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CHAPITRE VIII.

DE L'APPLICATION DES PEINES, ET DE L'ABOLITION DE LA CONFISCATION.

(Art. 66, 68, de la Charte constitutionnelle;

art. 12 de la Constitution belge.)

SECTION i.

DE L'APPLICATION DES PEINES, EN GÉNÉRAL.

S 1er.

jugé.

La loi ne dispose que pour l'avenir; viendrait exhumer au besoin pour en elle n'a point d'effet rétroactif (1); les tri- frapper ceux que l'on voudrait punir. bunaux ne peuvent, en conséquence, Il n'est pas à ma connaissance qu'auappliquer que des peines précédemment cune loi pénale ait reçu un effet rétroacdécernées contre les faits qu'ils ont à répri- tif (2); et si quelque tribunal s'écartait des mer. Il faut donc, pour qu'ils puissent règles à cet égard, je ne doute point que appliquer régulièrement une peine, 1o que la Cour de cassation ne fit justice du jule fait qui leur est déféré soit déclaré crime, gement ou de l'arrêt qui aurait ainsi délit ou contravention, par une loi antérieure; 2° que cette loi soit en vigueur, et Mais, il n'en est pas de même à l'égard n'ait point été abrogée par une disposition de l'application qui serait faite de lois precise, ou par une legislation contraire et antérieures absolument ignorées, ou dès inconciliable avec cette loi. long-temps abrogées par des lois préLe concours de ces deux conditions est cises, ou par des usages contraires. Il est nécessaire pour rassurer les citoyens con- même remarquable que la jurisprudence tre des condamnations arbitraires, car, si de la Cour de cassation n'est pas seulement la violation du principe de la non-rétroac- négative sur ce point, en ce qu'elle se distivité des lois est de nature à compro- penserait d'annuler des jugemens fondés mettre gravement la sûreté individuelle, sur ces lois, parce qu'elles n'y trouveraient chacun aurait également à redouter l'abus pas un motif de cassation; mais qu'elle qu'on pourrait faire de lois antérieures, est positive, en ce que, malgré l'opinion dont l'existence serait ignorée, et qu'on et les décisions des tribunaux et des Cours,

(1) Art. 2 du Code civil.

(2) La mesure prise contre M. Manuel par la Chambre des Députés, dont il faisait partie,

n'est point l'application d'une loi, et ne présente point d'ailleurs les caractères d'un jugement proprement dit.

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Ainsi, sans reproduire ici les observations dont la jurisprudence sur la manière de juger les prévenus d'embauchage m'a paru susceptible (1), je me bornerai à citer, comme un exemple bien frappant du danger auquel on peut être exposé sans s'en douter, l'exhumation subite d'un réglement du 28 février 1723, relatif à la profession de libraire, dont la Cour de cassation déclare les dispositions pénales applicables, quoiqu'une loi du 17 mars 1791 l'eût abolie formellement (comme elle le reconnaît elle-même), et quoique des réglemens et des lois posté rieures, en modifiant le principe consacré par la loi de 1791, eussent introduit un droit et des usages nouveaux (2).

Certes, je suis fondé à dire que personne ne pouvait se douter de l'existence de ce réglement, comme loi applicable, puisque le tribunal du département de la Seine, et la Cour royale de Paris, devant lesquels le ministère public en provoquait l'application, avaient déclaré « que ce » réglement abrogé en 1791 n'avait été >> remis en vigueur par aucune disposition » législative (3); » et s'il m'est permis, après ces deux autorités, de tirer une preuve nouvelle de faits qui me sont personnels, je puis affirmer qu'ayant été, pendant vingt-cinq ans, chargé de la direction des affaires criminelles au ministère de la justice, et ayant participé, pendant plusieurs années avant et depuis la restauration, à l'administration générale de la librairie, en qualité de fonctionnaire public, nommé par l'ancien gouvernement et par le roi (4), je ne considérais le réglement de 1723 que comme un monument historique, relégué dans

(1) Voyez plus haut, dans cet ouvrage, p. 88 et suivantes.

(2) Voyez arrêt de la Cour de cassation, du 4 octobre 1822. (Bulletin officiel de cassa tion, an 1822, part. crim., page 401 et suiv.

la poussière des archives, et que je n'aurais jamais imaginé que, sans aucune disposition de loi, ou, au moins, d'ordonnance nouvelle qui le remit préalablement en vigueur, on s'avisât de venir provoquer l'application des peines qu'il avait établies, il y a un siècle. Et si, appelé par mes fonctions habituelles, et de tous les jours, à connaître spécialement l'état de la législation sur cette partie, j'ai cru fermement, ainsi que l'ont pensé les tribunaux et la Cour royale de Paris, auxquels appartient l'application des lois existantes, que ce réglement était abroge; certes, il n'est pas étonnant que la masse des Français ait eu la même persuasion, ou plutôt qu'elle ait ignoré jusqu'à l'existence de ce réglement; et il est pénible de voir que sous un gouvernement constitutionnel les citoyens se trouvent ainsi frappés d'une arme mystérieuse contre laquelle ils ont été dans l'impossibilité de se prémunir.

La question que soulève, ou plutôt qu'a tranchée si facilement l'arrêt de la Cour de cassation, n'est pas, au reste, une question isolée relative uniquement à la profession de libraire; c'est sans contredit une des plus grandes questions d'ordre public qui pût s'offrir à l'examen et à la discussion.

L'arsenal auquel la Cour de cassation a cru pouvoir puiser pour armer, en cette circonstance, les mains du ministère public contre les libraires, est amplement pourvu de munitions de toute espèce, et d'armes de tout calibre, pour menacer et atteindre les citoyens de toute autre classe, de toute autre profession; pour donner le caractère de délit à toute sorte d'infractions non prévues par la législation nouvelle, et pour fournir une disposition pénale dont on pourra faire l'application.

Si l'on a pu remonter à un siècle pour faire revivre un réglement abrogé, on pourra de même, et tout aussi régulière

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ment, remonter plus haut encore; mais livrer à une recherche exacte de tout ce qui en se circonscrivant même dans cette a été publié, en distinguant peut-être période de cent années, les réglemens, encore ce qui a été enregistré par les parles délits, les arrêts du conseil, les or- lemens de ce qui ne l'a pas été; ce qui l'a donnances antérieures à la révolution, les été dans un ressort de ce qui l'a été dans décrets et les lois qu'elle a enfantés, l'autre; si l'on est tena de comparer toutes offrent une mine assez abondante; et si, les lois, tous les réglemens entre eux, de les pour savoir si chacune des dispositions rapprocher des lois et des réglemens plus que contient cette immense collection sé- récens, de se livrer, dans cette opération culaire, est ou n'est pas susceptible d'ap- aux raisonnemens sur lesquels repose l'arrêt plication, on doit; sous peine de s'expo- de la Cour de cassation dont il est ici quesser à quelque condamnation grave, se tion (1), au risque inévitable de se trom

(1) Pour que chacun puisse apprécier plus exactement ce qu'il aurait à faire, je copie l'arrêt de la Cour de cassation,

Du 4 octobre 1822.

NOTICE ET MOTIFS.

« Le fait qui constitue cette affaire, et les motifs qui ont déterminé la cassation, sont suffisamment énoncés dans l'arrêt dont la teneur

suit:

» Ovi M. Chantereyne, conseiller, en son rapport; Me Isambert, avocat en la Cour, pour Nadau, intervenant, dans ses observations; et M. Hua, avocat général, en ses conclusions;

» Vu l'article 4 du réglement du 28 février 1723, qui punit d'une amende de 500 francs, ceux qui exercent la profession de libraire sans brevet ;

» Vu la loi du 17 mars 1791, qui a proclamé le libre exercice de toute profession;

» Vu également les articles 11 et 12 de la loi du 21 octobre 1814, qui ont rétabli la prohibition de l'article 4 du réglement du 28 février 1723, en ordonnant que nul ne pourra être libraire, s'il n'est breveté par le roi, et assermenté;

>> Vu enfin l'article 21 de cette même loi, qui enjoint au ministère public de poursuivre les contrevenans devant les tribunaux de police correctionnelle;

» Et attendu que le réglement du 28 février 1723 n'a été abrogé par aucune disposition expresse de la loi; qu'il a seulement cessé de pouvoir être exécuté dans ses dispositions prohibitives et pénales, par l'inconciliabilité de ses dispositions avec celles de liberté absolue portées dans ladite loi de 1791;

» Que les dispositions de liberté absolue de cette loi ont été abolies, pour la profession de libraire, par les art. 11 et 12 de celle de 1814; >> Que cette abolition a fait disparaître, pour cette profession, l'obstacle que la loi de 1791 avait, à son égard, apporté à l'exécution des

dispositions pénales du réglement de 1723; » Que ces articles 11 et 12 n'ayant point prononcé une peine nouvelle et particulière contre leur infraction, celle du réglement de 1723, qui portait une amende de 500 fr., a repris sa force; qu'en renouvelant la prohibition de ce réglement, cette loi a virtuellement rétabli la peine;

>> Que d'ailleurs, dans son article 21, elle a ordonné au ministère public de poursuivre les contrevenans devant le tribunal de police correctionnelle; que cette disposition n'est point limitée aux contraventions pour lesquelles, dans quelques-uns de ses articles, elle a prescrit une peine; qu'elle est générale et absolue; qu'elle se réfère donc aussi aux contraventions relatives aux dispositions de ces articles 11 et 12; qu'elle ordonne donc implicitement, mais nécessairement, la remise en vigueur de la peine de l'amende de 500 francs, portée dans l'article 4 du réglement de 1723, contre ces dernières contraventions;

» Et attendu, en fait, qu'il a été reconnu, tant par le jugement du tribunal correctionnel de la Seine, que par l'arrêt de la Cour royale, qui en a adopté les motifs et les dispositions, que Nadau a exercé la profession de libraire sans être muni d'un brevet, et ce en contravention des articles 11 et 12 de la loi du 21 oct. 1814; qu'il devait donc, d'après l'article 21 de cette loi, être poursuivi comme passible de l'ainende portée en l'article 4 du réglement de 1723;

>> Que cependant le tribunal correctionnel de la Seine a renvoyé Nadau de la prévention d'avoir, en contravention à l'article 11 de la loi du 21 octobre 1814, exercé la profession de libraire sans brevet, sur le motif que ladite loi ne contient aucune disposition pénale à cet égard, et que les peines portées en l'article 4 du règlement du 28 février 1723 ne peuvent être appliquées aujourd'hui, en raison de ce que ce réglement, abrogé par la loi du 17 mars 1791, n'aurait été, depuis, remis en vigueur par aucune disposition législative; que la Cour royale, en adoptant les motifs et le dispositif de ce juge

per sur les conséquences réelles que l'on aux lois et ordonnances qui changeraient doit tirer, ou sur celles que cette Cour ou modifieraient des dispositions précétirera de la divergence des dispositions dentes, et qui substitueraient soit de noulégislatives, au moment où elle s'occupera velles peines à celles qui ont été établies, de l'affaire, on peut affirmer, non-seule- soit même un nouveau mode de procéder ment qu'aucun citoyen ne pourra savoir à celui qu'une législation antérieure a exactement ce qui est permis et ce qui consacré. est défendu, ce que la loi tolère, ce que la loi punit; mais même que le plus savant légiste, le jurisconsulte le plus expérimenté ne pourra pas tracer avec confiance, à celuiquiréclamera le secours de ses lumières, une règle de conduite qui le mette à l'abri de toute poursuite et de toute

condamnation.

On ne peut guère supposer que des ministres puissent revêtir de leur signature une ordonnance qui, en matière générale, changerait la peine établie pour la remplacer par une autre. Mais on conçoit que cela puisse arriver dans les matières fiscales, pour les douanes, par exemple, parce que le législateur pourrait, en certains cas, regarder comme utile de laisser diminuer le tarif, et d'en agir ainsi à l'éau gouvernement la faculté d'élever ou de diminuer le tarif, et d'en agir ainsi à l'éconnaitre que la publication et la progard des amendes. Mais alors il faut remulgation de l'ordonnance dans la forme déterminée, serait un préalable nécessaire pour qu'il fût possible d'appliquer la nouvelle disposition substituée à l'ancienne, et que cette formalité de la publication serait également indispensable quand il ne s'agirait que d'un nouveau mode de procéder (2); et si la jurisprudence de la Cour de cassation contrariait cette doctrine, il serait vrai de dire que sous ce nouveau point de vue, les citoyens pourraient être poursuivis et condamnés sans avoir eu les moyens d'éviter ou de prévenir l'application de dispositions rigoureuses qu'ils auraient ignorées, et qu'il leur Les mêmes observations s'appliquent aurait été impossible de connaitre, et

Cependant si, comme l'a dit Montesquien, le législateur doit mettre plus de soin à prévenir les fautes qu'à les punir; si, comme il le dit, les lois ne doivent point être subtiles; si elles sont faites pour des gens de médiocre entendement; si elles ne sont point un ART DE LOGIQUE mais la raison simple D'UN PÈRE DE FAMILLE (1); il est certain que le vice que je signale est excessivement grave; que l'intérêt public, dans lequel se confond toujours celui du gouvernement, réclame instamment une garantie contre les effets possibles de la jurisprudence de la Cour de cassation; et qu'il n'est peut-être pas d'objet qui soit plus digne de fixer la sollicitude du légis

lateur.

§ II.

Des lois et des ordonnances non pro

mulguées.

ment, s'en est approprié les vices, en quoi elle a fait une fausse application de ladite loi du 17 mars 1791, et violé les articles 11, 12 et 21 de la loi du 21 octobre 1814, et, par suite, l'article 4 du réglement du 28 février 1725;

» D'après ces motifs, la Cour, après en avoir délibéré en la chambre du conseil, reçoit Nadau partie intervenante, et statuant, tant sur son intervention que sur le pourvoi du procureur général en la Cour royale de Paris, casse et annulle l'arrêt rendu par ladite Cour royale, le 19 août dernier, dans la disposition qui met au néant l'appel du ministère public, du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris, le 4 juin précédent; et, pour être statue conformément à la loi sur ledit appel dudit jugement,

renvoie les parties et les pièces du procès de-
vant la Cour royale d'Orléans;
» Ordonne etc.

>> Fait et prononcé, etc., sect., crim., etc. »
(1) Voyez Montesquieu, Esprit des Lois,
liv. XXIX, chap. XVI.

(2) Dans une affaire portée récemment à la Cour de cassation un individu, condamné par la Cour de justice criminelle de Corse, alléguait que l'ordonnance du 24 juin 1814, qui a ordonné l'établissement de cette Cour, n'avait point été promulguée ni insérée au Bulletin des lois; et par arrêt du 4 décembre, la Cour de cassation a rejeté ce moyen. Je crois que, dans l'espèce, il y avait des motifs de rejet; mais s'il fallait induire de cet arrêt que le moyen

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