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geois que l'on appelle des baftides, ne font remarquables que par leur grand nombre, & font fi près les unes des autres parmi les vignes, les oli viers, & les figuiers, qu'elles rendent le païfage fort agréable:

Le terroir de Marseille eft un Jardin bien cultivé. Comme il eft naturellement affez maigre, on ne laiffe pas perdre la moindre crote dans la ville, & l'on s'eft avifé de mettre à profit jufques aux excrémens des forçats, qui vuident dans des boëtes placées au bout de chaque galére, ce fumier fi néceffaire au pays. Le Major des galéres en retire un gain confiderable, & cette terre froide & plâtreufe, échauffée par le fumier, produit d'excellens raifins, de bonnes olives, & les micilleures figues du monde.

Pour nous, dont la paffion dominante étoit d'herborifer,nous ne pouvions nous laffer de nous promener au tour de la ville & fur tout dans cette plaine fablonneufe, laquelle s'étend le long de la mer, depuis la butte du petit Monredon, jufques à celle qu'on appelle le grand Monredon, Nous allâmes auffi vifiter les Ifles du chafteau d'If, de a Pomegues, de b Ratonneau, de Maire, Pi. boulen, Riou, Conclu, Collefareno, Jarret.

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Enfin après avoir bien attendu le Nord-ouest 3 qui devoit nous mener en Candie, nous quittâmes le port de Marseille le 23. Avril ; Mais le vent étant trop frais, nous reftâmes entre les Illes, & l'on ne mit à la voile que le lendemain fur les onze heures du matin. Noftre barque qui s'appelloit le Saint Efprit étoit commandée par le patron Carles, bon homme de mer, qui nous mit dans C Mistral.

▲ On Saint Jean. b Saint Etienne.

le port de la Canée le 3. May fans avoir rélâché en aucun endroit. On ne voit guéres de paffage fi heureux. Nous fimes 1600. milles en neuf jours, & nous laiffames l'Ifle de Malthe à moitié chemin.

La longueur des milles n'eft pas déterminée avec précifion en Levant, principalement fur la mer, où chacun les allonge, & les raccourcit fuivant fon caprice. Je n'ai jamais trouvé deux pilotes qui fuffent de même fentiment là-deffus; les uns comptent jufqu'à 1800. milles de Marfeille en Candie, les autres n'en mettent que 1500: nous avons fuivi l'opinion la plus commune, qui eft de 1600. Il en eft à peu près de même par terre; il y a des endroits où les milles font fi courts, qu'il en faut plus de quatre pour faire une lieuë de France; le plus fouvent il n'en faut que trois: delà vient la grande différence, ou le jufte rapport qui fe trouve entre les mefures des Anciens, & celles d'aujourd'hui. On ne connoît en Orient ni geométrie ni arpentage, & les terres y font à fi bon marché qu'on ne prend pas la peine de les mefurer avec exactitude.

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A Monfeigneur le Comte de Pontchartrain, Secre
taire d'Eftat & des Commandemens de Sa Maje-
fté,
, ayant le Département de la Marine, &c.

MONSEI

ONSEIGNEUR,

de l'Ife

de Can

die.

Je ne fais qu'exécuter vos ordres, en vous ren- DESCRIdant un compte exact de ce que nous avons veû PTION en Candie, cette Ifle fi fameufe & fi connuë autrefois, fous le nom de Créte. Depuis mon rétour, les lettres que j'avois eû l'honneur de vous écrire, lorsque j'étois fur les lieux, font devenuës un peu plus longues qu'elles n'étoient. Vous m'avez permis d'y faire entrer quelques traits d'érudition propre à rélever les fujets que l'on y traitera. Je crois qu'elles feront moins languiffantes. Que dire d'un pays habité par des Turcs, quand on fe renferme uniquement dans ce qui s'y voit aujourd'hui ? Prefque toute leur vie fe paffe dans l'oi fiveté manger du ris, boire de l'eau, fumer, prendre du caffé : voilà la vie des Mufulmans. Les plus habiles d'entre eux, dont le nombre n'eft pas bien grand, s'appliquent à lire l'Alcoran, à confulter les interprétes de ce livre, à feuilleter les Annales de leur empire: tout cela nous intereffe peu. Il n'y a que la recherche des antiquitez, l'étude de l'Hiftoire naturelle, le commerce, qui puiffent y attirer les étrangers. Les rélations du Levant feroient donc fort féches, fi l'on fe bornoit a la defcription de l'état préfent des Provinces foû

LA CA

NÉE.

mifes à la domination des Othomans,

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La paffion que nous avions mes amis & moi pour la découverte des plantes & des antiquitez nous fit trouver bien long le paffage de Marteille en Candie, la premiére Ifle de Grèce où nous devions aborder felon vos ordres. Cependant on ne peut guéres fe flatter d'un pallage plus heureux & plus court. Nous eûmes toûjours vent arriére, & nous arrivâmes à la Canée en neuf jours.

Vous fçavez, Monfeigneur, que les Vénitiens acquirent cette ville avec le refte de la Candie en 1204. Ils poffedérent la Canée jufques en 1645. a Iffouf Capitan Pacha s'étant préfenté devant la place avec quatre-vingt vaiffeaux & autant de gaféres, la prit en dix jours. Le Sultan Ibrahim le fit étrangler à fon rétour à Conftantinople, pour avoir la confifcation de fes biens. Néanmoins Ilouf ne pouvoit pas avoir de grands tréfors. Il venoit de fucceder à ce fameux Muftapha, que le Sultan Mourat aima fi tendrement, qu'il voulut mourir entre les bras.

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Aujourd'hui la Canée eft la feconde place de I'Ifle. Outre qu'elle eft plus petite que Candie le Viceroy de cette ville commande au Pacha de la Canée & à celui de Retimo. Toute l'Ifle eft foûmife à ces trois Généraux, & chacun y a fon département. On ne compte qu'environ quinze cens Turcs dans la Canée, deux mille Grecs, cinquante Juifs, dix ou douze marchands François, un conful de la même nation, & deux Capucins qui en font les aumôniers. Le corps de la place eft bon: les murailles font bien révétuës, bien terrallées

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deffendues par un foffé affez profond, & il n'y a qu'une porte du côté de terre.

Les Venitiens qui avoient fait fortifier cette ville avec beaucoup de foin, l'auroient facilement réptife dans la derniére guerre, s'ils avoient fçû profiter du défordre où étoient les Turcs, lorfque les Chrêtiens fe préfentérent. Il n'y avoit dans la Canée guéres plus de deux cens perfonnes propres à porter les armes, & la plufpart étoient des a renegars; c'est à dire des gens fans foi ni loi, ni Turcs ni Chrêtiens, qui fe rangent toûjours du côté du plus fort, & qui ne cherchent qu'à piller. Si le Général Mocenigo, au lieu de perdre dix-huit jours à menacer les Turcs & à les faire fommer de fe rendre, cût fait canoner vigoureufement la place, il l'eût fans doute emportée; au lieu que la brêche ne fut faite qu'après que le Pacha de Retimo, reconnu pour habile officier, y eut fait entrer du fecours. D'ailleurs les deferteurs François, après la mort de Mr de Saint Paul leur commandant, qu'un coup de canon mit en pièces, n'étans nourris que de pouffiére de biscuit, remplie de crotes de fouris, fe jettérent dans la ville par un coup de défefpoir, où la mifére reduit fouvent les braves gens. Il falloit auffi faire le débarquement à la Culate, au fond du golphe de la Sude, dont les Vénitiens font les maîtres, & fe rétrancher fur les hauteurs voisines, au lieu de les laiffer occuper par le Pacha de Retimo, qui ne ceffoit de harceler les affiégeans par fes détachemens. Les Vénitiens crurent fans doute que le fecours de Candie viendroit par mer, & ne jugérent pas à propos que leur flote s'éloignât de la côte de Sant Ode

a Bourma. b Frifope.

C

Saint Theodore.

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