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CHAPITRE VII.

DE LA LIBERTE DE LA PRESSE ET DE LA REPRESSION DE SES ABUS
ET DE SES ECARTS.

(Art. 8 de la Charte constitutionnelle; art. 18 de la Constitution belge.)

La liberté de la presse, dont l'établissement était provoqué par des vœux presque unanimes à l'instant de notre régénération politique, la liberté de la presse, que tous les partis ont successivement invoquée pour exploiter à leur profit d'une manière exclusive, est sans contredit le principe qui a été le plus torturé, le plus dénaturé, le plus faussé dans son appli

cation.

n'a-t-elle mis à sa liberté illimitée d'autre restriction que celle que prescrivait le besoin de réprimer la licence des libelles.

Aux termes de l'article relatif à la liberté de la presse, des lois devaient être faites pour assurer la répression des abus de cette liberté. En effet, quoiqu'un homme célèbre ait dit que « la liberté de la presse » ôte aux libelles tout leur danger, parce » que sous son empire la vérité seule reste, » et que les libelles les plus calomnieux

L'exercice de ce droit est pourtant si nécessaire et si précieux, que, suivant » n'ont d'influence que dans les pays où l'opinion générale d'une nation voisine et celle de ses hommes d'Etat et de ses écrivains les plus distingués, si toutes autres libertés étaient anéanties et que la liberté de la presse fût seule conservée, elle suffirait pour recouvrer tout ce que le pouvoir aurait usurpé sur les franchises et les droits du peuple (1).

» l'on n'est pas libre d'imprimer (2), » on conçoit cependant qu'il peut être nécessaire d'armer la puissance publique contre les attaques écrites qui menaceraient la société, qui l'ébranleraient dans ses fondemens, qui tendraient à avilir la religion, le trône, la représentation nationale et les institutions qui commanLe monarque éclairé qui, en procla- dent le respect, comme il est utile d'offrir mant la Charte, a peut-être encore moins des moyens de défense au citoyen qu'une eu pour objet de faire une concession à imputation calomnieuse aurait diffamé ses peuples que de constater les besoins de dans un écrit public. Une loi conçue la société et de les satisfaire, ce monar- dans cet esprit, rédigée dans ce but, que, convaincu que tout obstacle au pro- vraiment une loi organique de la liberté grès des lumières est un grand mal, ne de la presse, et à ce titre elle est une espouvait manquer de briser les liens qui pèce d'appendice de la Charte, qui en a tenaient la presse captive; aussi la Charte prescrit et annoncé la publication. Elle

est

(1) Voyez les historiens, les publicistes et les roi de Prusse, le jour de son avènement au orateurs anglais.

(2) Voyez la Lettre du comte de Mirabeau au

trône.

TOME V.

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doit être la garantie du principe consti- miers actes du gouvernement royal, après

tutionnel, puisque c'est d'elle que le principe doit tenir le mouvement et recevoir, si je puis m'exprimer ainsi, les règles d'hygiène hors desquelles son intempérance l'expose à des mesures répressives. Mais qu'a-t-on fait jusqu'ici pour remplir le vœu de la Charte, pour assurer aux principes de la liberté de la presse tout son développement sans le gêner dans ses mouvemens? à quoi ont abouti de nombreux essais successifs ? quelle est enfin notre situation actuelle sous ce rapport? . . . . . . Cet examen est vraiment curieux.

la rentrée de Sa Majesté dans ses états, fut de supprimer la censure établie par la loi du 21 octobre 1814. L'époque de ce retour aux principes n'est pas moins remarquable que le motif de l'ordonnance, puisque le monarque y déclare qu'il a reconnu que la restriction apportée à la liberté de la presse présentait plus d'inconvéniens que d'avantages (3).

Toutefois cette ordonnance laissait subsister la censure relativement aux journaux et écrits périodiques, qui ne pouvaient paraître sans l'autorisation du roi.

En 1819, un ministre pénétré de la D'abord un ministre connu par son es- bizarrerie et de l'insuffisance de la légisprit et estimé par ses vertus, vient sou- lation sur la liberté de la presse, entreprit tenir avec gravité ( du moins il faut le d'établir à cet égard un système complet croire ainsi que les mots réprimer et pré- dont toutes les parties fussent homogènes. venir sont identiques ou synonymes dans Fort de ses propres lumières, plein du déleur sens, dans leur expression; ce sys- sir de fonder d'une manière durable l'intème de synonymie, qui avait assurément stitution constitutionnelle de la liberté de le mérite de la nouveauté, et pour lequel la presse, après avoir appelé des conseils son excellence aurait pu se délivrer un et pesé les observations qu'on s'était embrevet d'invention, est discuté sérieuse- pressé de lui soumettre, il présenta, par ment par deux Chambres législatives fran- ordre du roi, aux Chambres législatives, çaises; et le premier produit net de la trois projets de loi dont l'un déterminait liberté illimitée de la presse est la censure et caractérisait, d'après un aperçu noupréalable sur tous les journaux et les écrits veau, les délits qui pouvaient être comde vingt feuilles et au-dessous, publiés mis par la voie de la presse, et fixait en France (1). les peines applicables; le second traçait Une catastrophe extraordinaire, funeste le mode de poursuites et réglait la comà l'Europe, à la France et surtout aux pétence des tribunaux; et le troisième amis des principes constitutionnels, avait contenait toutes les dispositions relatives pesé sur notre pays (2), et un des pre- aux journaux et aux autres écrits périodi

(1) Voyez la loi du 21 octobre 1814, et la discussion dont elle fut précédée dans les deux Chambres et surtout dans celle des députés.

ne pouvant concevoir qu'elle eût pu sortir de la bouche de celui que je voyais, je ne pus m'empêcher de manifester ma surprise sur cette (2) Le 20 mars 1815. Je crois devoir à étrange assertion, et de rappeler les désastres de cette occasion consigner ici une anecdote qui la deuxième invasion, et le poids énorme des me paraît remarquable. Me trouvant, au com- contributions de guerre et de l'occupation mencement de 1816, dans un salon où beaucoup étrangère. « Monsieur, me répondit-on, la de personnes étaient réunies, j'y causais avec » France a de grandes ressources; ces maux se un de mes amis, lorsque nous fumes joints par » répareront avec le temps: mais, sans cette un noble marquis que j'avais aperçu quelquefois » catastrophe, la noblesse et les vrais royalistes dans la société, et qui était de la connaissance » étaient déshérités, réduits au néant; les révointime de mon ami. Après qu'on eut parlé pen- »lutionnaires seuls auraient eu le pouvoir et les dant quelque temps des affaires publiques de » places. » Je laisse à penser si l'interlocuteur l'époque : « Quel bonheur pourtant que l'événe- avait le coup-d'œil politique. ment du 20 mars! » dit avec exclamation le nouvel interlocuteur. Aussi étonné de cette excla- (3) Voyez l'ordonnance du roi du 20 juillet mation que du lieu où elle était prononcée, et 1815.

ques, qui devaient à ce moyen être affranchis de la censure (1).

Cependant un crime épouvantable (4) vient répandre la consternation dans la capitale et dans la France.

celles qui sont empreintes de l'esprit de justice, et conformes aux besoins de la soC'était la première fois depuis la publi- ciété, s'exécutaient avec facilité et jecation de la Charte, que les ministres taient de profondes racines dans l'opiabordaient sans détour la question de la nion de la nation; les jurés se montraient liberté de la presse et qu'ils venaient en général judicieux dans leur indulgence proposer à ce sujet des lois véritablement comme dans leur sévérité (2); et quoi organiques du principe constitutionnel; et qu'on en ait pu dire, des relevés exacts ces projets, accueillis avec la plus grande de leurs décisions en matière de délits de faveur par l'opinion public, furent bien- la presse avaient démontré que les contôt convertis en lois par les Chambres, damnations relativement au nombre des après y avoir subi quelques modifications affaires de cette espèce qui leur étaient consenties au nom du roi. déférées, se trouvaient dans une proporJe n'examine point en détail chacune tion égale, au moins, peut-être même des lois dont il s'agit; mais quelque éloi- supérieure à celles qu'ils prononçaient gnement que j'aie pour toute espèce d'a- dans les affaires ordinaires. Ce fait, qui dulation, je dis, sans crainte d'être dé- ne peut être révoqué en doute, est conmenti ou blâmé par les vrais amis de la signé dans l'exposé des motifs présentés liberté constitutionnelle : honneur à celui par M. le garde des sceaux, de Serre, à qui le premier soumit à une définition la Chambre des députés, le 3 décemexacte et commune les délits de la presse bre 1821 (3). laissé jusque-là dans le vague; qui-assigna à chacun des peines rigoureuses sans doute, mais du moins appropriées à la nature de ces offenses et modifiées d'après Aussitôt on sonne la tocsin contre la leur gravité! Honneur à celui qui démon- licence de la presse, à laquelle on veut tra avec tant de talent que le jugement imputer l'attentat qui couvre la France de de ces délits appartenait évidemment et deuil; et quoique deux instructions sonécessairement au jury; qui pulvérisa de lennelles, faites par la Cour des pairs, sa mâle éloquence les sophismes présens aient prouvé que l'assassin vivait isolé, et futurs contre une vérité si palpable, éloigné du monde, et ne lisait ni livres et livra à la justice du sarcasme et de l'i- ni journaux, une loi de censure est portée ronie les argumens de ceux qui voulaient le 31 mars 1820, relativement aux jourvoir une mesure inconstitutionnelle, une naux et à divers écrits périodiques; et la juridiction d'exception, dans cette at- France qui pleure un de ses princes, tribution toute de raison et de justice! doit porter en même temps le deuil de la Honneur enfin à celui qui affranchit de plus précieuse de ses libertés. toute espèce de censure préalable, tous Cette suspension d'un droit sacré dont les écrits périodiques ou non, et qui plaça on avait joui un instant, est prorogée par ainsi avec franchise le gouvernement en la loi du 26 juillet 1821, et étendue même tre la liberté de la presse, voulue par la aux écrits périodiques de toute espèce. Le Charte et légalement organisée, et les terme de cette prorogation étant définiécarts de la licence déterminés par des lois, tivement fixé, le gouvernement présenta en armant l'autorité des moyens nécessai- à la Chambre des députés, dans le courant res de répression! Ces lois, comme toutes de décembre 1821, deux projets de loi,

(1) Voyez les lois des 17, 26 mai et 9 juin 1819, dont les projets furent présentés par M. de Serre, alors garde des sceaux.

(2) Le jury peut se tromper (a fort bien dit M. Fiévée); qui en doute?..... Depuis qu'il y a des sociétés, elles commettent des erreurs; mais Dieu, qui les a créées libres, ne pouvait

leur ôler la possibilité de s'égarer. Ne dirait-on pas que le POUVOIR ABSOLU et ses agens ne se trompent jamais! (Voyez M. Fiévée, session de 1817, page 40.)

(3) Voyez le Moniteur du 4 décembre 1821. (4) L'assassinat de S. A. R. Monseigneur le duc de Berri.

J'ai déjà dit que le jugement de tous les délits de la presse était remis aux tribunaux correctionnels; cette fatale innovation est ce qu'il y a de plus remarquable dans la loi et après cette modification du projet de loi présenté, je suis peu touché de quelques dispositions plus sévères introduites soit dans la première rédaction, soit

'un concernant la presse en général, l'autre exclusivement relatif à la publica tion des journaux. On proposait de laisser pendant cinq ans la presse périodique soumise à la censure; on proposait aussi de modifier les lois de 1819, ou plutôt d'ajouter à la sévérité de quelques-unes de leurs dispositions. Toutefois, si le projet rendait à la juridiction correctionnelle par suite de la discussion, et qui permetle jugement de plusieurs délits commis tent, par exemple, d'élever des amendes par voie de publication, il conservait jusqu'à la somme énorme de 24,000 francs. du moins le jugement par jury pour les Les Chambres législatives ont été inves faits qui tenaient à la liberté de publier ties, par la loi du 25 mars, du droit exses opinions; et une pareille sanction clusif d'appliquer elles-mêmes les dispodonnée au nom du gourvernement, à sitions pénales relativement au compte cette forme de procéder et de juger, en rendu de leurs séances, infidèlement, de attestant la sagacité des jurés en cette mauvaise foi, ou d'une manière offensante matière semblait promettre à la nation pour les Chambres ou pour quelqu'un de que cette conquête ne lui serait plus ra- leurs membres par les journaux ou écrits vie: cependant, il en fut autrement, et périodiques. le projet, discuté et converti en loi sous un nouveau ministère, dépouilla le jury de la connaissance de tous les délits de celte espèce.

Quoique la liberté de la presse périodique soit évidemment consacrée par la Charte, et que la répression de ses écarts comme de ceux de la presse ordinaire, puisse à mon avis être organisée de manière à rassurer la société, on ne peut nier que les dangers dont elle est environnée n'établissent entre elle et la presse ordinaire des différences remarquables.

Elles peuvent exercer le même droit sur la réclamation d'un de leurs membres, dans le cas d'offense commise envers elle ou l'une d'elles par l'un des moyens énoncés en la loi du 17 mai 1819; mais, dans ce dernier cas, l'exercice de leur droit est facultatif, et elles peuvent, si elles le préfèrent, autoriser les poursuites par la voie ordinaire.

Mais 1o l'autorisation dont il est question dans ce dernier cas ne doit-elle pas être expresse pour que les tribunaux puissent agir? 2o L'infidélité dans les comptes renMais, conclure de ces différences que dus des séances ne doit-elle pas être acla presse périodique doive et puisse ré- compagnée nécessairement d'une mauvaise gulièrement être soumise à la censure, foi évidente pour pouvoir donner lieu à c'est tirer d'un principe incontestable des poursuites? 3o Le droit d'interdire le une conséquence forcée qui y est étran- compte des débats législatifs n'est-il pas gère.

La loi de censure fut retirée et remplacée par un projet qui est devenu la loi du 17 mars 1822, relative à la presse périodique. La loi du 25 mars suivant concerne la presse en général.

La France a perdu à cette époque le jury comme juge des délits de la presse; mais celte perte énorme a-t-elle été du moins compensée ou atténuée par une abolition franche de la censure? Ce qu'elle a recou vré est-il propre à la consoler de ce qui lui a été enlevé ? Un regard rapide sur l'état des choses va nous mettre dans le cas de résoudre ces questions.

restreint au cas de délit résultant d'un compte de cette espèce, et limité aux hypothèses prévues et déterminées par la loi ? 4o Chacune des Chambres ayant le droit de police chez elle, et ce droit ne pouvant pas s'étendre à la police de l'auire Chambre, l'interdiction n'est-elle pas limitée nécessairement aux débats législatifs de la Chambre à l'égard de laquelle le délit a été commis, sans pouvoir s'étendre aux débats législatifs en général ? 5o Comme il est impossible de supposer qu'un compte exact et fidèle des séances d'une Chambre puisse jamais être offensant pour cette Chambre ou pour l'un des

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