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tution que des délégués du peuple, des citoyens élus par le peuple, surveillés les uns par les autres, subordonnés les uns aux autres, seraient désormais chargés sous l'autorité du roi de faire la répartition des contributions directes imposées à chaque département, la collecte de ces contributions, la recette particulière tant de ces contributions que des perceptions dites indirectes, et que la trésorerie nationale, destinée à rassembler et à distribuer la totalité des revenus publics, serait au moins surveillée dans tous ces détails par des représentans de la nation. (Murmures.) J'ai toujours cru que comme la justice devait être préservée par la Constitution de magistratures vénales, perpétuelles, héréditaires, ou conférées par le prince et révocables à sa volonté, de même l'administration des charges publiques et le dépôt des revenus de l'Etat devaient être préservés par la Constitution de ces magistratures monstrueuses qui ne se vendaient pas, qui ne se donnaient pas non plus pour un temps fixe ou à perpétuité, mais avec lesquelles le prince achetait les hommes à vendre ou payait les homines vendus, et retenait en sa propriété tous les hommes achetés.

» La propriété et la liberté ne sont pas moins intéressées sans doute à ce que la répartition soit exempte d'arbitraire, et les revenus publics en sûreté tant du côté de l'administration que du côté des tribunaux ; elles ne sont pas moins menacées par l'une que par les autres; et au fond, messieurs, dans tout ce qui regarde la répartition le pouvoir judiciaire fait évidemment partie du pouvoir administratif, puisque décider que tel citoyen doit payer une telle contribution, soit qu'il réclame ou non contre sa taxe, c'est réellement statuer par un jugement sur sa propriété.

» Pour réduire ma pensée en deux mots, j'ai cru, messieurs, que comme la Constitution proscrivait pour jamais les parlemens, de même la Constitution devait proscrire sans retour les intendans de province et les surintendans plénipotentiaires des finances.

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Jusqu'à présent les décrets avaient dit : le pouvoir exécutif supréme réside aux mains du roi... Mille fois, quand l'Assemblée travaillait à la formation des corps administratifs,

les orateurs ont dit à la tribune : le pouvoir exécutif s'orga nise... Mille fois on a réfuté, aux grands applaudissemens de l'Assemblée, les royalistes qui, ne voyant le pouvoir exécutif que dans le roi, disaient : il faut enfin rendre de la force au pouvoir exécutif, pour dire : il faut donner du pouvoir au roi..... Estğil quelqu'un qui ne se rappelle cette séance où M. de Mirabeau, réfutant une opinion royaliste, dit à peu près ces paroles : « Le pouvoir exécutif ne peut être que le résultat de toutes les parties de la Constitution qui sont ou seront instituées pour l'exercer; les municipalités sont établies, les corps administratifs le sont où vont l'être.... » Tout le monde applaudit à cette réponse : tou le monde entendait donc que le pouvoir exécutif serait réparti entre différentes mains créées par la Constitution, toujours sans doute sous l'autorité du roi, chef suprême du pouvoir exécutif, et non dépositaire unique de la totalité du pouvoir exécutif.

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» Hé bien, messieurs, l'article 4 du titre III ébranle les bases de ce système. « Le pouvoir exécutif, porte cet article, est délégué au roi, pour être exercé sous son autorité par des ministres et autres agens responsables, de la manière qui sera déterminée ci-après. « Vous le voyez, messieurs, le roi n'est plus seulement le chef suprême du pouvoir exécutif; ce pouvoir tout entier lui est délégué!

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Mais, va-t-on demander, n'est-ce point là une simple erreur de rédaction? mais les articles qui règlent la manière dont le pouvoir administratif sera exercé ne rectifient-ils pas, n'expliquent-ils pas cette énonciation de l'article 4 du titre III? Pour lever les doutes que moi-même je me suis plu à concevoir à cet égard j'ai eu recours à la section II du chapitre IV, qui concerne l'administration ; j'y ai cherché au moins le principe des importantes dispositions qui ont été insérées dans l'article 1er de la section III du décret du 22 décembre 1789, de ce décret rendu dans les temps les plus glorieux de l'Assemblée nationale; je veux parler des dispositions suivantes : « Les administrateurs de département seront chargés, sous l'inspection du corps législatif et en vertu de ses décrets, de répartir les contributions directes imposées à chaque département...; d'ordonner et de faire faire les rôles

d'assiette et de cotisation entre les contribuables de chaque municipalité...; de régler et de surveiller tout ce qui concerne la perception et le versement du produit des contributions, etc. » J'y ai cherché aussi le principe des décrets qui placent les revenus publics dans chaque département entre des mains populaires, et soumettent dans tous ses détails la trésorerie nationale à l'inspection immédiate et journalière de représentans du peuple.

» Mais c'est en vain que j'ai cherché dans la Constitution l'attribution à des délégués du peuple de ces fonctions qui touchent si essentiellement à la liberté et à la propriété, et qui sont si peu susceptibles d'être abandonnées à des préposés du prince; il y a plus, j'ai trouvé positivement le contraire de ce que je cherchais. Les comités, en parlant des fonctions des corps administratifs, non seulement ne les réservent pas constitutionnellement, mais même ils les déclarent positivement objet réglementaire : il appartient, disent-ils article 4, au pouvoir législatif de déterminer l'étendue et les règles de leurs fonctions (des corps administratifs). Ainsi, messieurs, la prochaine législature peut les réduire à n'être que les administrateurs des propriétés publiques, des chemins, des édifices nationaux, des hôpitaux; etc; elle peut rétablir les intendans ou toute autre magistrature semblable pour la répartition des charges publiques et autres fonctions de cette nature: ainsi la disposition des finances peut être remise à des agens du roi, sous cette vaine responsabilité que la puissance de l'or rend toujours si illusoire; ainsi ma proposition est démontrée, savoir, que les bases constitutionnelles du système administratif sont absolument écartées de la Constitution.

>> On doit sans doute avoir une grande confiance dans les législatures; il faut espérer qu'elles respecteront les bonnes lois réglementaires à l'égal des lois constitutionnelles.

» Mais en partant de ce principe il faudrait ne rien régler constitutionnellement; et, pour parler franchement, si le corps constituant d'aujourd'hui pouvait être induit à reléguer contre toute raison les articles que je vous ai cités entre les articles purement réglementaires, ne serait-il pas très possible que

des législatures subséquentes s'autorisassent de cette faute-là même, y trouvassent une sorte d'invitation d'aller plus loin, et portassent le coup mortel à la loi ?

Je sais bien, messieurs, que beaucoup d'excellens esprits ne sont pas sans inquiétude sur le succès de notre système administratif, et qu'ainsi il ne faut pas inconsidérément donner à la totalité de ce système l'immutabilité constitutionnelle; mais je ne prétends pas non plus qu'il doive être placé en entier dans la Constitution; je pense qu'il ne faut pas y placer l'organisation des corps administratifs, leur nombre, leurs rapports; je pense même qu'il ne faut pas régler constitutionnellement la manière dont le roi pourra exercer son autorité près de ces corps : ce que je demande seulement c'est que la répartition des contributions, la conservation des revenus publics soient confiées par la Constitution à des citoyens élus par le peuple; et pour cet effet il faut commencer par changer les articles 2, 3 et 4 du titre III (1), qui renferment des expressions absolument contraires aux principes.

» En conséquence voici comment je rédigerais les articles qui font seuls l'objet de la délibération actuelle, me réservant de proposer ceux qui en seront les conséquences lorsque l'ordre du jour amenera la discussion du système administratif :

» Art. 2. La nation ne peut exercer par elle-même sa souveraineté ; elle institue pour cet effet des pouvoirs représentatifs et des pouvoirs commis, qui seront pour la plus grande partie exercés par des citoyens nommés par le peuple; ce qui constitue le gouvernement représentatif.

» Art. 3. Le pouvoir législatif est essentiellement représentatif ; il cst délégué à une Assemblée nationale composée de représentans temporaires librement élus par le peuple, pour être exercé par elle avec la sanction du roi.

» Art. 4. Le pouvoir exécutif est essentiellement commis... ( Murmures.)

>> A moins qu'on veuille décider qu'on ne pourra parler de la royauté qu'à genoux, je prie qu'on me laisse continuer.

(1) Il est inutile de rapprocher ces trois articles de ceux que M. Rœderer propose d'y substituer; leur rédaction selon le projet ayant été confirmée par l'Assemblée, on peut les comparer dans la Constitution.

» Art. 4. Le pouvoir exécutif est essentiellement commis; il doit être exercé sous l'autorité du roi, qui en est le chef suprême, par des ministres et administrateurs responsables. » (1)

Discours de M. Robespierre sur la délégation de la souveraineté. Méme séance.)

« Il y a dans l'opinion de M. Roederer beaucoup de principes vrais, et auxquels il serait difficile de répliquer d'après vos principes... (Ah, ah, ah!) Cependant ce n'est pas sur cet objet principalement que je me propose d'insister; je crois qu'il y a dans le titre soumis à votre délibération beaucoup

(1) Note de M. Roederer (août 1791). « L'Assemblée nationale n'a adopté aucun de mes amendemens; je fais néanmoins imprimer mon opinion, parce qu'elle renferme des observations qui pourront être utiles lorsqu'il s'agira du système administratif, et qu'elle a été prononcée dans un moment où il y avait peu de députés à l'Assemblée.

>> Plusieurs motifs différens ont été exposés pour faire nommer le roi représentant de la nation : je ne sais par lequel l'Assemblée nationale s'est décidée; je ne sais pas non plus si les membres de la majorité se sont tous déterminés par le même; mais du moins j'ai lieu de penser que personne n'a donné son assentiment aux trois considérations que je vais rapporter. On a prétendu prouver que le roi était représentant 10 parce qu'il represente par son éclat la dignité nationale; 2o parce qu'il représente le peuple français en exerçant le droit de sanction; 3° parce qu'il représente la nation dans ses rapports avec les nations étrangères.

» Je ne dirai qu'un mot sur le premier de ces motifs, qui est trop ridicule pour mériter une réponse sérieuse; il consiste à confondre le caractère auguste de la représentation nationale avec le faste domestique du premier fonctionnaire public, avec la représentation des palais, des carrosses et du grand couvert.

>> Le second motif, sans être aussi ridicule, n'a pas plus de vérité, Le droit de sanction, comme je l'ai prouvé, n'est point une part dans le pouvoir législatif ; c'est un simple droit d'appel au peuple, remis au roi comme le reste du pouvoir exécutif suprême. Si c'était une part du pouvoir législatif la souveraineté du peuple serait réellement aliénée, car le pouvoir législatif est la délégation de l'exercice de la souveraineté ; donc si une parcelle de ce pouvoir était déléguée héréditairement et à perpétuité au roi des Français il y aurait aliénation de la souveraineté. >> Je passe à la troisième proposition, que le roi représente la nation dans ses rapports extérieurs. Cette proposition est celle qui me parait avoir fait le plus de fortune dans l'Assemblée; voici le principe sur

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