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proposition qui ne peut avoir que quelques inconvéniens momentanés que je prouverai bientôt être essentiellement détruits par l'intervalle de temps qui nous sépare du moment de son exécution.

>> Tous ceux qui ont combattu l'opinion des comités se sont rencontrés dans cette erreur fondamentale de leurs moyens; ils ont confondu le gouvernement démocratique et le gouvernement représentatif : c'est pour cela qu'ils ont pu confondre avec les droits du peuple la qualité d'électeur, qui n'est qu'une fonction publique à laquelle personne n'a droit, que la société dispense ainsi que le lui prescrit son intérêt.

» Dans les pays démocratiques on peut sérieusement examiner cette fonction sous le point de vue de droit de l'homme; mais là où le gouvernement est représentatif, et là surtout où il existe un degré intermédiaire d'électeurs, comme c'est pour la société entière que chacun élit, la société, au nom de qui et en faveur de qui l'on élit, a essentiellement le droit de déterminer les conditions sur lesquelles elle veut que soient fondés les choix que les individus font pour elle. S'il existe un droit individuel parmi les droits politiques dans votre Constitution, ce droit est celui de citoyen actif; vos comités ne vous ont pas proposé d'y toucher.

» La fonction d'électeur n'est pas un droit; c'est encore une fois pour tous que chacun l'exerce; c'est pour tous que les citoyens actifs nomment les électeurs; c'est pour la société entière qu'ils existent; c'est à la société seule qu'il appartient de déterminer les conditions avec lesquelles on peut être électeur; et ceux qui méconnaissent profondément la nature du gouvernement représentatif, comme ses avantages, viennent sans cesse nous mettre sous les yeux les modèles des gouvernemens d'Athènes et de Sparte! Indépendamment de la différence de population, d'étendue, de toutes les distinctions politiques entre ces états et nous, ont-ils donc oublié que la démocratie pure n'exista dans ces petites républiques, qu'elle n'exista dans Rome, au déclin de sa liberté, que par une institution infiniment plus vicieuse que celle qu'on peut reprocher au gouvernement représentatif? Ont-ils oublié que les Lacédémoniens n'avoient le droit de voter dans les

assemblées publiques que parce que les Lacédémoniens avaient des ilotes, et que c'est en sacrifiant non pas les droits politiques, mais les droits civils, mais les droits individuels de la plus grande partie de la population du territoire, que les Lacédémoniens, les Romains eux-mêmes avaient mis la démocratie pure à la place du gouvernement représentatif, encore inconnu dans cet âge du monde?

» Je demande à ceux qui viennent mettre en comparaison ces gouvernemens et le nôtre s'ils voudraient à ce prix acheter la liberté ! (Applaudissemens.) Je demande à ceux qui professent ici sans cesse des idées métaphysiques de liberté parce qu'ils n'ont pas des idées réelles de liberté, qui nous prolongent sans cesse dans les nuages de la théorie parce que les notions fondamentales essentielles des gouvernemens leur sont profondément inconnues, si, lorsqu'ils viennent dans cette Assemblée opposer les démocraties pures au gouvernement représentatif, pour lequel je démontrerai bientôt que le décret que nous vous proposons est indispensablement nécessaire; je leur demande encore un fois s'ils ont oublié que par expérience la démocratie pure d'une partie du peuple ne peut exister que par l'esclavage civil, politique, effectif, absolu de l'autre partie du peuple.

» Maintenant je dis que le gouvernement représentatif, le premier, le plus libre, le plus sublime des gouvernemens, n'a qu'un piége à éviter, n'a qu'un échec à redouter; c'est la corruption. Je dis que le gouvernement représentatif, pour être éternellement bon, éternellement libre, n'a qu'une inquiétude, qu'une sollicitude à considérer lorsqu'il se constitue; c'est la pureté et autant qu'il est possible l'incorruptibilité des corps électoraux. Or, messieurs, si c'est là la vraie base du gouvernement représentatif, est-il vrai que toute forme qui tend évidemment, pour quiconque veut avoir des yeux, à mettre l'élection des représentans à la merci du gouvernement ou des citoyens riches, est par là même la destruction. absolue du gouvernement représentatif?

» On vous a présenté sous différens points de vue les trois avantages qui doivent se trouver dans les assemblées électorales premièrement lumières; et il est impossible de nier

que, non quant à un individu, mais quant à une collection d'hommes, une certaine fortune, une contribution déterminée `est jusqu'à un certain point le gage d'une éducation plus soignée et de lumières plus étendues : la seconde garantie est dans l'intérêt à la chose publique de la part de celui que la société a chargé de faire ses choix enfin la dernière garantie est dans l'indépendance de fortune, qui, mettant l'individu au-dessus du besoin, le soustrait plus ou moins aux moyens de corruption qui peuvent être employés pour le séduire.

» Ces trois moyens de liberté, ces trois gages que les assemblées électorales peuvent donner à la nation dans les électeurs qui les composent, je ne les cherche pas dans la classe supérieure, car c'est là sans doute qu'avec l'indépendance de fortune on trouverait trop facilement des motifs individuels, un intérêt particulier d'ambition séparé de l'intérêt public, et des moyens de corruption qui, pour être différens de ceux du besoin, n'en sont souvent que plus alarmans pour la liberté.

» Mais s'il est vrai que ce n'est pas dans les classes supérieures que se trouvent le plus généralement les trois garanties, il est également vrai que ce n'est pas dans la classe des citoyens qui, obligés immédiatement et sans cesse par la nullité absolue de leur fortune de travailler pour leurs besoins, ne peuvent acquérir aucune des lumières nécessaires pour faire les choix, n'ont pas un intérêt assez puissant à la conservation de l'ordre social existant; étant enfin sans cesse aux prises avec le besoin, et étant chaque jour, par l'absence d'un moment de travail, réduits aux dernières extrémités, ils offriraient par là même à la corruption de la richesse un moyen très facile de s'emparer des élections. C'est donc dans la classe moyenne qu'il faut chercher des électeurs, et je demande à tous ceux qui m'entendent si c'est une contribution de dix journées de travail qui constitue cette classe mitoyenne, et qui peut assurer à la société un degré certain de sécurité.

"

Messieurs, vous avez établi, du moins par l'usage, que les électeurs ne seraient pas payés, et il est reconnu par

chacun de nous que le très grand nombre des membres que vous avez introduits pour le maintien de la liberté publique dans les assemblées électorales rendrait très coûteux, indépendamment des autres difficultés, le paiement qui leur serait accordé. Or je dis l'électeur n'a pas la du moment que que somme de propriété suffisante pour se passer de travail pendant un certain temps, et pour faire les frais de son transport dans le lieu de l'élection, il faut qu'il arrive de ces trois choses l'une; ou qu'il s'abstienne de l'élection, ou qu'il soit payé par l'État, ou bien enfin qu'il soit payé par celui qui veut être élu. (Vifs applaudissemens.)

» Ce sont là, messieurs, des moyens matériels auxquels il est impossible de répondre, parce qu'ils résultent de faits connus de tous le monde. Il est certain que vous parviendrez à l'un des trois abus que je vous présente, ou bien que la loi qui permet d'être électeur avec dix journées de contribution ne sera pas exécutée, c'est à dire qu'on n'élira de fait que des hommes beaucoup plus aisés. Ceux qui présenteraient le remède comme une réponse à mes objections appuieraient par là même la proposition des comités, tendant à réduire en loi ce que la pratique, l'usage commande et nécessite.

» Quoique en général plus d'aisance soit nécessaire pour être admis dans les assemblées électorales, il s'y glisse cependant une espèce d'hommes qui n'ont pas ces qualités que vos comités voudraient exiger, mais qui est bien loin d'appartenir à cette classe pure d'artisans et d'agriculteurs que je verrais avec autant de plaisir que tout autre dans les assemblées électorales. Parmi les électeurs qui sont choisis sans payer trente ou quarante journées de travail ce n'est pas l'ouvrier sans crédit, ce n'est pas le laboureur, ce n'est pas l'artisau honnête et incessamment adonné aux travaux que ses besoins nécessitent qui va exercer la fonction d'électeur; ce sont quelques hommes animés, poussés par l'intrigue, qui vont colportant dans les assemblées primaires le principe de turbulence et le désir de changement dont ils sont intérieurement dévorés; ce sont des hommes qui, par la même raison qu'ils n'ont rien et qu'ils ne savent pas trouver dans un travail honnête la subsistance qui leur manque, cherchent à

créer un nouvel ordre de choses qui puisse mettre l'intrigue à la place de la probité, un peu d'esprit à la place du bon sens, et l'intérêt particulier et toujours actif à la place de l'intérêt général et stable de la société! (Vifs applaudissemens.)

» Si je voulais appuyer par des exemples la proposition que je viens d'énoncer je n'irais certainement pas les chercher fort loin; je demanderais aux membres de cette Assemblée qui ont soutenu l'opinion contraire ceux des membres des corps électoraux qui vous sont connus, qui sont tout près de nous, ceux qui ne paient pas trente ou quarante journées de travail sont-ils des ouvriers? Non. Sont-ils des cultivateurs? Non. Sont-ils des libellistes, sont-ils des journalistes? Oui! (Nombreux applaudissemens.)

» Dès que le gouvernement est déterminé, dès que par une Constitution établie les droits de chacun sont réglés et garantis (c'est le moment auquel j'espère que nous allons toucher), alors il n'y a plus qu'un même intérêt pour les hommes qui vivent de leurs propriétés et pour ceux qui vivent d'un travail honnête; alors il n'y a plus dans la société que deux intérêts opposés, l'intérêt de ceux qui veulent conserver l'état de choses existant parce qu'ils y voient le bien-être avec la propriété, l'existence avec le travail, et l'intérêt de ceux qui veulent changer l'état de choses existant parce qu'il n'y a de ressources pour eux que dans une alternative de révolution, parce qu'ils sont des êtres qui grossissent et grandissent pour ainsi dire dans les troubles comme les insectes dans la corruption!.... (Vifs applaudissemens.)

» Or s'il est vrai que dans une Constitution établie tout ce qui est honnête, tout ce qui veut le bien et la paix a essentiellement le même intérêt, tout consiste à mettre l'intérêt commun dans la main de ceux qui présentent les garanties nécessaire pour donner à tous la certitude de voir cet intérêt commun bien conservé, bien défendu. Je veux donc que les électeurs soient pris dans cette classe générale d'hommes honnêtes et laborieux, mais que dans cette même classe on choisisse ceux qui ont, qui promettent

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