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L'esclavage fondé sur une convention présumée est, selon Grotius, un état légitime.

Cette première erreur admise, on n'est pas étonné de voir qu'il reconnait le droit de conquête par suite d'une guerre légitime. Il nie que les gouvernemens soient établis en faveur des vernés; il y en a qui, par suite d'aliénation volontaire ou par droit de conquête, sont devenus la propriété du prince.

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On conçoit que des maximes aussi serviles aient excité l'indignation de Rousseau, et qu'il ait supposé à Grotius l'intention de faire sa cour au monarque auquel il dédiait son ouvrage.

Toutefois Grotius reconnaît que le pouvoir du prince peut être limité, et que les engagemens par lui contractés sont obligatoires, en droit strict et en droit naturel: il prévoit même le cas de déchéance, et il l'approuve, s'il est appuyé sur une convention. Comment n'a-t-il pas vu, comme Barbeyrac , que cette convention est forcément sousentendue pour le cas de violation

n'y a pas d'autre remède?

grave, quand il

Grotius appuie presque toutes ses décisions sur les conventions, qu'il rapporte au droit naturel; et outre qu'avec ses éternelles et fastidieuses citations il les a très-fréquemment mal interprétées ; son erreur consiste à n'avoir pas vu qu'il y a des choses qui ne peuvent pas faire l'objet d'une convention, parce qu'il y a des droits inalienables.

Grotius reconnaît que les états, quoique non égaux en force, sont égaux en droits. Il croit que la souveraineté, inhérente à tout état indépendant, n'est pas altérée par l'obligation de payer un tribut ou d'avoir ses places occupées, pourvu que ces prestations aient un terme. Il ne peut y avoir de prééminence d'un état sur l'autre qu'en vertu d'une convention expresse.

Ainsi tout état indépendant a droit d'asile et de protection, il ne peut être forcé à l'extradition que par des traités spéciaux.

Les souverains étrangers n'ont pas le droit d'intervenir dans les discussions entre le prince et ses sujets; ce serait une atteinte à la souveraineté qui ne serait légitime qu'autant que les deux parties contendantes l'auraient reconnue; mais alors ce serait un arbitrage (1).

Grotius reconnaît qu'on peut résister, même par la force, à toute usurpation du souverain quand son pouvoir est limité; mais qu'on doit, dans tous les cas, épargner sa personne; la résistance à un conquérant ou à un usurpateur est de droit, tant qu'il n'y a pas eu de traité et qu'on ne lui a pas prêté serment de fidélité. Il admet qu'on peut tuer un usurpateur; mais il avertit qu'un simple

(1) V. La sentence rendue en 1263 par Saint-Louis, entre le roi Henri III et les barons anglais, au sujet de la violation de la grande Charte.

particulier qui fait cette entreprise contracte une responsabilité terrible, non-seulement envers luimême, mais aussi envers ses concitoyens.

Au reste, Grotius avoue que la présomption est toujours en faveur du possesseur : c'est pour cela qu'un statut anglais du règne de Henri VII défend de jamais inquiéter ceux qui se sont soumis, et même ceux qui défendent le gouvernement de fait.

Grotius n'a pas très-bien saisi l'origine de la propriété. Sans doute l'auteur des choses a donné aux hommes la terre pour leur nourriture; mais d'après les règles de l'équité, il est évident que celui qui l'a mise en culture a un droit exclusif contre celui qui n'a rien fait pour elle : l'occupation est donc un moyen légitime d'acquérir; la propriété a donc son fondement dans le droit naturel.

Pourquoi la mer n'est-elle la propriété de personne? c'est qu'elle n'est pas susceptible d'être occupée réellement : si l'homme pouvait y appliquer son industrie, il en deviendrait propriétaire comme de toute autre chose; et c'est ainsi que l'on ne peut contester à un état la propriété des côtes, des ports, havres, etc.

Celui qui prend à la chasse une bête sauvage, ou un oiseau, ou un poisson, en devient propriétaire, parce qu'il l'a rendu sien. La chasse ne peut être exclusive qu'en ce sens qu'on peut empêcher

les chasseurs de fouler les terreins ensemencés. La propriété est tellement fondée sur l'occupa

tion, que

, que dans beaucoup de pays il n'y a pas d'autre titre légitime de possession.

Si la nécessité oblige quelqu'un à s'emparer de la propriété d'autrui, ce ne peut être qu'à la charge d'une juste indemnité. Par le droit naturel, l'homme est obligé d'assister son semblable..

C'est à cause de ce droit d'assistance, qu'un navire qui aborde forcément dans un pays prohibé a le droit d'y faire de l'eau et d'y acheter des vivres, en un mot tout ce qui est nécessaire à la vie. Les neutres continuent de commercer avec les puissances belligérantes; en cela ils ne font qu'user d'un droit naturel; il leur est défendu seulement de vendre des objets servant à la guerre ou de ravitailler une place réellement investie et prête à succomber.

Le blocus est légitime, en tant qu'il est réel et non fictif, parce qu'il est une sorte d'appréhension anticipée du pays ennemi.

Quant au blocus sur le papier, il en est de même que des actes par lesquels des princes ou des états se déclarent propriétaires de pays que réellement ils n'occupent pas, comme on l'a fait pour les Indes dans le 16. siècle.

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C'est violer le droit naturel que de repousser les étrangers qui respectent les lois du pays, parce

que c'est leur refuser une assistance à laquelle ils ont droit de prétendre comme membres de l'humanité.

Le mariage étant de droit naturel, c'est encore violer les principes que de l'interdire aux étrangers : nous avons des réglemens qui défendent aux Français de contracter mariage en Levant avec des Musulmanes. Ces réglemens sont contraires à la liberté naturelle et à la liberté des cultes. Ils sont nuls.

La prescription vient du droit naturel parce qu'elle est une véritable occupation, et qu'on présume de la part de celui qui se tait, tait, l'abandon de sa chose perdue; mais pour cela, il faut que le propriétaire dépouillé ait eu la liberté de réclamer. L'occupation seule, quand elle n'est pas contredite et qu'elle ne se fait au préjudice de personne, suffit pour constituer le droit. Grotius considère le pouvoir paternel comme un droit sur la personne, qui dérive de la génération, de même qu'il déduit l'esclavage du cousentement ou de la force. Nous croyons au contraire que pouvoir paternel n'est qu'un devoir : vous avez donné le jour à un être faible, vous lui devez protection et secours; ce pouvoir ne vous est donné que dans l'intérêt de votre enfant. Celui-ci vous doit sans doute de la reconnaissance; mais il n'est pas votre sujet ; aussitôt qu'il arrive à l'âge d'homme, il devient indépendant, parce qu'il n'a

le

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