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autres condamnaient un imprimeur pour cela seulement qu'il avait décliné l'autorité d'un censeur royal, ou négligé d'obtenir un privilége, lui confisquant corps et biens non pas même pour avoir imprimé un mauvais livre, mais pour avoir imprimé un bon livre sans permission?

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Oui, nous les citerons encore aujourd'hui ces lois, mais c'est pour les dénoncer à la raison et à la morale; c'est pour' les arracher du code d'un peuple libre et éclairé; c'est pour rendre aux crimes véritables toute l'horreur qu'ils doivent inspirer en ne les confondant pas avec des actes qui n'auraient jamais dû en porter le nom; c'est enfin pour substituer à ces délits factices créés par la superstition, la féodalité, la fiscalité et le despotisme, les attentats réels qui offensent la nation," et ces grandes prévarications des hommes publics contre le respect dû à la Constitution ou à la liberté.

» Mais revenons à la théorie des peines.

» Ce travail consiste à distinguer dans les peines actuellement usitées celles qui doivent être abrogées, celles qu'il peut être utile de maintenir, et à développer les motifs des peines nouvelles dont nous vous proposons l'établisse

ment.

» Pour porter une lumière plus sûre dans cet examen commençons par poser quelques principes sur les caractères auxquels on peut reconnaître la bonté des lois pénales.

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Que toute loi pénale soit humaine.

» Assez long-temps et chez un assez grand nombre de peuples cette condition a été la seule oubliée dans la formation de leurs lois criminelles, pour qu'il soit utile de la placer à la tête de votre code, et de la rendre toujours préserte et à vousmêmes et à quiconque dans l'avenir dictera des institutions pénales.

» Au reste si cette maximé est digne de votre sensibilité elle ne l'est pas moins de votre sagesse.

» Une loi est d'autant moins efficace qu'elle est plus inhumaine, car on ne l'invoque point ou l'on ne l'applique point. Voyez l'exemple de la peine de mort prononcée contre le vol domestique : le maître volé chasse le serviteur infidèle,

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mais rarement il le dénonce à la justice; un vol de cette nature est-il poursuivi, la preuve n'est jamais complète ou n'est jamais aperçue; les parties lésées, l'accusateur public, les témoins, les juges, tout conspire pour l'accusé. Il n'y a plus de peine contre le crime précisément par cela même que la peine est atroce; et une loi barbare, semblable à ces instrumens empoisonnés dont la moindre atteinte porte la mort, est vouée soigneusement à l'inutilité et à l'oubli.

» Tel est l'effet des peines trop sévères dans un pays où les mœurs sont douces. Cet effet est différent, mais plus funeste encore, chez un peuple où des mœurs douces ne tempèrent pas l'aspérité de la loi; là on l'invoque sans répugnance, on l'appliqué sans regret; le peuple court en foule aux supplices: mais ces cruels spectacles ne font qu'endurcir davantage les mœurs publiques, et ils deviennent bientôt le germe d'attentats plus atroces; il faut alors enchérir sur les tourmens, et ainsi, par une fatale réaction et par une progression sans bornes, les crimes multiplient les tortures, et les tortures nouvelles enfantent encore de nouveaux crimes.

>> C'est une observation certaine que chez tous les peuples où les peines sont les plus cruelles les crimes sont les plus fréquens et les plus horribles; qu'au bout de quelques années on est obligé de monter l'échelle des peines, mais toujours en vain par là on réussit à punir les crimes, mais on ne peut jamais parvenir à les réprimer.

Des peines, quoique modérées, peuvent étre efficaces si elles sont justement graduées; et c'est le second caractère que nous supposons à toute bonne institution pénale.

» Ce qui rend une peine répressive c'est moins d'être sévère que de se trouver dans l'échelle des peines placée au degré le plus convenable.

» Il importe qu'un délit soit puni précisément dans la proportion où il doit l'être avec un autre délit; qu'il y ait un juste rapport entre les divers degrés de l'échelle; et en maintenant ce rapport on pourra sans danger baisser un peu le plus haut degré.

» Il existe deux sortes de crimes; ceux qui sont l'effet du

calcul et de la réflexion, et les crimes qui sont produits par l'impulsion subite d'une passion violente.

» Une graduation exacte des peines opérera un effet moins efficace pour la répression de cette dernière sorte de crimes, parce que la passion ne voit que l'objet qui l'allume, et calcule peu les chances qu'elle court; mais cette classe est la moins nombreuse.

» Pour tous les autres la graduation des peines produit un effet certain.

» Si une grande distance sépare la peine de tel crime d'avec la peine de tel autre crime, le méchant qui de sang-froid médite une mauvaise action s'arrêtera là où commence pour lui un plus grand danger : la loi franchit-elle tous les degrés de la peine, le méchant franchira aussi tous les degrés du crime; il n'a point d'intérêt à s'arrêter; nul calcul ne le retient.

» C'était une grande absurdité de nos lois de punir le voleur sur le grand chemin, le serviteur qui dérobait quelques effets à son maître, l'homme qui en brisant des clôtures s'introduisait dans les maisons, de la même peine que l'assassin; la loi elle-même les invitait au meurtre, puisque le meurtre n'aggravait pas la punition de leur crime, et pouvait en étouffer la preuve.

» A cette juste graduation, qui proportionne la gravité des peines à l'atrocité des crimes, il faut encore joindré des rapports exacts entre la nature du délit et la nature de la punition ainsi les douleurs physiques puniront les attentats dont la férocité a été le principe; un travail péniblé sera imposé au coupable dont le crime a trouvé sa source dans la fainéantise; l'infamie punira les actions qui n'ont été inspirées que par une âme abjecte et dégradée.

Ajouterons-nous pour quatrième caractère l'égalité des peines ?

» Ce principe est trop précieux pour n' n'être pas transcrit dans le code pénal ; mais il existe déjà partout dans vos lois; il existe dans la Déclaration des droits de l'homme; il existe dans l'égalité civile qui fait la base de votre Constitution; il existe dans le décret spécial où vous l'avez proclamé : en le plaçant ici nous répétons seulement votre volonté déjà

exprimée. Mais nous observerons que si quelque chose peut inspirer un profond respect pour la loi c'est de montrer les Lommes, quels qu'ils soient, couverts par le crime de la même infamic ce sera un grand et salutaire exemple lorsqu'on pourra voir le ministre prévaricateur confondu avec la tourbe des criminels, puni plus longtemps parce que son attentat a blessé davantage la patrie, et l'un de ces inviolables d'autrefois chargé légalement des mêmes fers dont ils opprimaient arbitrairement l'innocence !

» Il est un autre caractère que vos précédens décrets rendent inséparable de toute loi pénale; c'est d'établir pour chaque délit une peine fixe et déterminée: télle est la conséquence nécessaire de la procédure par juré.

» Les jurés jugent de la vérité du fait.

Le tribunal applique la lai.

» Cette forme exclut tout arbitraire.

» Nos anciennes lois sont pleines de ces formules: tel crime sera puni suivant les circonstances, suivant l'exigence des cas; ou tel crime ne pourra être puni de moindre peine que du bannissement, ou de plus forte peine que des galères à perpetuité.

» Ce protocole, il faut en convenir, était fort commode pour les faiseurs de lois d'alors; et dans la vérité cette latitude n'était pas incompatible avec des formes criminelles qui rendaient les tribunaux juges tout à la fois et du fait et du droit; ils pouvaient modifier la peine suivant la gravité du fait, dont ils avaient approfondi et pesé toutes les circonstances.

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Aujourd'hui toute nuance du fait est étrangère au juge. >> Il ne connaît que le fait posé par le verdict du juré.

» Il faut qu'il ouvre la loi, et qu'il y trouve une peine précise, applicable au fait déterminé; son seul devoir est de prononcer cette peine.

Cette forme rejette sur les législateurs la nécessité de prévoir un plus grand nombre de cas, de spécifier des nuances plus variées, de déterminer plus de faits, et toujours d'être précis dans la prononciation de la peine établie par chaque article.

Voilà, messieurs, une des grandes difficultés de la tâche

que vous nous avez imposée : nous ne nous flattons pas même d'avoir pu la surmonter totalement, car il est démontré qu'elle est insoluble; le nombre des peines est borné, même

pour le genie inventif d'un tyran. Les nuances des crimes sont aussi variées que les nuances des physionomics, et il nous a paru que le mieux dont il fallait se contenter c'était de saisir dans les délits les traits les plus prononcés et les plus marquans, soit d'immoralité, soit de danger pour l'ordre social, sans prétendre atteindre la perfection chimérique d'un travail qui spécifiât toutes les formes sous lesquelles peuvent se manifester les effets de la méchanceté des hommes.

» Mais si toute peine arbitraire an gré du juge doit être bannic de notre code, nous en écarterons bien plus soigneusement encore celles qui sont susceptibles d'être modifiées après le jugement; toute peine qui par sa nature peut être ou agravée ou atténuée suivant la disposition de celui qui la fait subir au condamné est essentiellement mauvaise..

» Il faut qu'une peine soit et demeure ce que l'équité des lois l'a faite, etnon ce que la rend la sévérité ou l'indulgence de l'exécuteur d'un jugement.

» Les peines pour étre répressives porteront encore trois caractères importans :

» Le premier d'étre durables;

» Le second d'étre publiques;

» Le troisième d'étre toujours rapprochées du lieu où le crime a éclaté.

» Je dis que les peines doivent être durables, et j'entends par cette expression qu'une suite prolongée de privations pénibles, en épargnant à l'humanité l'horreur des tortures, affecte beaucoup plus le coupable qu'un instant passager de douleur trop souvent bravé par une sorte de courage et de philosophie. Les peines de cette nature sont encore plus efficaces pour l'exemple, car bientôt l'impression du spectacle d'un jour est effacée; mais une punition lente et de longs travaux renouvellent sans cesse aux yeux du peuple. qui en est témoin le souvenir des lois vengeresses, et fait revivre à tous les momens une terreur salutaire.

J'ajoute que les peines doivent être publiques, c'est à

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