c'est à dire des révolutions périodiques, des commotions éternelles ; car dans l'intervalle de ces Conventions que ferons-nous des vices et des désordres naissans d'une mauvaise loi constitutive? Est-ce la patience ou l'insurrection qu'on nous conseille, après nous avoir commandé tour à tour l'obéissance passive et la résistance à l'oppression?

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Cependant quel autre juge que moi-même avez-vous établi de cette oppression à laquelle il m'est permis de résister? Quels autres juges que vous-mêmes avez-vous établis de cette obéissance passive que vous exigez?

» Ainsi pressés dans toutes les circonstances de notre vie politique entre deux principes, entre deux impulsions opposées, nous serions sans consolations dans notre obéissance, sans modérateur et sans frein dans notre résistance..

(1) « La tyrannie et l'insolence de certains clubs, les prétentions de tous suffisent, si elles ne sont pas réprimées, pour produire la guerre civile. » (Note de l'orateur. )

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>>

Croyez-vous qu'il puisse exister une Constitution, un ordre social, conciliable avec de tels incidens, si vous en séparez pendant un espace de temps déterminé le pouvoir réformateur?

» Mais ce n'est pas dans cette hypothèse seulement, celle des vices de la Constitution, que les Conventions périodiques sont d'un grand danger; elles ne sont pas moins redoutables en supposant que ce que vous avez fait est bon et que bonheur du peuple y est attaché.

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» L'inconvénient inévitable de tout gouvernement populaire est de mettre dans un mouvement continuel les affections, les inimitiés et toutes les passions de la masse des citoyens qui y participent médiatement par les élections ou immédiatement par leurs emplois.

» Je veux que la combinaison de ce gouvernement soit la plus parfaite possible, qu'elle soit assez habilement calculée (1) pour que toutes les forces motrices se balancent et se contiennent sans s'opprimer, de manière qu'il résulte de cet équilibre constant le meilleur ordre public; au moins est-il évident que les élémens de cet ordre peuvent devenir en un instant ceux du désordre et des factions; et cet instant arrivera lorsque les novateurs et les factieux auront la perspective d'une Convention dans laquelle ils pourront faire prévaloir leurs intérêts et leurs systèmes; c'est alors au plus fort, au plus adroit que sera dévolu le pouvoir de détruire pour recréer : il se trouvera toujours à leurs ordres des troupes de prosélytes et de zélateurs qui démontreront au peuple que son intérêt et son bonheur consistent dans de nouveaux changemens. Ainsi dans une Constitution telle que la vôtre, qui met tout à neuf et ne laisse rien subsister de ce qui était ancien, les Conventions périodiques sont des ajournemens de révolution, et l'intervalle de ces Conventions pourrait être une anarchie continue.

» Voulez-vous, devez-vous laisser courir de tels risques à la nation? Mais je dis plus, quand ce serait votre volonté, croyez-vous qu'elle fût exécutée? Examinez froidement

(1) « Habilement calculée..... On se souviendra longtemps de l'habilet& de nos calculs. » (Note de l'orateur.)

comment vous êtes arrivés vous-mêmes au dernier terme du pouvoir que vous exercez maintenant. Les circonstances et les événemens vous ont conduits de la convocation en étatsgénéraux à la constitution en Assemblée nationale; un de vos orateurs vous a ensuite déclarés corps constituant, et cette dénomination, qui n'a jamais été proclamée par un décret, est le seul titre qui ait opéré au milieu de vous la réunion de tous les pouvoirs : cependant vous étiez soumis en devenant les mandataires du peuple à l'observation de vos mandats vous avez cru devoir les abroger.

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>> Or pensez-vous que vos successeurs ne sauront pas aussi s'aider des circonstances et des événemens, et qu'il leur sera difficile de s'affranchir de tous les liens qu'ils ne se seront point imposés ?

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Lorsqu'il a été question de suspendre l'exercice de l'autorité royale on vous a dit dans cette tribune : nous aurions dú commencer par là; mais nous ne connaissions pas notre force..... Ainsi il ne s'agit pour vos successeurs que de mesurer leurs forces pour essayer de nouvelles entreprises ; et certes ce danger m'effraie bien autant que celui des Conventions nationales; car dans la fermentation où sont encore tous les esprits, d'après le caractère de ceux qui se montrent et le grand nombre de ceux qui se réduisent au silence, je crains autant les essais de la nouvelle législature qu'une Convention nationale.

» Tel est, messieurs, il ne faut pas vous le dissimuler, le danger de faire marcher de front une révolution violente et une Constitution libre: l'une ne s'opère que dans le tumulte des passions ou des armes, l'autre ne peut s'établir que par des transactions (1) amiables entre les intérêts anciens et les intérêts nouveaux.... (On rit, on murmure ; une voix : Nous y voilà ! )

» On ne compte point les voix, on ne discute pas les opi

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(1) « Transactions... On a ri et murmuré; on n'en veut point. Mais, messieurs, Gengis-Kan-, maitre de l'Asie, transigea avec les vaincus ; il leur laissa leurs moeurs, leur religion, leurs propriétés. »

(Note de l'orateur.)

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