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ces

d'expressions équivoques et de mots qui altèrent le véritable sens et l'esprit de votre Constitution : c'est pour rectifier mots et pour rendre d'une manière claire les principes de votre Constitution que je vous supplie d'écouter avec patience quelques principes dont le développement ne sera pas long.

» Je commence par le premier article du projet : « La » souveraineté est une, indivisible, et appartient à la nation; » aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice. » J'ajoute que la souveraineté est inaliénable. Il est dit ensuite que la nation ne peut exercer ses pouvoirs que par délégation... Les pouvoirs doivent être bien distingués des fonctions: les pouvoirs ne peuvent être ni aliénés ni délégués. Si l'on pouvait déléguer les pouvoirs en détail il s'ensuivrait que la souveraineté

lequel on l'a mise en avant. Le représentant, a-t-on dit, est celui qui est chargé de vouloir au nom du peuple; le simple délégué est celui qui est chargé d'agir: le roi, comme le chef du pouvoir exécutif, est simple délégué, parce que dans l'exercice de ce pouvoir il n'est chargé que d'agir; mais il est représentant de la nation dans ses relations extérieures, parce que là il est chargé de vouloir. Je réponds à cette doctrine que rien n'est plus vicieux que cette définition du caractère représentatif et de la simple délégation; on peut être représentant pour agir, et ne pas l'être pour émettre un vœu : le contraire est également possible. Lorsqu'une législature examine un compte des finances publiques, l'apure ou le censure, elle agit, elle ne veut pas; elle ne fait pas une loi. A quel titre agit-elle? Direz-vous que ce n'est pas comme corps représentant, mais seulement comme corps délégué? Si le corps des ministres était élu par le peuple, si le roi était électif, ne diriez-vous pas qu'il est représentant, quand même il n'aurait pas le droit de négocier avec les nations étrangères, et qu'il serait simplement pouvoir exécutif ou actif, chargé de faire et non de vouloir ? En portant dans la théorie que je relève la lumière de l'analise on y découvrirait une foule d'absurdités; mais j'adopte pour un moment la distinction du vouloir et du faire comme celle des vrais caractères de la représentation, et je dis qu'elle n'est utile qu'à mon opinion; car le pouvoir donné au roi relativement aux puissances étrangères n'est pas une faculté de vouloir, mais la faculté de faire ce que la nation a voulu et veut en vertu de la Constitution même, c'est à dire la guerre quand la nation a résolu de la déclarer, et ensuite la paix quand il y a guerre, et la paix encore quand il y a menace de guerre, et encore et toujours la paix quand le roi, malgré la législature, veut personnellement la guerre, et que ses ministres la veulent avec lui, et avec ses ministres les intrigans de la législature.

pourrait être déléguée, puisque ces pouvoirs ne sont autre chose que les diverses parties essentielles et constitutives de la souveraineté ; et alors remarquez que contre vos propres intentions vous décréteriez que la nation a aliéné sa souveraineté; remarquez bien surtout que la délégation proposée par les comités est une délégation perpétuelle, et que les comités ne laissent à la nation aucun moyen constitutionnel d'exprimer une seule fois sa volonté sur ce que ses mandataires et ses délégués auront fait en son nom. Il n'est pas même question de convention dans tout le projet ; de manière que la délégation des trois pouvoirs constitutifs serait, d'après le projet des comités, l'aliénation de la souveraineté ellemême. J'observe en particulier que rien n'est plus contraire aux droits de la nation que l'article 3, qui concerne le pouvoir législatif. (Lisez cet article 3 dans la Constitution, où il est conforme au projet. )

>> Permettez-moi de vous citer ici l'autorité d'un homme dont vous adoptez les principes, puisque vous lui avez décerné une statue à cause de ces principes-là et pour le livre que je vais citer. Jean-Jacques Rousseau a dit que le pouvoir législatif constituait l'essence de la souveraineté, parce qu'il était la volonté générale, qui est la source de tous les pouvoirs délégués; et c'est dans ce sens que Rousseau a dit que lorsqu'une nation déléguait ses pouvoirs à ses représentans cette nation n'était plus libre, et qu'elle n'existait plus. Et remarquez comment on vous fait déléguer le pouvoir législatif; à qui? Non pas à des représentans élus périodiquement et à de courts intervalles, mais à un fonctionnaire public héréditaire, au roi! D'après l'article des comités le roi partage véritablement le pouvoir législatif, et j'observe qu'il a dans le pouvoir législatif une portion plus grande que celle des représentans de la nation, puisque sa volonté peut seule paralyser pendant quatre ans la volonté de deux législatures. Votre Constitution, vos premiers décrets ne portaient pas, et vous n'avez pas entendu que le roi faisait partie du pouvoir législatif. Le veto suspensif accordé au roi ne fut jamais regardé que comme un moyen de prévenir les funestes effets des délibérations précipitées du

corps législatif, et ne fut considéré que comme un appel au peuple; mais il a toujours été reconnu que l'exercice du pouvoir législatif résidait essentiellement et uniquement dans l'Assemblée nationale. Le roi ne fut jamais regardé comme partie intégrante du pouvoir législatif, et l'on ne peut supposer ceci dans la rédaction des comités sans anéantir les premiers principes de la Constitution.

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Qu'il me soit permis de lier cette idée aux principes développés par M. Ræderer.

pas

» M. Roederer vous a dit une vérité qui n'a même besoin de preuve; c'est que le roi n'est pas le représentant de la nation, et que l'idée de représentant suppose nécessairement un choix par le peuple; et vous avez déclaré la couronne héréditaire : le roi n'est donc pas représentant du peuple; le hasard seul vous le donne, et non votre choix. M. Roederer vous a dit avec raison qu'il ne fallait pas donner au roi seul cette prérogative, ou qu'il fallait la douner à tous les fonctionnaires publics. Si l'on entend par représentant celui qui exerce une fonction publique au nom de la nation, si le titre de représentant a quelque chose de relatif à la nomination du peuple, certes le roi n'a pas ce caractère, ou les autres ne l'ont pas. Il est évident qu'on ne peut lui appliquer la qualité de représentant; mais ce qu'il est important de remarquer c'est la conséquence immédiate de cette idée de représentant; pourquoi veut-on investir le roi du titre de représentant héréditaire de la nation? Voilà, messieurs, une partie des atteintes que porte à la Constitution la rédaction des comités.

» Il est dit dans deux articles de la Constitution : « Aucune » section du peuple ne peut s'attribuer l'exercice de la » souveraineté. » J'adopte bien le véritable sens qu'on veut exprimer par ces mots, mais je dis qu'il faut éclaircir les mots équivoques. On ne peut pas dire d'une manière absolue et illimitée qu'aucune section du peuple ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté. Il est bien vrai qu'il sera établi un ordre pour la souveraineté; il est bien vrai encore qu'aucune section du peuple en aucun temps ne pourra prétendre qu'elle exerce les droits du peuple tout entier ;

élus

mais il n'est pas vrai que dans aucun cas et pour toujours aucune section du peuple ne pourra exercer, pour ce qui Ja concerne, un acte de la souveraineté... ( Ah, ah, ah!) Je m'explique; c'est d'après vos décrets que je parle : n'est-il pas vrai que le choix des représentans du peuple est un acte de la souveraineté? N'est-il pas vrai même que les députés pour une contrée sont les députés de la nation entiere? Ne résulte-t-il pas de ces deux faits incontestables que des sections exercent, pour ce qui les concerne partiellement, un acte de la souveraineté? (Ah, ah, ah!) Il est impossible. de prétendre, comme on l'a fait, que la nation soit obligée de déléguer toutes les autorités, toutes les fonctions publiques; qu'elle n'ait aucune manière d'en retenir aucune partie sans aucune modification que ce soit.

» Je n'examine pas un système que l'Assemblée a décrété ; mais je dis que dans le système de la Constitution on ne peut point rédiger l'article de cette manière; on ne peut pas dire que la nation ne peut exercer ses pouvoirs que par délégation; on ne peut point dire qu'il y ait un droit que la nation n'ait pas : on peut bien régler qu'elle n'en usera point; mais on ne peut pas dire qu'il existe un droit dont la nation ne peut pas user si elle le veut.

» Je reviens au principe de toutes les observations que je viens de vous faire. Je dis qu'il résulte de l'article des comités que la nation déléguerait ses pouvoirs, le pouvoir souverain, qui est unique et indivisible, en délégnant à perpétuité chaque partie du pouvoir. Je dis que ce titre blesse encore les premiers principes de la Constitution en présentant le roi comme un représentant héréditaire qui exerce le pouvoir législatif conjointement avec les véritables représentans du peuple. Je demande en conséquence qu'au mot pouvoirs soit substitué celui fonctions; je demande que le roi soit appelé le premier fonctionnaire public, le chef du pouvoir exécutif, mais point du tout le représentant de la nation; je demande qu'il soit exprimé d'une manière bien claire que le droit de faire les actes de la législation appartient uniquement aux représentans élus par le peuple.

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Sur le sens à attacher aux mots inaliénable et imprescriptible relativement à la souveraineté. ( Même séance. - M. Thouret remplace M. Robespierre à la tribune.)

M. Thouret.« Il me semble que l'Assemblée se trouve exposée à perdre beaucoup de temps sans que la discussion lui fasse réellement profit et avantage pour se décider; on attaque tout à la fois les différentes dispositions comprises dans le titre, et il est impossible qu'on les saisisse toutes dans l'ensemble d'une même discussion. Il faut suivre une autre méthode, celle d'examiner chaque objet séparément et à sa place; par ce moyen la discussion va devenir claire, méthodique, et la décision plus prompte. Je commence par le premier article :

« La souveraineté est une, indivisible, et appartient à la nation; aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice. »

M. Pétion. « Je demande l'addition d'un mot qui me semble indispensable; il faut dire est une, indivisible et INALIENABLE. Ceci, messieurs, est très-important, et c'est une idée extrêmement simple. Il est question dans tous ces articles des pouvoirs constitués, et à la tête des pouvoirs constitués on a raison de parler de la souveraineté de la nation, parce que c'est de cette souveraineté que tous les pouvoirs émanent; mais vous ne pouvez pas vous dissimuler que jamais la nation ne peut aliéner sa souveraineté, en ce qu'elle conserve toujours le droit de censurer les pouvoirs constitués, qu'elle se réserve toujours le pouvoir constituant; et c'est là la base des conventions nationales : vous l'avez vu dans le peu de mots qui vous a été dit dernièrement à la tribune par M. Malouet. ( Voyez plus haut son discours, page 9. M. Malouet convenait aussi que la souveraineté appartient à la nation, parce que cette vérité est si évidente qu'elle ne peut pas être contestée; mais il disait que la nation pouvait et devait, pour l'utilité générale, déléguer sa souveraineté, et que lorsqu'une fois elle avait délégué ses pouvoirs dans ce sens elle avait délégué la souveraineté. Moi je soutiens le contraire non, elle n'a pas dans ce sens délégué la souveraineté; elle a seulement commis des représentans pour

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