Page images
PDF
EPUB

mais qu'elle est utile, et non-seulement utile, mais absolument nécessaire pour maintenir la constitution dans un état de vigueur; et parmi les adhérens de cette dernière opinion, se trouvent naturellement tous ceux qui ont part aux avantages dont cette influence se compose.

Voici donc l'usage et l'application de ce genre de sophisme.

Le mot corruption ayant un sens de blâme, ne saurait être employé par ceux qui défendent la chose même sans leur donner un air de contradiction ou de paradoxe. Ainsi, pour ne pas choquer les sentimens reçus, il faut la désigner tout au moins par un terme neutre, et ce terme est influence.

[ocr errors]

En effet, l'influence, prise en général et sans la distinction que nous avons faite, ne peut pas être condamnée d'une manière absolue. Celui qui veut défendre le tout ensemble, bon et mauvais, doit donc s'arrêter à ce terme commode, et ne point sortir de ce retranchement.

SUITE SOPHISMES DES TERMES AMBIGUS.

Ce

que l'on défend sous un nom Est souvent permis sous un autre. LAMOTHE.

V. Distinction simulée.

QUOIQUE Ce Sophisme soit du même genre que le précédent, puisqu'il tient à l'ambiguïté des termes, il en diffère toutefois par la forme. Dans le précédent, on cherche à éluder une distinction, à confondre, sous un même mot, des choses trèsdifférentes. Dans celui-ci, on cherche à tromper par une distinction simulée. Mais on fera mieux connaître la nature de ce sophisme sous la forme d'une instruction pour l'employer.

Enseignons à donner des mots pour des raisons.

[ocr errors]

Avez-vous à soutenir un système trop mauvais être défensible en son entier, ou avez-vous pour à combattre une mesure trop évidemment bonne pour l'attaquer de front dans sa totalité ? Appliquez- y, si le cas le permet, une distinction simulée, par laquelle vous placerez sous un nom favorable tout le bien dont la chose est susceptible, et sous un nom défavorable tous les mauvais effets qu'elle peut avoir. Si la distinction n'est que

nominale ou si elle est très-confuse, vous vous en faites un retranchement dans lequel vous ne pouvez pas être forcé. Vous ne paraissez point vous opposer à la réforme proposée; au contraire, vous l'approuvez sous un nom, mais vous la combattez efficacement sous un autre.

1° Exemple: Liberté et licence de la presse.

La presse a deux usages distincts, l'un moral, l'autre politique. L'usage moral comprend tout ce qu'elle. peut faire pour améliorer la vie privée, par l'instruction ou l'amusement. L'usage politique comprend tout ce qu'elle peut faire pour améliorer le gouvernement, ou pour s'opposer aux fautes et aux erreurs des hommes publics: ce qui se fait en donnant à ces fautes et à ces erreurs ce degré d'évidence et de publicité qui les expose à un blâme proportionnel de la part de la communauté qu'ils gouvernent.

Si les fautes des hommes publics ne sont pas soumises à ce frein, il s'ensuit que hors des cas où elles se rangent dans les délits positifs, elles n'en 'ont aucun; et que s'ils sont à couvert des peines légales, ils peuvent exercer un pouvoir arbitraire sans contrôle et sans examen. Le champ est libre pour l'incapacité et pour l'injustice.

Il ne faut pas oublier que, par rapport à ces

malversations qui, si elles étaient prouvées, les exposeraient à des peines légales, ces hommes publics ont une sécurité qu'ils doivent à leur situation même, par la difficulté de les poursuivre, par leur crédit personnel, ou par un système de procédure si long, si ruineux, si vexatoire, qu'il rend le temple de la justice inaccessible à des individus opprimés et isolés.

Mais en même temps, la presse ne saurait être absolument libre sans donner lieu à des abus. Sous prétexte de relever les fautes des hommes publics, on leur en attribuera qu'ils n'ont. jamais commises; et quand les imputations sont trouvées fausses, il est très-naturel que non-seulement celui qui souffre, mais encore tous ceux qui sont instruits de cet excès, le caractérisent par le terme de licence.

Ici se présente le dilemme. Un choix à faire entre deux maux: - admettre toutes les imputations, ou les exclure toutes.

[ocr errors]

Cependant si l'on trouvait un moyen de prévenir les imputations injustes sans donner l'exclusion à celles qui sont justes, on aurait gagné un point essentiel. Mais jusqu'à ce que ce moyen soit trouvé, tout ce qui restreint la liberté de la presse est plus nuisible qu'utile.

*

* Ceci sera prouvé dans un autre article. Voyez Sophisme qui protége les prévaricateurs officiels, chap. 12.

Ce moyen, qui préviendrait le mal sans porter atteinte au bien, ne peut exister que par une détermination précise, une définition claire et complète du terme, quel qu'il soit (libelle ou autre), par lequel on désigne l'abus ou l'usage pernicieux de la presse.

La fixation du délit n'appartient qu'à ceux qui ont l'exercice du pouvoir suprême.

Mais ils n'ont jamais donné cette définition, et on ne saurait raisonnablement l'attendre de leur part, puisqu'elle tendrait à diminuer leur pouvoir.

Jusqu'à ce que cette définition soit donnée, la licence de la presse est la révélation de tout abus qui peut nuire aux intérêts des personnes constituées en autorité, ou les exposer à quelque honte. La liberté de la presse est la publication de tout ce qui n'affecte ni leur intérêt ni leur honneur.

Si jamais la définition du délit existe, alors on pourra s'opposer à la licence de la presse sans s'opposer à sa liberté. Jusque-là, il est impossible d'attaquer la première sans attaquer la seconde.

Après cette explication, il est facile de concevoir l'usage sophistique de cette distinction simulée.

Le sophisme consiste à employer la feinte approbation qu'on donne au service de la presse sous le nom de liberté, comme un masque ou un manteau, pour couvrir l'opposition réelle qu'on lui donne sous le nom de licence.

« PreviousContinue »