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cet exemple prouve, entre beaucoup plètes lorsque celui qui les rédige ou les d'autres, que les lois les mieux conçues, discute n'a pas présent à l'esprit l'ensemles plus sagement combinées, courent ble de la législation sur la matière dont il toujours le risque d'être au moins incom s'occupe.

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CHAPITRE XV.

DU DROIT DE PETITION.

(Art. 53 de la Charte constitutionnelle; art. 21 de la Constitution belge.)

La publicité étant de l'essence du gouvernement représentatif, et la responsabilité ministérielle étant consacrée par la Charte, le droit de pétition à l'une ou l'autre Chambre, est une conséquence nécessaire de cet ordre de choses.

C'est dans son exercice que la masse de la nation peut trouver les moyens d'éclairer ses mandataires sur les infractions qui peuvent être commises contre la Charte et contre les lois, que les particuliers peuvent fixer l'attention de la puissance législative sur les vexations individuelles dont les autorités locales se rendraient coupables, soit spontanément, soit en obéissant à des ordres supérieurs, et qu'ils peuvent espérer d'en obtenir le redressement et d'en prévenir le retour. C'est aussi par la voie des pétitions que les désirs, les inquiétudes ou les craintes du peuple peuvent se manifester régulièrement et éclairer le gouvernement sur l'opinion publique, sur les besoins généraux de la population, sur les intérêts des localités.

(1) Voyez Blackstone, sur les lois anglaises, chapitre des Droits absolus des individus ; la constitution d'Angleterre, par Georges Custance, même chapitre, in fine, etc.

« Chacun a le droit d'adresser aux autorités publiques des pétitions signées par une ou plusieurs personnes. Les autorités constituées ont seules le droit d'adresser des pétitions en

TOME V.

Le recours par pétition au roi ou aux Chambres du parlement, est au nombre des droits qui appartiennent en Angleterre à chaque individu, et l'exercice en est réglé d'une manière conforme aux mœurs et aux usages de ce pays (1). Il est beaucoup moins circonscrit qu'il ne l'est par la Charte française * *.

Mais les restrictions même que le royal auteur de la Charte a cru devoir y appor ter, doivent concourir à maintenir et à conserver chez nous ce droit dans sa pureté; et la nation est intéressée à ce qu'on n'y porte pas atteinte.

Le droit de pétition, consacré par les constitutions successives que la France a reçues depuis 1791, ne prend pas seulement sa source dans les habitudes modernes ou dans les usages de l'Angleterre : on peut considérer qu'il ne se rattache pas moins aux anciens usages de la monarchie.

Ainsi, les doléances que les peuples déposaient dans des cahiers confiés au zèle et à la loyauté de leurs députés à

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l'Assemblée des notables ou aux États- »> l'administration et à avilir les agens de généraux, n'étaient en effet que l'exer- » l'autorité.

cice du droit de pétition; et les remon- » Autant l'exercice prudent et paternel trances énergiques que, depuis si long-» de cette attribution concilie aux deux temps, les parlemens firent entendre aux » Chambres la vénération et la reconrois de France, n'étaient que l'usage du »> naissance nationale, autant la légèreté, droit de pétition que ces grands corps » l'injustice de leurs décisions tendraient judiciaires et politiques exerçaient au nom » à les déconsidérer et feraient perdre du peuple, dont la voix aurait alors été » aux actes émanés de leur puissance cette étouffée, s'ils ne s'en étaient rendus les » force d'opinion, ce sentiment de respect, interprètes (1). >> qui commandent l'obéissance et pré» viennent le murmure (3). »

«S'il est un droit protecteur de la li»berté, s'il est un garant contre l'abus Les deux parties de ce discours me sem» de la force et une sauvegarde contre blent exprimer tout à la fois et dans les » les coups d'autorité et l'envahissement termes les plus précis, l'importance da >> progressif du pouvoir; s'il existe enfin droit de pétition, la manière dont il doit » dans la Charte une barrière constitu- et peut être exercé, le but dans lequel il >>tionnelle contre l'ambition et le despo- a été inscrit au nombre des garanties con» tisme, c'est dans le droit de pétition stitutionnelles, et l'étendue comme les >> qu'on les trouvera, parce que c'est là » que l'intérêt personnel, placé en senti»> nelle vigilante, s'empresse de signaler » aux deux Chambres tout acte arbitraire, >> toute mesure injuste, et leur offre à >> chaque instant l'occasion d'exercer cette >> surveillance légale que la Charte leur a >> conférée comme la plus noble, la plus >> sacrée, la plus paternelle de leurs attri

>>butions. >>

Ainsi s'exprimait à la séance de la Chambre des députés du 28 novembre 1816, l'une des colonnes du côté droit de cette Chambre, l'un de ses orateurs les plus remarquables par son énergie et par l'indépendance de ses opinions (2).

limites du pouvoir dont les Chambres sont investies à cette occasion. Heureux de trouver dans les discours même des membres de la Chambre des députés, une définition si juste et si exacte du droit de pétition, je me félicite surtout qu'elle me soit offerte par un député qui n'a point été jusqu'ici et n'est point encore investi de l'autorité; qui, d'après les comptes rendus des séances de la Chambre où il siége, n'a jamais eu l'habitude de flatter les dépositaires du pouvoir, et dont l'opinion ne peut avoir varié sur une disposition aussi essentielle, aussi importante, de notre loi fondamentale.

tion.

J'ai bien vu dans un discours prononcé « Mais, ajoutait-il, autant l'exercice le même jour, des observations très sages >> prudent et modéré de cette attribution et très remarquables sur le droit de peti» est utile pour maintenir la puissance » dans les bornes de la loi, autant l'abus « Il s'agit, y est-il dit, d'une question >> en serait funeste et conduirait promp- » très importante, c'est de savoir quel >>tement les Chambres à désorganiser » doit être le résultat du droit de pétition

» ver la voix en faveur du peuple, et V. M. » ne veut point enlever cette dernière res

(1) « Les Cours, aujourd'hui, disait l'illustre >> Malesherbes, peuvent seules protéger les fai»bles et les malheureux; il n'existe plus depuis » source. » >> long-temps, d'Etats généraux, et, dans la >> plus grande partie du royaume, d'Etats pro> vinciaux. Tous les corps, excepté les Cours, >> sont réduits à une obéissance muette et pas>sive. Aucun particulier, dans les provinces, » n'oserait s'exposer à la vengeance d'un com» mandant, d'un intendant, et encore moins à > celle d'un des ministres de V. M.; les Cours (3) Voyez le discours cité à la note i de cette » sont donc les seules à qui il soit permis d'éle- page.

le discours de M. le comte de La Bourdonnaye, (2) Voyez au Moniteur du 29 novemb. 1816, M. Decazes, alors ministre de la police générale, sur la pétition de Mlle Antoinette Robert contre relativement à l'arrestation de son père, et à la suppression du journal dont il était l'éditeur.

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» et de son libre exercice. Un orateur a » ministre qui couvre la France de ses » demandé si, sur la foi d'un simple par- » agens, peut pénétrer par leur moyen jus>> ticulier, vous pouvez demander à un » que dans l'intérieur de nos familles, dans >> ministre des renseignemens sur un de» le secret de nos correspondances; d'un » ses actes. Il ne faut pas en demander, » ministre qui tient sous son influence tou» sans doute, s'ils ne peuvent vous con- » tes les presses du royaume, et joint à » duire à aucun résultat ultérieur qui soit » tant de puissance le droit d'arrêter sur » dans vos attributions; mais quand il » un soupçon et de détenir sans preuves. >> peut en résulter un acte de la Chambre, » Je vote avec mes amis pour que le » ces renseignemens peuvent et doivent » président de la Chambre soit chargé de » être demandés. Un ministre est accusé » demander au ministre les renseigne>> d'avoir porté atteinte à la liberté indi- » mens nécessaires pour que nous puis» viduelle: il en résulte que, si le fait est »sions prononcer avec connaissance de >> vrai, vous pouvez avoir à prendre une » cause sur la pétition soumise à notre » mesure ultérieure dans votre sagesse; » délibération (3). >> >> les faits doivent donc ici être éclairés Je remarque enfin que d'autres orateurs » et examinés : les renseignemens donnés qui parlaient en faveur de la réclamation » ou refusés doivent vous conduire à un de la demoiselle Robert, s'accordaient à » résultat nécessaire; vous devez donc reconnaître et à proclamer que « le droit » demander des renseignemens. On dit » de pétition est trop sacré pour que son » que ceux qui ont été obtenus ont paru » exercice ne mérite pas toute l'attention » suffisans. Jusqu'ici, je ne vois que des » des Chambres (4). » >> communications qui ont été faites avec >> plus ou moins de bienséance; mais je ne » vois point de réponse officielle (1). »

Je trouve aussi dans un discours prononcé à la séance du lendemain, les paragraphes suivans, qui certes contiennent une doctrine bien précieuse sur la théorie et l'exercice du droit de péti

tion :

Des trois derniers orateurs que j'ai cités, deux à la vérité ont été deux fois ministres depuis cette époque, et tiennent encore des portefeuilles; mais puisque j'ai aussi leurs discours pour garans de mes assertions sur la protection et le respect qui doivent environner le droit de pétition, je ne puis me persuader que, par suite du changement opéré dans leur « Je ne préjuge rien, dit l'orateur, position, leur doctrine se soit rapprochée >> sur ces accusations (celles que contenait » la pétition de la demoiselle Robert); >> mais je demande qu'avant de les décla» rer fausses en passant à l'ordre du jour, » vous vous assuriez qu'elles ne sont pas » fondées, qu'avant d'annuler le droit » de pétition, par un ordre du jour, sans » motif éclairé, vous considériez que, » dans l'état actuel de notre législation pro» visoire, c'est le seul droit qui nous reste » pour défendre tout ce que nous avons de plus sacré (2), contre la puissance d'un

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(1) Voyez le discours de M. de Corbière, sur la pétition de la demoiselle Robert, à la séance du 28 novembre 1816 (Moniteur du lendemain, 29).

(2) Il est fort remarquable que ces expressions sont, à peu de chose près, le mêmes et expriment absolument les mêmes idées que les

de celle des orateurs qui siégeaient alors au banc des ministres, ou qui votaient avec eux, et qu'ils soient disposés aujourd'hui à considérer comme une interversion de toutes les idées constitutionnelles sur les limites des pouvoirs, sur les communications des Chambres entre elles et des Chambres avec le roi, la demande de renseignemens qui serait faite au nom de la Chambre des députés à un ministre du roi, à propos d'une pétition et d'une réclamation individuelle; je ne puis croire

remontrances des parlemens. (Voyez plus haut dans ce chapitre, page 282, la note 1.)

(3) Voyez le discours de M. de Villèle, sur la pétition de la demoiselle Robert, à la séance du 28 novembre 1816 (Moniteur du 30).

(4) Voyez le discours de M. Piet, à la séance du 28 novembre 1816 (Moniteur du 30 novembre 1816).

qu'ils voulussent contester formellement aux Chambres, le droit d'interroger les ministres, ou qu'ils soutinssent que l'article 53 de la Charte, relatif au droit de pétition, présente plutôt l'idée d'une action morale sur l'opinion des Chambres, que celle d'une action publique et nécessaire (1).

Certes, si le royal auteur de la Charte n'avait pas prescrit par cette disposition qu'une loi spéciale serait faite pour régler l'exercice du droit qu'il consacrait en principe, ce n'est pas ainsi qu'il se serait exprimé, et l'article de la Charte aurait dit simplement : il est interdit, etc.

Mais le besoin d'une loi sur cette matière était évident; et, au lieu d'en indiquer les diverses parties, ce qui n'était pas compatible avec la nature d'une charte, qui ne doit contenir, en quelque sorte, que des principes généraux, des bases fondamentales, le royal législateur s'est borné à déterminer, en exprimant le droit, une prohibition importante qu'il

Je considère donc que, dans ces séances mémorables, les vrais principes sur le droit de pétition ont été définitivement et irrévocablement fixés. Et quoique la pétition de la demoiselle Robert n'ait amené à cette époque qu'une décision d'ordre du jour, je trouve dans la discussion à laquelle elle donna lieu, la preuve évidente que si les circonstances particuliè- a considérée, avec raison, comme étant res ne parurent devoir provoquer aucune mesure de la part de la Chambre, son droit d'intervenir à l'occasion d'une pétition, et de demander aux ministres des renseignemens sur l'objet auquel elle est relative, ne saurait être contesté, et que le triomphe de ces principes est d'autant moins douteux en ce moment, qu'ils furent unanimement invoqués par les hommes qui sont investis aujourd'hui du pouvoir.

Toutefois, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, toute garantie qui ne se fonde que sur la présence et l'opinion de tel ou tel homme, est absolument insuffisante, ou plutôt elle n'existe pas; et puisque beaucoup d'argumens contraires furent alors mis en avant, puisque ces argumens eurent même alors un plein succès, du moins par le fait, ne devient-il pas nécessaire de consacrer par une loi ou au moins par des réglemens particuliers de chaque Chambre le mode d'exercice du droit de pétition?

La nécessité d'une loi résulte même de l'article de la Charte qui parle des pétitions à l'une ou l'autre Chambre, puisqu'il y est dit que la loi interdit de les présenter à la barre.

(1) Voyez les Moniteurs des 29 et 30 novembre 1816, notamment le discours de M. le ministre de l'intérieur, et ceux de MM. Courvoisier et Bellart, députés.

(2) Voyez les pétitions de la session de 1819 à 1820, époque où un nouveau système électo

d'un intérêt majeur, et il a laissé le reste dans le domaine des lois organiques, sans lesquelles une foule de dispositions constitutionnelles doivent rester dépourvues de moyens d'exécution et frappées de stérilité.

Il y a donc évidemment lacune sur ce point comme sur tant d'autres, et le besoin d'une législation protectrice se fait surtout sentir lorsqu'on voit que des pétitions signées des citoyens les plus recommandables, des hommes les plus utiles au pays, les plus dévoués à la légitimité et à la monarchie constitutionnelle, peuvent devenir l'objet d'une sorte d'investigation inquisitoriale, et même d'une censure publique, quand elles contrarient les opinions et les vœux de la majorité es exercice au moment où elles paraissent (2).

Cependant, si quelquefois des pétitions peuvent être conformes à l'opinion dominante, et dans le sens du pouvoir, il est certain qu'elles perdent alors leur véritable caractère, pour revêtir celui d'une flatterie spontanée, ou d'une approbation de commande.

Quand on n'a rien à demander, quand on n'a aucune réclamation à former, aucune plainte à faire entendre, aucune

ral fut introduit par la loi du 29 juin 1820.

Voyez aussi les rapports présentés à la session de 1822, sur quelques pétitions tendantes au maintien de la paix, dans lesquelles on exprimait des craintes à l'occasion de la guerre d'Espague, alors imminente.

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