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CHAPITRE IX.

DE LA PUISSANCE LEGISLATIVE. DU CONCOURS DU ROI, DE LA CHAMBRE DES PAIRS ET DE LA CHAMBRE DES DEPUTES A SON EXERCICE. DE LA LIBERTE DANS LA DISCUSSION ET DANS LE VOTE QUI DOIT ETRE FORME PAR LA MAJORITE DES DEUX CHAMBRES.

(Art. 15 et 18 de la Charte constitutionnelle.)

SECTION I.

CONSIDERATIONS GÉNÉRALES.

L'exercice de la puissance législative Le peuple contribuait aussi à la formaest le véritable exercice de la souverai- tion de la loi. Les nouveaux réglemens neté; et l'article de la Charte qui associe étaient soumis à son examen et à son aple roi et les deux Chambres à la confection probation dans les assemblées publiques de la loi, consacre à la fois la monar- de la nation ; et il les ratifiait par la signachie tempérée et le gouvernement repré- ture de ses représentans. sentatif.

Cette forme de gouvernement est un des anneaux qui réunissent les temps anciens aux temps modernes (1).

Sous les deux premières races, lorsqu'il s'agissait de créer de nouvelles lois ou de pourvoir à ce qui pouvait contribuer au bonheur du royaume, l'usage constant était que les rois se fissent assister des conseils et des lumières des premiers personnages de la nation.

(1) Voyez le préambule de la Charte constitutionnelle.

(2) J'ai vu beaucoup d'hommes d'Etat exprimer souvent le regret que les Chambres n'aient pas en France l'initiative des lois, et déclarer

TOME V.

Le peuple pouvait même avoir l'initiative des lois. Les demandes ou projets qu'il présentait étaient soumis à la délibération des assemblées nationales (2). Le second capitulaire de l'année 803 commence par une requête présentée à Charlemagne par ses sujets et une promesse solennelle par laquelle cet empereur s'engage à exposer leur demande à la première assemblée générale (3).

Le peuple concourait par ses représen

que cette lacune est une des plus importantes qu'offre la Charte constitutionnelle, une de celles qui entraînent le plus de dangers, le plus d'inconvéniens.

(3) Voyez la fin du deuxième capitulaire de

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tans à la formation des états-généraux qui la justice ou de la faveur du monarque, plus tard, sous la troisième race, rempla- mais qui ne font point partie d'une agrécèrent les assemblées des champs de mars et de mai.

gation privilégiée, d'un ordre de noblesse, tel qu'il existait à l'époque de la convocaAinsi, c'est dans les usages des premiers tion des états-généraux en 1789. S'il en ages de la monarchie que la sagesse du résulte un sacrifice de la part de ceux qui monarque a recueilli les principes fonda- composent cette classe, ils doivent se fémentaux de notre Charte constitution- liciter d'avoir fourni ainsi leur quote-part nelle; et à ce titre, comme à tant d'autres, dans les offrandes déposées sur l'autel de les admirateurs du temps passé, les hom- la concorde, où le pouvoir absolu s'est mes des anciens jours, ne doivent pas lui-même dépouillé de ses dangereuses moins chérir et respecter son ouvrage que prérogatives pour s'environner de la force ceux dont le caractère français préfère des lois et des formes constitutionnelles. aux vieux souvenirs et aux habitudes féodales, les jouissances du présent et la gloire contemporaine.

La pairie, comme l'a si dignement exprimé le monarque, est une institution, vraiment nationale et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances (1). Si la noblesse est maintenue comme un moyen de marquer et d'établir des rangs, de conférer des honneurs, sans privilége, sans aucune exemption des charges et des devoirs de la société (2), la pairie est réellement la seule noblesse politique, la seule qui soit et qui puisse être reconnue comme formant un corps, comme commandant, à ce titre, le respect et la considération publique; hors de là, suivant le mot justement célèbre d'un fils de France (3), il n'y a point de noblesse collective, il n'y a que des nobles, qui peuvent individuellement avoir droit aux égards, s'ils honorent par leurs sentimens et leur conduite le titre honorifique qui fut conféré à leurs ancêtres ou qu'ils recurent eux-mêmes de

803, le titre XXIV du capitulaire de Louis-lePieux, année 820, la préface des capitulaires de Charles-le-Chauve, année 844, et une infinité

d'autres.

(1) Voyez le préambule de la Charte. (2) Art. 71 de la Charte..

(3) J'ai lu dans divers écrits que lorsqu'en 1817, S. A. R. monseigneur le duc d'Angoulême fit un voyage en Bretagne, les nobles d'une des villes de cette province, firent prier S. A. R. de faire à l'ordre de la noblesse l'honneur de l'admettre en sa présence. S. A. R. fit répondre qu'elle ne connaissait point l'ordre de la noblesse, mais qu'elle recevrait avec plaisir les nobles qui se présenteraient pour lui faire leur

cour.

Mais est-il bien vrai que le nouvel état de choses doive laisser des regrets à cette partie de la grande famille française? De bonne foi je ne le crois pas.

Si la haute noblesse avait jadis le privilége exclusif d'entourer le trône et de former la Cour des rois, certes sa position sous ce rapport n'a point changé; et sil'on distingue dans ses rangs quelques noms d'une illustration nouvelle, ils sont rares, et les plus exclusifs des anciennes familles n'oseraient pas sans doute répudier des titres qui, quoique nouveaux, sont consacrés par un siècle de gloire que le monarque a revendiqué et s'est approprié comme une espèce de compensation de ses malheurs personnels et de son interrègne. D'un autre côté, le cercle autrefois si étroit de la pairie s'est agrandi suivant les besoins nouveaux. Les portes en ont été, il est vrai, et sont encore chaque jour ou vertes à des Français qui ne comptent que des services rendus à la patrie, sans y

Il est fort remarquable que le même prince qui sut si bien marquer le rang des nobles dans la monarchie constitutionnelle, et autour du trône dont il est si rapproché, a su marquer aussi dans ce nouvel ordre de choses, le rang de l'armée française, et des braves qui la composent et qui la commandent, et résoudre par les faits, par sa noble confiance dans les sentimens d'honneur, et malgré les obstacles de plus d'un genre dont il dut être entouré, un pretendu problème dont les puissances étrangères aimaient à se repaître, et qu'elles se plaisaient à regarder comme difficile, celui de la bravoure et de la discipline de la nouvelle armée francaise, et de sa fidélité aux drapeaux de la patrie.

SECTION II..

SI.

joindre une longue suite d'aïeux (1); mais et offre les moyens de satisfaire une honoce n'est pas seulement aux hommes nou- rable ambition. veaux que la nouvelle institution de la pairie est profitable; peu de familles, quoique anciennes, pouvaient autrefois prétendre à cet insigne honneur, et l'innovation doit paraître d'autant plus agréa ble à ceux qui appartenaient à l'ancienne noblesse, que, dans leurs titres pour parvenir aujourd'hui à la pairie, les princes, auprès desquels ils ont un accès facile, sont nécessairement et seront toujours dis posés à leur tenir compte non-seulement de leurs propres services, mais aussi de ceux de leurs ancêtres; et c'est un avantage de leur situation particulière que ne peut pas partager avec eux le reste de la nation.

Quant à la noblesse que l'on pourrait appeler plébéienne, non pas à coup sûr pour lui attribuer des sentimens moins élevés, mais pour la distinguer de la noblesse de Cour, et parce qu'étant plus nombreuse, elle comptait une très grande quantité de ses membres qui ne pouvaient pas vivre noblement dans l'acception alors reçue (2), elle n'a assurément rien à regretter du temps passé. A la place de quelques priviléges souvent très peu profitables pour elle, et seulement humilians pour ses voisins, elle peut, sans déroger, occuper tous les postes financiers ou autres emplois salariés, qui lui procurent à la fois de l'autorité et de l'aisance. Si dans les pays d'états elle venait siéger en ordre, elle peut aujourd'hui prendre rang dans la Chambre des députés lorsque les suffrages électoraux l'y appellent. Le gentilhomme qui n'aurait pu aspirer autrefois qu'à une lieutenance, à un canonicat ou à un poste obscur et sulbalterne dans l'administration, peut briguer aujourd'hui le ministère, si ses talens le font remarquer; et c'est particulièrement à ceux-là que la tribune nationale, d'ailleurs si précieuse pour les libertés publiques, quand l'accès en est libre, ouvre les portes de la fortune

(1) Voyez notamment les ordonnances du roi du 5 mars 1819, du 13 déc. 1821, etc., etc.

(2) Et moi qui, soutenant mon titre héréditaire, Vis honorablement, noblement à rien faire,

Mais les vœux ou les regrets d'une classe de citoyens ne sont pas ce qu'il importe d'examiner ici.

Les trois élémens, les trois principes qui concourent à la puissance, législative remplissent-ils entièrement leur destination? voilà ce qui est du plus haut intérêt.

On doit croire que le principe monarchique reçoit tout son développement; cependant quelques circonstances remarquables pourraient inspirer des doutes à cet égard. En effet,ce principe n'éprouvet-il, par exemple, aucune atteinte de l'abandon total et de l'oubli absolu dans les archives d'une Chambre, d'un projet de loi présenté au non du roi et que les ministres n'auront pas retiré d'après sa volonté exprimée ? J'avoue que la réponse à cette question ne me paraît pas susceptible d'un doute, et qu'en pareil cas le principe monarchique me semble frappé d'une atteinte dangereuse, si un projet non retiré n'a dondé lieu à aucun rapport, à aucune discussion. Cependant les sessions législatives en offrent des exemples, et l'on a vu notamment qu'il en a été ainsi pour le projet de loi présenté, à la session de 1823, par S. E. le ministre des finances, pour la dotation de la Chambre des pairs.

Alléguerait-on que cet oubli a été volontaire, et qu'il a eu lieu d'accord avec les ministres ? Cela ne change rien à la question; ce qui s'est fait de concert, mais par un arrangement tacite, formerait un précédent dangereux dont rien ne constaterait le motif, et qui pourrait, par conséquent, être invoqué comme un

Je ne m'enrichis pas, je suis toujours gêné; Comme moi, tout le monde en doit être étonné. (Voyez Helvétius, ou la Vengeance d'un Sage, comédie en vers de M. Andricux, rôle du baron.)

Mais en est-il ainsi sous le second rapport? Chacun sait qu'il n'en est rien.

droit de la Chambre; et si ce qui s'est Chambre, on doit croire qu'elle ne laisse pratiqué ainsi dans telle ou telle occasion rien à désirer. pouvait être reconnu comme un droit, le principe monarchique serait réellement menacé dans son concours à la puissance législative par la force d'inertie dont les Chambres se trouveraient armées contre les propositions du gouvernement du roi. Cette observation, qui ne s'applique qu'à une espèce, mais à une espèce fort remarquable, peut suggérer des observations sur d'autres points, et elle suffit pour démontrer que du moins dans le cas indiqué, il semble y avoir lacune dans la législation ou dans les règlemens des Chambres.

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beaucoup de nobles pairs ruinés par les Parmi les plus grands noms anciens, désastres de la révolution, ont à peine conservé des moyens d'existence; et parmi les pairs dont l'illustration est plus récente, il en est de même dont la fortune (et c'est un beau trait dans leur histoire) n'est nullement à la hauteur des fonctions qu'ils ont remplies, des postes qu'ils ont occupés. Dans l'un et l'autre cas, le budget de cette Chambre permet au monarque de réparer les torts de la fortune, et cela ce pratique ainsi. Mais quelque honorables que soient les dons et les largesses du prince, ce mode arbitraire de distribution est-il digne de la haute position sociale de la Chambre des pairs? Il est permis d'en douter; et rien ne me semble moins aristocratique que des traitemens temporaires ou des pensions viagères.

met à aucun de ces illustres citoyens de Je sais fort bien que l'honneur ne pertransiger avec leurs devoirs, et qu'aucun d'eux n'est capable de transiger avec l'honneur; mais, comme on ne saurait trop le répéter, les hommes passent et les institutions seules restent.

La Chambre des pairs où réside essentiellement et, pour ainsi dire, uniquement le principe aristocratique (dans l'ordre constitutionnel), doit offrir l'ensemble des conditions nécessaires à son existence. Ce n'est pas seulement pour elle-même que son organisation réclame des garanties, c'est aussi pour le trône, dont elle doit être un des plus fermes appuis, et pour les libertés publiques, dont la défense lui est également confiée, et qui doivent trouver dans son sein des sen. tinelles vigilantes postées entre le trône Après la mort d'Henri IV, lorsque Sully et le peuple, et toujours prêtes à éclairer le se fut banni d'une cour où il eût peut-être monarque sur les abus que pourrait com- été difficile désormais de se faire comprenmettre son gouvernement. C'est de l'équi- dre, les économies du bon roi devinrent libre des pouvoirs que doit naître l'ordre, la proie d'avides favoris, et de pareils c'est par lui qu'il doit se maintenir; et la exemples ne doivent pas être perdus pour Chambre des pairs, qui est une des branches ses augustes successeurs. du trépied politique, est donc, comme chacune des autres, une des grandes bases de la liberté et du bonheur du peuple.

Déjà ce grave inconvénient a été signalé avec autant de talent que d'énergie dans le sein des deux Chambres; déjà même le président actuel du conseil des ministres La haute considération qui naît d'une a présenté à ce sujet un projet de loi qui illustration ancienne ou de services émi- faisait espérer des remèdes prochains à nens, et l'indépendance que supposent un mal qui me paraît immense : mais les une fortune suffisante et des revenus fixes discours sont oubliés malgré leur éloet invariables, sont, à ce qu'il me sem- quence, le projet de loi est précisément ble, les élémens constitutifs de la Cham- un de ceux qui sont restés ensevelis dans bre des pairs. les cartons de la Chambre des députés, Sous le premier rapport, et quoique et les choses n'ont éprouvé aucun chanbeaucoup de supériorités anciennes et modernes soient restées en dehors de cette

gement.

Le projet présenté était-il insuffisant,

imparfait! Il ne m'appartient point de concerne l'admission ultérieure dans la juger une telle question. Chambre des pairs, de ceux que le roi juMais ce que je crois devoir dire, parce gera à propos d'élever à cette dignité. que je pense ainsi, c'est que le projet de Mais plusieurs exemples prouvent que Sa doter la Chambre des pairs et de la doter Majesté, par des motifs puisés dans sa convenablement est à mes yeux une des bienveillance paternelle, croit devoir faire pensées les plus monarchiques et à la fois des exceptions à son ordonnance, et disles plus populaires qu'il soit possible de penser ceux qu'elle a élus de l'accomplis manifester, et que le gouvernement éta- sement préalable des dispositions prescribli théoriquement par la Charte ne me pa- tes; et ces exceptions, fussent-elles peu raîtra réellement constitué que lorsque la nombreuses, n'en perpétueraient pas Chambre des pairs et, si l'on veut, lorsque moins, relativement à ceux qu'elle conl'aristocratie politique qu'elle représente cernent, la position incertaine et variable aura dans l'Etat une consistance plus forte, à laquelle le bien public semble exiger une base plus large, enfin une allure qu'on substitue une fixité rassurante. évidente de fixité et d'indépendance. C'est ici, sans doute le point délicat de la Mais comment atteindre ce but sans question, parce que le roi faisant des pairs porter atteinte à la prérogative royale à volonté et ayant admis des exceptions à d'après laquelle le prince peut créer des la nécessité de l'institution préalable du pairs à volonté ? C'est là sans doute le majorat, le cas que nous examinons peut problème qui se présente; la solution se représenter fréquemment. Mais les toutefois n'en paraît pas insoluble. Déjà droits du roi ne resteraient-ils donc pas une ordonnance royale veut que, pour dans leur intégrité si les pairs qu'il aurait être admis à siéger à la Chambre des pairs, nommés et dispensés du majorat préalable chaque nouveau titulaire ait créé préala- étaient admis à la Chambre des pairs, blement un majorat à l'un des titres atta- et jouissaient de tous les honneurs, prichés la pairie; cette ordonnance recon- viléges et prérogatives attachés à la dinaît donc évidemment et consacre par gnité de pair, sauf à n'avoir voix délibéses dispositions le principe dont l'appli- rative que lorsque le roi aurait pu leur cation nous paraît indispensable. Le roi conférer une des dotations qui auraient n'a donc pas cru entraver l'exercice de fait retour, ou qu'eux-mêmes auraient acsa puissance en imposant généralement quis les moyens de créer le majorat? C'est cette condition. Il ne s'agirait donc, pour ainsi que les choses se passent à l'égard rentrer dans la ligne qui nous semble de- des pairs âgés de vingt-cinq ans qui ont voir être suivie, que d'étendre aux anciens dès-lors entrée à la Chambre, mais qui pairs ce qui doit se pratiquer pour les n'ont voix délibérative qu'à trente; et si la nouveaux, et de créer dès à présent un maturité de l'âge est une condition imnombre suffisant de dotations pour les périeusement exigée au-delà même des pairs précédemmnt déclarés héréditaires bornes généralement prescrites pour les sans condition d'institution préalable du actes les plus importans de la vie sociale majorat, tels que les anciens sénateurs et pour les fonctions publiques; s'il a et ceux aussi qui, ayant recouvré la di- paru indispensable de sortir des règles gnité de pairs ou y ayant été appelés de- communes pour prémunir tous les pairs puis la restauration, ne possèdent pas par contre l'espèce d'influence que peut preneux ou leurs fils héritiers de la pairie une dre une expépience plus ancienne sur une fortune suffisante pour instituer le majorat raison moins exercée, quoique déjà parveà leurs dépens. nue à son degré de perfection, serait-il donc moins nécessaire d'exiger de chacun de ces augustes dignitaires, avant qu'ils pussent prendre une part active aux actes de la législation et s'associer aux affaires publiques, une garantie équivalente contre l'influence également pos

Le projet de loi dont j'ai déjà parlé pourvoyait en partie à cet objet. Mais il ne déterminait rien pour l'avenir, et sous ce rapport il était incomplet. L'ordonnance du 25 août 1817 peut à la vérité être considérée comme ayant réglé ce qui

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