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quelques lumières, qui ne sont pas facilement trompés ; ceux qui, dans cet intérêt commun qu'ils ont avec tous, y trouvent assez d'avantage et ont une existence à conserver assez importante pour ne pas la sacrifier aux avantages personnels de ceux qui mettraient en opposition contre cet intérêt commun l'intérêt particulier de la corruption; car il faut que celui qui élit pour la société soit attaché à l'intérêt social par sa propriété, de manière qu'il ne soit pas facile de lui présenter par corruption un intérêt plus grand que celui qui l'attache à la chose commune et générale. Tant que vous vous éloignerez de là vous tomberez dans le seul abus du gouvernement représentatif; vos élections seront corrompues.

>> Se flatte-t-on de voir toujours prévaloir ce zèle ardent et pur pour la liberté qui anime dans un temps de révolution les citoyens les moins aisés? Ne sait-on pas que dans les temps paisibles il se forme toujours une alliance entre la classe la plus pauvre et le gouvernement, ou l'opulence qui la fait exister? La pauvreté, l'extrême pauvreté dans le corps électoral n'aura d'autre effet que de mettre la fortune, l'extrême fortune ou la corruption dans le corps législatif; et vous verrez arriver en France ce qui se passe journellement en Angleterre pour les élections des bourgs, où les électeurs sont en général très pauvres ; il arrivera que l'élection ne sera pas même achetée avec de l'argent, ce qui du moins aurait plus rarement lieu à raison du plus haut prix, mais qu'elle sera achetée avec des pots de bière, comme se font en Angleterre les élections d'un très grand nombre de membres du parlement.

>> Revenons donc au point principal, qui est de ne rechercher la représentation dans aucune des deux classes extrêmes, ni dans l'homme extrêmement riche ni dans l'homme

extrêmement pauvre, mais dans la classe moyenne, et voyons si c'est là que le comité l'a placée.

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Il résulte des calculs qui vous ont été faits que pour ètre électeur il faudrait payer quarante journées de travail, c'est à dire, suivant les estimations locales, qu'il faudrait avoir depuis 120 livres jusqu'à 240 livres de revenu en propriété, soit en industrie. Or je ne pense pas que

soit

ce n'est

sérieusement on puisse dire que c'est prendre trop haut la classe de ceux qui doivent élire pour la société : ceux qui nomment, je l'ai déjà dit, doivent élire dans un autre lieu que dans celui de leur habitation, puisque l'élection se fait en France par départemens; par conséquent ils se trouveront dans ces deux alternatives, ou de manquer à l'assemblée électorale par la nécessité du travail et l'impossibilité de subvenir aux dépenses, ou de chercher un secours malhonnête. Si vous voulez que votre liberté subsiste asseyons-la sur des bases fondées sur la raison, sur un calcul que personne ne puisse contester, et ne nous arrêtons pas aux petits motifs, à la crainte de mécontenter un moment quelques individus qui reconnaîtront eux-mêmes la pureté de nos principes et l'avantage de nos résultats du moment qu'ils les auront examinés. Comme on vous l'a dit, pas dans le moment actuel que le décret que nous vous proposons doit être exécuté; deux ans s'écouleront dans cet intervalle : le nouveau système d'imposition, en augmentant la masse d'impôts directs pour chaque particulier, contribuera beaucoup à lever les inconvéniens; le passage de l'une à l'autre contribution et les deux années qui s'écouleront calmeront les esprits, ramèneront au goût et à l'habitude du travail; ceux qui ont besoin de s'en occuper avant tout feront tellement germer dans toutes les classes les véritables notions du gouvernement, et ce qui fait la solidité de la Constitution, que vous n'auriez pas même à craindre leur mécontentement quand même vous ne leur offririez pas par le même décret un équivalent honorable et plus honorable que celui que vous leur enlevez, je veux dire la perspective de la représentation nationale; car, messieurs, on convient presque universellement (et c'est sur cela qu'on fonde l'objection à notre opinion), on convient presque universellement que les citoyens qui ne paient pas quarante journées de contribution ne sont presque jamais nommés électeurs, mais qu'ils sont honorés, qu'ils sont satisfaits d'être dans la possibilité de l'être; que c'est moins dans la jouissance effective du droit que dans la possession du droit qu'existe leur satisfaction or s'il s'agit d'honneur, s'il s'agit de possibilité

d'arriver à un grade honorable, je demande si celui que yous leur présentez, si la carrière que vous ouvrez devant eux en supprimant le marc d'argent, en rendant par là possible pour tous l'accès à la législature, ne leur imprime pas un caractère plus grand, ne les mettra pas mieux au niveau de leurs concitoyens, ne tend pas plus que tout autre à effacer en France cette distinction de classes qu'on nous reproche, n'est pas bien réellement dans le principe de l'égalité, puisque dans sa condition chacun devient capable de représenter la nation entière; et puisque l'on convient que ce n'est pas dans la réalité, mais dans l'opinion que sont les inconvéniens, je demande si la disposition que nous établissons ne fait pas beaucoup plus pour l'opinion que la disposition que nous changeons ne peut lui enlever.

>> Il est évident, messieurs, que ce n'est pas en vous déterminant par des motifs légers aux yeux du législateur, par des motifs capables peut-être d'obtenir la popularité d'un jour, mais que la nation vous reprocherait éternellement, que vous devez agir au moment où vous allez déterminer définitivement votre Constitution; et moi aussi je désire qu'elle ne change pas, et moi aussi je désire qu'elle soit éternelle; et c'est pour cela que je vous invite à ne pas y introduire des dispositions imprudentes dont les mauvais effets feraient bientôt connaître à la nation entière la nécessité d'une nouvelle convention nationale.

>> Pour que la Constitution soit durable il faut avant tout qu'elle soit bonne vos comités ont dû vous présenter nettement leur opinion sur ce point; ils l'ont fait dans sa totalité par le travail qu'ils ont mis sous vos yeux. Il ne faut pas leur chercher des projets ultérieurs quand vous voyez avec quelle franchise ils vous ont présenté leur opinion; ils ne vous proposeront pas des dispositions ultérieures à celles qu'ils vous ont présentées; mais je vous déclare que celle qu'on vous propose est, de l'avis de tous les membres, la seule garantie réelle et directe de la conservation de la liberté, de l'état paisible et de la prospérité de la France.» (Applaudissemens.)

Le discours de M. Barnave avait fait beaucoup d'impression sur une partie de l'Assemblée; on ferme la discussion. La proposition des comités, mise aux voix, est bientôt détruite par une foule d'amendemeus ou repoussée par là question préalable; après une longue agitation l'Assemblée rejette tous les amendemens, et décide qu'il y a lieu à délibé~ rer sur la proposition des comités. Le tumulte recommence; MM. Lanjuinais, Grégoire, Laville-aux-Bois, Robespierre et autres, accusent les comités de chercher à détruire les bases de la constitution; les membres des comités assiégent la tribune ; on se plaint de n'entendre qu'eux; du reste aucun discours suivi de la part des opposans. Au milieu de ce trouble MM. Dauchy, Anson et Fréteau obtiennent seuls quelques momens de silence pour présenter des considérations qui sont reçues avec faveur.

M. Dauchy. « Il est inexact de dire que le taux proposé par le comité est fixé sur toutes les fortunes possibles. Dans les pays de grande culture, où les dix-neuf vingtièmes du sol appartiennent à des non domiciliés, celui qui aura le labour de quatre à cinq charrues et qui aura besoin pour les faire valoir d'un capital de 30,000 livres ne paiera, par le seul fait de son imposition mobilière, que 30 livres, et ne pourra pas être électeur. » ( Agitation.)

Une voix. «En ce cas votre système d'imposition est mauvais. »

་་

M. Dauchy. « Je demande que la condition soit de quarante journées de travail dans les villes, mais seulement de trente dans les campagnes.

>>

M. Anson. « Je n'ai que deux mots à dire, et je dois les dire, parce que les observations de M. Dauchy, qui ont fait quelque impression sur l'Assemblée, ne me paraissent pas exactes. Il est vrai que les cotes de la contribuiion mobilière seront très modiques dans les campagnes; mais quand elles seront trop modiques, comme il faudra compléter la contribution du département, elles seront augmentées par des sous addi

tionnels. Dans tous les cas, si la contribution mobilière était trop faible dans les campagnes pour qu'un assez grand nombre de fermiers fût éligible aux assemblées électorales, il vaudrait mieux rectifier cette contribution que de mettre un mauvais principe dans votre acte constitutionnel. Le décret qu'on vous propose n'aura pas d'effet tout de suite; la législature pourra donc, si ce changement était nécessaire à son exécution, établir la contribution mobilière sur une base plus égale que celle du loyer. J'ajoute qu'on parle toujours des campagnes comme si elles ne renfermaient aucun petit propriétaire; il y a au contraire beaucoup de ménétriers, beaucoup de cultivateurs qui sont soumis à la contribution foncière.

M. Fréteau. « J'ai demandé la parole pour proposer un amendement. L'Assemblée a cru devoir fermer la discussion ; je ne me permettrai donc pas de revenir sur le fond; mais je crois qu'on ne peut pas se dissimuler que le décret qu'on va rendre est de la plus grande importance, qu'il fera dans les campagnes la sensation la plus considérable. (Murmures mélés d'applaudissemens.) En conséquence je demande que l'amendement que je vais proposer, ou tout autre, soit discuté avec le calme et la maturité nécessaires. Je maintiens qu'il est impossible de changer un décret constitutionnel aussi important que celui qu'on vous propose d'annuler sans y donner la plus sérieuse attention, et dans un autre but que celui de réduire à des termes aussi modérés et aussi favorables que l'état des choses le permet les conditions qui seront mises à la représentation nationale. Si l'on adoptait la proposition des comités, à quarante journées, ou même l'amendement de M. Dauchy, à trente journées, il est évident que dans une foule de cantons il n'y aurait jamais d'électeurs à choisir que dans cinq ou six personnes, et que par conséquent la représentation y serait héréditaire ; je demande s'il y aurait de l'équité dans une pareille représentation. Je crois que dans les pays de petite culture, où les propriétés sont beaucoup divisées, la somme de vingtcinq livres ne serait peut-être pas trop forte; mais dans la

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