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particulières imposant des lois à la volonté générale; de telle sorte qu'au lieu de voir les individus gouvernés par la souveraineté ils voient sans cesse la souveraineté gouvernée par les individus; je conçois, dis-je, que, ne trouvant alors dans le législateur qu'une personne privée, ils ne balancent pas à déclarer son incompétence sur le fait dont il s'agit : mais ceux-là ne méritent pas même d'être réfutés, ils annoncent une ignorance trop grande des principes du gouvernement représentatif, et ce n'est pas à l'époque où nous sommes qu'il faudra recommencer avec eux un cours élémentaire sur cet objet.

» Mais si l'argument est fait dans un sens contraire, si en adoptant le système représentatif dans toute sa pureté, et ne distinguant plus entre la nation et l'Assemblée des représentans, c'est à la nation elle-mêine que le droit est contesté, alors je n'aperçois dans l'objection qu'un vain sophisme bien facile à détruire.

» Nous admettons tous comme attribut essentiel de la puissance nationale le droit de modifier ou de changer la Constitution; mais je demande à ceux qui ne veulent rien d'ultérieur à la déclaration de ce principe, je leur demande quels moyens leur restent de provoquer l'exercice d'un tel droit.

>> Je n'en connais que deux :

>> La forme légale et l'insurrection:

>> La forme légale, si la Constitution a voulu l'indiquer. L'insurrection, lorsque la Constitution est muette.

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» Cela posé, l'argument que je combats se réduit à cette question fort simple:

> Dans le choix des moyens l'insurrection vaut-elle mieux que la forme légale ?

» Présenter ainsi la question c'est je crois la discuter, et c'est aussi la résoudre; car je ne pense pas qu'une seule voix se fasse entendre pour vanter parmi nous les douceurs de l'insurrection.

>> Mais la souveraineté nationale, a-t-on dit, ne peut se donner aucune chaîne; sa détermination future ne peut être interprétée ou prévue, ni soumise à des formes certaines,

car il est de son essence de pouvoir ce qu'elle voudra, et de la manière dont elle le voudra.

» Hé bien, messieurs, c'est précisément par un effet de cette toute-puissance que la nation veut aujourd'hui, en consacrant son droit, se prescrire à elle-même un moyen légal et paisible de l'exercer; et loin de trouver dans cet acte une aliénation de la souveraineté nationale, j'y remarque au contraire un des plus beaux monumens de sa force et de son indépendance.

» Au surplus, je n'entends pas comment un acte de la souveraineté peut jamais être une aliénation d'elle-même, et je le conçois moins encore dans l'espèce particulière.

» En effet, messieurs, la loi qui règle l'exercice du pouvoir appartenant au peuple de rectifier ou de changer la Constitution ne differe de toute autre loi que par le degré d'importance; elle dérive du même principe'; elle offre en dernier résultat les mêmes conséquences; la volonté générale la crée; elle y soumet les volontés particulières; elle en maintient l'exécution aussi longtemps qu'il lui plaît; elle seule enfin peut l'anéantir.

» Si donc il était vrai que cette loi, parce qu'elle admet un engagement précis de la part du souverain de ne vouloir rien de contraire, portât quelque atteinte à la souveraineté nationale, je ne vois pas comment l'objection serait réduite à cette seule hypothèse.

» Il n'est pas une loi, depuis l'acte constitutionnel jusqu'au décret de police le moins important, qui ne soit en effet un engagement de la souveraineté nationale avec elle-même de vouloir telle chose de telle manière et non d'aucune autre : si l'on appelle cela une aliénation de souveraineté, il faut la dénoncer cette aliénation dans tous les cas où un pareil engagement s'effectue; mais alors pourquoi une Constitution, pourquoi des lois?

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Peut-être on nous demandera si le moyen légal que nous cherchons étant une fois adopté il rendra désormais impossible la manifestation et même l'exécution instantanée d'une volonté contraire... Non sans doute, il ne l'empêcherait pas, et cet aveu doit rassurer ceux qui ne voient

la souveraineté nationale qu'au sein de l'insurrection. Mais faut-il en conclure que, l'insurrection étant possible encore dans tous les cas, on doit la rendre absolument nécessaire et inévitable? Tel est pourtant en dernier résultat le sens exact de l'objection si souvent répétée contre le droit du législateur dans cette partie.

» Je ne porterai pas plus loin l'examen de cette erreur; je me proposais plutôt, messieurs, de vous l'indiquer que de la réfuter, car ceux qui la professent, j'aime du moins à le croire, ne chercheront pas à devenir plus dangereux par la propagation de leur doctrine qu'ils ne le sont aujourd'hui par leur nombre.

>> Je viens donc au point réel de la question, c'est à dire à la difficulté de créer en cette matière une loi sage et bien ordonnée.

» Garantir au peuple sa Constitution contre lui-même, je veux dire contre ce penchant irrésistible de la nature humaine qui la porte sans cesse à changer de position pour atteindre un mieux chimérique ;

» Garantir au peuple sa Constitution contre l'attaque des factieux, contre les entreprises de ses délégués ou de ses représentans ;

» Enfin donner à ce peuple souverain le moyen légal de réformer dans ses parties et même de changer en totalité la Constitution qu'il a jurée ;

» Tel est ce me semble, messieurs, le véritable objet de la loi qui nous occupe.

» Il existe dans l'acte même et dans les effets de la réformation partielle ou du changement total de la Constitution une différence sensible qui ne peut échapper à l'œil du 'égislateur.

>> La réformation partielle est d'abord un besoin présumable dans toute Constitution, mais plus prochainement encore pour une Constitution nouvelle.

» Le changement total est un besoin plus difficile à prévoir; disons mieux, il est au-dessus de toute prévoyance.

» L'acte de réformer partiellement la Constitution ne suppose pas nécessaire l'emploi de toute la scuveraineté nationale.

» L'acte de changer entièrement la Constitution exige au contraire la plénitude de cette souveraineté.

» L'exécution d'une réforme partielle ne présage aucun mouvement extraordinaire; elle peut s'effectuer sans que la paix soit troublée.

» L'exécution d'un changement total annonce au contraire une grande crise politique; de vives agitations l'accompagnent; elles subsistent encore longtemps après qu'il est opéré.

» Enfin la possibilité d'une réformation partielle éloigne la nécessité, mais surtout le désir d'un changement total: la machine du gouvernement pouvant être ainsi perfectionnée, la faculté de détruire reste en effet, et cependant le besoin d'user de cette faculté n'existe plus; on conçoit même qu'il peut n'exister jamais.

» Le droit d'effectuer un changement total amène au contraire après lui le besoin toujours renaissant des réformations partielles.

» L'évidence d'un tel contraste suggère naturellement cette première question :

» Le pouvoir de changer la Constitution est-il absolument inséparable du pouvoir de réformer la Constitution? C'est à dire, lorsqu'une réforme partielle de la Constitution est désirée par le peuple, faut-il nécessairement qu'avec le pouvoir de réformer il confie à ses délégués le terrible pouvoir de détruire à leur gré?

» Je cherche en vain dans les principes la cause essentielle de cette indivisibilité; les principes ne la démontrent pas, et je ne vois nulle part que l'opinion contraire soit une hérésie politique.

» Le peuple, de qui tout pouvoir émane, distribue quand il veut et comme il lui plaît l'exercice de sa souveraineté; il en délégue telle partie, et s'en réserve telle autre; en un mot, de même qu'il remet au corps législatif la souveraineté purement législative, de même il peut donner à d'autres représentans la souveraineté réformatrice de la Constitution sans leur départir de plein droit la souveraineté constituante.

» La délégation distincte de ces deux parties de la sou

veraineté nationale ne répugne donc pas au principe, ou plutôt, messieurs, on aime à retrouver entre le corps réformateur et le corps annihilateur la différence qu'on aperçoit entre l'acte de réformer et l'acte de détruire.

» Mais non seulement une telle distinction est possible, elle est pressante, elle est indispensable.

» Si en effet le pouvoir de changer la Constitution est nécessairement uni au pouvoir de la réformer n'est-il pas évident qu'à chaque besoin d'une réforme partielle la totalité de la Constitution est en péril?

» En séparant au contraire le pouvoir de réformer d'avec le pouvoir de détruire il n'est plus permis de craindre pour la Constitution; la patrie n'est menacée d'aucun trouble par la présence du corps réformateur.

» Cette démarcation est donc utile en soi dans la thèse générale; mais dans nos circonstances particulières elle est bien plus utile encore.

» Si en effet la prochaine Convention nationale, à quelque distance de nous qu'elle soit rassemblée, devait avoir nécessairement et de plein droit celui de changer la Constitution tout entière, ne serait-ce pas entretenir d'ici là toutes les espérances de nos ennemis, et laisser après nous des germes féconds de troubles?

» Ne craignez pas cependant, messieurs, que je vous propose d'enchaîner la volonté nationale dans aucun cas, ni même pour la prochaine Convention; ce n'est pas là mon système, car si je trouve dangereux que le premier corps réviseur soit nécessairement corps constituant, je ne trouverais pas plus sage de déterminer dès aujourd'hui qu'il sera purement réformateur.

» La véritable prudence en cette matière n'est pas de vouloir pour l'avenir, mais bien de laisser à la volonté nationale future sa plus grande latitude. Je ne demande donc pas que vous interprétiez cette volonté, mais que vous lui donniez le moyen de se déclarer elle-même, de s'étendre ou de se restreindre; en un mot, je ne prétends pas enlever à la génération présente ni aux générations futures le droit de changer la Constitution tout entière; je cherche à leur

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