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CHAPITRE VI.

DE LA LIBERTE DES CULTES, DE LA PROTECTION COMMUNE ACCORDEE A LEUR EXERCICE, DE LA RELIGION DE L'ETAT.

(Art. 5 et 6 de la Charte constitutionnelle;

art. 14 de la Constitution belge.)

SECTION I.

DE LA LIBERté religieuse.

La tolérance religieuse est une des con- monarque était loin de lui supposer la quêtes de la civilisation et des lumières funeste influence qu'elle exerça sur son sur la barbarie et l'ignorance. L'un des royaume, ainsi que les effets désastreux siècles les plus brillans de la monarchie française a cependant été témoin de la révocation d'un édit de tolérance (1), et a vu aussi la persécution et l'exil des Français qui avaient embrassé la réforme; mais cette circonstance est et sera l'objet d'un éternel reproche à la mémoire d'un grand roi, et on n'a tenté de l'en disculper qu'en attribuant à des conseils perfides l'ordonnance de révocation, en cherchant à démontrer que la pensée du

dont elle fut suivie, et en essayant de prouver que Louis XIV, abusé par les faux rapports qu'on lui présentait sur de prétendues conversions, était persuadé qu'il n'existait presque plus de protestans en France, et croyait plutôt en quelque sorte constater un fait que prononcer une proscription, lorsqu'il déclarait l'abolition et l'anéantissement du protestantisme dans ses Etats (2).

Quoi qu'il en soit, l'intervention de l'au

(1) a A l'époque où vivait Henri IV, les es de nos jours, il n'aurait pas voulu que le bien prits n'étaient tournés que vers la liberté reli- qu'il faisait à la France fût précaire comme sa gieuse; il crut l'assurer par l'édit de Nantes; vie, et il aurait donné des garanties politiques mais comme il en était seul l'auteur, un autre à cette même tolérance dont, après sa mort, roi put défaire son ouvrage. Chose étonnante! la France fut cruellement privée. » Grotius prédit sous Louis XIII, dans un de ses (Voyez tome 1, page 27 des Considérations écrits, que, l'édit de Nantes étant une conces- sur la révolution française, par madame de sion et non un pacte réciproque, un des succes- Staël.)

seurs de Henri IV pourrait changer ce qu'il (2) Voyez les deux Mémoires de M. de Malesavait établi. Si ce grand monarque avait vécu herbes sur le mariage des Protestans, et les

torité entre la divinité et la conscience choses est conforme à la volonté du mode l'homme, et la contrainte qu'elle pré- narque législateur, et que la liberté relitend imposer relativement aux croyances gieuse est environnée de toutes les garanreligieuses et à la manière d'honorer ties dont elle fut si long-temps privée. Dieu, est considérée généralement aujourd'hui comme un acte d'oppression intolérable, également contraire au respect que commande et que doit inspirer à tous l'idée de la divinité, à la dignité de l'espèce humaine et au progrès toujours croissant des lumières.

Lorsque la Charte fut promulguée, les affaires ecclésiastiques étaient réglées en France par le concordat de l'an X (1801), auquel une loi du 18 germinal dela même année avait donné un caractère d'authenticité.

Une disposition de cette loi portait L'illustre auteur de la Charte, en pro- qu'aucune cérémonie religieuse ne pourclamant la liberté religieuse, a donc puisé, rait avoir lieu hors des édifices consacrés dans son ame royale et dans les besoins au culte catholique, dans les villes où il de la société, cette solennelle déclaration. y avait des temples destinés à différens Ce n'est même pas seulement la liberté cultes (1); et cette mesure, qui devait des cultes que garantit la Charte, elle assure prévenir toutes les rivalités, toutes les encore une protection égale à tous les cultes querelles de la part d'un culte envers l'aureconnus en France, et si elle ne salarie tre, était un hommage à la tolérance, à que les ministres des différentes sectes à la liberté religieuse, et une preuve irchrétiennes, c'est que c'est à peu près en- récusable de la protection égale dont jouistre ces sectes que se partage l'universalité saient réellement les différentes sectes. des Français; si elle reconnaît comme religion de l'Etat la religion catholique, c'est que cette religion, qui est celle du plus grand nombre, est aussi celle de la famille royale. Mais elle ne lui attribue point de suprématie, de domination, elle ne lui confère point de droits exclusifs contraires à ceux des autres religions; elle ne soumet point les sectaires de celles-ci à des pratiques ou cérémonies que prohibent leurs croyances et leurs rites.

Voilà le droit constitutionnel *. L'usage y est conforme ? Ces principes servent-ils constamment de règle dans la pratique ? reçoivent-ils partout l'application dont ils sont susceptibles? des lois organiques leur ont-elles donné le développement nécessaire, leur ont-elles imprimé le mouvement et l'action ? les divers cultes jouissent-ils enfin de cette égalité de protection promise à tous ?

Examinons ces questions avec le désir de reconnaître que le véritable état des

Eclaircissemens historiques sur les causes de la révocation de l'édit de Nantes, etc., par Rhullière.

* « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion

Le premier acte relatif au culte qui ait suivi la restauration, est la loi du 18 novembre 1814, sur la célébration des fêtes et dimanches, qui fut provoquée par une résolution de la Chambre des députés.

L'objet de cette loi n'étant que de prohiber les travaux pendant des jours que consacrent au repos les usages et la discipline des diverses sectes chrétiennes, et de déterminer des peines de police contre les contrevenans, on eût pu croire qu'une ordonnance suffisait pour prescrire régulièrement ces mesures d'exécution, qui se rattachaient en même temps à la loi de 1801, sur l'exercice du culte, et aux articles de la Charte concernant les religions chrétiennes; mais chacun dut voir dans cette intervention, jugée nécessaire, de la puissance législative, un monument de respect pour la liberté religieuse, et d'attention exacte à prévenir jusqu'aux inquiétudes des consciences les plus timorées, des sectaires les plus sus

de l'usage de ces libertés. (Art. 14, Const. belge.)

<< Nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cèremonies d'un culte ni d'en observer les jours de repos. » (Art. 15, Const. belge.) (1) Voyez l'art. 45.

ceptibles. Ce début était d'un heureux réunions auxquelles donnent lieu ces présage; et si l'on en excepte les dépar- cérémonies (2). temens du Midi, où les événemens de 1815 Mais la prohibition de l'exercice extéet les réactions qui suivirent ont remis en rieur du culte avait été prononcée par une présence, avec des opinions politiques op- loi; si elle devait cesser ou être modifiée, posées ou de nuance différente, des haines c'était en vertu d'une loi et non pas en religieuses assoupies depuis long-temps, vertu d'une autorisation tacite ou exprije crois qu'il est vrai de dire que l'on jouit, mée dans l'ombre. On avait réclamé l'inen général, d'une assez grande liberté tervention de la puissance législative pour religieuse, et que, du moins, la diffé- obliger à fêter le dimanche, quoique cette rence des cultes n'engendre pas de persé- obligation fût en quelque sorte une concutions. séquence du concordat et de la loi de Mais, dès l'année 1814 ou 1815, l'arti- l'an X (1801); à plus forte raison devait-on cle de la loi du 18 germinal an X (1801) recourir à la même puissance pour rapqui prohibait l'exercice extérieur du culte porter une loi existante; et il est inconcatholique dans les villes où il existe des testable que la marche suivie à cet égard temples de protestans, cessa d'être exé- loin de venir au secours de la disposition cuté, et l'on vit à Paris même des proces- constitutionnelle relative à la liberté resions nombreuses qui se hasardèrent à ligieuse, tend au contraire à affaiblir les parcourir les rues à la solennité de la garanties qui doivent environner ce grand Fête-Dieu. Je ne prétends point blâmer principe. cette innovation en elle-même; et si l'histoire des siècles précédens démontre qu'à d'autres époques les processions ont été souvent à Paris l'occasion ou le prétexte des plus grands désordres et de nombreux scandales (1), il est certain qu'aujourd'hui, d'après l'esprit de tolérance généralement répandu dans la capitale, les mœurs douces de ses habitans et les mesures d'ordre public que l'autorité ne manque jamais de prendre, il y a moins à redouter que partout ailleurs, pour la tranquillité publique, l'effet des

(1) Voyez Dulaure (Histoire de Paris, tome I, II, III, et IV), qui cite les sources où il a puisé les faits, et les autorités sur lesquelles il s'appuie.

(2) Beaucoup de catholiques instruits ne regardent point les processions comme tenant à la religion, et n'y voient qu'une imitation de quelques usages du paganisme.

(3) Voyez le procès relatif à un protestant traduit devant le tribunal de police de Cadenet, pour n'avoir pas tapissé le devant de sa maison à la procession du Saint-Sacrement.

L'arrêt de la Cour de cassation, en date du 26 novembre 1819 étant un monument de sagesse et de tolérance, je crois devoir le consigner ici.

« Un jugement du tribunal de simple police du canton de Cadenet, du 24 juin 1818, avait condamné le sieur Roman à l'amende, pour n'avoir pas obéi à un arrêté du maire de Lour

N'avons-nous pas vu, en effet, depuis cette époque, se renouveler chaque année une foule de faits de peu d'importance sans doute, mais dont il serait beaucoup mieux que l'attention publique ne fût point occupée?

Ici ce sont des individus qui refusent, par entêtement, de concourir à l'érection d'un autel ou d'un reposoir; là ce sont des protestans qui s'abstiennent, par principes religieux, de pavoiser et de décorer leurs maisons de draperies, malgrés les ordonnances de police (3); plus fréquem

marin, qui ordonnait à tous les habitans de cette commune qui demeuraient dans les rues que devait parcourir la procession du SaintSacrement, les dimanches 24 et 31 mai, de tapisser le devant de leurs maisons.

» Appel par le sieur Roman.

>> Jugement du tribunal de police correctionnelle d'Apt, qui confirme celui du tribunal de police de Cadenet.

» Le sieur Roman demande la cassation du jugement du tribunal correctionnel d'Apt; sa demande est accueillie, ce jugement est annulé par arrêt du 20 novembre 1818, et l'affaire renvoyée au tribunal de police correctionnelle d'Aix.

» Le 5 février 1819, jugement de ce tribunal, qui, comme celui du tribunal correctionnel d'Apt, prononce la confirmation du jugement du tribunal de police du canton de Cadenet. » Le jugement du tribunal correctionnel d'Aix

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