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voyé (1). Tous les journaux ont rendu a de nombreux et graves partisans en compte de l'acquittement prononcé par Angleterre, elle y trouve aussi de redoula Cour d'assises de la Seine-Inférieure, tables adversaires (3), et il est assez génésur une déclaration unanime du Jury en ralement reconnu que, malgré l'extrême faveur d'un négociant de Caen, accusé faveur dont je crois que ce système jouit d'un prétendu faux dont il avait été dé- en Angleterre, auprès de la masse de la claré coupable à l'unanimité aux assises du nation, lorsque des Anglais sont pressés Calvados. Un autre fait de même nature par les objections sans nombre dont l'uest rappelé dans le cours de ces Observa- nanimité est susceptible, leur réponse tions (2), et ces exemples, entre beaucoup unique est celle de l'existence; et de d'autres semblables, prouvent non-seule- l'existence fort ancienne de ce système (4). ment que ma supposition est vraisembla- Il paraît certain au surplus qu'en Angleble, mais encore qu'elle se reproduit assez fréquemment.

Si la loi de l'unanimité, examinée soigneusement, de sang-froid et avec impar tialité, est loin d'offrir tous les avantages dont on a voulu l'environner, et n'est pas exempte d'inconvéniens graves, est-elle du moins possible, est-elle praticable? Ici, les partisans de l'unanimité absolue et sans modification s'empressent d'alléguer l'antique usage de l'Angleterre, qui se trouve appuyé de l'exemple récent de la législation des Etats-Unis d'Amérique.

Les faits sont sans doute d'un grand poids, et cette autorité ne peut être récusée; mais les faits prouvent ce qui est, et ne démontrent pas que ce qui est soit bon, soit préférable à tout. Si l'unanimité

(1) Voyez t. III, p. 228 et 229. (2) Voyez, page 29, à la note. (3) Voyez les regrets qu'exprime à l'occasion des attaques dirigées contre l'unanimité, Sir Richard Philipps, dans son ouvrage sur les Pouvoirs et les Obligations des Jurys, chap. V, p. 131 et suivantes, traduction de M. Comte.

terre, cette unanimité, formée par l'effet d'une convention faite à l'avance, n'est ordinairement que fictive et se réduit à une fausse apparence.

Mais qui ne sait d'ailleurs que dans les vicilles constitutions, leurs vices mêmes font partie de leur existence, et les conservent, et qu'ils ne cessent pas pour cela d'être des vices? Mais, ainsi que le disait Adrien Duport, au sein de l'assemblée constituante, dans son rapport sur le Jury, lorsqu'on établit des lois au milieu d'un siècle de lumières, il est impossible de chercher des bases ailleurs que dans la nature, la justice et la raison (5) : ce sont là les seules bases communes à tous les hommes, et les seules auxquelles on puisse constamment les rallier et les unir (6).

plus propres à l'objet de leur destination. Qu'on dise que ces affreuses décisions sont dues à la permanence du prétendu Jury, et que les résultats auraient été différens, même à cette funeste époque, si les Jurės avaient été renouvelés chaque semaine ( voyez le même ouvrage, pages 8 et suivantes), l'observation pa(4) N'est-on pas étonné, par exemple, de voir rait très juste; cependant si, au lieu d'ètre alléguer comme une preuve irrécusable de la tirés au sort, les Jurés d'alors avaient été choinécessité des déclarations unanimes du Jury, ce sis par une autorité du moment, je doute que qui s'est passé en 1793 et 1794 au tribunal ré- la différence eût été remarquable, parce que volutionnaire de Paris, et prétendre que si l'u- les choix auraient été conformes à l'impulsion, nanimité avait été exigée alors, les assassinats à la direction du pouvoir; et cette considérajudiciaires n'auraient pas eu lieu? ( V. des Pouvoirs et des Obligations des Jurys, par Sir Richard Philipps, traduction de M. Comte, pages 134 et suivantes. ) Cette assertion est évidemment fausse, puisque, dans l'état de désordre et d'anarchie qui existait, il eût été facile de choisir douze individus pensant et agissant de la même manière, et que, si un premier choix avait trompé les calculs, les récalcitrans, après avoir payé de leur tète la plus légère opposition, auraient été remplacés par des individus

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tion, qui s'applique à tous les temps comme à tous les dépositaires de l'autorité, est sans doute encore un argument bien puissant en faveur du sort el contre le choix. (Depuis que cette note a été écrite, en 1819, mon opinion n'a point varié sur les effets que doit produire le choix des Jurés par des délégués de l'autorité, et surtout par des fonctionnaires amovibles.)

(5) C'est par ce motif que le nouveau projet de loi doit paraître si étrange aujourd'hui. (6) Si, comme le reconnaissent les partisans

l'idée de voir un juge seul condamner un accusé au dernier supplice (2)?

Je crois avoir établi par des raisons d'une grande force que la règle absolue de l'unamimité dans la déclaration du Jury ne doit point être appliquée à la France, et que le fait de son existence réelle ou fictive en Angleterre ne prouve rien en faveur d'une opinion contraire; mais opposons maintenant des faits à l'argument de fait sur lequel on se fonde.

Que d'établissemens, d'usages, de coutumes ont d'ailleurs reçu chez nos voisins la sanction du temps, qui n'en doivent pas moins être repoussés par nous avec force, avec persévérance! Leur législation pénale, par exemple, est incohérente, barbare; elle prodigue la mort à de simples délits; elle n'a point, à proprement parler, d'existence réelle, puisqu'une foule de crimes et de délits sont punis à la discrétion de la Cour (1). Faut-il, pour cela, brûler notre Code pénal au lieu de le ré- Si en Angleterre on exige l'unanimité, former, de le modifier encore, et faire la théorie des preuves et de la conviction revivre l'ancienne jurisprudence des par- de ce qui fait charge et de ce qui n'en lemens, ou adopter à cet égard les règles fait pas n'est pas laissée, comme chez anglaises? Faut-il, en expiation de la nous, dans une indétermination absolue. suppression des tortures et des supplices Blackstone et les autres publicistes et cricruels, introduire chez nous le jugement de Penance, parce que les Anglais le conservent religieusement dans leurs lois? Mais si je m'éloigne de ces usages qui attestent l'origine barbare de la législation anglaise, pour fixer mes regards sur une de leurs institutions dont les effets sont vraiment admirables chez eux, celle de ce corps de juges dont les membres se répandent en Angleterre sans qu'il fût possible de à des époques fixes dans les divers comtés l'établir en France, puisque la loi ne dit de l'Angleterre, et dont les lumières, la point au Juré français comme au Juré anhaute sagesse, l'inaltérable impartialité, glais : Vous tiendrez pour vrai tout fait généralement reconnues, les font confon- attesté par tel ou tel nombre, telle ou telle dre, dans la pensée de chaque Anglais, espèce de témoins, puisqu'elle ne lui dit pas avec la justice même dont ils sont les di- non plus, comme elle le dit au Juré angnes organes; ne rencontré-je pas les glais: Vous ne regarderez pas comme sufmêmes motifs pour ne point essayer de fisamment établie toute preuve qui ne sera réaliser en France un pareil établissement, pas formée de tel procès-verbal, de telles malgré les merveilleux effets qu'il produit pièces, de tant de témoins ou de tant d'insur un sol voisin? L'étendue du territoire dices, et qu'elle se borne au contraire à français et la diversité des dialectes, n'of- lui dire : Avez-vous une intime convicfriraient-elles pas chez nous, à cet égard, tion? des obstacles insurmontables, quand Mais cette différence, quelque décisive même le Français ne serait pas révolté à qu'elle soit, n'est pas même la scule qui

minalistes anglais nous apprennent que la doctrine sur l'évidence ou la bonté des preuves est la même, à beaucoup d'égards, en matière criminelle qu'en matière civile, que quelques statuts qu'ils citent y ont mis seulement des différences; et cette circonstance suffirait pour prouver que l'unanimité du Jury pourrait être exigée

de l'unanimité, cet usage remonte aux temps où pour exiger d'un homme probe, éclairé et lié les Jurés étaient appelés chez nos pères à soute- par la foi du serment, le sacrifice de son opinion, nir leur jugement par le combat, il faut conve- de sa conviction, qu'il n'y en a pour en revenir nir que cette époque n'était pas celle de la civi- aux combats judiciaires, aux jugemens de Dieu. lisation; que ces siècles n'étaient pas des siècles (1) Voyez Blackstone, Delolme, Richard Phide lumières ; et que si alors on regardait comme déloyal le Juré qui persistait à refuser son assen- (2) Voyez, sur la proposition de l'établissetiment à l'avis qui prévalait, de même qu'on te- ment des préteurs dans le projet de Code criminait pour innocent l'accusé qui combattait avec nel, les observations des tribunaux d'appel et succès, il n'y a pas plus de raison aujourd'hui des tribunaux criminels de France.

lipps,

etc.

rende impraticable en France la loi ab- tions peuvent satisfaire, et qui les préfèsolue de l'unanimité. rent à la réalité.

Pour nous, revenons à cette sage moEn Angleterre, la déclaration du Jury se borne à ces mots, coupable ou non cou. dification qu'avait introduite la loi du 19 pable, sauf le cas des verdicts spéciaux, fructidor an V, et qu'une loi nouvelle qui s'éloignent encore plus de la méthode contienne la disposition suivante : Penfrançaise. Chez nous, au contraire, outre dant vingt-quatre heures la décision du sa déclaration sur le fait principal, le Jury ne pourra se former pour ou contre Jury doit s'expliquer sur les circons- l'accusé qu'à l'unanimité; après ce temps tances caractéristiques ou aggravantes du il suffira de la majorité absolue pour procrime, sur les faits d'excuse ou même noncer la culpabilité. Par ce moyen, nous sur ceux qui excluent ou atténuent la aurons tous les avantages de l'unanimité, culpabilité, comme l'état de démence au et nous en éviterons tous les écueils. temps de l'action, la défense légitime, la La disposition que je propose est conprovocation violente, le discernement, etc. ; forme à celle qui se trouvait dans la loi et cette méthode me paraît bonne à con- de fructidor an V. Je dis qu'il suffira de la server. Cependant, comment la concilier majorité absolue, et j'avoue que, lorsavec la loi de l'unanimité? N'est-il pas qu'après une délibération de vingt-quatre évident que cette unanimité, fùt-elle heures, sept Jurés sur douze persistent toujours possible sur le fait principal, ce dans la conviction de culpabilité, il me que je ne saurais admettre, serait fré- semble que la masse des probabilités est quemment impossible sur tant de modifi- suffisante; car il est presque certain qu'aucations de ce fait; et qu'à moins de dé- cun des cinq Jurés qui ne se réunissent truire tout ce qui existe, et de changer pas alors à la majorité n'est convaincu de en même temps, non-seulement toute l'innocence de l'accusé, et que tous connotre législation criminelle, tous nos servent seulement à cet égard un doute usages, mais aussi toutes les idées reçues que leur conscience timorée et leur proen France sur cette partie, il faut renon- bité les empêche de sacrifier à une opicer à y faire admettre l'usage anglais, nion contraire, mais qui ne balance point comme une règle absolue? la profonde conviction de chacun des sept Jurés formant la majorité. J'ajoute même que j'aperçois des inconvéniens dans tout système qui, lorsque l'unanimité est impossible, n'accorde pas à la majorité absolue, résultant de deux voix, le droit de former la décision, et fait prévaloir l'avis de la minorité. Cependant, comme la vie, l'honneur et la liberté des citoyens ne sauraient être trop protégés rentes à la faiblesse humaine, si le légiscontre les erreurs possibles qui sont inhélateur exigeait, pour la condamnation, que la déclaration du Jury fût formée par une majorité de huit voix, il donnerait une plus grande sécurité à l'innocence, et cette mesure d'indulgence coïncidant avec une nouvelle organisation des Jurés, avec un nouveau système de formation des listes, avec un nouveau mode de position des questions, avec quelques améliorations dans l'instruction criminelle, avec quelques modifications reconnues nécessaires dans la théorie et

Que conclure donc de cette discussion? Que l'unanimité dans la déclaration du Jury doit être rejetée de nos lois ?... Non assurément; car toutes les fois qu'elle est spontanée et réelle, l'unanimité est préférable à tout : elle est même désirable; et certes elle ne peut être que fort avantageuse toutes les fois qu'elle est possible. C'est un motif suffisant pour la rechercher, et même pour lui faire quelques sacrifices.

Mais l'unanimité absolue dans tous les cas, cette fausse unanimité qui n'est presque jamais, quoi qu'on en puisse dire, que le résultat d'une majorité, et quelquefois aussi d'une minorité opiniâtre, cette unanimité qui détruit la liberté de penser et de sentir, ou qui substitue le mensonge à la vérité, qui profane par conséquent le sanctuaire de la justice; c'est celle-là qu'il faut répudier, qu'il faut laisser tout entière à ceux que les fic

l'échelle des peines prononcées par nos voirs et de l'importance de ses fonctions Codes, je ne suis point éloigné de croire dans l'intérêt de la société, que le légisqu'elle pourrait exercer sur les Jurés une lateur aurait montré lui-même plus de heureuse influence, et que, dégagé de sollicitude pour les accusés, plus de resses entraves actuelles, le Jury se montre- pect pour le malheur (1). rait d'autant mieux pénétré de ses de

(1) En 1819, la France entière espérait voir les institutions constitutionnelles s'affermir et même prendre du développement; il est douteux qu'aujourd'hui le projet sur la presse, le projet de Code militaire et le projet sur le Jury soient

propres à entretenir ou à fortifier ces espérances. Quoi qu'il en soit, si mes Observations sur le Jury sont justes, je les livre encore avec confiance au temps, qui finit le plus souvent par assurer le triomphe de la vérité.

FIN DES OBSERVATIONS SUR LE JURY EN FRANCE.

AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR.

Le Droit public étant la source du Droit privé (1), pour suivre l'ordre des idées, j'ai dû indiquer dans le titre de cet ouvrage, les matières politiques avant les matières criminelles. Mais dans l'exécution, j'ai cru devoir adopter une autre marche. En conséquence, je traite dans la première partie, des lacunes et des besoins de la législation en matière criminelle et dans la seconde, des lacunes et des besoins de la législation en matière politique.

Deux considérations graves m'ont déterminé à tracer et à exécuter mon plan de cette manière. L'une est tirée de ce que la jurisprudence des arrêts, m'ayant fourni constamment son secours pour appuyer mes assertions en ce qui concerne les besoins de la législation criminelle, j'ai pu ainsi justifier, par des faits et des exemples, mes observations en cette partie, donner à mes propositions toute la force de vérités reconnues, et offrir d'ailleurs au lecteur une idée exacte du but que je me propose dans cet ouvrage; l'autre résulte de ce que la jurisprudence pouvant quelquefois servir à éclairer la discussion sur des questions politiques, il était naturel et même nécessaire de faire connaître d'abord les arrêts dont je croyais devoir invoquer l'autorité et d'indiquer exactement les espèces dans lesquelles ils ont été rendus et les points qu'ils ont décidés.

La première partie de cet ouvrage est en quelque sorte le complément de mon Traité de la législation criminelle en France, dont j'ai publié il y a quelques mois la seconde édition.

En effet, dans ce grand ouvrage je me suis attaché, comme je le devais, à donner une idée exacte de la législation criminelle, à faire connaître la manière dont la loi est entendue ou peut l'être, à prévoir et examiner les questions et les difficultés auxquelles elle peut donner lieu. Si j'y combats quelquefois la doctrine de certains arrêts, c'est toujours en rappelant que l'opinion contraire a été accueillie dans telle circonstance; si je cherche à y démontrer par la discussion, par le raisonnement, par des autorités, que le législateur a prescrit telle ou telle førmalité, je ne néglige point de citer les exemples qui pourraient autoriser le doute et faire craindre ou prévoir une interprétation opposée. J'ai

(1) Jus privatum sub tutela juris publici latet.

TOME V.

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