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2o Exemple: Réforme tempérée et intempérée.

Le langage ne fournit point de terme propre et unique pour désigner une espèce de réforme politique qu'on veut représenter comme excessive ou pernicieuse: il faut, dans ce cas, avoir recours à des épithètes, telles, par exemple, que violente, intempérée, etc.

Si, à la faveur du subterfuge que fournissent ces termes désapprobatifs, un homme se livre à l'habitude de réprouver toute réforme, sans spécifier ce qu'il blâmé, on peut conclure, en général, avec certitude, que sa désapprobation réelle et son opposition ne se bornent pas à tel degré, à telle circonstance de la réforme, mais qu'elle s'étend à sa substance et à sa totalité, ou, en d'autres termes, qu'il est déterminé à soutenir de toutes ses forces l'abus entier, tel qu'il existe et sans correctif.

Ainsi, ces grands ennemis des réformes prétendues intempérées sont presque, sans exception, des ennemis de toute réforme.

Qu'ils soient intéressés dans un abus, voilà une raison suffisante pour protéger tous les abus ou presque tous. Ils savent que l'on ne saurait toucher à l'un sans mettre les autres dans un péril plus ou moins imminent.

Mais, quoique bien déterminés intérieurement

à s'opposer à toute réforme, s'il leur paraît prudent de sauver les apparences, ils adopteront cette marche fallacieuse des distinctions simulées ; ils parleront de deux espèces de réforme, dont l'une est un objet d'éloge, l'autre un objet de blâme : l'une est tempérée, modérée, praticable; l'autre est excessive, extravagante, outrée, pure innovation, pure spéculation, etc.

Cherchez à pénétrer le vrai sens caché sous ces mots. Il y a deux espèces de réforme, l'une qu'ils approuvent, l'autre qu'ils désapprouvent mais l'espèce qu'ils approuvent est une espèce qui ne renferme rien, idéale, vide, ne contenant aucun être individuel; ce serait, en histoire naturelle, l'espèce du phénix.

L'espèce de réforme qu'ils désapprouvent est au contraire celle qui est féconde, celle qui renferme un genre réel et des individus réels, celle qui s'applique à des abus existans, celle qui se réalise en effets distincts et palpables.

CHAPITRE XI.

OBSERVATIONS SUR LES CINQ SOPHISMES PRÉCÉDENS.

LES Sophismes de cette classe consistent tous dans le même artifice: éluder la question; s'en tenir à distance; substituer des termes généraux à des termes particuliers; des termes ambigus à des termes clairs; éviter ce qu'on peut appeler un combat en champ clos avec son adversaire.

Dans les autres sophismes, l'argument est étranger à la question; mais il y a toujours une espèce d'argument par lequel on cherche à produire une erreur. Dans les sophismes de cette classe, il n'y a point d'argument. Sunt verba et voces, prætereaque nihil. Le raisonneur vous échappe d'une manière plausible par un terme d'une signification si étendue, qu'elle embrasse le bien et le mal, ce que vous approuvez et ce que vous condamnez. Il se refuse à toute distinction, ou il vous embarrasse par une distinction simulée. C'est une sorte de ballon métaphysique par lequel il s'élève dans les nues; vous ne pouvez pas le forcer à descendre et à venir à l'abordage.

Ce mode de combattre appartient également à des hommes habiles et à des sots. Mais il n'est point

de sophisme moins dangereux que celui-ci entre les mains d'un homme sans talent. Telum imbelle sine ictu. C'est pour la rhétorique un ample magasin de lieux communs qui fournissent à un grand orateur des draperies éclatantes, et à un mauvais parleur de vieilles nippes délabrées.

Le mode opposé à ce mode aérien de contestation est celui qu'on appelle argumentation serrée.

Ce mode suppose que pour chaque objet dont il s'agit, on emploîra de préférence l'expression la plus particulière que le sujet fournisse ; la question sera présentée avec toute la clarté possible; et on en écartera soigneusement tout ce qui ne lui appartient pas.

L'homme qui aspire à ce genre de mérite, pénétré de cette vérité fondamentale, qu'en matière de législation les idées exactes sont la seule base des bonnes mesures, cherchera d'abord à classer les divers objets selon leur nature, et à les exprimer par une nomenclature correcte: unique moyen d'éviter la confusion et de distinguer ce qui appartient à chaque sujet.

Ainsi, par rapport aux délits, après avoir déterminé leur caractère commun, leur définition générale (actes nuisibles d'une manière ou d'une autre au bien-être de la communauté), il cherchera les caractères particuliers de ces délits pour en faire des classes; et, après avoir placé dans chaque classe

tous ceux qui sont unis par des propriétés semblables, il verra clairement en quoi ils se ressemblent, en quoi ils diffèrent, leur gravité comparative, le traitement qui leur convient, le mal qui en résulte et les remèdes qu'on peut y appliquer.

Il verra les délits se diviser en quatre grandes classes: 1° les délits privés, ceux qui affectent un individu assignable, et qui produisent un mal immédiat et un mal d'alarme; 2° les délits personnels ou envers soi-même ; 3° les délits demi-publics ou contre une portion particulière de la communauté; 4° les délits publics qui, sans affecter aucun individu plus qu'un autre, nuisent à l'intérêt général,

Les délits privés se subdivisent en délits contre la personne, contre la réputation, contre la propriété, contre la condition.*

Je me borne à cet exemple; mais il suffit pour montrer comment une bonne classification et une bonne nomenclature qui en est la suite, sont absolument nécessaires pour produire sur chaque objet une argumentation serrée. Jusque-là, on raisonne en l'air avec des mots vagues et des notions confuses.

Voyez, par exemple, dans le Code anglais, comment les délits sont groupés ou plutôt jetés pêle-mêle sous des dénominations qui n'ensei

Voyez Traités de législation, tom. I, pag. 172. Classification des délits. Avantages de cette classification.

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