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dire que souvent et à des temps marqués la présence du peuple doit porter la honte sur le front du coupable, et la présence du coupable, dans l'état pénible où l'a réduit son crime, doit porter dans l'âme du peuple une instruction utile.

» Eh! combien cette honte sera-t-elle pénétrante, combien cette instruction fera-t-elle de plus profondes impressions si c'est près du lieu où le crime a été commis que le crime est expié! Une peine qui n'est notifiée que par l'affiche d'un jugement produit peu d'effet; on sait que tel coupable subit tel châtiment à l'extrémité de l'empire, on le sait: mais on ne le voit pas, on ne le sent pas; on l'a bientôt oublié parce qu'on n'a fait que l'apprendre et cette répression-la seule est véritablement exemplaire qui présente constamment toute la durée de la vengeance des lois dans les mêmes lieux qui ont été remplis de l'horreur et du scandale du crime, et où des regards toujours connus réveillent sans cesse dans l'âme du coupable les sensations actives de l'opprobre et de l'ignominie.

» Les peines qui réuniront tous les différens caractères que j'ai developpés jusqu'ici rempliront un des principaux objets de toute institution pénale, celui de réprimer utilement et efficacement les crimes.

» C'est à ce seul objet que les législateurs ont borné leurs vues jusqu'à présent.

» Mais est-il impossible d'aller plus loin, et ne saurait-on concevoir un système pénal qui opérât ce double effet, et de punir le coupable et de le rendre meilleur?

»Voyons par quels caractères les peines pourraient atteindre ce but moral; ce développement complétera la théorie des principes dont nous avons suivi la lumière.

» La source la plus ordinaire des crimes c'est le besoin, enfant de l'oisiveté : Le système des peines doit donc étre assis principalement sur la base du travail; mais son but est manqué si, faisant du travail le tourment même du condamné, il augmente encore son aversion naturelle; c'est sous un autre aspect que le travail doit lui être présénté.

"

Il faut qu'il y soit porté par le sentiment du besoin;

il faut que le travail devienne pour lui le passage à un état moins pénible; il faut qu'il y trouve des adoucissemens précisément dans la proportion du zèle avec lequel il s'y sera

livré.

» En lui offrant le travail sous ces formes consolatrices vous pourrez lui en inspirer et l'habitude et l'amour, et certes vous l'aurez rendu meilleur si vous l'avez rendu laborieux.

>> Nous avons encore pensé, sous le même rapport de moralité, qu'il était convenable de rendre décroissante par le temps la rigueur des peines, en sorte que toute leur intensité soit portée sur les premières années, et qu'un peu adoucies vers le milieu de leur durée la dernière époque se termine par le degré le moins sévère de l'existence pénale.

>> Ce principe est humain, car la première des consolations c'est l'espérance qui montre dans l'avenir une diminution des maux qu'on souffre ; et de plus il nous a semblé qu'il pouvait être utile de tempérer insensiblement l'être moral du condamné, et de pénétrer son âme d'affections plus douces et plus sociales avant l'instant où la fin de sa punition va le rendre à la société et à lui-même.

>> Toutes ces nuances deviendraient superflues si le condamné était plongé pour jamais dans le lieu fatal d'expiation; mais les peines peuvent être répressives et pourtant temporaires ; c'est un principe que nous vous proposerons encore de consacrer, et en conséquence d'abolir tout ce qui imprime aux peines un caractère de perpétuité, tout ce qui voue un coupable au désespoir..... au désespoir, la plus barbare des punitions, et la seule peut-être que la société n'ait pas le droit d'infliger; tout ce qui l'enchaîne irrévocablement au crime en lui ôtant les moyens de se livrer à une honnête industrie.

>>

Appelons par nos institutions le repentir dans le cœur du coupable; qu'il puisse revivre à la vertu, en lui laissant l'espérance de revivre à l'honneur ; qu'il puisse cesser d'être méchant par l'intérêt que vous lui offrez d'être bon; après qu'une longue partie de sa vie passée dans les peines aura acquitté le tribut qu'il doit à l'exemple, rendu à la société,

qu'il puisse encore recouvrer son estime par l'épreuve d'une conduite sans reproche, et mériter un jour que la patrie ellemên:e efface de dessus son front jusqu'à la tache d'un crime qu'il aura suffisamment expié.

» Je résume en peu de mots toute cette théorie générale, et je reprends l'énemération des caractères que vos comités ont pensé qu'il était utile d'imprimer à vos lois pénales.

» 11 faut que les peines soient humaines, justement gra-duées, dans un rapport exact avec la nature du délit, égales pour tous les citoyens, exemptes de tout arbitraire judiciaire; qu'elles ne puissent être dénaturées après le jugement dans le mode de leur exécution; qu'elles soient répressives principalement par des gênes et des privations prolongées, par leur publicité, par leur proximité du lieu où le crime a été commis; qu'elles corrigent les affections morales du condamné par l'habitude du travail; qu'elles décroissent en approchant du terme fixé à leur durée, et enfin qu'elles soient temporaires.

Comparons ces principes aux peines actuellement usitées, et voyons quelles seront celles qui pourront survivre à

cet examen.

» Nous n'aborderons pas encore ici la grande question de la peine de mort, pour laquelle nous réservons dans un instant une discussion particulière.

» La peine de mort, emportant simple privation de la vie, peut paraître à quelques bons esprits devoir être conservée dans

votre nouveau code.

» Mais ce que vous en bannirez, sans doute ce sont ces tortures dont la peine de mort était accompagnée d'après nos lois anciennes ; le feu; la roue, des supplices plus barbares encore, réservés pour les crimes de lese-majesté, toutes ces horreurs légales sont détestées par l'humanité et par l'opinion. L'Angleterre nous a donné l'exemple de les détruire il n'est pourtant aucun peuple qui ait prodigué autant que les Anglais la peine capitale, car presque tous les crimes la font encourir; mais les Anglais ont éloigné

de cette peine tout ce qu'elle a d'atroce; le condamné cesse de vivre sans qu'une longue et pénible agonie excite et provoque la farouche curiosité du peuple. Ces spectacles cruels dégradent les mœurs publiques, sont indignes d'un siècle humain et éclairé; la raison et la philosophie les proscrivent; et en cédant au vou de votre cœur, qui vous presse d'en abroger l'usage, vous aurez, messieurs, la satisfaction de réaliser un vou public, conçu et manifesté depuis longtemps.

>>

Après la peine de mort les galères sont le second degré des peines actuellement usitées.

» Les bases de cette punition sont les travaux publics, élément utile d'un bon système pénal.

» Mais il existe un vice radical dans ce mode de punir les condamnés; leurs douleurs sont absolument perdues pour l'exemple. C'est dans un petit nombre de villes maritimes que les condamnés de tout l'empire sont conduits; il faut habiter Brest ou Toulon pour savoir quel est le sort d'un galérien; et encore de quel spectacle sont témoins ceux qui considèrent de près cet établissement! Ils y voient des abus intolérables; des hommes frappés d'une condamnation semblable, et pourtant tout différemment traités; les uns excédés de coups, de travail et de rigueur; les autres ménagés, soignés, comblés de tous les adoucissemens que comporte leur état;"et cela selon la faveur ou la haine, la préférence ou la prévention, l'indulgence ou la sévérité d'un gardien, d'un conducteur ou d'un commandant; peut-être aussi un peu selon l'industrie ou l'oisiveté, la bonne ou la mauvaise conduite du forçat, mais qui toujours n'ont pour juge que le caprice d'un seul homme.

» La peine des galères est toujours accompagnée de deux autres condamnations, le fouet et la marque.

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» Quelques coups de verge donnés sur les épaules du condamné par l'exécuteur de la haute justice sont plutôt un simulacre de peine qu'une punition véritable; ils dégradent la main de l'homme en l'appesantissant sur son semblable; ils ajoutent peu à l'opprobre du supplice; ils n'ajoutent rien à l'effroi qu'il doit inspirer.

» Quant à la peine de la marque elle présente une trèsgrande question.

» On peut appuyer sur de très saines et très-fortes raisons l'opinion qu'un signe sensible doit faire reconnaître l'homme que la justice a déjà puni pour un crime, afin que, s'il se rend coupable une seconde fois, sa punition soit augmentée en raison de la perversité de ses penchans.

» Parmi ceux qui ont réfléchi sur cette question et qui l'ont discutée il s'est même trouvé de bons esprits qui ont porté ce principe jusque là qu'ils pensaient utile qu'une marque extérieure et apparente rendit partout reconnaissable le condamné, afin que la société pût se tenir continuellement en garde contre celui qui déjà l'avoit offensé par un crime.

» Les conséquences de cette opinion extrême pourraient être dangereuses, même pour le repos de la société : en horreur à tous les hommes, exclu de tout commerce humain, de toute profession, de toute industrie; portant dans tous les lieux, habités la honte, la défiance et l'effroi, l'être ainsi dégradé aurait fui dans les forêts pour y former une peuplade farouche dévouée au meurtre et au brigandage.

» Les lois en usage avaient évité cet inconvénient en adoptant un parti mitoyen, qui, sans flétrir le front de l'homine par l'affreux cachet du crime, laissait pourtant sur sa personne une marque voilée, mais ineffaçable, dont la justice pouvait au besoin retrouver l'empreinte.

» Nous avons hésité quelque temps à vous proposer d'en abroger l'usage; mais voici quels sont les motifs qui nous y ont déterminés.

» Il nous a paru qu'une empreinte corporelle indélébile était incompatible avec le système des peines temporaires, puisqu'elle perpétue, après l'époque fixée pour le terme de la punition, une flétrissure qui n'est pas une des circonstances les moins insupportables du châtiment.

» Cette empreinte, quoique non apparente, peut si souvent et si facilement se trahir, qu'elle écartera presque toujours le malheureux qui la porte d'un état honnête, et dès lors des moyens légitimes de subsister.

» Demeurât-elle constamment invisible et inconnue, la

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