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CHAPITRE III.

DE LA COMPOSITION DES TRIBUNAUX, DE L'INDEPENDANCE DES JUGES,

DE L'INAMOVIBILITE.

(Art. 57 et 58 de la Charte constitutionnelle, 25 et 100 de la Constitution belge. )

SECTION I.

DE LA COMPOSITION DES TRIBUNAUX.

Les juges qui composent les Cours et les tribunaux du royaume sont nommés par le Roi; la Charte le veut ainsi, et cette nomination doit être considérée comme une première garantie du soin qui préside au choix de ces fonctionnaires.

Cet article de la Charte peut-il et doitil se concilier avec les dispositions légistives qui exigent, de la part des juges et des autres membres de l'ordre judiciaire, des conditions d'éligibilité ? Je pense que l'affirmative est évidente, et que la raison de le décider ainsi se tire d'abord de l'intérêt général de la société et du besoin de protéger l'ordre public, ensuite de la disposition de la Charte qui a maintenules lois en vigueur lorsqu'elles ne sont pas inconciliables avec ce nouveau pacte fondamental. Comme la nomination des juges, avant la publication de la Charte, apparte

nait au chef du gouvernement, de même qu'elle appartient au roi, je trouve dans cette circonstance un nouveau motif pour soutenir que le droit de nommer les juges doit s'exercer dans les limites des lois relatives à l'organisation judiciaire, qui n'ont pas été légalement abrogées, et ce qui se pratique dans les autres parties d'administration publique, notamment dans l'organisation de l'armée, dont les règles sont fixées par une loi (1), vient encore à l'appui de mon opinion.

Cela posé je lis dans la loi du 20 avril 1810, que pour être élu juge de Cour royale ou de tribunal de première instance, ou pour être appelé à l'exercice du ministère public près d'une Cour ou d'un tribunal, il faut avoir atteint tel ou tel âge; qu'il ne faut pas seulement être pourvu du grade de licencié, mais qu'il faut avoir

Voyez du Droit d'élection, un article du projet de loi présenté en 1815*.

(1) Voyez la loi du 10 mars 1818.aussi plus bas, dans ce chapitre, ce qui concerne les juges-auditeurs. Voyez encore, dans la deuxième partie de cet ouvrage, au chapitre

TOME Y.

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*Voyez, pour la Belgique, la loi organique de l'ordre judiciaire du 4 août 1832.

10

prêté le serment devant une Cour, et avoir depuis long-temps par l'usage, puisque suivi le barreau pendant un temps déter- c'est en vertu d'un article de décret du 16 miné (1); et de nombreux exemples atles- mars 1808, que les Cours royales désitent que les tribunaux sont peuplés de gnent des candidats pour les places de magistrats qui ne remplissent point les conseillers-auditeurs (3), et que c'était conditions de stage au moment de leur un article de sénatus-consulte organique, nomination et de leur entrée en fonctions, c'est-à-dire d'un acte alors regardé et qui obtiennent même peut-être des dis- comme fondamental et d'un ordre, en penses d'âge, ainsi qu'on en accorde aux quelque sorte, supérieur à la loi même, officiers ministériels, quoique la loi ne qui avait appelé les justiciables de chaque parle nulle part de la faculté exercée par canton à désigner au chef de l'Etat les l'autorité de dispenser ces fonctionnai- deux candidats qui leur paraissaient les res de l'âge prescrit ou du temps d'études plus propres aux fonctions de juge de déterminé. paix (4).

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Je lis aussi dans le sénatus-consulte du 16 thermidor an X (dont les dispositions sont les seules règles existantes pour une foule d'objets importans), que des assemblées cantonnales désignent, pour chaque place de juge de paix et de suppléant, deux candidats entre lesquels le chef du gouvernement fait son choix (2); et l'on sait que, depuis long-temps, ce mode d'élection n'est plus en vigueur.

Et qu'on ne prétende pas pourtant que si les justiciables sont privés de cette garantie, c'est qu'elle est incompatible avec l'exercice de la prérogative royale; j'ai, pour repousser cette objection, un argument irrésistible dont la force ne peut être méconnue par l'autorité. En effet, les conseillers-auditeurs près des Cours royales n'ont pas cessé d'être nommés sur une liste triple de candidats présentée par ces Cours pour chaque place vacante; et l'oigine de ce mode de nomination des conseillers-auditeurs qui s'est maintenu sans altération, n'est certainement pas plus respectable que celle du mode de nomination des juges de paix, mode abrogé

(1) Voyez les articles 64, 65 et 66 de la loi du 20 avril 1810; voyez aussi les articles 12, 13 et 14 de la même loi. (Art. 5, 48 de la loi du 4 août 1832.)

(2) Voyez l'art. 8, titre II de ce sénatusconsulte.

(3) Voyez article 2 de ce décret.

(4) Voyez l'article déjà cité du sénatus-consulte du 16 thermidor an X.-Voyez aussi, dans la deuxième partie de cet ouvrage, au chapitre du Droit d'élection, une disposition du projet de loi, présenté, en 1815, par le ministre de l'intérieur, sur la désignation de candidats

S'il résulte des observations qui précèdent, que diverses dispositions, introduites par les lois pour assurer une bonne composition des tribunaux, et prévenir, dans le choix des juges, des erreurs préjudiciables à la société, restent sans exécution, il ne faut l'attribuer qu'au défaut de sanction des articles réglementaires qui avaient établi ces moyens de garantie.

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difications, d'altérations, d'exceptions, Je dis que le défaut de développement

ce principe ne devient-il pas susceptible dans la pratique, soit par le défaut de développement donné à la règle pour en assurer l'application, soit par l'exécution non interrompue de lois contraires au texte et à l'esprit de la Charte, et qui ont été faites pour un temps où l'inamovibilité des juges n'était point consacrée, soit enfin par la nature même de notre organisation et de nos institutions judiciaires.

comme une des meilleures garanties de la liberté publique.

du principe de l'inamovibilité des juges est un mal, une lacune dangereuse; et, en effet, le vague de la disposition de la Charte oblige de chercher ailleurs comment la règle doit être exécutée, quelle en est la force, quelles en sont les limites; et si l'on se reporte aux anciens usages ou au Code pénal actuel, on est de suite frappé de cette idée que l'inamovibilité du juge doit s'évanouir devant sa culpabilité reconnue et déclarée de forfai

tremblans sur leur siége dégradé, parce que leur devoir eût pu se trouver en opposition avec les passions et la volonté des protecteurs dont ils auraient attendu la confirmation de leur titre provisoire.

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Sans entrer ici dans le développement des motifs qui servent de base à cette opinion, il suffit de faire remarquer que toute justice éniane du Roi, que les magistrats ne rendent la justice Un orateur a dit alors avec beaucoup de que par délégation du monarque, et que, pour force et de précision, en parlant de ces juges à étre indépendans dans l'exercice de cet auguste l'essai : « Leur position est fausse et précaire, ministère comme celui dont ils sont les repré- » et s'ils l'acceptent ainsi, c'est presqu'une présentans, il est indispensable qu'ils soient inamo-vention contre eux. » vibles.

Les observations plus ou moins exactes sur ce qui distingue le magistrat du juge, sont fort indifferentes pour la solution de la question. Ce qui importe au peuple, en général, et surtout à chaque citoyen individuellement, c'est l'administration impartiale de la justice, c'est la liberté et l'indépendance de celui qui est chargé de prononcer sur son honneur, sur sa vie et sur ses biens; et il lui importe fort peu que l'homme qui exerce à son égard des fonctions de cette nature, soit ou ne soit pas considéré, par tel ou tel publiciste, comme magistrat, parce qu'il participe ou ne participe pas à des actes de Gouvernement.

L'application immédiate du principe de l'inamovibilité des juges fut vivement combattue, en 1815, dans la Chambre des Députés; il dut sembler extraordinaire que dans un moment où tous les vrais Français devaient former un faisceau, pour éviter de nouveaux malheurs, on proposât une mesure qui, loin de donner à la magistrature française, ou si l'on veut aux tribunaux français, cette stabilité qui est aussi un des boulevards du trône, comme elle est la sauve-garde des sujets, eût fait descendre tous les membres qui les composent du rang honorable de juges à celui de simples commissaires, et qui, au lieu d'opposer aux factieux et aux méchans la loyauté, la fermeté, la noble confiance des dépositaires inamovibles de l'autorité du Roi, eút réduit le monarque et la nation à chercher une garantie fort incertaine dans les craintes et les espérances de commissaires gagés pour un an, révocables à volonté, et toujours

Qui peut croire, en effet, qu'un jurisconsulte, estimé pour ses talens et sa probité, consentirait à quitter son cabinet pour s'exposer une exclusion ignominieuse, que pourraient faire prononcer contre lui les intrigues et l'inimitie d'un homme puissant, dont il aurait froissé les intérêts ou les caprices, en jugeant d'après les lois et d'après sa conscience? Ne peut-on pas assurer que la bassesse et l'ignorance eussent usurpé la toge, si la proposition adoptée par la Chambre des Députés eût été accueillie par celle des Pairs et par le Conseil du roi ?

Le principe d'inamovibilité a toujours paru si. respectable, que l'édit mème qui créait le parlement Maupeou, en déclare les membres inamovibles comme l'étaient les précédens. (Expression assez bisarre dans la circonstance **.)

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prêté le serment devant une Cour, et avoir depuis long-temps par l'usage, puisque suivi le barreau pendant un temps déter- c'est en vertu d'un article de décret du 16 miné (1); et de nombreux exemples atles- mars 1808, que les Cours royales désitent que les tribunaux sont peuplés de gnent des candidats pour les places de magistrats qui ne remplissent point les conseillers-auditeurs (3), et que c'était conditions de stage au moment de leur un article de sénatus-consulte organique nomination et de leur entrée en fonctions, c'est-à-dire d'un acte alors regardé et qui obtiennent même peut-être des dis- comme fondamental et d'un ordre, en penses d'âge, ainsi qu'on en accorde aux quelque sorte, supérieur à la loi même, officiers ministériels, quoique la loi ne qui avait appelé les justiciables de chaque parle nulle part de la faculté exercée par canton à désigner au chef de l'Etat les l'autorité de dispenser ces fonctionnai- deux candidats qui leur paraissaient les res de l'âge prescrit ou du temps d'études plus propres aux fonctions de juge de déterminé. paix (4).

Je lis aussi dans le sénatus-consulte du 16 thermidor an X (dont les dispositions sont les seules règles existantes pour une foule d'objets importans), que des assemblées cantonnales désignent, pour chaque place de juge de paix et de suppléant, deux candidats entre lesquels le chef du gouvernement fait son choix (2); et l'on sait que, depuis long-temps, ce mode d'élection n'est plus en vigueur.

Et qu'on ne prétende pas pourtant que si les justiciables sont privés de cette garantie, c'est qu'elle est incompatible avec l'exercice de la prérogative royale; j'ai, pour repousser cette objection, un argument irrésistible dont la force ne peut être méconnue par l'autorité. En effet, les conseillers-auditeurs près des Cours royales n'ont pas cessé d'être nommés sur une liste triple de candidats présentée par ces Cours pour chaque place vacante; et l'oigine de ce mode de nomination des conseillers-auditeurs qui s'est maintenu sans altération, n'est certainement pas plus respectable que celle du mode de nomination des juges de paix, mode abrogé

(1) Voyez les articles 64, 65 et 66 de la loi du 20 avril 1810; voyez aussi les articles 12, 13 et 14 de la même loi. ( Art. 5, 48 de la loi du 4 août 1832.)

(2) Voyez l'art. 8, titre II de ce sénatusconsulte.

(3) Voyez article 2 de ce décret. (4) Voyez l'article déjà cité du sénatus-consulte du 16 thermidor an X.-Voyez aussi, dans la deuxième partie de cet ouvrage, au chapitre du Droit d'élection, une disposition du projet de loi, présenté, en 1815, par le ministre de l'intérieur, sur la désignation de candidats

S'il résulte des observations qui précèdent, que diverses dispositions, introduites par les lois pour assurer une bonne composition des tribunaux, et prévenir, dans le choix des juges, des erreurs préjudiciables à la société, restent sans exécution, il ne faut l'attribuer qu'au défaut de sanction des articles réglementaires qui avaient établi ces moyens de garan

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ce principe ne devient-il pas susceptible dans la pratique, soit par le défaut de développement donné à la règle pour en assurer l'application, soit par l'exécution non interrompue de lois contraires au texte et à l'esprit de la Charte, et qui ont été faites pour un temps où l'inamovibilité des juges n'était point consacrée, soit enfin par la nature même de notre organisation et de nos institutions judiciaires.

comme une des meilleures garanties de la liberté publique.

du principe de l'inamovibilité des juges est un mal, une lacune dangereuse; et, en effet, le vague de la disposition de la Charte oblige de chercher ailleurs comment la règle doit être exécutée, quelle en est la force, quelles en sont les limites; et si l'on se reporte aux anciens usages ou au Code pénal actuel, on est de suite frappé de cette idée que l'inamovibilité du juge doit s'évanouir devant sa culpabilité reconnue et déclarée de forfai

tremblans sur leur siége dégradé, parce que leur devoir eût pu se trouver en opposition avec les passions et la volonté des protecteurs dont ils auraient attendu la confirmation de leur titre provisoire.

Sans entrer ici dans le développement des motifs qui servent de base à cette opinion, il suffit de faire remarquer que toute justice émane du Roi, que les magistrats ne rendent la justice Un orateur a dit alors avec beaucoup de que par délégation du monarque, et que, pour force et de précision, en parlant de ces juges à être indépendans dans l'exercice de cet auguste l'essai : « Leur position est fausse et précaire, ministère comme celui dont ils sont les repré- » et s'ils l'acceptent ainsi, c'est presqu'une présentans, il est indispensable qu'ils soient inamo-vention contre eux. » vibles.

Les observations plus ou moins exactes sur ce qui distingue le magistrat du juge, sont fort indifférentes pour la solution de la question. Ce qui importe au peuple, en général, et surtout à chaque citoyen individuellement, c'est l'administration impartiale de la justice, c'est la liberté et l'indépendance de celui qui est chargé de prononcer sur son honneur, sur sa vie et sur ses biens; et il lui importe fort peu que l'homme qui exerce à son égard des fonctions de cette nature, soit ou ne soit pas considéré, par tel ou tel publiciste, comme magistrat, parce qu'il participe ou ne participe pas à des actes de Gouvernement.

L'application immédiate du principe de l'inamovibilité des juges fut vivement combattue, en 1815, dans la Chambre des Députés; il dut sembler extraordinaire que dans un moment où tous les vrais Français devaient former un faisceau, pour éviter de nouveaux malheurs, on proposat une mesure qui, loin de donner à la magistrature française, ou si l'on veut aux tribunaux français, cette stabilité qui est aussi un des boulevards du trône, comme elle est la sauve-garde des sujets, eût fait descendre tous les membres qui les composent du rang honorable de juges à celui de simples commissaires, et qui, au lieu d'opposer aux factieux et aux méchans la loyauté, la fermeté, la noble confiance des dépositaires inamovibles de l'autorité du Roi, eût réduit le monarque et la nation à chercher une garantie fort incertaine dans les craintes et les espérances de commissaires gagės pour un an, révocables à volonté, et toujours

Qui peut croire, en effet, qu'un jurisconsulle, estimé pour ses talens et sa probité, consentirait à quitter son cabinet pour s'exposer à une exclusion ignominieuse, que pourraient faire prononcer contre lui les intrigues et l'inimitié d'un homme puissant, dont il aurait froissé les intérêts ou les caprices, en jugeant d'après les lois et d'après sa conscience? Ne peut-on pas assurer que la bassesse et l'ignorance eussent usurpé la toge, si la proposition adoptée par la Chambre des Députés eût été accueillie par celle des Pairs et par le Conseil du roi?

Le principe d'inamovibilité a toujours paru si respectable, que l'édit même qui créait le parlement Maupeou, en déclare les membres inamovibles comme l'étaient les précédens. ( Expression assez bisarre dans la circonstance **.)

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