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server ses mains purés; mais il s'arrêta là comme à une limite sacrée.

» Je le demande une seconde fois, quelle peine substituet-on à celle de mort? La perte de l'honneur et celle de la liberté pendant un temps donné? 1° La perte de l'honneur; mais c'est le crime qui a tué l'honneur du coupable, et non la peine que vous lui infligez : il a le courage de la honte; voilà trop souvent ce qui lui reste. 2° La perte de la liberté ; mais jusqu'à ce moment la conversion de la peine de mort en prison perpétuelle avait été considérée comme une grâce; le comité propose donc de donner ou à peu près des lettres de grâce aux assassins. Voilà où la manie des systèmes conduit des hommes qui ont la plus grande honnêteté et la meilleure tête.

» Là où l'honneur se tait il ne reste plus qu'à faire parler la terreur; et l'ennemi le plus terrible de la société est celui qui la livre à la merci des scélérats. Dans chaque grande époque une nation est dominée par une idée principale qui la maîtrise et l'entraîne: aujourd'hui régne la veille chimère de la perfection; on se crée un monde sinon imaginaire, au moins très difficilement possible, et c'est dans cette espèce de région que les faiseurs résident; ayons le bon esprit de les y laisser, et d'habiter avec la sagesse le monde réel.

» La triste nécessité de la peine de mort ainsi établie je me porte sur la seconde question : y aura-t-il des peines au-delà de la simple mort?

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» Une réflexion dont il est impossible de se défendre c'est que les lois pénales de presque toutes les nations ont été faites par les puissans et par les riches contre ce qu'on appelait alors le peuple; en sorte que le plus beau présent à faire aux empires est un bon code pénal. Il y a deux vérités qu'il ne faut jamais séparer : rien d'impuni; voilà la première; rien de trop puni, c'est la seconde.

» La peine doit être mesurée et sur le degré du crime et sur l'utilité de l'exemple.

» Le premier art d'un gouvernement est de savoir récompenser et punir.

» C'est donc sur l'espoir de prévenir de nouveaux crimes qu'il faut calculer les peines, sans jamais oublier que moins elles sont atroces moins les crimes sont fréquens, et que quelquefois une loi trop rigoureuse les produit. La mort la plus douce est donc aussi le supplice le plus cruel que le législateur puisse et doive infliger; enfin la dernière et plus consolante conséquence c'est que le dictionnaire des supplices à mort être réduit à une seule ligne, et le code réconcilié avec l'humanité.

» Je suis encore à concevoir comment les criminalistes qui ont fait une échelle de peines atroces n'ont pas senti vaciller leur plume en la traçant!

» Si la mort d'un grand criminel est un acte d'humanité envers la société, un supplice recherché est un inutile et dangereux attentat de la part du législateur.

» Je dis inutile, et l'histoire l'atteste : chaque fois qu'elle parle des supplices recherchés elle a à raconter de grands

crimes.

» Je dis dangereux, parce que ces supplices inspirent pour les coupables un intérêt qui est presque inséparable d'une sorte d'indignation et d'horreur contre les juges parce qu'en inspirant cette pitié dangereuse ils familiarisent la multitude avec le spectacle des cruautés et le bruit des douleurs, et entretiennent une sorte de férocité plus propre à multiplier les crimes qu'à les prévenir.

» Est-il possible ensuite de ne pas établir des gradations quelconques et de ne pas distinguer les fautes et les crimes? Ce serait un beau travail que celui qui présenterait l'échelle exacte de tous les délits et celle des peines correspondantes.

» A Athènes on avait gravé quelques lois pénales sur des colonnes placées auprès des tribunaux; mais là comme ailleurs on se plaignait de ce que la punition ne suivait pas une règle

uniforme.

>> Tout être qui n'est pas privé du don de penser sentira que la plus difficile des tâches est d'établir une proportion exacte entre les peines et les délits; toujours il faudra s'arrêter après un certain nombre de pas dans cette carrière, moins qu'on ne parvienne à donner, si je puis m'exprimer

ainsi, une nouvelle édition de l'esprit et peut-être du cœur humain.

» Dans l'impossibilité d'obtenir ce but, convenons au moins que tout ce qui est au delà de la simple mort est supérieur au pouvoir de la société, qui doit venger l'ordre public, punir,

et non tourmenter.

» Fais qu'il sente la mort, disait Caligula au bourreau. Ces mots, qui sont l'histoire de l'âme de cet affreux et sombre tyran, auraient suffi seuls pour lui attirer la vertueuse indignation de Tacite et l'horreur du monde. C'est là cependant ce qu'a répété pendant des siècles notre code pénal, et longtemps on s'y est accoutumé parce que l'homme s'accoutume à tous les spectacles et à toutes les idées, parce qu'il y a eu des bourreaux qui ont vécu près de cent ans.

!

» Entrer tout vivant dans la mort n'est-ce donc pas assez Ajouter des tourmens à la mort est un genre de barbarie qui n'a appartenu qu'à l'espèce humaine. Ce n'est pas seulement chez les sauvages de l'Amérique, ce n'est pas dans le treizième siècle, c'est à la veille du dix-neuvième siècle que des hommes ont livré des hommes au supplice de la roue, du feu, et à d'autres qu'on n'envisage qu'avec le sentiment de l'infini et quant à l'horreur et quant à la durée! Sans vouloir outrager les mânes de quelques vieux magistrats, on est tenté de dire qu'ils ressemblaient un peu aux druides, qui sacrifiaient des hommes. Une belle amende honorable à faire à l'humanité serait d'ordonner que,le code pénal sera brûlé par la main du bourreau, et je voudrais pouvoir évoquer l'ombre des Poyer et des Pussort pour les en rendre témoins.

» Maintenant à quels crimes la peine de mort sera-t-elle réservée? Si rien n'est plus précieux que la vie d'un citoyen -celui-là qui la lui arrache doit-il la conserver, doit-il continuer à jouir de la lumière dont l'assassiné ne jouit plus?

» Un écrivain qui n'a eu que le ciel pour maître, et que le philosophe a mis au rang des grands législateurs, dit: Si quis ~ aliquem interfecerit volens occidere morte moriatur !...... Sans placer ce principe dans le ciel, je crois qu'il est bien près de ressembler à ces vérités suprêmes qu'aucun peuple n'est libre de reconnaître ou de ne pas reconnaître, qu'une

assemblée ne décrète ni ne juge, mais profère, reconnaît et confesse.

» Ce n'est pas seulement d'après l'ancienne et l'universelle loi du talion que celui qui a arraché la vie à son semblable doit subir la mort; c'est encore parce qu'il faut que la société soit vengée.

>> Mais aussi que cette peine demeure réservée à l'assassinat, sans distinction des moyens employés pour le commettre; à l'empoisonnement, à l'incendiat, au crime de lèse-nation: Frédéric II s'en était fait une loi le jour où il s'assit sur le trône; pendant quarante-six ans elle a été exécutée, et les plus durs raisonneurs n'ont pas osé dire qu'elle avait multiplié les crimes.

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Cependant une question délicate à traiter est de savoir si celui qui commet un vol avec effraction, à main armée, doit perdre la vie. Il est bien constant que son intention est de tuer celui qui essaiera de lui opposer une légitime résistance; c'est dans ce projet seul qu'il est armé; mais une intention non réalisée est-elle au niveau du crime même, et doit-elle être punie comme lui? Punira-t-on de mort un projet lorsqu'il ne tend pas à compromettre le salut public? Ce voleur est fondé à vous dire: je n'ai pas tué ; et en prononçant contre ce criminel la peine capitale vous le conduisez à assassiner, puisque par là il supprime un témoin. Tel est le grand reproche qu'on n'a cessé d'élever contre la loi de François Ier. Convenons de sa justesse, mais avouons en même temps que, la vie de chacun étant sous la garde de tous, la condamnation à la mort contre un assassin n'est que la déclaration d'un droit naturel, et que c'est quelque chose que le repos de la société.

» Bien certainement il faut joindre la pitié à la justice, changer autant que cela est praticable les scélérats en serviteurs de la patrie, punir utilement, punir exemplairement sans répandre un sang nécessaire à l'Etat; le grand objet doit être de le servir.

» Mais le comité, en proposant la peine de mort contre les criminels de lèse-nation, reconnaît donc que cette peine est utile, qu'elle est nécessaire ; il reconnaît qu'elle n'est pas bonne la prétendue maxime que la mort ne répare rien.

>> Ceux qui menacent l'existence physique de tous les membres de la société et attentent à celle de plusieurs sont-ils plus dignes de vivre que ceux qui menacent sa vie politique? La nature me donne le droit d'ôter la vie à celui qui veut me la ravir dès qu'il ne me reste que ce moyen de me sauver; la société ne m'en a interdit l'usage qu'en me disant : je me charge de l'exercer.

» Il est d'une inutilité complète de prouver que ce sont là les seuls crimes qu'elle doit punir de mort; l'équité naturelle n'a besoin que d'être avertie. Quelle proportion des législateurs ont-ils pu apercevoir entre une somme d'argent et la vie d'un homme? Comment donc ont-ils calculé ces rapports-là?

:

» S'ils étaient pour un moment rappelés à la vie je leur dirais la superstition des anciennes règles n'est plus; consultez tous les hommes assemblés, et j'emploie d'avance leur réponse.

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J'ajouterais aidez-moi plutôt à transporter au milieu de nous l'autel que les Athéniens avait fait élever à la miséricorde; ah! nous avons bien quelques sacrifices expiatoires à lui faire !

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J'excepte cependant, et l'Assemblée exceptera sûrement avec moi le fabricateur de faux assignats; celui-là tue le corps social, et tout est dans ce mot. Périsse cet affreux talent, périssent ses affreux possesseurs!

» Au reste, si jamais il plaît à l'Eternel de former un peuple neuf et de l'établir dans une île toute neuve, le comité pourra lui proposer son code; encore, si ce peuple est sage et ses législateurs avisés, la proposition sera-t-elle ajournée à mille

et un an.

» Je demande donc que la peine de mort soit conservée pour les criminels de lèse-nation, les assassins, les empoisonneurs, les incendiaires et les fabricateurs de faux assignats, sans que jamais il puisse être prononcé aucune peine au delà de la simple mort. »

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