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Il faut même le dire aussi : le choix que font les ministres des administrateurs supérieurs de chaque département ne peut équivaloir à un brevet de supériorité de lumières, susceptible d'être reconnu généralement par la nation.

que l'Exposé des motifs en cette partie inscrits d'office, pour mériter l'honneur me parait tout-à-fait inapplicableaux Jurés. d'être appelés par le préfet aux fonctions Sans doute, les assertions du ministre de Jurés. seraient exactes s'il s'agissait des membres de la magistrature proprement dite, mais elles cessent de l'être quand il est question des Jurés. La composition du Jury de jugement, dans les pays où il existe de véritables Jurés, contredit le principe qui fait la base du raisonnement de son Exc., savoir que pour remplir les fonctions de Juré, il faut une dose de lumières supé

Chaque préfet n'est point un docteur révéré, Et le savoir, chez lui, n'est pas tout retiré. rieure à celles de tout homme doué d'une raison saine et pourvu d'une instruction Et certes la garantie que peut présenter, commune; et l'expérience, ainsi que les sous le rapport des lumières des Jurés, faits journaliers, soit chez nos voisins, le choix qui en sera fait par le préfet, soit chez nous, viennent démentir, quant n'est pas moins contestable, et ne doit aux déclarations du Jury, les conséquen- pas être moins contestée que la garantie ces erronées que le ministre a déduites que l'on prétend trouver dans ce même d'un principe dont l'inexactitude est gé- choix, de leur liberté et de leur indépennéralement reconnue (1).

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de

Toutefois, puisqu'on a parlé des lumiè Ne sait-on pas que la qualité de bien res des Jurés, dont le choix, fait par le pensant, qui emporte aujourd'huiavec elle préfet, sera, dit-on, une garantie, il faut l'obligation d'être congréganiste et jébien faire remarquer tout ce qu'a d'étrange suite, et de pratiquer avec éclat et ostencette assertion. Je connais peu de préfets, tation une foule de vaines simagrées, et je ne révoque en doute la haute capa- petits actes de dévotion minutieuse, et cité d'aucun d'eux, quoique je connaisse même de superstition, que l'homme vraides émigrés qui n'ont pas dans les talens ment pieux se garde de confondre avec administratifs de tel ou tel de leurs anciens les devoirs de la religion, et pour lesquels camarades d'infortune, qu'ils ont vus ar- il n'a pas moins d'éloignement que pour river de temps à autre à des préfectures, l'impiété; ne sait-on pas, dis-je, que la une confiance aussi entière que la mienne. qualité de bien pensant, ainsi qu'elle vient Mais le talent administratif d'un préfet, d'être définie, est aux yeux de la plupart quoi qu'on en puisse dire, ne suppose des dépositaires du pouvoir, et notamment point nécessairement le talent de bien des chefs suprêmes de la police, la qualité apprécier les hommes. Sans blesser la sus- par excellence, la qualité sans laquelle ceptibilité de ces administrateurs, on peut on n'est bon à rien, et qui, seule, peut tepenser que la fermeté de caractère, sans nir lieu de lumières, d'aptitude, de vertu; laquelle un Juré ne peut soutenir une que quiconque est dévot de cette manière, bonne opinion et résister aux sophismes, est tout; que n'est point au nombre des qualités qu'ils

.. sans sagesse, il est sage;

regardent comme utiles dans leurs admi- Qu'il a, sans rien savoir, la science en partage; nistrés, et qu'ils considéreront comme

on

l'auxiliaire nécessaire des lumières des mais que si l'on s'écarte de cette ligne, Jurés. Et cette première observation, dont est mis à l'index, et que, suivant la conil est difficile de contester la justesse, suf- grégation, nul n'aura d'esprit que nous fit pour démontrer de quelle espèce de lumières devront être pourvus les électeurs

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et nos amis ? Ne sait on pas que quiconque prétend, non pas seulement à une place salariée du Gouvernement ou à un poste conféré spontanément par lui, mais à des charges qui exigent des études spéciales, et que la loi a déclarées vénales, telles

le préfet devrait choisir sur la liste d'office des électeurs, se composerait des hommes qui, à cet esprit d'indépendance que l'on sait être à l'usage des élections, réuniraient la plus grande masse des lumières à l'usage des congrégations? N'est-il pas évident que ce singulier mélange de liberté et d'instruction, garanti par le choix du préfet, pourrait être fort peu du goût de la nation en général, qu'il répondrait mal aux besoins publics, aux intérêts de la société, et que, partout dangereux sur les divers points de la France, qui voit plutôt dans la multidude de congréganistes dont le sol est couvert, des propagateurs ardens de l'ignorance, de la servilité et du fanatisme, que des partisans des lumières d'une sage liberté, d'une religion tolérante et éclairée, il serait surtout une véritable calamité, un contre-sens absolu dans les pays où la religion réformée compte de nombreux sectateurs, puisque les prévenus de cette espèce seraient toujours livrés au jugement d'hommes qui ne voient en eux que des hérétiques et des hommes dévoués aux peines de l'enfer?

que celles de notaires, d'avoués, de gref- trop évident que, que dans chaque déparfiers, d'huissiers, etc., et pour lesquelles tement, la liste des deux cents Jurés que l'agrément du Gouvernement, comme on l'a dit dans le sein même de la Chambre des Pairs (1), devrait se réduire à une simple formalité, ne sait-on pas que tout aspirant à un titre de cette espèce est soumis à une enquête secrète et inquisitoriale, d'autant plus dangereuse et perfide, qu'elle se fait dans l'ombre ? Ne sait-on pas que d'après des tableaux dressés dans chaque commune du royaume, et dont nous avons vu les modèles dans les journaux, tous les citoyens sont classés en catégories d'après le thermomètre de leur attachement aux congrégations et de leur dévouement aux jésuites? Ne sait-on pas que souvent l'administration, en France, semblant se persuader qu'elle administre dans l'intérêt d'un parti ou d'une coterie, croit pouvoir faire précéderla délivrance d'actes obligés de sa part, des recherches les plus minutieuses sur les opinions politiques et spécialement sur les opinions religieuses de celui qui les demande, et qui a le droit de les demander, et que la délivrance d'un passe-port, par exemple, est assujettie à ces incroyables formalités (2)? Ne sait-on pas que les familles les plus distinguées par leurs services et leur position sociale ne sont pas même à l'abri de ces investigations d'une police inquiète et fatigante, et que le fils d'un pair de France, qui aura passé ses examens pour l'Ecole Polytechnique, comme le fils d'un huissier qui, après les études convenables, voudra succéder à son père, subira, dans l'examen scrutateur de ses pratiques religieuses, le niveau jésuitique de cette police avant de pouvoir être admis dans la carrière qu'il veut parcourir?

Et lorsque tout se réunit pour témoigner, pour prouver pour proclamer que, non pas les principes vraiment religieux, mais les simagrées religieuses sont la seule chose dont on tient compte pour apprécier aujourd'hui un homme, n'est-il donc pas

(1) Voyez un discours de M. le comte Molé, pair de France, ancien ministre de la justice et de la marine.

(2) Voyez dans mon ouvrage des Lacunes et

Cette considération, qui se présente naturellement à l'esprit, doit faire reconnaître combien est mal entendue pour obtenir des Jurés libres et indépendans, la combinaison proposée par le nouveau projet de loi, qui, malgré l'opinion si for tement prononcée contre la formation actuelle des listes de Jurés par les préfets, quoique le Code d'instruction criminelle confère aux présidens d'assises le droit de réduire ces listes de soixante noms à trentesix, tend à remettre aux préfets exclusivement et sans concours ou contrôle de l'autorité judiciaire, la formation primitive de la liste des Jurés, en restreignant leur choix aux individus inscrits par eux d'office sur la liste des électeurs; en sorte que l'on peut dire avec raison que les Jurés seraient en définitive le résultat d'une double élection du préfet, sur la

des Besoins de la législation française en matière politique et en matière criminelle, le chap. de l'égalité des Francais devant la loi.

quelle même la police générale pourrait de Jurés, il lui suffirait de justifier qu'il encore être consultée dans l'intervalle de remplit ce devoir dans le département de la formation provisoire à la formation dé- son domicile, pour être à l'abri des confinitive de la liste des électeurs. damnations décernées par la loi contre le Juré qui manque à l'appel.

Les listes d'électeurs et les listes de

Je n'ai examiné jusqu'ici le projet que sous le double point de vue de l'intérêt général de la société et de l'intérêt par- Jurés devant, suivant le projet de loi proticulier des accusés, qui se réunissent posé, se confondre, du moins en partie, pour exiger que les fonctions de Jurés ne l'électeur d'un département sera-t-il tenu soient remplies que par des hommes im- d'y exercer les fonctions de Juré s'il vient partiaux, indépendans, dont le vote ne à être porté sur la liste? C'est une quessoit et ne puisse être soumis à aucune tion importante qui se présente naturelleinfluence, et qui repoussent par con- ment, qui n'est point décidée par le séquent tout système dans lequel les Ju- projet, et dont la solution, si elle était rés sont élus, soit par le préfet, soit par affirmative, devant être fort onéreuse aux toute autre autorité, et surtout par un Jurés dont le domicile de fait se trouve fonctionnaire amovible. à une grande distance du lieu de leur domicile politique, puisqu'elle les forcerait un et peut-être à deux voyages par an, aurait à coup sûr une grande influence

à

sur la réduction du nombre des électeurs non domiciliés.

Mais il est un autre rapport sous lequel le projet présenté serait susceptible de blesser grièvement les intérêts particuliers. Il n'entre point dans le but de cet écrit, ainsi que je l'ai déjà dit, d'examiner quelle influence le mode proposé pourrait avoir sur la diminution du nomSi cette circonstance a été prévue et bre des véritables électeurs, et l'augmen- mise en ligne de compte par les rédactation de celui des électeurs sans droit teurs du nouveau projet, ce serait sans inscrits d'office, malgré l'insuffisance de doute encore un grand vice dans la loi, leurs contributions directes, et quel doit puisqu'il en résulterait tout-à-la-fois préêtre à cet égard le résultat de la négli- judice sous le rapport des intérêts sociaux, gence ou de l'indifférence des citoyens qui ne veulent pas que les droits constipayant le cens voulu, à réclamer soit tutionnels soient faussés et anéantis par contre le défaut de leur inscription sur la des subtilités, et préjudice sous le rapport liste provisoire des électeurs, soit contre des intérêts individuels, puisque, pour les inscriptions illégales; mais on sait conserver son titre d'électeur et l'exercice dans l'état actuel des choses, tout élec- éventuel des fonctions de Juré, le citoyen teur peut, à certaines conditions et au domicilié hors du département où il a son moyen de certaines formalités, établir ou domicile politique, serait assujetti à des conserver son domicile politique dans un déplacemens répétés et fort pénibles, et autre département que celui où il est à des dépenses considérables (1). domicilié de fait. D'un autre côté, tout citoyen faisant partie de l'une ou l'autre des classes actuellement éligibles aux fonc tions de Juré, a pu les remplir dans le département où il a son domicile de fait, sans être astreint à se rendre dans le département de son domicile politique; et s'il venait à y être inscrit sur une liste

que,

(1) Cette observation, qui ne m'avait point échappé en 1819, a été également faite par M. Janson de Sailly, avocat, dont j'ai lu la lettre dans les journaux depuis la rédaction de ces feuilles. (Voyez dans le Constitutionnel, du 8

Je borne ici mes réflexions générales sur ce que le nouveau projet me paraît avoir de dangereux ou de défectueux.

Toute la loi nouvelle est dans l'appel exclusif des électeurs et le choix que doit en faire le préfet.

Le principe que les Jurés soient pris parmi les électeurs seulement me paraît

janvier 1827, une lettre de M. Janson de Sailly, avocat à la Cour royale, qui fait remarquer l'omission de la loi proposée relativement aux électeurs non domiciliés qui seraient portés sur la liste des deux cents où des douze cents jurés. )

bon; et c'est parce que je l'ai jugé tel, que je l'ai proposé en 1819.

La formation d'une liste générale des Jurés, antérieure aux accusations sur lesquelles le Jury doit prononcer, est une conséquence directe de ce principe.

Mais, dans mon système, cette liste générale ne doit point être soumise à l'influence de l'autorité, et offre ainsi des garanties réelles; tandis que, dans le système proposé, le choix du préfet anéantit le principe dans ses effets, et rend plus nuisible qu'utile l'existence antérieure de la liste générale.

La formation en audience publique de la liste partielle des Jurés pour chaque assise est aussi une garantie que j'avais indiquée, et que le projet a adoptée.

Mais le tirage au sort parmi des Jurés choisis deux fois par un préfet me semble une véritable dérision, tandis que cette opération se faisant, comme je l'ai proposé, sur une liste d'hommes indépendans, qui ne doivent rien à la faveur ou au choix de l'autorité, et qui ne tiennent que d'eux-mêmes leur droit de concourir aux opérations du Jury, doit nécessairement, et peut seule, à mon avis, produire une liste de véritables Jurés.

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