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l'arrêté même du ministre (1)? Et si tous ces qu'il lui a plu de faire approuver par le faits, toutes ces circonstances plus ou roi, et qu'après la force coative qui a moins conformes à la législation existante effectué l'expropriation, après qu'on s'est et à la juris prudence antérieure du conseil emparé d'un établissement commercial, d'Etat,démontrent d'une manière incon- des capitaux et des marchandises qui en testable, 1oqueles droits et les intérêts par- constituaient le fonds matériel, de la ticuliers et les propriétés mobilières et in- clientelle, de la pratique, de la corres dustrielles sont absolument sans garantie pondance de cet établissement, qui font contre la volonté du pouvoir, lorsque ces aussi partie du fonds, une force d'inertie droits, ces intérêts, ces propriétés, sont en peut priver le propriétaire de toute espèce contact avec le gouvernement ou que l'on d'indemnité, malgré les actes qui consaprétend qu'il en est ainsi; 2° que malgré crent son droit; il faut bien reconnaître la compétence exclusive des tribunaux, que sous ce rapport le droit de propriété pour statuer sur les questions de pro- est encore étrangement compromis et que priété, les choses peuvent arriver à ce cet état de choses appelle une prompte point que le droit du propriétaire, re- réforme que réclament tant d'autres branconnu même par l'autorité qui s'empare ches de l'administration générale (1). de la propriété, au lieu d'être placé sous la protection des tribunaux, de la marche régulière de la justice, de la publicité de ses débats et de ses arrêts, est remis en définitive au libre arbitre de l'autorité administrative ou ministérielle qui a pris Enfin, quant aux propriétés d'affection: les mesures contre lesquelles on réclame; la France et le monde entier ont pu lire 3o qu'il n'existe aucun moyen d'obliger la discussion qui s'est établie à la Chamun ministre à exécuter la décision même bres des députés à la session de 1822,

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(2) Un autre genre d'atteinte à la propriété industrielle peut résulter de la destitution des notaires, avoués, greffiers, huissiers, etc. J'ai examiné ce point dans la deuxième édition de mon Traité de Législation criminelle, et après avoir discuté la question avec détail, j'ai terminé cet examen par l'observation suivante :

« Mais quelle que soit l'opinion que l'on se forme sur le droit de destitution et sur la régularité de son exercice, cette mesure, lorsqu'elle n'est pas l'effet ou le résultat d'un jugement rendu en connaissance de cause, qui constate les crimes, les délits ou les fautes graves de celui qui en est frappé, ne peut que Jui interdire l'exercice des fonctions, sans le priver du droit de disposer de son titre et de le transmettre, de la manière qu'il juge la plus avantageuse, à un successeur avec lequel il traite en vertu de la loi, et cette proposition, pour

être reconnue incontestable, n'a besoin que d'ètre énoncée en regard du texte de l'art. 91 de la loi du 28 avril 1816. C'est sous la foi de cette loi que les titulaires possèdent, soit en vertu d'une nomination spontanée du gouvernement, soit en vertu d'un traité qu'ils ont fait eux-mêmes à prix d'argent avec ceux qui possédaient avant eux; et si une autorité quel conque prétendait attacher à la destitution la perte du droit de disposer de l'office en faveur d'un candidat pourvu des qualités nécessaires, outre la violation manifeste d'une loi speciale bien postérieure à la loi de création de ces officiers, outre l'anéantissement du contrat passé sous la garantie des dispositions de cette loi, il en résulterait une confiscation odieuse qui, en frappant à la fois l'officier public destitué et sa famille, ainsi que ses bailleurs de fonds, enrichirait à leurs dépens d'un capital considérable celui que la faveur et la protection auraient choisi pour l'héritier de leurs dépouilles.

» Ces principes sont conformes à une consultation délibérée par un grand nombre d'avocats distingues du barreau de Paris, dans l'affaire du sieur Lecomte, avoué; mais ils sont indépendans de la decision rendue ou à rendre dans une affaire particulière, et je les consigne ici comme des vérités de tous les temps. »

entre un membre de cette Chambre (1) lèbre, d'un père, d'un époux, d'un ami? et son excellence le ministre de l'inté- Comment justifier par des motifs plus ou rieur (2), relativement aux cendres de moins spécieux, par la nécesssité de l'acRousseau. Cette discussion a fait connaître tion administrative, comment justifier par qu'au moment où le Panthéon a été rendu la jurisprudence même du conseil d'Etat, à l'exercice du culte, les tombeaux de par les réglemens administratifs sur lesVoltaire et de Rousseau, qui existaient quels elle s'appuie, l'évocation subite que dans ce monument en vertu d'actes législa- fait d'une pareille affaire l'autorité admitifs, et qui renfermaient les dépouilles nistrative? Comment la justifier surtout mortelles de ces immortels génies? ont lorsque les tribunaux et les Cours du été déplacés par ordre ou avec l'autorisa- royaume, déjà saisis de la question de tion du ministre, et qu'on les a comme propriété, de la question testamentaire, séquestrés du reste du temple (3).

ont prononcé des arrêts souverains? ComMalgré les réclamations du propriétaire ment la justifier lorsque l'administrateur, d'Ermenonville, qui fut l'élève de Rous- qui se présente avec l'auxiliaire du conseau, l'ile des Peupliers, si célèbre par flit, n'a aucun pouvoir, aucune autorité le dépôt précieux qu'elle renferma long- sur le lieu où gissent les restes contestemps et dont elle n'avait été dépouillée tés (4) et ne fonde son intervention que qu'en vertu d'un acte de l'autorité légis- sur un prétendu droit de suite ou d'interlative, n'a pu recouvrer les restes de prétation d'actes émanés de ses prédécesl'auteur d'Émile et de la profession de foi seurs, droit qui, s'il pouvait être redu vicaire savoyard; et par une de ces connu, introduirait dans la compétence bizarreries que l'histoire remarquera sans administrative même une anarchie inexdoute, en même temps que les cendres tricable? Comment pouvoir persuader à du grand homme sont troublées et comme des hommes habitués à lire, à comprenrepoussées du lieu saint auquel elles ne dre, à expliquer et à appliquer les lois, furent point en effet destinées, on refuse que le conflit, dans de pareilles circonde les rendre à celui qui s'empresse de stances est régulièrement élevé, ou plutôt les revendiquer comme sa propriété par- qu'il existe réellement? Comment conceticulière, aussitôt qu'on cesse de les ho- voir que par le motif ou sous le prétexte norer et de les respecter comme une pro- que les inhumations et les exhumations priété publique, nationale et universelle. sont placées dans les attributions de la po. Dans cette circonstance, du moins, lice (parce que la salubrité publique et le un simple particulier était en contention respect dû aux tombeaux doivent faire paravec le pouvoir; et si l'on peut s'affliger tie de sa surveillance), il peut être loisible de voir qu'ici, comme dans d'autres cas à un administrateur de police (même dans précédemment indiqués, le pouvoir est à le ressort de sa juridiction administrative) la fois juge et partie, et prononce dans d'intervenir dans une question de prosa propre cause, du moins on ne doit priété, dans l'interprétation d'une clause point s'étonner de ce que, malgré les testamentaire, et que par suite de son réclamations qui s'élèvent, le pouvoir intervention déclarée légale par le conmaintienne la décision qu'il a prise et seil d'Etat, une ordonnance royale peut refuse de modifier une mesure qu'il a anéantir les arrêts rendus par une Cour prescrite et fait exécuter. souveraine, non-seulement sur le mode d'exhumation, seule circonstance sur laquelle le conflit pût absolument porter s'il avait été formé régulièrement par un fonctionnaire compétent, mais sur le fond même

Mais que dire de l'intervention du pouvoir dans une discussion existante entre deux particuliers qui prétendent avoir des droits sur les restes d'un homme cé

(1) M. le comte de Girardin.

(4) Voyez au chapitre de l'inviolabilité de la personne du roi, section II, du conseil d'Etat,

(2) M. le comte de Corbière. (3) Voyez dans le Moniteur la séance de la la note 6, pages 150 et 151. Chambre des députės.

du droit des parties, sur la question de l'administration sera autorisée à intervepropriété, sur la dominité et la possession nir, à élever le conflit et à faire annuler, du trésor en litige?

Tel est cependant l'exemple que nous offre l'affaire relative à la possession du cœur de Grétry, que réclamait la ville de Liége et que l'héritier de ce compositeur célèbre prétendait pouvoir conserver. Telles sont les circonstances qui ont environné l'ordonnance royale en date du 2 août 1823, insérée au Bulletin des lois (1); tels sont les effets et les conséquences de cet acte du pouvoir.

sous prétexte de l'exécution de mesures de police, les décisions sur le droit, les arrêts qui auront jugé la propriété.

Certes, ceux qui rêvent le retour des anciens parlemens ont dû trouver peu de rapports entre ce conflit élevé par un administrateur de police étranger au territoire dans lequel se trouvait l'objet litigieux (conflit dont le résultat a été, en définitive, de faire annuler plusieurs décisions souveraines de la Cour royale de Ainsi, d'après la jurisprudence admi- Paris), et les arrêts de ces anciens parlenistrative que consacre cette ordonnance, mens qui mandaient à leur barre les ind'après le droit pratique dont elle est la tendans de provinces, les commissaires preuve en action, toutes les propriétés du roi, et leur faisaient des injonctions; d'affection, et notamment les restes de nos qui refusaient d'enregistrer des édits proches, de nos amis, pourront nous être royaux; qui ne reconnaissaient point ravis non-seulement malgré notre droit l'autorité des arrêts du Conseil; qui déde propriété, mais encore malgré les ar- fendaient partout avec tant d'énergie leur rêts souverains qui l'auront reconnu; et prérogative et leur compétence; et surle monument que la piété filiale aura tout entre ces actes récens qui cassent un élevé à une mère chérie pouvant rester arrêt définitif, rendu sur un testament vide de ses cendres, le fils malheureux, particulier et les arrêts anciens de ce fier dont cette triste et précieuse propriété parlement de Paris qui donnait des rois aurait pallié la douleur ou qui se serait à la France, cassait le testament de ses complu à nourrir ses regrets de ce lugu- monarques les plus absolus, et nommait bre spectacle, n'aura plus qu'à s'écrier les régens du royaume. dans l'amertume de son cœur comme le plus jeune des fils de Jacob:

« La tombe de ma mère est-elle en ces climats (2)? »

Ainsi, par voie de conséquence et par droit de suite ou d'interprétation d'actes et d'ordonnances de police, comme l'exécution d'une foule de lois en diverses matières appartient à l'autorité administrative (3), toutes les fois que des contestations particulières' se seront élevées sur des droits ou des intérêts qui se rattachent directement ou indirectement à ces matières (4), et que les tribunaux auront prononcé définitivement entre les parties et statué sur leurs prétentions respectives,

(1) Voyez le Bulletin des lois, deuxième semestre de 1823, p. 76 et suiv.

(2) Voyez la tragédie d'Omasis par M. BaourLormian.

Je borne là mes réflexions sur un pareil état de choses, sur un droit si exorbitant; mais, d'après l'exemple récent que nous avons sous les yeux, je fais des vœux sincères dans l'intérêt de la justice, dans l'intérêt du droit de propriété et aussi dans l'intérêt du pouvoir, pour que cette doctrine si étrange, et j'ose dire si peu monarchique, ne survive pas à la réforme projetée dans la jurisprudence et les attributions du conseil d'Etat (5).

Mais, dans les exemples que j'ai choisis, dans les faits que j'ai relatés, n'envisageant la propriété que sous trois aspects principaux, je n'ai parcouru qu'un cercle extrêmement circonscrit.

(4) On peut dire que ces matières sont innombrables, et que rien ne leur est étranger.

(5) Les journaux de la fin de septembre et des premiers jours d'octobre 1823 ont annoncé qu'une commission, présidée par S. Exc. M. le (3) Voyez le deuxième considérant de l'or- garde des sceaux, ministre de la justice, allait donnance royale.

s'occuper de cet important travail.

Que serait-ce si, portant mes regards vernement, sans préférence en faveur du sur toutes les matières qui peuvent ap- propriétaire du sol, peut bouleverser enpartenir ou que l'on peut rattacher, au tièrement et dénaturer, au grand préjumoyen de dispositions législatives ou ré- dice du possesseur du fond, la propriété glementaires plus ou moins précises, ou qui lui fut transmise par ses aïeux ou à raison même du silence de la législa- dont le titre non moins précieux pour lui tion, aux attributions du conseil d'Etat, est le résultat de son industrie, le fruit ou pour parler plus exactement encore de ses utiles et honorables spéculations. aux attributions de la juridiction admi- C'est alors que l'homme le plus imbu nistrative (1), je montrais cette juridic- des principes du pouvoir absolu, faisant tion étendant sa compétence sur toutes malgré lui un retour sur lui-même et sur les matières et comprenant dans son im- la mobilité naturelle des dépositaires de mensité tout ce qui de près ou de loin l'autorité, réclamerait avec force des gapeut tenir à la propriété, aux droits et aux intérêts de la masse des citoyens ?

ses

ranties en faveur du droit de propriété contre un état de choses qui, à côté des C'est alors que, sans entrer même dans droits régaliens et de l'arbitraire dans la le détail minutieux d'attributions qui tou- faculté de concéder ses propres terres, chent à tout (2), je pourrais surtout mon- champs, ses prés, ses bois, ses vergers, trer la justice administrative statuant sou- n'a pas établi, du moins pour régler déverainement, malgré tous les vices de finitivement de si grands intérêts partison organisation, toutes les lacunes de culiers, un tribunal indépendant composé sa procédure, toutes les incertitudes, les de juges connus et inamovibles, déterhésitations et les variations de sa juris- miné des formes protectrices bien fixes, prudence, sur les contestations les plus bien certaines, dans la manière de proimportantes en matière de petite et grande céder et de juger, et soumis à une discusvoirie, de bois, de navigation, d'usage sion contradictoire et publique les motifs des eaux privées, etc., et aussi relative- allégués, d'une part pour réclamer l'exment à ces trésors cachés qu'on est convenu d'appeler propriétés incomplètes (3), tels que les carrières, les mines et les minières, dont la concession, qui peut être réclamée par le premier venu et accordée suivant le libre arbitre du gou

(1) On sentira l'importance de cette distinction si l'on veut se reporter au chapitre II, section II de ce volume, dans lequel j'ai expliqué comment la volonté du ministre forme ou peut former à elle seule la décision dans chaque affaire.

propriation, de l'autre pour s'y opposer et pour la combattre, ou, en dernière analyse, pour conserver le sol à la charge d'y établir les exploitations dont il peut être reconnu susceptible, sous le rapport de l'intérêt public.

(2) Voyez, dans les ouvrages de MM. de Cormenin, Sirey et Macarel, cette immense nomenclature.

(3) Cette dénomination est fondée sur le droit régalien et la nécessité de la concession.

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