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Ainsi, pendant deux années entières(1814 et 1815), la France a vu exister, dans chacun des départemens dont elle se compose, un tribunal spécial, un tribunal d'exception, étendant sa juridiction sur toutes personnes, à raison de la matière, et sur certains individus, à raison de leur qualité ou de leur position, quoique la Charte prohibe formellement tout tribunal de cette nature, autre que

rieures à sa promulgation, que les lois qui taient trois juges militaires dans leur pouvaient se concilier avec le droit pu- composition, et que les Cours spéciales blic et les institutions nouvellement in- extraordinaires ne jugeaient qu'à la charge troduites par elle; et le ministre qui reçut du recours en cassation sur le fond, tanle portefeuille de la justice au moment de dis que le jugement relatif à la compéla restauration, et qui avait présidé la tence des Cours spéciales ordinaires était commission de rédaction de la Charte, le scul soumis à l'examen et à la censure pensait ainsi (1). Cependant, il est de fait de la Cour de cassation (4). queles Cours spéciales n'ont pas cesséd'exister depuis la promulgation de la Charte jusqu'au moment où les Cours prévôtales ont été instituées, conformément à la loi du 20 décembre 1815 (2). Pour le décider ainsi, on se fonda sur une distinction établie entre les Cours spéciales, dites ordinaires, et les Cours spéciales, dites extraordinaires (3); on allégua que les tribunaux ordinaires existans au moment où la Charte fut publiée, étant maintenus par la juridiction prévôtale, qui ne peut être elle, les Cours spéciales ordinaires se trouvaient comprises dans cette disposition, malgré le caractère évident de tribunal d'exception, inhérent aux Cours spéciales; et ce qu'il y a defort remarquable dans cette Ces dangers et ces maux sont tels décision, qui se trouva résulter d'arrêts qu'aujourd'hui même, où je les signale rendus pendant que la question s'agitait au comme appartenant à des temps passés, Conseil des ministres, c'est que les Cours il n'existe aucune garantie contre leur respéciales, dites extraordinaires étaient tour.

rétablie qu'en vertu d'une loi; et l'on voit à quels dangers, à quels maux peut exposer le défaut de sanction dans une disposition fondamentale.

réellement bien moins contraires à l'or- En effet, les Cours spéciales n'ont cessé dre commun, puisqu'elles étaient com- d'exister, ainsi que je l'ai déjà dit, qu'au posées seulement de magistrats, tandis moment où la juridiction prévôtale a élé que les Cours spéciales ordinaires admet- établie. Les Cours qui exerçaient cette der

(1) M. le chancelier Dambray, président de la Chambre des Pairs.

(2) Voyez arrêts de la Cour de cassation, des 3 juin, 10 août 1815. (Sirey, an 1815, 1re part., pages 195 et 432; voyez aussi, dans mon Traité de Législation criminelle, le chapitre des Cours spéciales.)

(3) Voyez la loi du 20 avril 1810, chap. IV. (4) « Notre ministre de la guerre transmettra tous les ans, avant la fin du mois de septembre, à notre ministre de la justice, une liste de six officiers de gendarmerie, pour chaque département, ayant l'âge requis pour faire les fonctions de juges dans ces Cours.

» A défaut d'un nombre suffisant d'officiers de gendarmerie pour remplir, dans chacune des Cours spéciales, trois places de juges et trois places de suppléans, ce nombre pourra être complété par des officiers de nos troupes de ligne, ayant au moins le grade de capitaine.

» Les juges militaires des Cours spéciales, et

leurs suppléans seront toujours rééligibles.»

( Articles 98, 99 et 100 du décret du 6 juillet 1810, relatifs aux Cours spéciales ordinaires; voyez aussi l'article 24 de la loi du 20 avril 1810.)

« La Cour spéciale extraordinaire sera établie dans la Cour d'appel; elle sera composée de huit membres de cette Cour, dont l'an sera désigné pour ètre le président.

» Le président et les conseillers seront nommés par le premier président de la Cour : ils pourront l'ètre par le ministre de la justice. Les Cours spéciales extraordinaires se conformeront, pour l'instruction et le jugement, aux dispositions du Code d'instruction criminelle, concernant les Cours spéciales ordinaires; néanmoins, leurs arrêts définitifs seront sujets au recours en cassation, et en conséquence, ils ne seront précédés d'aucun arrêt de compétence. »

( Articles 25 et 31 de la loi du 20 avril 1810.) -(Voyez aussi les articles 26, 27, 28, 29, 30 de la même loi, et les articles 107 et 108 du décret du 6 juillet 1810.).

nière juridiction ayant cessé leurs fonc- des Cours spéciales; et l'on ne peut nier tions, conformément à la loi de leur in- que cet état de choses, s'il venait à repastitution, au moment de la clôture de la raître, ne fût aujourd'hui tout aussi résession des Chambres législatives de 1817, gulier qu'il ne l'était précédemment *. la question relative aux cours spéciales se présenta de nouveau tout entière. Seulement il ne s'agissait plus, comme en 1814, de savoir si ces Cours pouvaient continuer d'exercer leur juridiction, mais si les Cours supprimées par la loi de création des

SECTION III.

Cours prévôtales devaient être rétablies. DE L'EXTENSION DE LA JURIDICTION MILI

TAIRE ET MARITIME A DES CITOYENS
NON MILITAIRES ET NON MARINS.

Malgré les précédens de 1814 et de 1815, le ministre chargé du portefeuille en 1818, époque où la session de 1817 fut elôse (1), pensa que l'existence des Cours spéciales était incompatible avec la Charte; il s'abs- L'exercice de la juridiction des Cours tint, en conséquence, de faire nommer spéciales postérieurement à la Charte, et des juges militaires, dont le concours était la possibilité de son rétablissement contre nécessaire pour la formation de ces Cours, laquelle on vient de voir qu'il n'existe et elles se trouvèrent ainsi supprimées. aucune garantie réelle, n'est pas, au reste, Mais quoique les Cours spéciales n'aient le seul danger que les citoyens aient à repas été rétablies depuis la suppression des douter du défaut de sanction des prinCours prévôtales, le fait de leur existence cipes constitutionnels qui veulent que pendant les années 1814 et 1815 ne peut nul ne soit distrait de ses juges naturels, être détruit; leur droit de juridiction a et qui défendent de créer aucune commisété reconnu et sanctionné, depuis la sion, aucun tribunal extraordinaire (3). Charte, par la jurisprudence constante de Ainsi l'existence des tribunaux marila Cour de cassation, jusqu'à l'établisse- times spéciaux est consacrée par une orment des Cours prévôtales qui furent in- donnance du roi du 2 janvier 1817 (4); il vesties de leurs attributions (2); les arrêts est vrai que leur juridiction a été restreinte qu'elles ont rendus pendant cette période, par cette même ordonnance aux crimes ont élé jugés réguliers, et ont reçu leur et délits commis aux bagnes par les forexécution; et quoique depuis 1818, la ju- çats, et que ces individus sont placés hors ridiction des Cours spéciales ait été anéan- du droit commun; mais d'abord l'ordontie de fait, par suite de la décison d'un nance royale prouve que jusqu'en 1817, ministre, rien ne s'opposerait à ce qu'un c'est-à-dire, trois ans après la publication autre ministre ne rétablit ce que l'un de de la Charte, les gardes chiourmes et ses prédécesseurs a pensé être inconcilia- même les individus étrangers à la marine ble avec la Charte, mais qui avait été jugé sont restés soumis à cette juridiction exd'une autre manière à une époque anté- traordinaire, en cas de complicité dans rieure; la France pourrait ainsi se trouver l'évasion d'un forçat ou de délits contre replacée, sans s'en douter, sous le régime la police des chiourmes; ensuite, comme

(1) M. le baron Pasquier.

droit dévolues aux Cours d'assises qui les remplacent. ( Jurisp. du 19e siècle, 3e part., année 1832, page 43.)

(3) « Les tribunaux extraordinaires et les commissions ne servirent jamais, disait Catherine II, qu'à expédier plus promptement ceux

(2) Voyez article 8 de la loi du 20 déc. 1815. La Cour supérieure de Bruxelles, siégeant en cassation, a décidé par arrêt du 22 décembre 1831, que les Cours spéciales avaient été supprimées en Belgique par la publication et la mise en vigueur de la Constitution, et que les affaires déjà renvoyées, à l'époque de cette suppression, aux Cours spéciales, par la chambre des mises en accusation, avaient été de plein lois.

dont on voulut se défaire. »

(4) Voyez cette ordonnance, au Bulletin des

je l'ai déjà dit d'ailleurs (1), il est incon- des individus étrangers à l'armée, du testable que, même à l'égard des forçats, fait de provocation à la désertion (6); s'il l'existence des tribunaux maritimes spé- est reconnu que les commissions militaires ciaux, outre qu'elle paraît contraire à la disposition de la Charte, n'est rien moins que nécessaire ou même utile, et que les tribunaux maritimes ordinaires pourraient exercer à cet égard la même juridiction que les tribunaux maritimes spé

ciaux.

auxquelles la connaissance du crime d'embauchage et d'espionnage était exclusivement attribuée, au moment où la Charte a été promulguée, n'ont pu survivre à la promulgation de cet acte solennel, la même Cour de cassation décide, d'un autre côté, que l'attribution enlevée préAinsi encore, les tribunaux maritimes cédemment à cet égard aux conseils de ordinaires, qui, sous aucun rapport, ne guerre permanens, leur a été restituée par peuvent être considérés comme les juges le seul fait de la suppression des commisnaturels des citoyens étrangers à la ma- sions militaires, et que ces conseils doidu rine, sont néanmoins maintenus, suivant vent connaître contre toutes personnes, une ordonnance du roi, en date du 14 oc- crime d'embauchage et d'espionnage (7). tobre 1818 (2), dans toute l'étendue de Ainsi, malgré la disposition de la Charte leurs attributions (3), et continuent, en qui défend de distraire qui que ce soit de conséquence, de connaître des délits com- sesjuges naturels, malgré celle qui prohibe mis dans les ports et arsenaux, relative- la création de tribunaux extraordinaires, ment à leur police ou à leur sûreté, ou au tout citoyen non militaire peut être traservice maritime, contre tous les indivi- duit, même en temps de paix, devant un dus qui se rendent coupables des délits de conseil de guerre, dont tous les membres cette espèce, comme auteurs, fauteurs et sont nommés et révoqués par le général complices, quelle que soit leur qualité et commandant la division militaire; toute qu'ils soient ou non gens de guerre, et femme même à qui on imputera une crime attachés ou non au service de la ma- d'embauchage, pour l'ennemi ou pour des rine (4).

Ainsi enfin, si, suivant la jurisprudence de la Cour de cassation, l'existence des conseils de guerre spéciaux et extraordinaires, est aujourd'hui prohibée (5), si les tribunaux ordinaires sont déclarés être seuls compétens pour connaître, à l'égard

(1) Voyez le Traité de Législation criminelle, chapitre des Tribunaux, tom. IV, page 270. (2) Voyez cette ordonnance au Bulletin des

lois.

(3) Ces attributions étaient déterminées par un décret du 12 novembre 1806 (articles 10 et 11).

(4) Voyez le Traité de Législation criminelle, chapitre des Tribunaux maritimes.

(5) Voyez arrêts de la Cour de cassation, des 12 octobre 1815 et 8 août 1816, et le chapitre des Tribunaux militaires, dans mon Traité de Législation criminelle.

(6) Voyez arrêts de la Cour de cassation, du 28 octobre 1813, et du 21 mars 1823.

(7) Voyez arrêts de la Cour de cassation, des 12 octobre 1820 et 22 août 1822.

(8) Si la Cour de cassation, ai-je dit ailleurs, a reconnu que les commissions militaires aux quelles la connaissance du crime d'embauchage

rebelles non connus et non organisés peut être jugée et condamnée par les juges militaires, et passée par les armes, parce que ces grands principes conservateurs et fondamentaux écrits dans la Charte s'y trouvent isolés et dépourvus de sanction et de moyens organiques d'exécution (8).

était exclusivement attribuée au moment où la Charte a été promulguée, n'ont pu survivre à la promulgation de cet acte solennel, elle a décidé, d'un autre côté, que l'attribution enlevée précédemment à cet égard aux conseils de guerre permanens, leur avait été restituée par le seul fait de la suppression des commissions militaires, et que ces conseils devaient connaitre, contre toutes personnes, du crime d'embauchage et d'espionnage; mais elle n'a pas remarqué, sans doute, en le jugeant ainsi, qu'elle refusait et accordait en même temps à la Charte l'effet de détruire les juridictions extraordinaires; car il est évident que les conseils de guerre permanens ne sont pas moins que les commissions militaires des juridictions extraordinaires, à l'égard de tout citoyen non militaire, et à l'égard des femmes notamment, qui, suivant cette étrange jurisprudence, peuvent être traduites devant des juges militaires, et condamnées, s'il

SECTION IV.

DU RENVOI D'un tribunal A UN AUTRE,
POUR CAUSE DE SURETÉ PUBLIQUE OU DE
SUSPICION Légitime.

temps la plus grande force; ce n'est pas d'hier que date l'ère des délations, des calomnies, des menées sourdes et ténébreuses; et il est affreux pour le citoyen ami son pays, ami du trône et des autres institutions qui protégent les droits du peuple et la liberté publique, de penser Les inconvéniens que nous avons signalés que sur la dénonciation d'un ou de deux jusqu'ici sont sans doute extrêmement gra- individus, mis en mouvement par un enves, car les leçons de l'histoire et l'expérien- nemi caché, il pourra être arrêté, enlevé ce de tous les temps nous apprennent qu'aux à ses juges naturels, traduit comme préveépoques de troubles, à la suite des révolu- nu d'embauchage devant des juges militions, de discordes civiles, de dissentions taires désignés, peut-être depuis son ardomestiques, les haines publiques et les restation, pour prononcer sur son sort (1), inimitiés particulières conservent long- et que, sur le témoignage de ce dénoncia

:

dépouilles par la législation militaire de la révolution? et lorsqu'au milieu de l'enthousiasme général que produit le retour d'un prince chéri, et des fètes dont cet événement est l'occasion, sous les yeux de la population entière de la capitale, appelée beaucoup moins par la voix des magistrats que par l'élan de son cœur, audevant d'un fils de France, dont la renommée publie la modération aussi bien que la bravoure, un paisible habitant, auquel on n'a rien à reprocher que son empressement à voir le vainqueur, tombe, en plein midi, au pied de l'enceinte du palais des Rois, sous le plomb d'un soldat, la sollicitude du législateur a-t-elle donc besoin de nouveaux événemens de cette nature, pour être enfin éveillée, et pour protéger et rassurer le peuple contre l'extension et l'abus possible de la juridiction militaire?

y a lieu, à être passées par les armes. Cette les moyens de protection dont ils se trouvent Cour n'a pas remarqué surtout que, pour arriver à le juger de la sorte, elle a été obligée de faire revivre l'article 9 de la loi du 13 brumaire an V, deux fois abroge, savoir d'abord par la loi du 18 pluviose an IX (art. 11), qui avait attribué à des tribunaux spéciaux le jugement des embaucheurs, ensuite par le décret du 17 messidor an XII, qui en avait dépouillé, non pas les conseils de guerre, mais les tribunaux spéciaux, pour en investir des commissions militaires; et dans tous les cas, si elle croyait pouvoir ressusciter un mort, pour être conséquente dans son système, et suivre la filiation, s'il m'est permis d'employer cette expression, elle devait reconnaître que la suppression des commissions militaires avait rendu aux Cours spéciales, remplacées momentanément par les Cours prévôtales, leur juridiction sur les embaucheurs, et que les Cours spéciales, n'ayant point été rétablies de-. puis que les Cours prévôtales avaient cessé d'exister, cette portion d'héritage avait fait retour, comme tout le reste, aux Cours d'assises, qui ont repris toutes les attributions des Cours spéciales et des Cours prévôtales.

Voyez sur l'organisation et la formation des conseils de guerre, mon Traté de Procédure criminelle devant les tribunaux militaires et maritimes de toute espèce, publié en 1808.

M. Barthe, défenseur de M. Kocklin, a fait connaitre que dans l'affaire des nominés Caron et Roger, traduits, pour accusation d'embauchage, devant le conseil e guerre de la 5o division militaire, ce conseil avait reçu, pendant l'instruction de la procédure, un nouveau président et un nouveau rapporteur, et que le conseil de révision avait été renouvelė en entier.

(1) Voy. Traité de Législation criminelle, 2o, édit., chap. des Tribunaux militaires, t. IV, pag. 232.- Mais pendant que cette partie de mon ou vrage s'imprimait, un noble pair, M. le baron Pasquier, ancien ministre de la justice et des affaires étrangères, faisait, dans le sein de la Chambre, une proposition, rendue publique par J'ai fait sentir, dès long-temps, comment une la voie de l'impression, tendant à provoquer pareille faculté met à la merci d'un seul homme auprès de Sa Majesté un projet de loi conforme (le général commandant la division) l'honneur, aux principes de la Charte, sur le jugement des la vie et la liberté de tous les militaires qui prévenus d'embauchage; et cette circonstance composent chaque division; et combien cette fait espérer que cet objet si important et si urgent ne tardera pas à être pris en considération. Ne devrait-on pas aussi s'empresser de donner des garanties aux citoyens contre les voies de fait et les excès auxquels ils sont exposés de la part des militaires, et leur rendre, à cet égard,

TOME V.

disposition était contraire à la justice et à l'humanité. (Voyez le rapport qui précède le projet de Code militaire présenté au roi, le 1er janvier 1815, par Son Excellence M. le maréchal Soult, alors ministre de la guerre, et rédigé par une commission dont j'étais membre et rap

12

Mais ces inconvéniens ne peuvent résulter que de cas d'exception; et s'ils sont graves, ils doivent du moins être rares, tandis que celui dont je veux parler peut se renouveler fréquemment et s'attacher à toute espèce d'affaires.

pouiller le tribunal qui est compétent, suivant les règles ordinaires, pour en investir un autre que désigne la Cour de cassation.

'Il est vrai que la faculté conférée au

teurs même sans avoir pu informer ses pa rens, ses amis, sans avoir été à portée d'éclairer ni l'opinion publique ni la religion des tribunaux ordinaires, dont les formes plus lentes et plus régulières sont destinées à protéger la société contre de fu- gouvernement est réciproque pour le nestes erreurs, il pourra êtrejugé, condam- motif tiré de la suspicion légitime, et que né et exécuté dans l'intervalle de quel- dans ce cas les parties intéressées peuquels jours, malgré ses cris impuissans vent elles-mêmes demander le renvoi à et ses vaines réclamations (1). un autre tribunal; mais d'abord la cause de sûreté publique n'appartient et ne peut réellement appartenir qu'au gouvernement; ensuite, pour ce qui concerne le second motif de renvoi, il est impossible de ne pas reconnaître qu'en cette matière, comme en beaucoup d'autres, il n'y a point parité de position, identité de moyens, égalité de droits entre le particulier que l'on poursuit, et le gouvernement au nom duquel les poursuites sont dirigées; que l'allégation de suspicion légitime, faite par le prévenu, sera pesée et discutée avec sévérité, et devra, pour donner lieu au renvoi, s'appuyer sur des preuves évidentes, tandis que la demande seule formée par le gouvernement sera considérée, tout d'abord, comme une preuve morale de la légitimité de la suspicion, indépendamment des moyens produits pour l'établir, et que le prévenu n'a que peu de chances de succès lorsqu'il forme une demande en renvoi que le gouvernement fait com battre par le procureur général du roi en la Cour de cassation, tandis que le gouvernement n'en a point de contraires lorsqu'il provoque un renvoi auquel s'oppose le prévenu.

On sait que, suivant les règles tracées par le Code, le tribunal du lieu du délit, celui de la résidence habituelle ou celui de la résidence momentanée du prévenu, sont indifféremment compétens pour instruire et juger, et que la connaissance de l'affaire doit appartenir à celui qui a été le premier saisi. La compétence étant ainsi réglée entre ces trois tribunaux, d'après un point de fait facile à reconnaître, il est rare qu'il s'élève des doutes et des discussions à cet égard, et il semble que chacun est assuré de n'avoir pour juge que l'un des trois tribunaux désignés; mais il n'en est pas ainsi.

Des dispositions du Code d'instruction criminelle autorisent le gouvernement à provoquer, auprès de la Cour de cassation, par l'organe de son procureur général en cette Cour, le renvoi d'une affaire criminelle, correctionnelle ou de police d'une Cour ou d'un tribunal à un autre, pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime (2); ét le résultat des demandes de cette nature, ou des arrêts auxquels elles donnent lieu, est de dé

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Si je fais remarquer cette disposition comme ayant l'effet possible d'intervertir dans toutes les affaires, sinon l'ordre ordinaire des juridictions, du moins les

regret que ce ministre eût été condamné à mort par justice, le moine qui l'accompagnait n'hésita point à lui dire : « Vous vous trompez, Sire, ce fut par des commissaires. »

(2) Voyez les articles 542 et suivans du Code d'instruction criminelle. Voyez aussi, dans mon Traité de Législation criminelle, le chap. de la Cour de cassation, section des renvois d'un tribunal à un autre.

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