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mens qui composent le véritable caractère national: chez l'un c'est la franchise, chez l'autre la fierté, la douceur; chez d'autres aussi la cruauté ou l'artifice ces qualités ou ces vices c'est en général le gouvernement qui les donne, et un habile législateur n'a jamais manqué l'occasion de former l'esprit national d'un peuple ou de corriger celui auquel la nature l'a disposé; c'est par là qu'il assure d'avance une obéissance parfaite aux lois, qu'il prépare les esprits à remplir les devoirs que la société leur impose; c'est par là qu'en rattachant des opinions éparses à des principes constans il se donne une influence vaste et profonde, à l'aide de laquelle il peut continuellement ramener les actions des hommes à des vues d'intérêt général et du bonheur public.

» S'il nous eût été permis de séparer nos travaux des cit constances qui les environnent et semblent les commander, c'eût été une entreprise utile à la fois et sublime d'établir autour de notre constitution politique toutes les institutions morales qui peuvent l'appuyer et l'affermir; d'offrir ainsi un but commun à toutes les affections des hommes, et de les unir à ce but par le lien sacré du patriotisme et de la vertu : enfin de remettre la défense de notre édifice social sous la garde de ces trois puissances, invincibles lorsqu'elles sont unies, les mœurs, la force et l'intérêt.

» Le temps et les circonstances ont manqué à ce vaste prôjet; il faut à cet égard reculer nos espérances; il faut même en reporter le principal effet vers la génération qui s'avance, et qui, plus heureuse que nous, profitant et de nos sacrifices et de nos fautes, jouira de la liberté sans mélange et sans regret : mais au moins faisons tout ce qu'il nous est permis de faire ; si nous sommes forcés de refuser, d'adopter quelques vérités, au moins ne consacrons point d'erreurs; ne consacrons que des principes vrais si nous ne pouvons pas admettre tous ceux qui pourraient être utiles.

» N'appréhendons pas non plus de heurter un reste de préjugé populaire contre la suppression de la peine de mort. Le peuple est juste en masse; il l'est nécessairement, car il est placé au milieu de l'intérêt général. Soyez sûrs, messieurs, què la loi qui abolira la peine de mort sera aussi respectée

et plus respectable qu'un grand nombre de celles que vous avez rendues : d'ailleurs ce n'est pas toujours par une obéissance ponctuelle et servile aux ordres de l'opinion que les législateurs portent les lois les plus utiles à leur pays; souvent ces lois n'ont de rapport qu'à des besoins momentanés, et ne remédient qu'à des effets; les résultats heureux et vastes qui décident du bonheur des peuples tiennent en général à la méditation et au calcul.

» J'ai toujours dirigé autant qu'il m'a été possible mes travaux particuliers vers ce but, de placer dans le code de nos lois des institutions fortes et profondes, dont l'effet est longtemps inaperçu parmi les idées générales et semble s'effacer le sentiment exclusif de la liberté, mais dont les avantages par augmentent tous les jours et seront plus sentís à mesure que cette chaleur patriotique qui maintenant nous anime fera place en se refroidissant à des jugemens plus sévères de la raison, et à une expression plus pure de l'intérêt public.

» Souffrez, messieurs, qu'en finissant j'ajoute aux raisons qui semblent déterminer la question des motifs puisés dans les circonstances présentes. Lorsque notre révolution a commencé elle nous a trouvés tels qu'un long despotisme et la corruption qu'il entraîne nous avaient formés; cette révolution a vu pendant son cours se développer toutes les passions, tous les intérêts; elle a mis en dehors nos qualités et nos vices; elle a rendu les uns et les autres plus sensibles, et l'on a vu malheureusement à côté du spectacle sublime du patriotisme et de la générosité le monstre hideux de l'intérêt et de la haine on a pu regretter quelquefois que l'esprit national n'ait pas été adouci d'avance par des institutions plus humaines. Le caractère des individus, divisés par tant d'opinions, fatigués par une lutte si longue et si nouvelle, a dû naturellement s'altérer et s'aigrir; si les hommes ont acquis la force nécessaire pour être libres, ils ont aussi pu contracter une dureté qui rend le commerce de la vie difficile et fâcheux: il est des individus qui, tirant leur caractère des événemens, sont devenus féroces lorsqu'ils devaient être courageux et fermes; ils seront faibles et vils lorsqu'on leur demandera l'obéissance et de la douceur.

» Depuis qu'au lieu de rectifier par nos lois l'esprit national nous l'avons malheureusement transporté dans notre Constitution, et que la mobilité est devenue un des principaux caractères de notre gouvernement, depuis qu'un changement continuel dans les hommes a rendu presque nécessaire un changement dans les choses, faisons au moins que les scènes révolutionnaires soient le moins tragiques et leurs conséquences le moins funestes qu'il sera possible: pour cela tâchons d'adoucir le caractère national, et de le fixer non à cette pitié molle des esclaves, mais à cette humanité vraie des peuples libres... (M. l'abbé Maury veut interrompre l'orateur; il cite la Bible, il cite Caïn...)

» Certainement la société qui existait alors n'avait fait aucune loi : mais il est bien extraordinaire que l'exemple que l'on choisit soit entièrement contre mes adversaires; dans la Bible il est dit «< que Caïn ne soit pas tué, mais qu'il conserve » un signe de réprobation » ; et c'est ce qu'on vous propose, un signe de réprobation aux yeux des hommes. (Applaudissemens.) Mais je passe à d'autres observations.

» Vous le savez, messieurs, on vous reproche vivement le changement qui s'est fait dans le caractère des Français : des qualités douces et brillantes l'embellissaient ; elles ont disparu, et l'on attend avec inquiétude si elles seront remplacées par des vertus ou par des vices. On vous accuse d'avoir endurci les âmes au lieu de les affermir, comme on vous reproche'd'avoir substitué aux abus de la prodigalité les abus plus funestes peutêtre d'une mesquine parcimonie. Faites cesser ces clameurs; ôtez-leur du moins tout fondement raisonnable; que vos vues jusqu'au moment de votre séparation se dirigent vers les moyens d'inspirer au peuple la générosité, la fermeté et une humanité profonde, vertus dont l'alliance est si possible, si naturelle même, et qui forme le plus beau caractère que l'homme puisse recevoir de la nature et de la société! Pour y parvenir rendez l'homme respectable à l'homme; augmentez, renforcéz de toute la puissance des lois l'idée que luimême doit avoir de sa propre dignité, vous aurez tout fait en lui inspirant le principe de toutes les vertus, je veux dire le respect pour lui-même, et cette fierté véritable qui se fonde

tron sur des distinctions vaines, mais sur la jouissance pleine de tous les droits qui appartiennent à l'homme. Quiconque se respecte est nécessairement juste et droit; les autres ont de lui une garantie constante qui le suit dans toutes ses actions. L'homme qui respecte les autres agit bien en public; celui qui se respecte lui-même agit toujours bien même en secret.

» A ce moment, messieurs, où les Français dirigent toutes leurs pensées vers leur nouvelle Constitution, où ils viennent puiser avidement dans vos lois non seulement des règles d'obéissance, mais encore le principe de justice et de morale, si longtemps méconnus, qui doivent guider leur conduite, qu'ils ne rencontrent pas une loi dont l'effet seul est une leçon de barbarie et de lâchété. Ne profitez pas de ce besoin de voir et d'être ému qui agit chez tous les hommes pour les assembler et leur apprendre qu'il est des cas où l'on peut commettre un homicide; songez que la société, qui ne peut être passionnée, qui ne peut éprouver ces mouvemens dont la violence semble excuser le meurtre, loin de le légitimer par son autorité, le rend plus odieux cent fois par son appareil et son sang froid; car je conçois la colère, la vengeance et ses suites dans un premier mouvement; la nature même nous l'indique; mais s'il est quelqu'un qui ait pu, sans éprouver une violente sensation d'horreur et de pitié, voir infliger la mort à un autre homme , je désire de ne le jamais rencontrer; non seulement il est étranger aux affections douces qui font le bonheur de la vie, mais il a arrêté sa pensée sur un meurtre; la nature cesse de me protégér contre lui; il ne lui faut plus qu'un intérêt pour me massacrer!

» Faites cesser, messieurs, l'entreprise parricide de tourmenjer la nature et de corrompre ses sentimens. La peine de mort offre encore à vos yeux un caractère de réprobation, puisqu'elle a une origine semblable à celle de tous les abus que vous avez détruits; elle doit comme eux sa naissance à l'esclavage; c'est contre les esclaves qu'elle a été inventée. Apprenez combien vos lois sont odieuses par l'horreur invincible qu'inspirent ceux qui les font exécuter: honorez au contraire votre code d'une loi analogue à votre Constitution, propre à fortifier les sentimens qu'elle a voulu inspirer aux

Français; d'une loi qui a fait la gloire et la sûreté des peuples anciens; d'une loi que le despotisme a bien osé promulguer avant vous, et maintenir avec succès dans des pays voisins; d'une loi que les peuples esclaves adopteront si comme vous ils sont appelés un jour à fonder leur constitution; d'une loi enfin sollicitée par cette opinion saine de tous les hommes éclairés qui ont su dérober leur raison à l'influence des préjugés anciens et à celle des circonstances du moment! »

Opinion de M. Mougins-Roquefort. (Séance du 31 mai 1791.)

Messieurs, c'est un sentiment pénible que celui de présenter une opinion qui semble contrarier les droits de l'humanité.

» Je fais aussi violence à mon caractère pour n'écouter que l'utilité publique, le bien général, celui de la société entière. Tels sont les puissans intérêts qui commandent des sacrifices à ma sensibilité.

» Notre législation criminelle prononce, j'en conviens, des supplices qui la déshonorent.

» Un saint respect pour la justice et pour l'humanité doit nous porter à abolir des peines trop sévères; mais ne nous laissons pas entraîner au delà des bornes de la raison; mais la protection due aux citoyens honnêtes contre les attaques des méchans, la sûreté, la tranquillité publique exigent de mesurer les peines à l'atrocité des crimes, et de ne pas sacrifier au nom de l'humanité l'humanité même.

» Car perdre de vue le terme nécessaire de la gradation proportionnelle des délits et des peines ce serait, au lieu de servir la nature, s'imposer la loi barbare de la faire frémir.

» Anéantissez la peine de mort pour tous les crimes excepté pour l'homicide, et vous ferez des lois sages, justes, salutaires.

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Qu'un malheureux qui sur un grand chemin avatt arraché par la force un pain qu'on ne lui aurait pas

refusé

par charité ne soit pas, ainsi que l'ordonnent nos lois encore existantes, livré à la mort.

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