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Pour ce qui concerne l'instruction ou la connaissance sur un objet donné, il est probable qu'elle sera d'autant plus exacte et d'autant plus complète que l'individu aura eu plus de moyens et plus de motifs pour l'acquérir.

Par ces deux raisons, l'autorité la plus probante est l'autorité professionnelle ou scientifique, c'està-dire celle des hommes qui ont fait leur état, leur profession d'un art ou d'une science. Ils ont en général les plus puissans motifs d'intérêt, d'honneur et d'inclination pour ne négliger aucun des moyens d'acquérir les connaissances relatives à leur état. Un jugement erroné de leur part, s'il est reconnu pour tel, peut faire une brèche à leur réputation, et par-là même nuire à leur avancement dans le monde.

Au second degré de cette échelle je place l'autorité qui est dérivée du pouvoir. Plus un individu possède de pouvoir politique, plus l'autorité de son opinion dans les matières qui le concernent se rapproche de l'autorité professionnelle, eu égard aux facilités que sa situation lui fournit pour obtenir les informations nécessaires.

Au troisième degré, vient l'autorité qui dérive de l'opulence. L'opulence étant un instrument qui facilite, à tout âge, les moyens d'information, donne naturellement du crédit aux opinions de la classe qui en jouit.

Vient ensuite l'autorité dérivée de la réputation; je n'entends pas la réputation spéciale, relative à un art ou une science qui n'est autre que l'autorité experts, mais la réputation générale, celle de quelque mérite supérieur qui est une des causes, naturelles de respect.

des

Observez que de ces autorités, la première est la seule qui possède une force persuasive légitime, c'est-à-dire qu'elle seule, par rapport à l'information, réunit les motifs et les moyens. Dans les autres cas, quels que soient les moyens que possède un homme, en vertu de sa situation, il ne s'ensuit pas qu'il ait eu les motifs, c'est-à-dire des motifs assez forts, assez persévérans pour se mettre en possession des moyens.

Au contraire, plus un individu s'élève dans l'échelle du pouvoir ou de l'opulence, plus il est sujet à baisser même au-dessous du niveau commun, par rapport aux motifs de travail et d'application. Pourquoi? c'est que plus il possède, plus ses désirs sont dans un état de saturation, si j'ose employer cette expression de chimie; moins il lui reste de ces désirs non satisfaits qui opèrent sur l'esprit en qualité de motifs, qui lui servent d'aiguillon pour vaincre les difficultés de l'étude.

Mais si l'opinion des Experts forme une base légitime d'autorité, c'est toujours dans la supposition d'une probité parfaite de leur part, de cette

branche de probité qui consiste en sincérité : toujours dans la supposition qu'il n'existe point d'intérêt oblique, agissant sur leur opinion pour la pervertir.

Dans le cas contraire, l'entendement de l'individu étant soumis à l'influence d'un intérêt séducteur, plus la masse d'information qu'il possède est grande, moins son opinion doit avoir d'autorité. Si elle doit servir de guide, ce n'est que dans un sens inverse.

Supposez, par exemple, une question relative aux salaires ou aux récompenses pour les services publics, l'opinion de tout homme actuellement en office ou en attente d'office, non-seulement n'est pas égale en autorité, mais elle est inférieure à l'opinion de tout individu sans intérêt personnel à la question. L'autorité des intéressés n'est pas, dans le langage mathématique, égale à o : elle est négative, elle est au-dessous de o, en tant qu'elle fournit une raison en faveur de l'opinion contraire.

Supposez de même une question relative à la réforme de la procédure, tendante à la rendre plus expéditive, plus économique, moins vexatoire; l'opinion d'un homme de loi qui s'enrichit par les vices du système judiciaire, n'est pas égale à o; mais dans un sens mathématique, elle est négative, elle est au-dessous de o.*

* Molière, dans le Mariage forcé, a signalé cet intérêt sé

Observons toutefois que ce qui détruit son auto. rité, c'est que son opinion marche dans le même sens que son intérêt; car s'il opinait contre son intérêt, son autorité n'en serait que plus grande. Pourquoi ? c'est qu'ayant à un plus haut degré tout ce qui constitue les bases d'un jugement éclairé, quand un homme de cette classe se montre supérieur aux intérêts personnels, la probabilité en faveur de son opinion, toutes choses d'ailleurs égales, est comparativement plus grande.

C'est d'après ce principe, fondé sur l'expérience, que nos cours de justice ont établi une des règles les plus raisonnables et les moins sujettes à exception dans la procédure. La preuve la plus faible c'est le témoignage d'un homme en sa propre faveur; la plus forte, c'est son témoignage contre lui-même.

Que fera-t-on en conséquence? Doit-on exclure, doit-on refuser d'entendre les hommes qui, par état, possèdent les meilleurs moyens d'information, parce qu'ils sont exposés à l'influence d'un intérêt séducteur? Tout au contraire, c'est une raison pour les écouter avec plus d'attention : capables comme ils le sont, en vertu de leurs connaissances relatives, de fournir tous les argumens

ducteur par une expression que sa vérité a rendue proverbiale. - Monsieur Josse, vous étes orfévre.

pertinens, toutes les objections directes contre la mesure proposée, plus on est fondé à conclure, s'ils ne la combattent que par de mauvaises raisons, qu'il n'y en a point de bonnes à alléguer contre elle. Le recours à des subterfuges est dans ce cas un aveu de défaite.

Nous avons dit de plus que, pour estimer la valeur d'une autorité, il y avait deux autres circonstances à considérer, la conformité des cas, et. la fidélité des intermédiaires. Ceci ne demande que peu d'explication.

Relativement à la conformité, il est clair qu'on n'en peut juger par aucune règle générale. Chaque cas requiert un examen particulier, une comparaison détaillée pour apprécier les ressemblances et les différences entre le sujet immédiat qui est en question, et le sujet passé auquel l'autorité se rapporte. Je me borne à observer que cet examen fournira souvent le moyen le plus sûr de ruiner le sophisme de l'autorité. Plus les circonstances seront bien considérées, plus on trouvera que celles qui servaient de base à l'opinion alléguée ne sont point semblables à celles qui existent actuellement. Se conduire par autorité, c'est souvent faire le contraire de ce qu'on croit imiter.

Quant à la fidélité des intermédiaires par lesquels l'opinion a été transmise, on ne fait mention de cette circonstance que pour la rappeler. Il

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