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blées nationales, et ce n'est pas une raison pour les supprimer; cette institution est nécessaire à la sage administration de la justice elle-même; la justice rigoureuse veut que tout meurtrier, même involontaire, soit condamné à mort par le juge....... (Non, non. Une voix : ce n'est pas là ce que portent nos decrets sur les jurés.)

» En ce cas vous avez seulement changé l'arbitraire de place il était à la chancellerie; il est désormais dans les tribunaux. Ce n'est point aux jurés, qui sont les témoins d'un fait et qui ne sont pas des juges, ce n'est point au juge même à décider si un homme mérite grâce, parce que les juges, étant les officiers de la justice, ne sont pas des ministres de miséricorde; ils ne doivent pas l'être, et dans une sage constitution ils ne l'ont jamais été. Aussi, messieurs, en Angleterre, où l'on a su se préserver du despotisme, non seulement ou n'a point enlevé au roi le droit de faire grâce, mais on lui en a imposé le devoir; le serment que le roi d'Angleterre fait a son sacre est conçu en ces termes : Je promets de faire exécuter justice avec miséricorde. Voilà ce que le roi d'Angleterre promet.

» On a voulu que le dépositaire du pouvoir exécutif fût plus clément que la loi, car la loi ne doit point connaître de clémence, et il faut pourtant bien qu'il y ait dans le royaume un ministre de la clémence publique. Si le roi ne l'est pas, qui le sera? Si une commutation de peine, qui est souvent un grand acte de justice, n'est plus désormais au pouvoir du roi, ne voyez-vous pas que vous ôtez au roi le seul moyen qu'il y eût dans l'ordre ancien d'arrêter les effets de la prévention ou de l'injustice des juges? Si vous apprenez que le peuple, trompé par des vraisemblances séduisantes, a préjugé un accusé, que cet accusé a été traduit devant les jurés, que les jurés ont cédé sans examen ou par frayeur..... ( A gauche : Oh, oh, oh!)

» Je souhaite, messieurs, que vos jurés soient des hommes inaccessibles à la crainte, car je ne dois pas supposer l'hypothèse de la corruption. J'admets donc que vos jurés s'établiront, ce qui n'est pas encore démontré, et je vous en demande pardon, messieurs; c'est avec l'institution des jurés que les Anglais ont su allier la prérogative de la couronne. Il n'existe

pas dans l'univers un monarque qui n'ait ce droit-là, et je ne sais pas, messieurs, pourquoi l'on voudrait l'enlever au chef suprême de la première monarchie de l'univers. Quelle méfiance peut-on avoir avec les nouvelles précautions que vous avez prises pour organiser la législation criminelle, avec la responsabilité des ministres; avec la précaution que vous pouvez prendre de faire enregistrer les lettres de grâce, car les lettres de grâce en elles-mêmes n'ont jamais été exécutées sans être enregistrées? Quelles précautions la nation va-t-elle prendre contre son roi pour l'empêcher d'exercer des actes de clémence, même en matière de commutation de peines?

>> Messieurs, vous avez placé la loi sur la tête de tous les Français; la loi ne connaît que des principes généraux de tous les temps et de tous les lieux; mais souvent la loi générale n'est pas la justice particulière, et cette justice particulière, qu'on appelle souvent et avec raison clémence, doit être mise en dépôt dans les mains du roi. Or dans l'organisation du pouvoir judiciaire le peuple choisissant ses juges, le roi n'ayant pas même le droit de commutation de peines, nous établissons un gouvernement absolument républicain, nous séparons le roi de la Constitution, ét nous faisons une grande faute, car notre intérêt est de le lier à la Constitution, et nous le rendons étranger à tout! (Murmures.)

» Au reste, messieurs, ceux qui s'opposent à cette discussion voudront bien me pardonner les instances que je fais en faveur des véritables intérêts de la nation : il est de l'intérêt de la nation, messieurs, que son roi puisse quelquefois remédier aux erreurs des jurés et aux erreurs des lois elles-mêmes car les lois ne sont pas infaillibles: je demande donc que le roi jouisse de tous les droits de rémission, dé commutation de peine, et même de grâce absolue, sous la condition d'un enregistrement qu'il est très facile de déterminer.

»Je ne demanderai pas de lettres de grâce pour un assassinat prémédité, pour un assassinat sur le grand chemin, mais pour les crimes inférieurs, pour les crimes mêmes qui ne méritent pas la peine de mort. Je crois qu'il n'y a aucun inconvénient à allier à la prérogative royale le droit de faire grâce, droit que le roi d'Angleterre exerce avec les applaudissemens

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de sa nation, car les Anglais désirent que le roi fasse beauconp de grâces les jurés savent fort bien qu'il y aura au moins un tiers et souvent la moitié de leurs jugemens qui ne seront pas exécutés; ils le savent, et s'en applaudissent.

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J'excepterais, messieurs, très volontiers les crimes de lèse-nation; et remarquez que dans les occasions où les coupables sont très multipliés, dans l'insurrection d'une ville, d'un régiment par exemple, on eût bien fait d'accorder grâce des lettres d'amnistie. Vous ne pouvez donc pas l'anéantir ce droit-là, parce qu'il est impossible dans plusieurs circonstances d'exécuter les lois à la rigueur.

par

» Et remarquez, messieurs, , que par un mouvement dont la promptitude me, paraît inexplicable (murmures) les mêmes hommes qui ne voulaient pas avant hier qu'on pût condamner un seul homme à mort ne veulent plus aujourd'hui qu'on puisse faire grâce à un seul condamné; ou plutôt cette prévention me paraît fondée sur un préjugé qui peut souvent nous égarer. Si nous nous représentons sans cesse le pouvoir exécutif comme un hors-d'œuvre de la constitution, comme un pouvoir menaçant pour la nation, nous ne pouvons pas trop le détruire : si nous le considérons au contraire comme le nerf de l'Etat, comme l'unique moyen de faire perpétuer dans le royaume la Constitution, nous ne détruirons pas les pouvoirs qui doivent lui être délégués par la nation, et qui ne peuvent tourner qu'à son profit. En matière criminelle le roi ne peut jamais faire. seul l'application de la loi, mais il doit seul juger si la loi peut n'être pas exécutée contre tel ou tel individu.

» J'entends dire dans cette Assemblée : Mais si le roi est l'exécuteur de la loi, il n'en est donc pas le dispensateur...

Voilà, messieurs, une grande erreur. Il est l'exécuteur de la loi; mais il s'agit de savoir s'il peut dispenser de l'exécution d'un jugement particulier... ( Murmures.) L'exécution générale est un devoir du roi; il doit favoriser, protéger, ordonner l'exécution de la loi; mais je maintiens que le droit de faire grâce est une partie du pouvoir exécutif : cela est tellement démontré que si vous ne l'accordez pas au roi bien certainement vous ne l'accorderez à personne.

» Enfin, messieurs, quand on parle aux représentans d'un

peuple généreux et sensible.... (Ah! ab, ah! Interruption.)

» Souffrez qu'une partie de citoyens qui fera en sorte de n'avoir pas besoin de grâce fasse tous ses efforts pour que le droit de la faire soit laissé au roi! Je dis, messieurs, et la nation ne me démentira pas, que si cette question était agitée au milieu des communes du peuple français ce même peuple porterait avec acclamation au trône de son roi cette belle prérogative de fermer les tombeaux.

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Qu'elle est belle cette prérogative de pouvoir sauver la vie à son semblable, de pouvoir se dire à soi-même : aujourd'hui j'ai empêché un infortuné de terminer dans la douleur et dans l'opprobre le cours de sa vie !... Ciceron, qui le savait bien autant que nous, ne cessait d'en vanter les douceurs à César, parce qu'il savait en même temps qu'il importait au bonheur du peuple de nourrir l'âme de son roi de ces seutimens exquis, de ces sentimens d'humanité qui éveillent la sensibilité au fond du cœur des rois, souvent trop éloignés des misères humaines ; il savait qu'il ne fallait pas faire du roi une loi, c'est à dire un rocher : il faut en faire un homme sensible; il faut lui accorder le droit de faire des grâces; il faut lui laisser cette toute puissance pour le bien; il faut que sur le trône, où il a des peines qui lui sont exclusivement réservées, il ait aussi des douceurs et des consolations qui n'appartiennent qu'à lui seul. (Applaudissemens du côté droit.)

» Il faut vous rappeler que c'est à nous, représentans amovibles de la nation, qu'est réservée toute la rigueur de la législation: c'est bien assez pour nous, messieurs, d'être obligés par les grandes considérations de l'intérêt du bien public de décréter la peine de mort, sans que dans notre code nous prenions la précaution barbare de prémunir des hommes contre la grâce même du chef suprême de l'État! Non, messieurs, cette précaution n'est pas digne de vous; cette condition ne convient point à des législateurs; elle serait la plus barbare de toutes les lois; elle serait une loi inouïe dans l'histoire des nations.

» On a accordé à des généraux d'armée le droit de faire

grâce; vous le leur accorderiez vous-mêmes si vous signiez aujourd'hui la patente de leur commandement; et le roi, le chef suprême de l'Etat sera privé de ce beau droit, qu'il ne pourra jamais diriger contre la nation, de ce droit dont l'abus même serait excusable, parce que tous les abus de clémence et de miséricorde trouvent leur excuse au fond de toutes les âmes sensibles! Vous avez assez limité la prérogative royale; vous avez cru devoir prendre des précautions contre les erreurs et les infidélités des ministres; mais dans ce moment vous attaqueriez une grâce qui tient essentiellement au fond du cœur de tous les bons rois, une prérogative dont ils doivent être infiniment jaloux, une prérogative dont vous⚫ ne sauriez les priver sans les déshériter du sentiment le plus doux qu'ils puissent goûter sur le trône, sans les dénoncer aussitôt à la nation comme des gens que vous avez cru assez peu dignes de sa confiance pour ne mériter pas même d'exercer ce droit! Non, messieurs, je le répète, des Français, des hommes, des législateurs n'opposeront pas cette barrière à la clémence du roi ; ils ne lui contesteront pas le droit de faire grâce; ils n'imagineront pas servir la cause publique en enlevant au pouvoir exécutif tous les pouvoirs qu'ils ne peuvent exercer eux-mêmes, en anéantissant tous les pouvoirs dont ils ne peuvent pas s'emparer!» (Applaudissemens du côté droit.)

M. Duport. (Immédiatement après M. l'abbé Maury.) « Si je voulais opposer une déclamation à un autre je dirais que l'exercice du droit de faire grâce, remis entre les mains du roi, ne deviendrait, comme tous les autres actes qui émanent du pouvoir exécutif, que l'effet du caprice, l'expression de la volonté de ceux qui l'entourent habituellement... » (Applaudissemens à gauche ; murmures à droite.)

M. l'abbé Maury. « Je demande que cette question ne soit pas décidée aujourd'hui. » (1)

(1) L'abbé Maury avait improvisé le discours auquel répond Duport, aussi en improvisant; l'abbé Maury voulait traiter la matière à fond; néanmoins le lendemain il s'en tint à son premier dire.

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