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règles communes de compétence, ce n'est pas que je prétende que le gouvernement doive être désarmé contre les circonstances qui pourraient compromettre la sûreté publique, dans le cas où le jugement d'une affaire serait laissé aux juges appelés à en connaître; mais ce motif seul aurait peut-être dû servir de base aux demandes en renvoi que provoqueraient le gouvernement ou les officiers du ministère public en son nom, sans y joindre celui de suspicion légitime. On ne doit pas oublier, d'ailleurs, que, dans les affaires criminelles, par exemple, les seules qui semblent de nature à offrir un grand intérêt, la désignation des membres de la Cour d'assises est ou peut être faite par le ministre de la justice, et que les jurés sont choisis par le préfet. Avec de pareils droits, il est difficile de concevoir que le gouvernement puisse encore éprouver de justes inquiétudes; et si ces garanties ne lui suffisent pas, la justice la raison et l'humanité exigeraient aussi que le prévenu ou l'accusé ne fût pas sans défense contre les moyens d'influenceextraordinaire que legouvernement se préparerait, en faisant tout à la fois dépouiller les juges compétens et investir ceux qui lui conviennent (1).

Le défaut de garantie contre l'abus possible de la disposition du Code est donc bien constant, etc'est ce défaut de garantie qui doit surtout être considéré comme une lacune dangereuse et fixer l'attention du législateur. Si le prévenu peut être privé des juges que la loi lui assigne, il ne faut pas qu'on puisse lui donner arbitrairement ceux qu'il plait à

l'autorité de choisir; il ne faut pas que l'on puisse, après l'avoir enlevé à ses juges naturels, l'exiler de son pays, l'arracher à sa famille, à ses proches, à ses amis, l'isoler de tout ce qui lui est cher, de tout ce qui lui porte intérêt, et le dépouiller, pour ainsi dire, de ce manteau de bonne renommée dont ses juges naturels étaient accoutumés à le voir revêtu, pour le traduire devant des juges spécialement choisis, devant lesquels il ne comparaîtra qu'environné de l'accusation dont il est l'objet, et d'étrangers insensibles à sa situation et à ses malheurs, et sous le poids de l'arrêt de la Cour régulatrice qui le signale, en quelque sorte, comme un homme dont le nom et les intrigues peuvent compromettre la sûreté publique, comme le point de ralliement de manoeuvres propres à exciter des défiances, à éveiller des soupçons. Il serait peut-être juste que, sur la demande de l'accusé, la Cour de cassation fût obligée de choisir entre les deux Cours qu'il désignerait, celle à laquelle l'affaire serait attribuée, ou qu'à défaut de désignation de sa part, le choix tombât nécessairement l'une des deux Cours de même ordre les plus voisines de celle qui serait dépouillée.

sur

Toutefois, en indiquant ce moyen, conforme à ce qui s'est pratiqué pendant long-temps, en vertu de lois antérieures (2), je n'ai d'autre intention que de prouver que le vice signalé peut disparaître, en tout ou en partie, devant des mesures simples et naturelles; mais comme je ne me suis point proposé d'indiquer le remède à toutes les lacunes de la législation,

(r) La désignation de tel ou tel tribunal est d'une grande importance pour les parties; et il ne peut être indifférent à un accusé d'être renvoyé du nord au midi de la France, ou de l'est à l'onest. Sans parler des inconvéniens de cette mesure pour le jugement définitif, le transport de l'accusé, en pareil cas, est déjà une peine rigoureuse.

La Cour de cassation a non-seulement la faculté de désigner le tribunal qu'il lui plait, mais il était même d'usage à la Cour de ne pas prononcer à l'audience le nom du tribunal devant lequel l'affaire était renvoyée, et de l'insérer

plus tard dans la minute de l'arrêt, où il était laissé en blanc; mais il paraît que depuis quelque temps, la Cour a décidé que le nom du tribunal saisi serait toujours prononcé à l'audience, après la délibération spéciale qui doit être prisc à la chambre du conseil. ( Voyez, dans mon Traité de Législation criminelle, 2o édition, tome IV, la note 1 de la page 35, où se trouve indiquée la circonstance à laquelle est due celle innovation.)

(2) Voyez l'article 303 du Code des délits ct des peines du 3 brumaire an IV.

il me suffit d'avoir démontré, sous ce nou communes de compétence, et du principe veau point de vue le défaut de garantie d'après lequel nul ne peut être distrait de contre la violation arbitraire des règles ses juges naturels.

CHAPITRE VI.

DE L'EXAMEN ET DU JUGEMENT, EN MATIÈRE CRIMINELLE, DE LA PUBLICITE

DU DEBAT, ETC.

(Art. 64 de la Charte constitutionnelle; art. 96 de la Constitution belge.)

SECTION I.

DE LA PUBLICITÉ DE L'EXAMEN ET DES DÉBATS.

entière, les intérêts les plus chers de chacun de ceux qui la composent (1) *.

La Charte, en consacrant la publicité du débat comme une règle fondamentale, qui n'admet d'exception que sous des con- L'exception, telle qu'elle est exprimée ditions prescrites, et dans des cas déter- par la Charte, ne devant modifier la règle minés, a eu surtout pour objet d'assurer que lorsque la publicité peut être dangela régularité de l'examen et du jugement, l'observation exacte des formes de procéder, l'exercice libre et complet des droits accordés à l'accusé; elle a appelé la surveillance commune sur les opérations des tribunaux, et a placé ainsi, en quelque sorte, sous la sauve-garde de la société

reuse pour l'ordre et les mœurs, et lorsqu'un jugement du tribunal saisi de l'affaire l'a préalablement déclaré, on ne peut qu'applaudir à la sage prévoyance du législateur qui a voulu concilier ainsi tous les intérêts.

Mais la disposition exceptionnelle ne

tionnelle ne sera publique avant le commencement des plaidoiries. » Un arrêté du gouvernement provisoire en date du 7 octobre 1830 abolit cette disposition.

(1) La publicité la plus importante dans notre Constitution, disait, le 3 décembre 1821, M. le garde des sceaux de Serre, à la tribune de la Chambre des Députés, est celle des débats législatifs et judiciaires; c'est par elle que le public connaît les motifs et le véritable sens des lois et des jugemens; c'est par elle qu'il apprécie le caractère des hommes qui concourent à les rendre. Voyez Moniteur du 4 déc. 1821.) La garantie de la publicité nous avait été en partie enlevée par le gouvernement hollandais. Voici ce que portait l'arrêté du 6 novembre 1814: «Aucune audience criminelle ou correc- l'unanimitė. »

L'article 96 de la Constitution belge a également consacré la publicité des audiences: voici ce qu'il porte: « Les audiences des tribunaux sont publiques, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les mœurs, et dans ce cas le tribunal le déclare par un jugement. En matière de délits politiques et de presse, le huis clos ne peut être prononcé qu'à

peut-elle pas être appliquée de manière des doctrines pernicieuses du follicuqu'elle pourrait devenir la règle, tandis laire; ainsi, le meutre, l'assassinat, l'emque l'application du principe général ne poisonnement, le vol même (3), étant serait que l'exception? L'affirmative est des crimes contraires à l'ordre, surtout incontestable. Aussi, est-il à ma connais- lorsque, comme il arrive assez fréquemsance qu'un ministre chargé du porte- ment, la cupidité, la jalousie, l'envie ou feuille de la justice (1), qui redoutait l'a- d'autres passions honteuses ont armé le bus que les tribunaux pourraient faire bras d'un parent contre quelqu'un de sa de la faculté qui leur est accordée, et qui famille, d'un mari contre sa femme, n'est soumise à aucune censure légale, d'une femme contre son mari, d'un fils avait souvent prescrit aux procureurs gé- contre son père, d'un ami contre son néraux et ordinaires de Sa Majesté de lui ami, ou du moins de celui qu'il affectait faire connaître immédiatement les déci- de nommer de ce nom; ainsi, le viol ou sions auxquelles elle aurait servi de base, les attentats plus ou moins graves à la et de lui rendre un compte détaillé de pudeur, étant évidemment des crimes l'affaire. Mais cette louable sollicitude du contraires aux mœurs, on pourra, dans ministre n'était qu'un faible palliatif con- chacun de ces cas divers, tenir les débats tre le défaut de garantie; et rien n'em- à huis clos, en écartant jusqu'aux habipêche que les tribunaux n'examinent à tués du barreau, ceux qui, par état, huis clos les affaires les plus importantes, doivent le garantir et le fréquenter (4). celles même qui réclament le plus impé Ainsi, l'application du principe exceprieusement la publicité, et que placé seul tionnel s'étendant de la nature du crime en présence de ses accusateurs et de ses à la qualité des personnes, si un eccléjuges, sans qu'aucune voix s'élève pour siastique est prévenu d'un crime époule défendre (2), l'accusé ne subisse les vantable (5), ou seulement d'un délit létristes effets d'un débat mystérieux, d'une ger, ou si quelqu'un appartenant à ce discussion secrète, que la loi semble avoir que la loi du 25 mars 1822 appelle des voulu proscrire. Ainsi, la nature des crimes classes de personnes, sans avoir pris soin ou des délits servant de motifs à l'exclu- d'indiquer ce que l'on doit entendre par sion du public, on instruira à huis clos une cette dénomination (6), est poursuivi pour affaire de conspiration ou de délit de la escroquerie ou filouterie, ou même si un presse, parce qu'il importe également militaire chargé plus spécialement par détablir un cordon sanitaire autour des état de protéger la sûreté des personnes principes audacieux du conspirateur, et et la tranquillité publique, est mis en ju

(1) M. le comte de Serre.

(2) Voyez plus bas, dans ce chapitre, la preuve de cette assertion.

(3) On a pu voir, dans la Quotidienne du mois de novembre 1823, comment on a cherché à profiter des affaires d'empoisonnement relatives à Castaing, à la veuve Boursier et à Kostolo, pour prétendre que rien n'était plus dangereux que la publicité des débats.

(4) Voyez le procès relatif à M. de SaintHilaire, à l'occasion d'un article du Courrier des spectacles.

(5) Voyez les détails consignés dans les jour naux, sur l'assassinat d'une jeune femme dont les membres détachés ont été trouvés dans l'Isère, et sur les indices qui s'élèvent à ce sujet contre le curé de Saint-Quentin-sur-Isère. Les journaux ont annoncé depuis, que ce curé, condamné à mort par contumace, avait obtenu la permission de sortir de la prison où il était

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gement comme auteur d'un vol commis avec violence sur un chemin public, les tribunaux pourront déclarer que la publicité serait dangereuse pour l'ordre ou les

mœurs.

dure ni les arrêts; et démontrons ainsi, que si, malgré la publicité de l'examen et du débat, tant d'irrégularités sont commises fréquemment dans l'instruction orale des affaires criminelles, le défaut de publicité ne tarderait pas à détruire dans la pratique toutes les règles écrites.

Et que l'on ne croie pas que ce tableau des abus possibles d'une si sage disposition est entièrement hypothétique; déjà La procédure devant la Cour d'assises des exemples répétés attestent que des étant d'une plus haute importance que tribunaux en ont agi de la sorte, dans celle qui a lieu devant les tribunaux corquelques-uns des cas que j'indique (1); rectionnels, c'est surtout dans celle-là que ainsi, il est reconnu que le jugement du je prendrai mes exemples, quoique celletribunal, qui déclare le danger de la pu- ci doive elle-même m'en fournir quelquesblicité du débat, n'étant soumis à aucune uns. Le tableau de la procédure devant la contradiction de l'accusé, à aucun pour- Cour d'assises, n'est point ce qui doit voi de sa part, à aucune censure de la m'occuper ici; je l'ai tracé ailleurs avec Cour de cassation, le principe constitu- beaucoup de détail, et j'y renvoie ceux tionnel de la publicité se trouve dépourvu des lecteurs qui désirent connaître exacde toute sanction, de toute garantie; qu'il tement les lois et la jurisprudence en cette peut être entièrement anéanti dans la pra- matière. Je ne veux et ne dois qu'indiquer tique; et que la faculté illimitée laissée les garanties dont l'accusé se trouve privé aux tribunaux d'instruire les affaires à huis par le défaut de sanction, malgré la voclos, en enlevant aux accusés cette sauve- lonté exprimée du législateur.

garde toujours précieuse quoique souvent impuissante de la publicité, expose les uns à des erreurs judiciaires préjudiciables à leurs droits et à leurs intérêts, offre à d'au

SECTION II.

tres les chances d'acquittemens scanda- DES NOTIFICATIONS ET DES AVERTISSEMENS leux, et les livre tous à un arbitraire affligeant pour la société.

Pour nous fixer de plus en plus sur les inconvéniens, sur les dangers réels de cet état de choses, parcourons rapidement les formalités que le législateur avait considérées comme utiles et importantes dans l'examen, dans le débat et le jugement, puisqu'il en a prescrit l'accomplissement par des dispositions précises de la loi, mais dont la Cour de cassation a jugé que l'omission ne pouvait infirmer ni la procé

(1) Les journaux nous ont appris que le 10 mai 1823, le tribunal correctionnel de Paris, et le 26 mai suivant, la Cour royale ont instruit à huis clos la procédure relative à M. de SaintHilaire, poursuivi et condamné pour un article ⚫ du Journal des spectacles, et que tous les avocats ont été écartés du barreau ( voyez le Constitutionnel, des 11 et 27 mai 1823);

Et que le conseil de guerre de la 1re division militaire a aussi procédé à huis clos, le 24 mai 1823, contre un voltigeur du 3e régiment d'infanterie de la garde royale, lequel a été pour

QUI SONT PRESCRITS PAR LA LOI, DANS
L'INTÉRÊT DE L'accusé,

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