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CHAPITRE VII.

DE L'INSTITUTION DU JURY, ET DES JURÉS.

(Art. 65 de la Charte constitutionnelle;

art. 98 de la Constitution belge.)

SECTION I.

DE L'INSTITUTION DU JURY.

La Charte déclare que l'institution des que cette restriction ne serait que passajurés est conservée, sauf les changemens gère, et que le jugement de ces délits que l'expérience indiquerait comme né- était essentiellement du domaine du cessaires, et qui ne peuvent être effectués jury (3). que par une loi. Des changemens sont réclamés de toutes parts, ainsi que l'attestent les procès-verbaux des sessions des Chambres législatives et de nombreux écrits publiés sur cette matière; le mot de réforme sort de toutes les bouches (1). Les ministres ont souvent annoncé comme prochaines, en 1818 et 1819, des modifications dans l'institution des jurés, et personne ne doutait qu'elles ne fussent conformes à l'opinion publique qui les provoquait.

Si la session de 1821 a vu restreindre les attributions du Jury en ce qui concerne les délits de la presse (2), M. le pré sident du conseil des ministres a déclaré

(1) Expression de M. Bertin de Vaux, alors membre de la Chambre des Députés.

(2) Voyez les lois des 17 et 22 mars 1822. (3) Voyez dans le Moniteur, le discours de M. le comte de Villèle.

J'ai déjà payé mon tribut en soumettant à l'examen du public et aux méditations des hommes d'état, mes idées sur cette matière, dans mon ouvrage intitulé: Observations sur le jury en France (4); cet écrit, accueilli avec quelque bienveillance, contient un système complet sur les élémens du Jury, sur la formation des listes primitives et définitives de jurés, sur le droit de récusation, sur le mode de délibération. J'ai indiqué, dans mes Observations, ce qui me paraîtrait conve nable, ce qui devrait être, j'ai fait connaître ailleurs, avec détail, ce qui est (5); et je ne m'occupe ici du Jury que pour démontrer, qu'indépendamment des vices

(4) Voyez cet ouvrage.

(5) Voyez Traité de la Législation criminelle, Tome III, chap. des Cours d'assises, section du Jury.

inhérens à l'institution telle qu'elle existe, condamnation, ou qui s'y seraient sousle droit-pratique est encore beaucoup traits, ou qui auraient été libérés par une moins favorable aux accusés que les dis- amnistie, ou par un acte de la clémence positions écrites de la loi; et que la jurisprudence a encore détérioré la pensée du législateur.

royale, fussent portés sur une liste de jurés, et concourussent à la déclaration du Jury, comme tous les Jurés désignés et inscrits par le préfet, sont présumés et réputés de droit, devant la Cour d'assises, avoir eu les qualités politiques et civiles exigées par la loi, qu'aucune preuve contraire ne peut être opposée à cette présomption de droit; et que, d'un autre côté, la disposition qui interdit, pour jamais, à des condamnés de cette espèce, l'exercice des fonctions de Juré, est la même qui prohibe leur témoignage en justice, qu'elle fait partie du Code pénal, et que ne se trouvant point dans le Code d'instruction criminelle, elle ne peut servir de base a un moyen de cassation, les opérations du Jury, auxquelles auraient concouru ces hommes dégradés et repoussés par la loi, n'en seraient pas moins validées, et n'en produiraient pas moins leur effet au grand détriment de la morale publique (3).

Ainsi, aux termes du Code d'instruction criminelle : « Nul ne peut remplir >> les fonctions de juré s'il n'a pas trente >> ans accomplis, et s'il ne jouit pas des » droits civils et politiques, à peine de » nullité (1). » Cependant, malgré cette clause absolue et prohibitive, la Cour de cassation décide que l'appréciation des qualités civiles et politiques des citoyens appartient exclusivement à l'autorité administrative. D'où il suit que les Jurés, portés sur la liste formée par le préfet du département, doivent être présumés et réputés de droit, devant la Cour d'assises, avoir eu les qualités politiques et civiles exigées par la loi à peine de nullité; et qu'aucune preuve contraire ne peut être admise par les tribunaux. Elle rejette en conséquence les pourvois en cassation fondés sur le défaut de qualités des Jurés, et elle maintient les déclarations sur les- Ainsi, le Code veut que la liste des quelles sont intervenues des condamna- jurés soit notifiée aux accusés; et cette tions, lors même qu'il est matériellement formalité peut seule leur donner les prouvé que des étrangers ont fait partie du Jury (2); en sorte qu'un Français, d'après cette jurisprudence, peut être livré, en France, à un Jury composé en entier d'étrangers, tandis que, hors de son pays (en Angleterre), s'il venait à être jugé, il jouirait de l'avantage d'un Jury mi-parti.

Il y a même plus; les principes exprimés dans les arrêts de la Cour de cassation ne s'appliquent pas seulement aux étrangers; et, s'il arrivait que des condamnés à des peines afflictives et infamantes, qui auraient achevé de subir leur

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moyens de récuser, en connaissance de cause, ceux des Jurés qui ne leur inspireraient pas une confiance entière (4); mais la Cour de cassation décide, 1° que cette notification peut s'entendre indifféremment de la liste des trente-six Jurés, telle qu'elle est formée par la réduction qu'opère le président sur la liste primitive des soixante, ou de celle des trente jurés, telle qu'elle est formée, en vertu d'un article du Code, par suite de l'absence justifiée ou non des jurés inscrits sur la liste des trente-six (5);

2o Que l'erreur dans l'inscription du

(3) Voyez les arrêts cités dans la note précédente, et celui du 18 novembre :819, déjà cité page 100, à la note 5.

(4) Voyez l'art. 394 du Code d'inst. crim.

(5) Voyez art. 387, 394 et 395 du Code d'inst. crim. Voyez aussi arrêt de la Cour de cassation, du 15 février 1816, et du 6 juillet 1821, (Sirey, an 1821, ire, partic, page 412.).

nom propre des Jurés, sur la copie de la de récusation qui lui est garanti par la liste notifiée à l'accusé, n'est pas un loi, et qu'il peut également être privé, moyen de nullité, lorsqu'il y a identité sans motif valable, des jurés qui lui sont entre l'indication de leurs prénoms, pro- acquis par l'inscription de leurs noms sur fessions et domiciles sur la liste originale, la liste qui lui a été notifiée. et cette indication sur la copie, notifiée (1);

3o Que la loi du 13 germinal an V, qui soumet à des formalités l'admission des excuses présentées par les Jurés, n'est relative qu'à l'abandon volontaire que les Jurés voudraient faire de leurs fonctions, à raison de leurs affaires ou de leur nomination à des emplois publics quelconques, qu'elle ne peut être appliquée à des empêchemens de force majeure, que c'est aux Cours d'assises à apprécier ces empêchemens, et à accorder, dans leur conscience, ou à refuser l'exoine, d'après cette appréciation, qu'elles ne sont pas tenues d'entendre les accusés sur ces empéchemens, et moins encore de déférer à l'opposition qu'ils voudraient faire à ce que ces Cours les accueillissent (2);

4° Que les Cours d'assises peuvent, sans irrégularité, écarter un Juré, sur le motif qu'il ne serait pas domicilié dans le dé.

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partement où se tiennent les assises (3); DE LA LIBERTÉ DES JURÉS ET DU SECRET

Et il est évident que, par l'effet combiné de ces décisions, l'accusé ne pouvant connaître les jurés qui sont appelés à prononcer sur son sort, ni discuter les excuses alléguées par ceux qui ne se présentent pas au tirage, il est privé, par le fait, de l'exercice utile du droit

(1) Voyez arrêt de la Cour de cassation, du 9 mars 1821, qui rejette le pourvoi de Henri Ducrocq.

(2) Voyez arrêt de la Cour de cassation, décembre 1821.

du

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du

(3) Voyez arrêt de la Cour de cassation, 9 avril 1811. (Sirey, an 1817, 1re part., page 320.)

DE LEURS DÉLIBÉRATIONS.

La liberté des délibérations du Jury est assurée par un article du Code, qui contient les dispositions suivantes :

« Les jurés ne pourront sortir de leur

1815, 20 juin ou juillet 1816, 23 décembre 1819. (Sirey, an 1817, 1re part., page 320.)

» Attendu, disent ces arrèts, qu'aux termes » de l'art. 408 du Code d'inst. crim., la Cour >> de cassation ne peut annuler les arrêts des >> Cours d'assises, mème pour inobservation des >> formalités prescrites par ledit Code, que lors» qu'elles sont ordonnées sous peine de nullité; » que l'article 395 n'exige pas à peine de nul(4) La Cour de cassation ayant jugé, le 21 sep-lité, que le tirage au sort, sur la liste suptembre 1815, que la présence de 30 jurés, pour » pletive, pour remplacer les jurés manquans, le tirage au sort, n'est point prescrite, à peine soit fait en présence du public, et que la publide nullité, par l'article 395 du Code, on ne peut » cité n'étant point, d'ailleurs, une condition savoir où pourrait s'arrêter la réduction de ce » substantielle pour donner caractère aux jurés nombre; et il n'y a pas de raison pour que les présens fussent au-delà du nombre de douze. (5) Voyez arrêts de la Cour de cassation, des 19 août 1811, 28 octobre 1813, 21 septembre

>>

appelés en remplacement, le défaut de publi>> cité ne pourrait se rattacher à aucun article » de la loi qui puisse donner ouverture à cas» sation. »

TOME V.

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>> chambre qu'après avoir formé leur dé- struction criminelle, et une loi qui l'a >> claration.

» L'entrée n'en pourra être permise >> pendant leur délibération, pour quel » que cause que ce soit, que par le prési» dent, et par écrit.

>> Le président est tenu de donner au >> chef de la gendarmerie de service l'ordre » spécial et par écrit, de faire garder les » issues de leur chambre: ce chef sera » dénommé et qualifié dans l'ordre.

» La Cour pourra punir le Juré contre» venant d'une amende de cinq cents » francs au plus. Tout autre qui aura en>> freint l'ordre, ou celui qui ne l'aura » pas fait exécuter, pourra être puni d'un >> emprisonnement de vingt-quatre heu

>> res. >>>

modifié dans un sens favorable aux accusés (2), une déclaration du Jury, portant que l'accusé est coupable, ne peut produire d'effet par elle-même, lorsqu'elle est rendue à la simple majorité, et doit alors donner lieu à une délibération particulière de la Cour d'assises, qui sert de base à la décision définitive (3). I importe donc que le Jury soit bien fixé sur le sens des mots simple majorité; et, comme dans l'usage ordinaire on emploie souvent ces mots dans le même sens que ceux de majorité absolue, ou seulement de majorité, il semble que si l'on n'exige pas que la déclaration du Jury exprime qu'elle a été rendue par un plus grand nombre de voix que celui qui forme la majorité Art. 343 du Code d'instruction crim.) simple, on s'expose à condamner des Les peines encourues par la violation accusés dont la culpabilité n'a pas été de ces règles semblent interdire le doute légalement et suffisamment reconnue. Cette sur la nécessité absolue de leur exécution, précaution serait même d'autant plus sur leur nature substantielle et constitutive utile que les annales judiciaires offrent de la délibération du Jury; mais cette l'exemple d'une déclaration de culpabilité opinion serait une erreur relativement au portée par les jurés à la simple majorité, droit-pratique; et le rejet, prononcé, et que le chef du Jury vint prononcer en le 25 janvier 1821, du pourvoi formé par public, comme n'ayant été donnée que des individus condamnés à mort par la par l'effet du partage, ce qui amena l'acCour d'assises des Hautes-Pyrénées, qui quittement pur et simple de l'accusé (4); se faisaient un moyen du défaut d'obser- et, comme on ne peut pas supposer que vation de l'article dont il s'agit, atteste ce chef du Jury eut l'intention de faire que l'omission de ses dispositions ne sau- une fausse déclaration, il faut bien adrait, aux termes de l'article 408 du Code mettre qu'il avait commis une erreur sur d'instruction criminelle, donner ouverture à cassation, par la raison, toujours reproduite, qu'elles ne sont point prescrites à peine de nullité (1).

SECTION IV.

le sens des mots. L'erreur fut, à la vérité, profitable à l'accusé dans l'espèce dont il s'agit; mais il serait possible qu'elle eût lieu à son préjudice, dans une autre circonstance; cependant, suivant la jurisprudence, lorsque la déclaration du Jury

DE LA DÉLIBÉRATION DES JURÉS, ET DE porte à la majorité, l'accusé est coupa

SES EFFETS.

ble; il résulte de celte déclaration une PRESOMPTION légale que l'accusé a eu con

Enfin, d'après un article du Code d'in- tre lui une majorité de plus de sept voix,

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une majorité absolue, et l'accusé valable- » aux tentatives de révolte qu'enhardis. ment jugé par des Jurés présumés de droit » sait l'espoir de l'impunité (3). » avoir eu les qualités civiles et politiques. exigées par la loi, quoiqu'il soit prouvé que ces jurés étaient dépourvus des qualités nécessaires (1), est valablement condamnésur cette présomption de déclaration de culpabilité (2).

SECTION V.

DU ZÈLE LOUABLE DES JURÉS.

J'ai indiqué succinctement de quelle manière les accusés se trouvent dépouillés, par le droit-pratique des garanties que l'on trouve inscrites dans les lois relatives à l'institution actuelle du Jury; si l'on veut avoir plus de détails sur cette matière importante, et connaître mon opinion personnelle sur les améliorations dont le Jury est susceptible, on peut recourir aux ouvrages précédemment cités (3).'

Mais, comme ami de mon pays et du trône constitutionnel, ainsi que des institutions garanties par la Charte, comnie défenseur constant du système du Jury, je ne puis me dispenser de consigner ici quelques mots que je crois propres à dissiper l'erreur qu'a pu faire naître, et les inquiétudes qu'a paru inspirer, il y a peu de temps, une phrase placée dans un discours émané du trône, et que quelques personnes paraissent avoir mal comprise: «L'action de la justice, y est-il dit, » loyalement exercée par les Jurés, sage>>ment et courageusement dirigée par les » magistrats, a mis fin aux complots et

L'éloge que contiennent ces mots, ne s'applique, à coup sûr, qu'au dévouement dont les Jurés, de divers départemens, venaient de faire preuve, dans des circonstances affligeantes, en restant longtemps éloignés de leurs affaires pour entendre de longs et pénibles débats, et en sacrifiant ainsi leurs intérêts à l'intérêt public; cet éloge n'est évidemment que l'exécution d'un article du Code d'instruction criminelle, par lequel S. M. se réserve de donner aux jurés, qui auront montré UN ZÈLE LOUABLE, des témoignages honorables de sa satisfaction.

Mais cet article, qui a fait partie du Code, depuis sa publication, n'a jamais pu avoir pour objet le résultat des délibérations du Jury.

Quelles qu'elles puissent être, sévères ou indulgentes, favorables ou contraires aux accusés, elles sont exclusivement du domaine de la conscience des Jurés, elles échappent nécessairement à l'approbation comme à la censure de l'autorité, parce que, s'il en était autrement, les Jurés, cessant d'être libres, la justice serait couverte d'un voile funèbre. La malveillance seule ou le défaut de connaissance des devoirs des Jurés et de l'indépendance absolue de leurs opinions, pourrait donc vouloir appliquer à leurs délibérations des témoignagnes honorables de satisfaction, qui ne s'adressent qu'au zèle louable dont ils ont fait preuve en se rendant exactement à leur poste, et en s'y montrant assidus, et nullement à la manière dont ils ont prononcé sur les affaires qui leur étaient soumises (5).

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