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C'est de toutes les manières d'exciter l'industrie et de la récompenser, la moins onéreuse à l'état et la mieux proportionnée au mérite de l'invention. Ce privilége n'a rien de commun avec les monopoles si justement décriés.

Et s'il s'est établi des priviléges, ils doivent être abolis à l'instant, quelle qu'en soit l'origine.

Voilà le principe le plus injuste, le plus tyrannique, le plus odieux. Abolis à l'instant ! c'est bien là le mot d'un despote qui ne veut rien écouter, rien modifier, qui fait tout plier au gré de sa volonté, qui sacrifie tout à ses fantaisies.

Y a-t-il des jurandes, des maîtrises qui aient été achetées à grand prix? leur abolition subite jette un grand nombre de familles dans le désespoir. On les dépouille de leur propriété : on leur fait le même tort que si on admettait une multitude d'étrangers à partager leurs revenus-et cela à l'instant.

Y a-t-il des magistratures possédées par un titre héréditaire ? les possesseurs en seront dépouillés, sans aucun égard à leur condition, à leur bonheur et même à l'intérêt de l'état et cela à l'instant.

Y a-t-il des sociétés de commerce à qui la loi ait accordé un monopole? ce monopole est anéanti sans aucun égard à la ruine des associés, aux avances qu'ils ont faites, aux engagemens qu'ils ont pris et cela à l'instant.

Le plus grand mérite d'une bonne adminiştra

tion, c'est de procéder lentement dans la réforme des abus, de ne point sacrifier d'intérêts actuels, de ménager les individus en jouissance; de préparer par degrés les bonnes institutions, d'éviter tous les bouleversemens de condition, d'établissement et de fortune.

A l'instant est un terme importé d'Alger ou de Constantinople. Graduellement est l'expression de la justice et de la prudence.

Si les hommes ne sont pas égaux en moyens, c'està-dire en richesse, en esprit, en force, etc., il ne suit pas qu'ils ne soient pas tous égaux en droits.

Certainement la femme n'est pas égale en droits à son mari, ni le fils mineur à son père, ni l'apprenti à son maître, ni le soldat à l'officier, ni le prisonnier au geôlier, à moins que le devoir d'obéir ne soit exactement égal au droit de commander. La différence dans les droits est précisément ce qui constitue la subordination sociale. Établissez les droits égaux pour tous, il n'y a plus d'obéissance, il n'y a plus de société.

Celui qui a une propriété possède des droits, exerce des droits que ne possède point, que n'exerce point le non-propriétaire.

Si tous les hommes sont égaux en droits, il n'y a plus de droits car si tous ont le même droit à une chose, il n'y a plus de droits pour personne.

Tout citoyen qui est dans l'impuissance de pour

voir à ses besoins, a droit aux secours de ses concitoyens.

Avoir droit aux secours de ses concitoyens, c'est avoir droit à leur secours dans leur faculté individuelle ou dans leur faculté collective.

Donner à chaque indigent un droit sur les secours de chaque individu qui n'est pas au même degré d'indigence, c'est renverser toute idée de propriété; car dès lors, incapable de pourvoir à ma subsistance, j'ai droit de me faire nourrir par vous, j'ai droit à ce que vous possédez, c'est mon bien autant que le vôtre; la portion qui m'est nécessaire n'est plus à vous, elle est à moi; vous me volez si vous me la retenez.

Il est vrai qu'il y a des difficultés d'exécution; moi indigent, auquel de mes concitoyens dois-je m'adresser pour me faire donner ce qui me manque? Est-ce à Pierre plutôt qu'à Paul? Si vous vous bornez à déclarer un droit général, sans spécifier comment je puis l'exercer, vous ne faites rien du tout, je puis mourir de faim avant de savoir qui doit me donner de la nourriture.

Ce que l'auteur a dit, ce n'est pas ce qu'il a voulu dire. Son intention était de déclarer que les indigens auraient droit aux secours de la communauté. Mais alors il faut déterminer comment ces secours doivent se lever, se distribuer. Il faut organiser l'administration qui doit assister les pau

vres, créer les officiers qui doivent constater son besoin, et régler la manière dont il doit procéder pour mettre son droit en valeur.

Le soulagement de l'indigence est une des plus belles branches de la civilisation. Dans l'état de nature, autant qu'on peut s'en faire une idée, ceux qui ne peuvent pas se procurer de quoi vivre, meurent de faim. Il faut qu'il existe un superflu dans une classe nombreuse de la société, avant qu'on puisse en appliquer une partie au maintien des pauvres. Mais on peut imaginer un tel état de pauvreté, une telle famine, qu'il ne serait pas possible de donner du pain à tous ceux qui en manquent. Comment peut-on faire de ce devoir de bienfaisance un droit absolu? C'est donner à la classe indigente l'idée la plus fausse et la plus dangereuse : ce n'est pas seulement ôter aux pauvres toute reconnaissance pour leurs bienfaiteurs, c'est leur mettre les armes à la main contre tous les propriétaires.

Je sais bien que l'auteur se défendrait contre toutes les conséquences pernicieuses qui découlent si manifestement de ses principes, par les clauses qu'il a insérées, qu'on n'a jamais le droit de nuire à autrui, et que la loi peut mettre des bornes à l'exercice de toutes les branches de la liberté : mais ces clauses réduisent tout à rien car si la loi peut mettre des bornes, jusqu'à ce qu'on les connaisse, quelle connaissance a-t-on de son droit?

Quel usage en peut-on faire? Rien de plus captieux qu'une déclaration qui me donne ce qu'elle autorise à me reprendre. Ainsi rédigée, elle pourrait être reçue à Maroc et à Alger, sans faire ni bien ni mal.

FIN.

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