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CHAPITRE VIII.

DU DROIT DE PROPRIETE. DE L'INVIOLABILITE DES PROPRIETES PATRIMONIALES OU NATIONALES. DU SACRIFICE DES PROPRIETES POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE, A LA CHARGE D'UNE INDEMNITE PREALABLE.

(Art. 9 et 10 de la Charte constitutionnelle; art. 11 de la Constitution belge.)

SECTION r.

OBSERVATIONS GÉNÉRALes.

J'ai traité jusqu'ici, dans la deuxième partie de cet ouvrage, des besoins de la législation, relativement à l'ordre de suc cessibilité au trône, à la tutelle des rois mineurs, à la garde de leur personne, à la régence, à la responsabilité des ministres et de leurs agens, à la liberté individuelle, à l'égalité des Français devant la loi, à la liberté religieuse, à la liberté de la presse: malgré l'importance et l'élé vation de ces divers sujets, et la disposition générale des citoyens de toutes les classes à s'occuper des matières politiques, comme la royauté est une espèce de dogme religieux qu'on environne de respect sans pénétrer dans le sanctuaire; que la masse des citoyens voit les ministres dans l'éloignement, et ne s'occupe guère plus de leur responsabilité et de celle de leurs agens, si ce n'est pour avoir les moyens de se soustraire à la partialité et de se prémunir contre leur injustice possible et contre les abus d'autorité; que la plupart des citoyens, malgré les excm

ples journaliers qui démentent cette sécurité, se persuadent qu'en ne se livrant à aucun acte répréhensible, ils n'ont point à craindre d'être arrêtés et poursuivis ; que quoique le principe de l'égalité devant la loi soit plus généralement apprécié, l'urgence des garanties qu'il réclame peut n'être pas aussi universellement sentie, parce que les violations continuelles auxquelles il est en butte n'ont pour la plupart qu'une publicité restreinte dans un cercle assez étroit; comme peu de personnes s'occupent de controverse religieuse et qu'à très peu d'exceptions près, et hors l'époque des missions qui provoquent l'éclat et je dirais presque l'ostentation dans la manière d'exercer son culte, chacun se livre tranquillement et modestement à ce qu'il considère comme ses devoirs religieux, évite avec soin d'être témoin du scandale ou de le faire naître, et n'envisage la liberté religieuse que relativement aux injonctions ou aux prohibitions des ministres de sa religion; enfin,

comme le nombre des personnes qui pu- la masse par une plus longue succession blient des écrits est très peu considérable d'années et une série plus nombreuse de eu égard à la masse, et que, sous ce rap- possesseurs, le sens de cet article constiport, la liberté de la presse ne semble pas tutionnel sera aussi difficile à comprenêtre l'affaire de tout le monde, parce que dre, ou du moins l'utilité de ses disposichacun, en faisant un retour sur soi- tions sera aussi difficilement sentie, que même, s'afflige des persécutions dont les l'aurait été celle d'un article de la Charte écrivains sont l'objet, mais n'en est point publiée en 1814 qui aurait consacré sépatouché comme d'un danger qui le menace; rément et spécialement le droit de proil résulte de cet état de la société et de priété à l'égard des familles nanties decette situation générale des esprits, que puis la révocation de l'édit de Nantes des quel que soit le sort de cet ouvrage, plu- biens confisqués sur les protestans, ou sieurs des chapitres dont il se compose ne mises en possession, avant cette époque, sont pas de nature à inspirer à tous les ci- des biens plus anciennement confisqués toyens un intérêt également vif, un in- sur les sectaires de la religion de Moïsc. térêt personnel; et sans examiner de trop près sur quel motif, sur quel sentiment repose cette différence dans la manière d'apprécier les choses, il me paraît hors de doute qu'en parlant du droit de propriété, je suis sûr d'être écouté plus généralement, plus attentivement, par la raison que chacun étant propriétaire, ou aspirant à l'être et pouvant le devenir, chacun reconnaît et sent que c'est réellement de sa propre affaire qu'il est ici question.

SECTION II.

DES PROPRIÉTÉS DITES NATIONALES.

Deux articles de la Charte sont relatifs au droit de propriété, et ces deux articles envisagent ce droit sous deux points de vue tout-à-fait différens.

Mais, quoique l'autorité tolère constamment la distinction établie d'une manière expresse dans les annonces et actes publics, entre les propriétés patrimoniales et les propriétés nationales; quoiqu'il en résulte une atténuation dans la valeur et dans le prix vénal des propriétés non patrimoniales et par suite une diminution dans les produits du fisc; quoique cette différence toujours subsistante puisse laisser des inquiétudes dans certains esprits; que la protection dont ont joui les ouvrages de quelques écrivains qui ont attaqué les ventes de biens nationaux soit propre à produire le même effet; que les anathèmes lancés journellement dans la chaire de vérité contre les biens mal acquis, ne soient pas rassurans pour les consciences timorées qui croiraient voir dans cette épithète la désignation des biens nationaux; quoique quelques individus rêvent encore la restitution pure et et simple de ces propriétés (1), la disposition constitutionnelle qui les concerne ne me paraît pas de nature à exiger de ma part un long examen.

L'un a pour objet de consacrer l'inviolabilité des propriétés dites nationales, en les assimilant, quant à la garantie dont elles doivent jouir, aux propriétés dites patrimoniales. Cet article, qui se rattache Les faits que je viens d'indiquer sont aux effets de la révolution et à ses causes, sans doute ou du moins me semblent être peut être considéré comme transitoire; un mal qu'il serait utile de faire cesser; car lorsque le temps, qui a déjà imprimé mais la véritable et la plus sûre garantie à ces propriétés le sceau de la prescription de l'inviolabilité de ces propriétés se trouve légale, les aura tout-à-fait confondues dans

(1) Au mois de janvier 1816, un magistrat, alors membre de la Chambre des députés et qui y a siégé depuis, me disait que la révolution ne serait finie que quand la proposition d'un noble pair, M. le maréchal duc de Tarente, serait

dans l'innombrable série de mutations

retournée et exécutée ainsi, c'est-à-dire lorsque les anciens propriétaires auraient recouvré leurs biens, et que les nouveaux auraient été indemnisės.

SECTION III.

DE LA PROPRIÉTÉ EN GÉNÉRAL.

Mais le droit de propriété, considéré sous un aspect bien plus vaste et réellement fondamental, mérite de fixer toute notre attention. Ce droit doit être respecté partout et sous toutes les formes (1); et si l'Etat peut, pour cause d'intérêt général, exiger le sacrifice d'une propriété quelconque, deux conditions sont nécessaires, savoir: 1° que le motif d'utilité soit légalement constaté; 2° que le propriétaire soit préalablement indemnisé *.

qu'elles ont déjà éprouvées depuis l'aliénation primitive, dans la circonstance que la plupart des familles, même celles qui ont émigré, en posèdent ou en ont posédé, soit par acquisition, soit par succession, par dot, par suite d'expropiation ou autrement, et en tirent ou en ont tiré parti; elle se trouve aussi dans la vente que le gouvernement royal a fait depuis la restauration d'une grande quantité de biens de cette nature, dans les acquisitions qu'il est souvent tenu d'en faire pour des services publics, dans les argumens et les moyens que la liste civile s'est vue forcée de tirer elle-même des lois de la révolution pour défendre ses droits ou ses intérêts, et repousser des prétentions qui lui paraissaient mal fondées; et ja- Voilà le principe constitutionnel; et cervoue que si des lois pénales contre les at- tes, loin qu'il s'agisse ici de concession, taques dont les ventes de domaines natio- la disposition qui l'exprime n'est que l'énaux sont ou seraient l'objet, ont été et nonciation d'un droit plus ancien que peuvent être regardées comme utiles sous l'existence même des sociétés et sans lele rapport du maintien de l'ordre public et quel elles ne pourraient se maintenir. pour prévenir les suites funestes des outra- Voyons pourtant de quels moyens d'exéges qui seraient dirigés contre les proprié- cution, de quelles garanties l'exercice de taires de cesbiens, ces lois, bien loin d'offrir ce droit se trouve environné. aucun avantage, aucune garantie nouvelle Toutes les propriétés, quelle qu'en soit sous le rapport de l'inviolabilité des pro- la forme et la variété, peuvent se réduire priétés, seraient plus propres, à mon avis, à trois espèces principales: 1° propriétés à produire un effet contraire, par la dé- foncières, c'est-à-dire celles qui tiennent fiance qu'elles entretiennent et qu'elles au fond, au sol, comme les propriétés ruraperpétuent. Et, quoique tout-à-fait dés- les et les maisons de ville et decampagne; interessé dans la question, je crois si 2° propriétés mobilières et industrielles, fermement à l'inviolabilité des ventes de dont la dénomination s'applique à tous les biens nationaux, je la regarde tellement genres d'insdutrie, de commerce, de spécomme une conséquence forcée et inévi- culation, etc.; 3o propriétés que j'appeltable de l'état de la société, que s'il était lerai d'affection, et qui, d'une possible que tous les intérêts moraux de distincte des deux autres, ont en quelque la révolution fussent détruits, que tous sorte une origine sinon plus respectable, les droits conquis, concédés ou reconnus du moins plus élevée, et ne se rattachent par la Charte, fussent anéantis, je suis pas toujours uniquement à des idées terconvaincu qu'aucune puissance ne pour- restres, à des jonisances matérielles. rait anéantir cette portion des intérêts matériels nés du nouvel ordre de choses, et qu'elle résisterait seule à tous les efforts, pour attester du moins le mouvement qui se serait opéré.

nature

Certes, si les propriétaires n'avaient à redouter que les suites de cet axiome vulgaire, qui a terre a guerre; s'ils n'étaient exposés qu'aux usurpations et aux envahissemens de leurs voisins, aux con

(1) Voyez plus haut, chap. 5, page 178, à la pour cause d'utilité publique, dans le cas et de

note.

la manière établie par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité. » (Art. it de la Const.

« Nul ne peut être privé de sa propriété que belge.)

testations ordinaires inséparables de l'é- d'eaux minérales et des bâtimens destinés tat de société, ils trouveraient dans la à leur exploitation. Il arrange sa propriété justice des tribunaux, dans les lumières, de manière à en tirer le parti le plus avanl'expérience et l'intégrité des juges, tageux ou le plus convenable dans son dans la publicité des discussions, dans intérêt et dans ses goûts. Bientôt le goul'indépendance de la Cour régulatrice, vernement, ou du moins quelques-uns de une protection suffisante pour assurer leur ses agens, réfléchissent que l'exploitation droit. Mais l'expression terrible, utilité de cet établissement pourrait être faite publique, dont le sens est indéfini, dont par l'autorité et qu'on pourrait en tirer l'acceptation n'est pas moins étendue que profit; en conséquence, sous le prétexte celle du mot circonstances, et dont la que la qualité et la nature efficiente des cause existe toujours au gré de l'autorité eaux doivent être soumises à une surveilqui l'invoque (1), est une arme irrésisti- lance exacte et continuelle dans l'intérêt ble qui, comme l'épée de Damoclès, me- général de la salubrité commune et de la nace incessamment les propriéttaires de santé publique, et que le prix des bains toutes les classes et de toutes les espèces; et de l'eau doit être fixé par l'autorité, et qui, aidée du conflit, auxiliaire toujours on déclare que les bains et les sources qui disponible (2), livre le droit de propriété les alimentent, ainsi que les bâtimens à la discrétion de l'autorité administra- d'exploitation, ne peuvent être la protive, à la merci du pouvoir. Devant cette force combinée, l'action des tribunaux est paralysée, la justice est muette, ou ses arrêts impuissans restent sans force et sont frappés de nullité.

Si je veux prouver ces assertions par des faits, je n'ai que l'embarras du choix; et pour rendre la démonstration plus précise, je citerai successivement des exemples applicables aux trois genres de propriétés que j'ai désignés ci-dessus.

$1cr.

D'abord, quant aux propriétés rurales ici je vois un citoyen devenu adjudicataire d'un terrain qui contient des sources

(1) Je n'ai pas à craindre que cette assertion soit démentie ou contredite, puisque depuis l'ouverture et l'élargissement d'une rue ou d'une route, la suppression ou l'établissement d'un chemin vicinal, la démolition d'édifices en bon état, la main-mise sur des propriétés de ville ou rurales, sur des manufactures, des établissemens commerciaux ou des usines quelconques appartenant à des particuliers, et leur occupation ou leur exploitation au profit de l'autorité, la construction de théâtres, l'obligation imposée à des propriétaires de maisons ou édifices contigus d'acheter la propriété voisine ou de céder la leur propre, etc., etc., jusqu'au logement d'un directeur de spectacle et à la fixation

priété d'un particulier (quoique des faits nombreux démenttent cette étrange proposition), et que le propriétaire doit en être dépouillé pour cause d'utilité publique (3). Après l'énonciation de ce principe, l'autorité fixe elle-même le prix de la propriété dont elle s'empare (4); et ce n'est qu'après plusieurs années, après de nombreuses réclamations, après des difficultés toujours renaissantes, après une série de décisions toutes émanées de l'administration agissant administrativement ou prononçant par voie contentieuse, que le propriétaire de ces bains parvient enfin à recouvrer en échange de la propriété qu'on lui a ravie, et à titre d'indemnité préalable, une somme quelconque qu'il soutient être de beaucoup inférieure à la valeur vénale de son terrain et des bâti

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