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A l'article 2 M. Tronchet avait proposé et fait adopter un amendement qui fut presque aussitôt retiré, sur les observations de MM. Duport et Thouret. Voici cet amendement :

« Les enfans nés en France de parens inconnus auront droit de cité. »

M. Duport. « L'assemblée veut que quand un homme est né en France de parens étrangers cet homme y ait fixé sa résidence pour jouir des droits de citoyen français ; cependant, d'après l'amendement qui vient d'être adopté, si deux étrangers passaient un moment en France, qu'ils y abandonnassent un enfant, et que cet enfant, né de parens inconnus passât en pays étranger, au terme de cet amendement, quoiqu'il ne fût pas résidant dans le royaume, mais parce qu'il y serait né, et que ses parens seraient inconnus, il y aurait droit de cité! L'Assemblée ne peut pas avoir voulu décréter des dispositions contradictoires. »>

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M. Thouret. « Il est impossible d'accorder au fils d'une femme mariée le droit de cité par sa mère, car alors il aurait deux cités. Par exemple, si son père était Anglais, en vertu du droit qu'il tiendrait de sa mère française il viendrait dans les assemblées politiques de France, et s'il n'obtenait pas l'élection il retournerait en Angleterre pour y jouir des droits de son père. Si sa mère n'est pas mariée l'homme qui voudra exercer les droits de citoyen, quels que soient son père et sa mère, se présentera avec son extrait baptistaire et la preuve de sa résidence; il dira je suis né en France; j'y réside... Peu importe que son père soit étranger ou Français, car il est l'un ou l'autre. Je conclus à ce que l'amendement soit retiré. »

M. Prieur. « Hé bien, si vous retirez l'amendement de M. Tronchet vous verrez que dans les assemblées on opposera votre procès-verbal aux bâtards. »

M. Thouret. « Hé bien, votre procès-verbal dira que les bâtards ne peuvent souffrir aucune difficulté sur leur état s'ils sont nés et domiciliés en France. »

L'assemblée rapporta l'amendement de M. Tronchet en reconnaissant « qu'il était superflu, et qu'il suffirait que le procès-verbal fit mention que la qualité de citoyen français ne pouvait pas être contestée aux enfans illégitimes nés en France de pères et mères inconnus, lorsque ces enfans sont résidans dans le royaume.» (Expressions du procès-verbal de la séance du 9 août 1791.)

SUR LE TITRE III. - Des pouvoirs publics.

M. Roederer prit la parole sur ce titre immédiatement après la lecture qu'en donna le rapporteur des comités.

Opinion de M.. Roederer sur l'essence du pouvoir exécutif et sur les bases du système administratif. (Séance du 10 août 1791.)

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Messieurs, vos comités me paraissent avoir absolument méconnu l'essence du pouvoir exécutif que vous avez entendu instituer, et leur rédaction du titre III me paraît tendre à amener très prochainement l'altération des bases, de votre système administratif.

>> Je vais vous exposer mon opinion avec la brièveté et la simplicité d'un homme qui désire sincèrement de s'être trompé.

» L'article 2 du titre III porte que la Constitution française es représentative, et que les représentans sont le corps législatif et le roi. Par une conséquence de ces notions l'article 2 de la seconde section du chapitre IV du même titre est conçu en ces termes : Les administrateurs n'ont aucun caractère de représentation.

>> Toutes ces propositions sont inexactes, discordantes entre elles et avec les principes de la représentation.

» Le roi n'est pas représentant; les administrateurs élus le sont; et s'ils ne l'étaient pas on ne pourrait pas appeler le gouvernement français un gouvernement monarchique représentatif. (Murmures.)

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L'essence de la représentation est que chaque individu représenté vive, délibère dans son représentant; qu'il ait confondu, par une confiance libre, sa volonté individuelle

dans la volonté de celui-ci : ainsi sans élection point de repré~ sentation; ainsi les idées d'hérédité et de représentation se repoussent l'une l'autre; ainsi un roi héréditaire n'est point représentant.

» Les comités eux-mêmes sentent si bien que la confiance individuelle et l'élection peuvent seules conférer le caraçtère représentatif, que c'est sur ce principe qu'ils se fondent pour demander la révocation du décret du marc d'argent, et que c'est sur l'abus de ce même principe qu'ils veulent faire lever le décret de la non rééligibilité indéfinie.

» Et au fond, messieurs, s'il était possible que vous séparassiez l'idée de représentation de celle d'élection, vous feriez disparaître, vous obscurciriez au moins la notion la plus frappante que vous puissiez préposer à la garde de la constitution, et opposer à toute usurpation sur le pouvoir législatif.

>>

Prenez-y garde, messieurs, les vérités sensibles sont les meilleures gardiennes des vérités politiques, qui toutes ne peuvent pas être sensibles. Certainement tant que le peuple ne reconnaîtra le caractère auguste de représentant qu'à ceux qu'il aura élus, et pendant le temps pour lequel il les aura élus, il ne sera pas facile au chef du pouvoir exécutif, ni à une classe d'hommes distincte des autres, ni à une corporation, de s'emparer du pouvoir législatif, que le peuple sait fort bien ne pouvoir être exercé que par des représentans; au lieu que si le caractère de représentant peut être réputé héréditaire rien dans la théorie de la représentation ne s'opposera plus à l'idée de législateurs héréditaires, tels qu'autrefois le roi, les parlemens ont prétendu l'être, tels qu'à la suite peutêtre les grands propriétaires terriens prétendraient l'être à leur tour. Ainsi, en adoptant la représentation sans élection, vous diminueriez évidemment l'absurdité de l'ancien régime et la sûreté des nouveaux principes.

>> On dira peut-être qu'à la vérité le roi n'est pas réellement représentant, mais qu'on peut l'appeler ainsi par fiction; que cette fiction est nécessaire pour que son titre s'accorde avec la fonction du veto, qui est une portion du pouvoir législatif. Je réponds que c'est justifier une fausse qualifica

tion par une erreur de principe. Le droit de sanction n'est nullement une portion du pouvoir législatif; ce n'est qu'un droit d'appel à la nation d'un acte du corps législatif : ce droit est si peu une portion du pouvoir législatif, que malgré le refus de la sanction le décret devient loi après deux législatures persévérantes. Le droit d'appel à la nation d'un décret du corps législatif ne donne pas au roi plus de part dans le pouvoir législatif que le droit d'appel d'un commissaire du roi sur un jugement de première instance ne donne à ce commissaire le pouvoir judiciaire; ainsi l'on ne peut fonder sur le caractère de colégislateur, que n'a pas le roi, la nécessité de lui donner un titre correspondant à ce caractère.

» S'il est clair qu'il n'y a point de représentation sans élection, il est clair aussi que tout citoyen élu est représentant de celui qui l'a élu, pour le temps et pour la chose qui est l'objet de l'élection ; et c'est sur cette vérité évidente que j'établis ma seconde proposition, savoir, que les administrateurs sont représentans.

» Eh! si les administrateurs comme les juges ne l'étaient pas, à quel titre notre Constitution serait-elle appelée représentative? Pourquoi dirait-on partout et sans cesse que notre Constitution est une création toute nouvelle, qu'elle n'a de modèle nulle part?

» Si les membres du corps législatif, et même le roi si l'on veut, étaient seuls représentans, notre Constitution ne serait qu'une simple monarchie, où le peuple exercerait la souveraineté par des représentans, et l'exécution de ses lois serait commise à un seul homme : il ne peut pas exister de monarchie autrement : un état où le pouvoir législatif ne serait pas exercé par des représentans serait ou en pleine aristocratie ou en plein despotisme ; il ne serait pas en monarchie. Si notre Constitution n'établissait la représentation que dans le corps législatif elle ne serait pas plus représentative qu'elle ne l'était il y a deux siècles, qu'elle ne l'est maintenant en Angleterre. A la vérité une partie de cette Constitution, c'est à dire le pouvoir législatif, serait mieux repré-. sentée parce qu'il n'y a plus d'ordres en France, et que les bases de la représentation sont ineilleures; mais il n'y aurait

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pas dans la Constitution plus de parties des pouvoirs publics où la représentation ait lieu, la Constitution ne serait pas plus représentative.

» Je dis donc que le roi n'est pas représentant; que les administrateurs le sont, et qu'il faut qu'ils le soient pour que les comités puissent dire avec exactitude: la constitution française est représentative.

» Ce qui a sans doute égaré les comités, ce qui fait résister plusieurs bons esprits aux observations que je viens d'exposer, c'est cette idée fort juste que des administrateurs élus ne doivent pas être placés sur la même ligne que des députés à la législature; que ces premiers sont comptables et responsables au chef du pouvoir exécutif, tandis que les seconds en sont indépendans, ont même des fonctions supérieures aux siennes, et que de plus ils ne peuvent être gênés par aucun mandat du peuple qu'ils représentent; mais cette différence ne prouve pas que les uns aient et que les autres n'aient pas le caractère représentatif; elle vient de la différence des pouvoirs.communiqués aux législateurs d'une part et aux administrateurs de l'autre.

» Les députés au corps législatif sont non seulement représentans du peuple, mais encore représentans du peuple pour exercer un pouvoir représentatif, par conséquent égal à celui du peuple, indépendant comme le sien; sans quoi il n'en serait pas l'image, la fidèle représentation; tandis que les administrateurs ne sont représentans du peuple que pour exercer un pouvoir commis, un pouvoir subdélégué et subordonné c'était donc entre les pouvoirs représentatifs et les pouvoirs commis qu'il fallait établir une distinction nette, et si les comités l'eussent faite ils se seraient préservés des erreurs dangereuses que présentent les articles dont il s'agit.

» Allons plus loin, et voyons à quelles conséquences ces erreurs de principes ont conduit relativement au système administratif.

» J'ai toujours cru, messieurs, et je n'ai pas été seul à croire que votre intention, celle de la France entière, celle des gens mêmes qui d'ailleurs approuvent le moins la Constitution, était de garantir invariablement par cetle Consti

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