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Dans le livre 3 de cet ouvrage, Cicéron introduit l'interlocuteur Lælius qui reproduit et développe tous les raisonnemens de Carnéades et des autres sophistes grecs pour prouver qu'il n'y a pas de droit naturel, puisque ses principes sont violés en tous pays (1); que dès lors tout est livré à l'arbitraire des lois positives; que les états ne doivent connaître d'autres règles que leur plus grand avantage, parce que chacun doit chercher son bien.

On a perdu le texte de la réfutation, dans laquelle le génie de Cicéron, au témoignage des anciens, s'était élevé à une grande hauteur; c'est là qu'il démontrait la souveraineté universelle de la raison et de la justice, supérieure à la souveraineté du peuple et des nations, et au pouvoir absolu des rois.

Lactance nous a seulement donné le résumé de sa doctrine (p. 17 de la traduction de M. Villemain.) «Il est, dit Cicéron, (2) une loi véritable; » la droite raison, conforme à la nature, uni

(1) Rousseau a répondu à ce misérable argument dans cette véhé→ mente apostrophe qu'il adresse au sceptique Montaigne. « O Montai» gne! s'écrie-t-il, toi qui te piques de franchise et de vérité, sois » sincère et vrai, si un philosophe peut l'être; et dis-moi, s'il est » quelque pays sur la terre où ce soit un crime de garder sa foi, d'être > clément, bienfaisant, généreux; où l'homme de bien soit mépri»sable, et le perfide honoré. »

(2) Apud Lactant., Inst., liv. VI, ch. 8.

» verselle, immuable, éternelle, dont les ordres >> invitent au devoir; dont les prohibitions éloignent » du mal. Soit qu'elle commande soit qu'elle dé» fende, ses paroles ne sont ni vaines auprès des » bons, ni impuissantes sur les méchans; cette >> loi ne saurait être contredite par une autre, ni >> modifiée, ni abrogée : ni le sénat ni le peuple, >> ne peuvent nous délier de l'obéissance que >> nous lui devons. Elle n'a pas besoin d'un nouvel » interprète, ou d'un organe nouveau ; elle ne »sera pas autre dans Rome, autre dans Athènes ; >> elle ne sera pas demain autre qu'aujourd'hui ; >> mais parmi toutes les nations, et dans tous les >> temps, cette loi règnera toujours, une, éternelle, » impérissable, et le guide commun; le roi de la » créature, Dieu lui-même, en est l'inventeur; » il lui donne sa sanction, et il la promulgue; >> l'homme ne peut la méconnaître, sans se fuir lui>> même, sans renier sa nature, et par cela seul, >> sans se dévouer aux plus dures expiations, >> quand même il éviterait ce qu'on appelle les » supplices, ou punitions légales. >>

Il est bien fâcheux que nous n'ayons pas les propres paroles de Cicéron. Il paraît que cet éloquent orateur regardait ce morceau comme l'un des plus beaux qui fût sorti de sa plume (De Republ. liv. III, c. 20).

On lit à la fin du liv. II, ch. 42, qu'il est fux

que la chose publique ne puisse être gouvernée sans le secours de l'injustice, et qu'il est au contraire de toute vérité que la chose publique ne peut être gouvernée sans une extrême justice.

Cicéron avait commencé cet ouvrage par faire l'éloge de l'amour de la patrie. On ne pouvait mieux procéder en écrivant sur la politique; car à quoi bon parler à ceux dont l'égoïsme avait érigé en maxime de sagesse, qu'un homme prudent ne doit jamais se mêler des affaires de l'Etat, à moins d'une urgente nécessité?

V

Ce n'est pas ainsi que pensait Cicéron; il avait prouvé par son exemple que l'amour des lois s'allie fort bien, et est inséparable de la gestion des affaires publiques. Le caractère principal de son génie était de ramener tous ses ouvrages, même ses plaidoyers, à des idées générales et philosophiques. C'est ce qui fait que ses discours sont encore aujourd'hui si admirés, quoiqu'on ne prenne plus guère d'intérêt à ses cliens.

Cicéron pensait donc, que tout homme doit ses services à son pays, et que, dans les momens de crise, tout citoyen est magistrat. C'est ainsi qu'il loue le premier des Brutus, « homme émi» nent par son génie et sa vertu, d'avoir affranchi >> ses concitoyens du joug illégitime d'une odieuse » tyrannie. Quoique dépourvu d'aucun caractère >> public, il se chargea, dit-il, des destins de tout

» l'Etat, et le premier parmi nous, il nous ap » que personne n'est homme privé, quand il s'a » de conserver la liberté des citoyens. (1) » Cependant Cicéron n'était pas un démagogu au contraire, il détestait le gouvernement populai

Liv. 3, c. 23, il déclare « qu'il n'existe poi » de peuple pour lui, si ce peuple n'est conte >> par le lien commun de la loi ; hors de là, cet a »semblage d'hommes est aussi bien un tyr » qu'un seul homme; c'est même un tyran pl » détestable. Il n'y a rien, dit-il, de plus exécr »ble que cette bête féroce qui usurpe la forn » et le nom de peuple. >>

Dans son ouvrage, Cicéron ne cache pas sa pr dilection pour la monarchie; mais il faut voir d quelle monarchie il parle ; ce n'est pas de celle o les rois sont revêtus d'un pouvoir absolu. « L'ima » gination, dit-il, ne peut concevoir un mons » tre plus épouvantable, plus funeste, plus haïs »sable de la part des hommes et des Dieux, qu »le tyran qui, sous la forme humaine, surpass » en cruauté les plus hideux animaux. Peut-on >> en effet, laisser avec vérité le nom d'homme a >> qui n'admet entre lui et ses concitoyens, entre >> lui et l'humanité toute entière, aucune com

(1) Qui cum esset privatus, totam rempublicam sustinuit; primusque in hac civitate docuit, in conservanda civium libertate, esse privatum neminem.

>>munauté de droits, aucun partage de sentimens

>> humains! >>

Et on nous présente Cicéron comme le fauteur des doctrines ultrà-monarchiques et religieuses, lui qui flétrit d'une manière si énergique les tyrans ; lui qui, sans craindre le sort de Socrate, s'est moqué, dans son Traité de la Divination, des absurdités du polythéisme!

Quelles étaient donc les idées de ce patriote romain, de ce grand homme qui a si bien connu les diverses formes de gouvernement ; qui a indiqué avec tant de vérité les moyens par lesquels elles se corrompent?

pou

Il voulait une monarchie tempérée par le voir du sénat et par l'assemblée générale du peuple; c'est ce qui résulte évidemment du soin qu'il a pris, au liv. 11, d'établir que ce fut le peuple qui disposa, par des plébiscites, de la royauté; d'abord en faveur de Numa, après un interrègne d'une année (ch. 12 et 13), pouvoir dont Numa lui-même fit régler l'exercice par une seconde loi votée par les curies; puis en faveur de Tullus Hostilius (1), par un acte porté en l'assemblée générale des comices, sur la proposition de l'interroi (ch. 17).

Une autre loi curiale transmit le même pou

(1) C'est ce roi qui établit le droit fécial ou droit des gens. ( Cicéron, ibid. ch. 17.)

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