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SUR LE JURY

EN FRANCE.

RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES.

DU NOUVEAU PROJET DE LOI SUR LE JURY.

Le projet de loi présenté à la Chambre paraissent dangereuses, d'en démontrer des Pairs, dans la séance du 29 décem- les inconvéniens, et d'offrir ainsi le faible bre 1826, par S. E. Mgr. le garde des sceaux, comte de Peyronnet, sous le titre de Projet de loi relatif à l'organisation du Jury, contient, art. Ier., la disposition

suivante :

I's Jurés seront pris parmi les membres de olléges électoraux (1).

Cette disposition est conforme à l'opinion que j'ai exprimée en 1819, en publiant, sous le titre d'Observations sur le Jury en France, un système complet d'organisation du Jury, qui fut alors accueilli avec quelque faveur (2).

Mais la loi projetée, qui, au reste, comme on l'a généralement remarqué, est peut-être plutôt encore une loi nouvelle d'élection qu'une véritable loi sur le Jury, détruisant dans ses articles subsequens ce que pourrait avoir d'utile l'application franche et entière d'un principe dont j'ai le premier provoqué la reconnaissance et l'insertion dans notre Code criminel, j'ai cru que c'était pour moi un devoir spécial d'examiner le nouveau projet, d'en signaler les dispositions qui me

(1) Le décret du 19 juillet 1831, art. 2, porte la même disposition pour la Belgique.

TONE V.

tribut de mes méditations, soit à ceux de MM. les Pairs qui apporteront dans la discussion de cette loi leur sagesse et leur talent ordinaires, soit au public, dont l'opinion, quoique souvent on affiche pour elle le plus profond mépris, est aussi de quelque poids quand il s'agit de consacrer ou d'anéantir les droits constitutionnels des Français, d'étendre ou de restreindre leurs devoirs, et d'attribuer à quelquesuns, au préjudice du plus grand nombre, le pouvoir immense de prononcer exclusivement sur l'honneur, sur la vie et sur la fortune de leurs concitoyens.

Le nouveau projet de loi, comme je l'ai déjà dit, a été considéré surtout comme une modification déguisée des lois élec torales actuellement en vigueur; et si le but que l'on s'est proposé en confondant ainsi la formation des listes électorales avec la formation des listes de Jurés peut être incertain, dénié ou contredit, la confusion du moins est évidente, et peut, sans doute, provoquer des critiques aussi nombreuses que sévères et bien fondées.

(2) Je reçus, à cette occasion, de nombreuses et honorables félicitations.

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Mais ce n'est point à cette partie de la les règles générales que les publicistes reloi projetée que je veux ici m'attacher, gardent comme indispensables pour l'exaJ'ai examiné, dans un autre ouvrage, les men par Jury, et reconnaître si les mebesoins et les lacunes de la législation fran- sures que j'ai indiquées, ou des moyens çaise sous le rapport politique; et cet analogues, seraient plus ou moins propres ouvrage, qui contient entre autres un cha- que le projet ministériel à assurer de bonne pitre intitulé des Colleges électoraux, dé- foi l'indépendance du Jury, la considémontre à quel point tous les droits politi- ration dont il doit être environné, la ques des Français, reconnus par la Charte, gravité, la liberté et l'impartialité de ses se trouvent désarmés contre les attaques décisions, but commun des recherches de continuelles dont ils sont l'objet, combien S. E. comme des miennes, ainsi que l'atnos institutions manquent de garanties et testent divers passages de l'exposé des de moyens d'action. Tout ce qui, dans le motifs (1). nouveau projet, est destiné à influer seulement sur l'exercice du droit électoral, restera donc étranger à mon examen. L'organisation du Jury, sa formation, ses mouvemens, son action, voilà le but unique de mon travail.

L'écrit que je publie aujourd'hui n'est donc réellement qu'une seconde édition, exactement conforme à celle qui a paru en 1819, de mes Observations sur le Jury en France.

La présentation du nouveau projet de loi sur le Jury devient l'occasion de cette publication nouvelle. Les dispositions du projet, ainsi que l'exposé des motifs, trouveront place, à titre d'annotation, dans le cours de mon ouvrage, suivant qu'ils s'y rattacheront, et j'y joindrai

Pour bien faire sentir combien ce qu'on propose me paraît éloigné de ce que je crois avantageux et de ce que j'estime juste et convenable, il m'a semblé que le plus sûr moyen était de rappeler au lecteur le système que j'ai publié il y a neuf ans comme propre à remplacer ce qui successivement les réflexious que feront existe, en le rapprochant de ce que S. E. M. le garde des sceaux soumet en ce moment à la Chambre des Pairs, et démontrer comment, en partant d'un même principe, celui que « les Jurés seront pris parmi les membres des colléges électoraux », les deux projets arrivent à des conséquences entièrement contraires, à des résultats absolument opposés.

Je crois que le lecteur pourra ainsi se fixer plus sûrement et plus facilement sur

(1) Des reproches nombreux et fréquens » ont été adressés depuis quelques années au >> système adopté par les rédacteurs du Code >> d'instruction criminelle pour la convocation » du Jury.

>> Deux de ces reproches ont paru surtout di» gnes d'attention.

Le premier est fondé sur l'intervention des >> préfets, qui paraît mal réglée aux censeurs » de ce système, et qui pourrait avoir selon eux, >>> des inconvéniens fàcheux pour l'indépendance » des jugemens criminels *.

>> Le second, qui se confond à plusieurs égards *Ce sont les commissions permanentes des états provinciaux qui, en Belgique, forment une liste de jurés, toutes les fois qu'elles en sont requises par les pré

naître, ou l'ensemble du projet de loi, ou ses dispositions isolées, ou le but avoué du nouveau système, ou son résultat probable, ou la contradiction qui existe réellement ou que je crois apercevoir entre les effets qu'il doit produire et ceux que l'on déclare en attendre.

Le Jury étant un des fruits de la révolution, il semble qu'il est dans sa destinée, comme dans celle de la matière électorale, comme dans celle de la liberté de

» avec le premier, a sa source dans l'époque as» signée pour la désignation des Jurés, qui, n'é» tant choisis qu'après que les accusations ont » été portées, semblent être plutôt, disent les >> censeurs du système, des commissaires appe» les pour un jugement qu'on veut obtenir, que » des Jurés véritables appelés par la loi même, » sans intérêt, sans affection et sans partialité.

» Le désir de faire disparaître les causes et » les prétextes mêmes de ces reproches a déter» miné le roi à nous prescrire de vous soumettre » le projet de loi que nous vous apportons au» jourd'hui. » (Extrait de l'Exposé des motifs.) sidens des cours d'assises. Le président tire au sort la liste des jurés par session. ( Décret du 19 juillet 1831.)

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la presse, d'être l'objet fréquent des essais pouvait en rassembler (3), et comme en et des expériences de toute nature, jus- général la sagacité des magistrats français qu'à ce que ces essais et ces expériences, et leur esprit de justice, leur amour de qui ont déjà eu des effets si fâcheux, l'aient enfin fait disparaître du nombre

des institutions vivantes.

l'ordre, leur disposition habituelle à protéger tout ce qui mérite protection, leur dicte des décisions qui offrent peu ou point Le premier coup dont fut atteint le Jury de prise à une censure méritée, les chamlui fut porté par le Code d'instruction cri- bres d'accusation des cours royales ont minelle; en supprimant le Jury d'accusa- rempli, aussi bien qu'il était possible, tion ou grand Jury, ce Code faussa chez sous le rapport de l'administration de la nous cette grande et bienfaisante institu- justice criminelle, les fonctions attribuées tion qui, chez nos voisins, tire toute sa précédemment, chez nous, au Jury d'acu. force et son importance du grand Jury, sation. par lequel elle est réellement une institution politique autant qu'une institution judiciaire (1).

Toutefois, comme chez nous les élémens naturels du grand Jury manquent entierement (2), ou que ces élémens, manqueraient à leur destination, si l'on

(1) Le grand Jury est composé, pour chaque session d'assises, de douze au moins et de vingttrois Jurés au plus, désignés par le shérif du comté, pris dans les cantons différens, et choisis parmi les hommes sans reproches, les francstenanciers les plus apparens, les plus qualifiés et les plus considérables du comté. (Voy. Blacks tone, tome VI, chap. xxIII, pag. 167 et suiv. Delolme, Constitution d'Angleterre, chap. XII, pag. 185 et suiv.) Et cet appel des grands Jurés est considéré par ceux qui sont inscrits sur la liste du shérif comme un devoir si impérieux en même temps que comme une prérogative si précieuse, que tous les étrangers qui ont quelque connaissance de l'administration de la justice criminelle en Angleterre, ou qui ont été à portée d'en suivre la marche, savent qu'en quelque lieu que se trouve un Anglais appelé au grand Jury, s'il est prévenu à temps, il quittera tout, et fera, s'il y a lieu, un voyage long et fatiguant pour se trouver à la session, tandis que souvent le même individu, s'il fait partie du Parlement, se dispensera de s'y rendre.

Les membres du petit Jury, ou Jury de jugement, quoique choisis aussi parmi des hommes libres et généralement parmi les francs-tenanciers (liberos et legales homines de vicineto), sont des personnes beaucoup moins importantes. La qualité de franc-tenancier n'est même exigée d'eux que lorsqu'il s'agit de statuer sur des cas de trahison. (Voy. Blackstone, t. VI, chapitre xxvII, pag. 252 et suivantes, et Delolme. Loc. cit.)

(2) Malgré le rétablissement de l'ancienne noblesse et l'établissement de la nouvelle, comme la France repousse toute autre aristocratic que

Depuis long-temps déjà l'opinion publique avait signalé comme inconséquente une disposition du Code d'instruction criminelle (4) qui, après avoir déclaré insuffisante pour prononcer une condamnation une majorité de sept sur douze, se contentait ensuite d'une majorité de neuf

l'aristocratie politique de la Chambre des Pairs, et ne saurait voir des gens considérables dans des hommes décorés d'un titre, mais qu'elle ne peut regarder comme supérieurs par leur instruction, leurs qualités morales, leur bienfaisance active, en un mot, qui ne se présentent point à elle comme des patrons désintéressés, comme des protecteurs-nés, comme des défenseurs de ses libertés et de ses droits, il n'y a aucune parité à établir sous ce rapport entre la France et l'Angleterre, et c'est ce qui rend impossible chez nous la composition d'un grand Jury, privés que nous sommes d'élémens identiques ou analogues.

tifier cette assertion; et un grand Jury indépen(3) L'observation précédente suffit pour jusdant qui, dans l'exercice de cette haute fonetion, ne chercherait d'autre privilège et d'autre avantage que celui de maintenir une institution nationale, un des boulevards de la liberté publique, serait bien difficile, pour ne pas dire impossible à trouver dans chaque département. (4) L'art. 351 du Code d'instruction criminelle était ainsi conçu :

« Si néanmoins l'accusé n'est déclaré coupable » du fait principal qu'à une simple majorité, » les juges délibéreront entre eux sur le même » point, et si l'avis de la minorité des Jurés est

adopté par la majorité des juges, de telle sorte » qu'en réunissant le nombre des voix, ce nombre » excède celui de la majorité des Jurés et de la » minorité des Juges, l'avis favorable à l'accusé >> prévaudra. >>

Cet article subsiste encore en Belgique; il a été remplacé en France par la loi du 4 mars 1851.

sur dix-sept (quoique la masse des proba- bles aux accusés : la nature des choses bilités se trouvât singulièrement dimi- indiquait, par exemple, de recourir au nuée), lorsqu'en 1821 le Gouvernement moyen que j'avais indiqué en 1819, ou proposa un projet à l'effet de modifier cette à tout autre qui ne fût pas en opposition disposition que la raison, la justice et manifeste avec l'existence du Jury, avec l'humanité prescrivaient de réformer. sa destination, avec le maintien de ses Mais, au lieu de concilier les moyens droits (1). de réforme avec le système du Jury, et de On pouvait dès lors prévoir que, réduit les tirer du sein de cette institution même à cette sorte d'ilotisme et paralysé dans on adopta une combinaison dont il était son action et dans la plénitude de l'exerfacile de prévoir la funeste et prochaine cice de ses droits, le Jury ne tarderait pas influence sur l'institution du Jury, puis- à recevoir de nouvelles atteintes. Aussi, que, par la loi du 24 mai 1821, toutes les en 1822, la connaissance des délits de la fois que la déclaration affirmative du Jury presse, qui, par leur nature, doivent surest rendue à la simple majorité (sept con- tout être soumis à l'examen et au jugement tre cinq) sur le fait principal, la délibé- par le pays, c'est-à-dire au jugement par ration isolée de la cour d'assises, qui peut Jury, lorsque les élémens dont il se forme se former par l'opinion de trois juges représentent réellement l'opinion publicontre deux, suffit pour anéantir la dé- que; les délits de la presse, dis-je, qui claration du Jury et faire rendre un arrêt avaient été attribués au Jury par la loi du contraire à cette déclaration; en sorte 26 mai 1819, après une longue et belle que, dans ce cas, le Jury, convoqué spé- discussion dans les deux Chambres, lui cialement et uniquement pour décider fut-elle enlevée de suite pour être rendue un fait, n'est réuni en définitive que pour aux magistrats. voir et entendre prononcer que ce qu'il Il est juste de faire encore remarquer a reconnu, en son ame et conscience, être que les vertus publiques, les qualités éminoir se trouve blanc, c'est-à-dire pour se nentes qui distinguent les corps de magisvoir délivrer publiquement un brevet de trature en France, ont produit, relativesottise, d'incapacité ou d'inhumanité, ment à la presse, des arrêts aussi utiles par décision de trois juges qui, le plus aussi conformes aux besoins de la société souvent n'ayant rien à examiner ni à dé- qu'auraient pu l'être les décisions des cider dans les procédures soumises aux as- Jurés, et que ces arrêts ont même reçu sises, à la différence des autres affaires, de la gravité des magistrats plus d'éclat peuvent ne pas donner toujours à toutes et de solennité que n'en auraient eu les les parties du débat cette attention scru- déclarations du Jury. Mais ces résultats, puleuse qu'y prêtent nécessairement des inhérens à la haute sagesse de la magishommes enlevés un instant à leurs affai- trature, et à l'occasion desquels les auteurs res domestiques pour exercer les fonc- des lois de 1822 n'ont pu dissimuler leur tion de Jurés, et appelés uniquement pour désappointement et leur mécontement, cette opération.

Cette attribution conférée à la Cour d'assises par la loi du 24 mai 1821 est sans doute favorable à l'accusé, puisque ce n'est que lorsqu'il est déclaré coupable par le Jury que la Cour délibère. Mais, sans frapper le Jury au cœur, comme l'a fait cette loi, il était facile de trouver d'autres combinaisons également favora

(1) Ce moyen fut proposé comme amendement dans le sein de la Chambre des Députés, par le premier président d'une Cour royale qui

et en ont même consigné l'expression dans des actes publics; ces résultats imprévus sont entièrement étrangers aux effets de la loi en ce qui concerne l'institution du Jury, et n'affaiblissent en rien, sous ce rapport, la force du coup dont cette institution a encore été frappée relativement aux délits de la presse.

Bientôt une loi, en date du 25 juin

siégeait alors à cette Chambre. (Voyez dans la discussion de la loi du 24 mai 1821, l'amendement de M. de Cassaignolles.)

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