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distingué. Un chétif orateur qui ose s'en servir, ne produit aucun effet et devient ridicule.

Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

Dans un état despotique, ceux qui gouvernent n'ont à influer que sur l'entendement ou la volonté d'un seul. Par rapport au peuple, on ne lui donne pas des raisons, on lui intime des ordres.

Dans un état libre, il faut influer sur l'entendement ou la volonté d'un grand nombre, et de là, la nécessité des argumens vrais ou faux.

La corruption*, a dit Hume, est une preuve de la liberté. Les sophismes en sont une preuve du même genre.

Mais il ne faut pas tirer de là une objection contre les états libres, contre les assemblées politiques dont les débats ont de la publicité; car en pesant le bien et le mal, la balance est considérablement en faveur du bien. Cette lutte publique entre tous les intérêts aura une tendance à former des athlètes plus habiles et plus exercés. Les abus, il est vrai, seront défendus avec art, les institutions vicieuses seront présentées sous des aspects trompeurs; mais en résultat, il y aura plus de têtes pensantes, plus de vigueur intellectuelle; le

* On entend par corruption l'emploi des moyens d'influence du gouvernement sur les votes de l'assemblée.

tribunal de l'opinion se compose à la longue de juges plus éclairés ; et dans ce combat entre l'erreur et la vérité, la victoire doit enfin demeurer du côté de ceux qui emploient des armes d'une meilleure trempe. Le progrès peut être lent, mais les avantages une fois obtenus sont durables parce que la nature de la constitution les met à l'abri du caprice. Ceci paraît vrai, du moins par rapport à l'Angleterre, et son histoire en fournit un grand nombre de preuves.

Disons ici un mot de la grande république américaine. Le congrès des États-Unis est la seule assemblée qui exerce les mêmes pouvoirs et avec la même publicité que le parlement britannique. Où en sont-ils pour l'emploi des sophismes?

Il est certain que leurs fondateurs, en traversant l'océan, se sont affranchis de plusieurs abus qui sont restés dans la mère-patrie, et qui ne pouvaient se transplanter dans un établissement colonial.

Un gouvernement naissant ne peut avoir que les emplois nécessaires. Il n'y a point de place pour des prête - noms, point pour des surnumé– raires, pour des dignités sans office ou pour des offices nominaux, etc.

Par la même circonstance rénovatrice, il est un grand nombre de sophismes qui ne pouvaient pas émigrer avec les colons. Point de clameur

générale contre l'innovation dans un pays où il fallait tout créer. Point de culte idolâtríque pour les ancêtres dans des colonies où les individus rassemblés de toutes les parties du monde, n'avaient pas d'ancêtres communs. Point de superstitions générales fondées sur les traditions des temps d'ignorance. Point de préjugés d'autorité dans des états où il n'y a pas de succession de personnages puissans d'une réputation imposante. On pourrait prolonger encore cette liste négative de causes d'erreur qui n'existent pas dans le congrès des États-Unis. Mais il en est sans doute d'autres qui leur sont particulières, tenant à leurs diverses constitutions, à leurs diverses religions, à des préventions nationales, à des oppositions d'intérêt, ou à des exagérations républicaines. Il ne faudrait rien moins qu'une profonde étude de tout ce qui concerne ce faisceau de républiques, pour être en état de juger quels sophismes doivent prédominer dans cette assemblée.

CHAPITRE VI.

DES RÔLES DIVERS PAR RAPPORT AUX SOPHISMES.

TERMINONS cet ouvrage par quelques observations sur le caractère de ceux qui se servent de ces argumens sophistiques. Cherchons à distinguer les cas où il ne faut accuser que l'intelligence, et ceux où on peut présumér un défaut de sincérité.

"Une comparaison se présente d'elle-même entre les faux argumens et la fausse monnaie. Le fabricateur, le distributeur, l'accepteur, voilà les trois rôles nécessaires pour mettre un mauvais écu en circulation.

Chacun d'eux peut concourir au même acte sans avoir la même intention et le même degré de connaissance: 1° Mauvaise foi, 2° témérité, 5° erreur sans blâme; voilà les divers états où peut se trouver leur esprit par rapport à l'acte.

Le soupçon de mauvaise foi tombera plus naturellement sur le fabricateur que sur le simple distributeur. Qu'il s'agisse en effet d'un faux écu ou d'un faux argument, on ne peut faire ni l'un ni l'autre sans se donner quelque peine, et on ne prend cette peine qu'avec l'intention d'en tirer quelque profit. Dans le cas du faux écu, il est

certain que le fabricateur sait qu'il est faux dans le cas du faux argument, la certitude n'est point la même ; il y a des esprits fins et subtils qui se prennent dans leurs propres filets et que l'amourpropre rend ensuite aveugles. Cependant la mauvaise foi est plus probable du côté de celui qui fabrique le sophisme que de la part de ceux qui ne font que le recevoir et le répandre.

Plus l'intérêt séducteur est manifeste, plus on peut présumer la mauvaise foi mais ce n'est encore qu'une présomption; car il est possible que celui qui cède à son influence ne l'aperçoive pas. Sans un certain degré d'attention, un homme ne découvre pas mieux ce qui se passe dans son esprit que dans l'esprit des autres. Vous pouvez avoir en main un livre ouvert et fixer les yeux sur la page, sans rien apercevoir du contenu, si votre attention n'y est pas dirigée.

La présomption de mauvaise foi est au plus haut degré de force lorsque la question étant clairement posée, l'antagoniste s'obstine à l'éluder. Toute réponse évasive et non-pertinente est un silence relatif, et ce silence est équivalent à un aveu. C'est une présomption par laquelle on se guide dans un tribunal de justice, et cette règle peut s'appliquer aux plus hauts départemens de la législature.

De toutes les manières d'éluder, la plus décisive

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