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COUR DE COLMAR.

(24 mai 1848.)

SÉPARATION DE BIENS, DÉSORDRE DU MARI,
APPORTS DE LA FEMME, RÉDUCTION.

Il y a lieu de prononcer la séparation de
biens lorsqu'il est établi que, par la faute
du mari, les apports de la femme se trou-
vent réduits de plus du quart depuis moins
de quinze mois, et que, d'ailleurs, le mari
est sans ressources et n'offre aucun gage
pour garantie des reprises de la femme (1).
C. civ. 1443.

DAME HESSÉ C. HESSÉ.

Les époux Hessé se sont mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. Le mari n'avait absolument aucune fortune personnelle. Les apports de la femme se sont élevés à 17,162 fr., consistant partie en argent, partie en immeubles. Les époux montèrent, à Strasbourg, un commerce d'indiennes. Au bout de peu de temps de mariage, la partie de la dot consistant en argent avait été dissipée; le mari avait même contracté, avec le concours de sa femme, un premier emprunt hypothécaire. Sur le refus de sa femme de concourir à un nouvel emprunt, il vendit ses marchandises à vil prix pour se procurer l'argent

dont il avait besoin. La dame Hesse forma alors

39 contre son mari une demande en séparation de biens.

Par un premier jugement du 8 novembre 1847, le tribunal civil de Strasbourg ordonna, avant faire droit, qu'il fût dressé un inventaire. Cet inventaire constata, dans les apports Le sieur Hessé prétendit, pour repousser la de la femme, l'existence d'un déficit de 5,686 fr. demande de sa femme, que le désordre de ses affaires provenait des folles dépenses et de l'inconduite de celle-ci.

26 janv. 1848. jugement qui déboute la dame Hessé de sa demande ;

«Attendu que, s'il est constant que la fortune de la femme ait diminué depuis le mariage, rien ne démontre que ce soit par la faute du mari; qu'à cet égard il n'existe que les allégations de la femme.

Appel par la dame Hessé. Le mari ayant fait défaut sur cet appel, la Cour de Colmar rendit, le 42 avril 1848, un premier arrêt par défaut, qui prononça la séparation de biens. Cet arrêt est ainsi conçu :

• Considérant qu'aux termes de l'art. 1443 C. civ., l'action en séparation de biens est ouverte au profit de la femme lorsque sa dot est mise en péril et que le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les biens plir les droits et reprises de la femme; que ce de celui-ci ne soient pas suffisants pour remdouble caractère se rencontre dans l'espèce, puisque l'appelante prouve, par la production de son contrat de mariage, et par l'inventaire fait en exécution du jugement préparatoire du 8 nov. 1847, que ses apports, qui étaient de (1) La séparation de biens peut même être pro- moins de quinze mois de mariage, et qu'il est 17,962 fr., ont été réduits de plus du quart en noncée quoique la solvabilité actuelle du mari acquis que son mari est sans ressources et n'ofsoit incontestable, qu'il ait encore de quoi répon- fre aucun gage pour garantie des reprises de dre des droits de la femme, par cela seul qu'il administre mal (Pont et Rodière, Du contrat de sa femme; Que ce désordre doit être réputé mariage, t. 2, n° 805), et surtout si sa mauvaile fait du mari, puisqu'en sa qualité d'admise administration donne lieu de craindre que les nistrateur des biens de sa femme et de chef de revenus de la dot ne soient point employés à sub-la maison de commerce qu'ils avaient créée, il venir aux besoins de la famille. (V., en ce sens, lui appartenait d'imprimer à cette double gesRiom, 29 août 1848 [qui précède], et nos obser- tion une direction qui en assurât le succès; vations, V. aussi Caen, 9 déc. 1848 [qui suit]). que, ne l'ayant pas fait, il doit assumer toute Il n'y a pas lieu non plus de distinguer entre le la responsabilité de son incurie et de ses discas où le désordre des affaires du mari provient sipations; qu'il est constant que non seulement d'une faute qui lui est directement imputable et celui où ce désordre peut être attribué à la fem- absorbées, mais encore qu'un emprunt hypoles économies que sa femme avait faites ont été me elle-même. Dans l'espèce de l'arrêt que nous thecaire de 1,000 fr. a été contracté, et que le rapportons, le mari avait allégué, pour repous-mari a enlevé du domicile conjugal une partie ser la demande en séparation de biens formée par du mobilier de sa femme, que celle-ci a été sa femme, que les folles dépenses et l'inconduite obligée de faire saisir-revendiquer; - Que de celle-ci étaient la cause du désordre de ses affaires. La Cour de Colmar, en rejetant cette allé-mari, et que les preuves que celui-ci voudrait ces faits dans leur ensemble sont imputables au gation comme inadmissible, semble avoir implicitement admis que ces circonstances ne pouvaient être un obstacle à la séparation de biens. C'est en effet au mari à arrêter les prodigalités de sa femme. S'il ne peut les empêcher, il doit lui faire donner un conseil judiciaire. « Mais il ne s'ensuit pas, disent avec raison MM. Pont et Rodière (t. 2, no 794) que le mari doive conserver le sceptre de l'autorité domestique que sa faiblesse l'a rendu indigne de porter. » - V. aussi, en ce sens, Paris, 15 déc. 1815; Rennes, 17 juil. 1816, 9

fév. 1818; Angers, 22 fév. 1828. Bellot Des

minières, Du contrat de mariage, t. 2, p. 101 et 102.

V. cependant Metz, 18 juin 1818.

faire pour décliner cette responsabilité, en la rejetant sur sa femme, sont inadmissibles; que, sous ces rapports, il y a lieu d'accorder à la femme le bénéfice de la séparation de biens, comme le seul moyen de la préserver d'une ruine complète... »

Sur l'opposition formée par le mari,

DU 24 MAI 1848, arrêt C. Colmar, 1re ch., MM. Rossée 1er prés., Véran subst. proc. gén. (concl. conf.), Neyremand et Koch av.

« LA COUR ; Considérant que les moyens proposés sur l'opposition étaient acquis à la cause lors de l'arrêt par défaut du 12 avril der

nier, puisqu'ils avaient été soumis aux pre-
miers juges;- Que, ces moyens ayant été suf-
fisamment appréciés par cet arrêt, il devient
inutile de les apprécier de nouveau...;
BOUTE le demandeur de son opposition, etc.
A. H.

COUR DE CAEN.

(9 décembre 1848.)

SÉPARATION De biens, dot, PÉRIL, INSOLVABILITÉ DU MARI, dettes moDIQUES, DETTES PERSONNELLES A LA FEMME.

Il y a lieu de prononcer la séparation de biens lorsque l'insolvabilité du mari est constatée par la vente de son mobilier, par des sommations et commandements à fin de paiement des contributions qui grèvent les propres de sa femme, par le non-paiement des arrérages d'une rente affectée sur ces propres, et enfin par des saisies-arrêts et des transports absorbant pour plusieurs années la totalité des revenus de la femme (1). C. civ. 1443.

Vainement le mari prétendrait soit que les del tes dont il est grevé sont d'une modique va leur, alors que cette circonstance proui e seulement l'exiguïté de ses ressources, soit que ces dettes sont personnelles à la femme, puisque, en sa qualité d'administrateur de la dot de celle-ci, il doit solder les dettes qui lui sont personnelles, sauf à en obtenir récompense, le cas échéant, lors de la liquidation definitive à intervenir entre eux.

DAME YVONNET C. YVONNet.

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Con

fr., sur lesquels il ne lui a été délivré, lors d'un règlement intervenu il y a quelques années entre les parties, que les linges et hardes - Dé-à son usage; que cette dernière soutient, de plus, qu'elle a des reprises à exercer sur son mari du chef de sa mère, dont la succession s'est ouverte en 1836, succession dont, à l'en croire, Yvonnet aurait vendu le mobilier; et du chef de son père, décédé en 1845, reprises qui, quoique non liquidées, n'auraient pas moins une origine certaine; Considérant que la position de fortune d'Yvonnet paraît fort critique; qu'elle n'offre aucune garantie rassurante pour le recouvrement des droits que sa femme a à réclamer contre lui; qu'il est constant que l'appelant n'est propriétaire d'aucun immeuble, qu'il n'a aucun revenu; que le chétif mobilier qu'il possédait a été vendu au mois de mars 1846, à la requête de sa femme, pour le paiement d'une provision de 200 fr. accordée à cette dernière; sidérant qu'à ces premiers fails il convient d'ajouter que la femme affirme que son mari n'a point payé les contributions des années 1847 et 1848 qui grèvent les biens appartenant à ladite femme; que pour justifier ce soutien elle produit des commandements, des sommations; qu'elle ajoute que l'appelant ne l'a point libérée des arrérages d'une rente affectée sur les biens propres d'elle femme qu'il a soldé ces dettes, mais qu'il ne préYvonnet; Qu'à la vérité ce dernier articule sente aucune quittance pour justifier cette assertion; que vainement il veut atténuer ces faits, en faisant remarquer que ces dettes seraient d'une modique valeur, puisque cette circonstance prouverait seulement l'exiguïté de ses ressources; Considérant que la dame Yvonnet, pour appuyer sa demande, invoque encore une saisie-arrêt cxercée, le 17 juin 1847, par un sieur Marie, en paiement de onze années de loyer d'une maison qui aurait été habitée par le mari seul; un transport signifié le 26 sept. 1845, et consenti pour réparations faites aux immeubles appartenant à la femme, un autre transport fait à M. Harel, avoué à Bayeux, transports qui absorberaient pour plusieurs années la totalité des revenus de la femme; enfin une saisie arrêt faite à la requête de Me Vautier, notaire; - Que l'appelant ne méconnaît pas l'exactitude des faits énumérés par sa femme; qu'il se borne à préétaient personnelles à sa femme; que pour tendre que les dettes qui y ont donné lieu quelques unes, telles que les loyers de la maison, les réparations locatives faites aux biens de la femme, cette assertion n'est pas vraie; que quant aux autres, en admettant que leur cause fût celle indiquée par l'appelant, le mari, en sa qualité d'administrateur de la dot de la femme, devait solder les dettes person. nelles de cette dernière, sauf à en obtenir récompense, le cas échéant, lors de la liquidation définitive qui devra intervenir entre les époux; Que dans cet état de choses, c'est avec raison que le tribunal de Bayeux a, le 13 avril dernier, accueilli la demande de la dame Yvonnet; etc. A. H.

DU 9 DÉCEMBRE 1848, arrêt C. Caen, 2me ch., MM. Régnault cons. f. f. prés., Sorbier av. gén., Valot et Feuguerolles av.

LA COUR ;-Considérant qu'il résulte des dispositions de l'art. 1443 C. civ. que la femme mariée peut poursuivre en justice sa séparation de biens lorsque sa dot est mise en péril ou lorsque le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les biens de Ice dernier ne soient pas suffisants pour remplir les droits et les reprises de la femme; Considérant qu'il est allégué par la femme Yvonnet, et non méconnu par son mari, que dans le contrat de mariage dont les couventions furent arrêtées entre les deux époux le 1er fév. 1824, Yvonnet reconnut l'apport fait par sa femme d'effets mobiliers estimés 1,045

(1) En présence des circonstances constatées par l'arrêt que nous recueillons ici, il était impossible, en effet, de ne pas reconnaitre qu'il y eût péril pour la dot de la femme. Il n'était pas moins évident que les revenus de la dot se trouvaient détournés de leur destination legale. V. au surplus, sur les causes qui peuvent donner lieu à la séparation de biens, Riom, 29 août 1848; Colmar, 24 mai 1848 (arrêts qui précèdent), et nos observations.

COUR DE CASSATION.

(97 février 1849.)

EXPROPRIATION

POUR UTILITÉ PUBLIQUE, CHEMIN DE FER, LIGNE PRINCIPALE, EMBRANCHEMENTS, GARE centrale.

Une compagnie, concessionnaire d'une ligne
principale de chemin de fer qui lui a été
livrée par l'état avec sa gare toute con-
struite, et d'embranchements se rattachant
à cette ligne principale, ne peut appliquer
à l'augmentation de la gare de la ligne
principale le droit d'expropriation concédé
pour la construction des embranchements...,
alors même que, par suite de fusion, elle
se compose des compagnies originairement
distinctes de la ligne principale et des em-
branchements (1). LL. 3 mai 1841, art.
2 et 3; 15 juil. 1845, art. 1.

COMPAGNIES HEIM ET ALQUIER
C. CHEMIN DE FER DU NORD.

est concessionnaire des embranchements de Lille à Calais et Dunkerque, et de Creil à Saint Quentin. Mais ses droits varient suivant qu'elle agit dans l'une ou l'autre de ces qualités. En effet, comme adjudicataire de l'exploitation du chemin de fer de Paris à la frontière de Belgique, elle n'a pas reçu de la loi le droit d'expropriation; l'état avait usé luinême de ce droit dans toute son étendue pour la construction du chemin et de ses accessoires, notamment de la gare de Paris; il a livré cette gare toute construite à la compagnie. Par la construction de la gare, le droit de l'état à épuisé. Ce droit n'a donc pas été transmis à la l'expropriation s'est trouvé complétement compagnie du chemin de fer du Nord; et la compagnie ne saurait en cette qualité se prévaloir de ce même droit; elle ne peut non plus le puiser dans sa qualité de concessionnaire des embranchements. Il est vrai que les cahiers des charges A et B annexés à la loi du 15 juill. 1845 énoncent (art. 27 du premier et art. 22 du second) une substitution formelle de la compagnie aux droits et aux obligations dérivant pour l'administration de la loi du 3 mai 1841. Mais c'est là une substitution spéciale à l'un et à l'autre des embranchements, et que commandait la nature des choses, puisque la compagnie adjudicataire s'engageait à exécuter ces embranchements à ses risques et périls. Ainsi, c'est pour ces embranchements seuls que le droit d'expropriation lui a été concédé, et elle ne peut l'appliquer par extension à l'agrandissement de la gare de Paris, qui est la gare du chemin de Paris à la frontière de Belgique. — Vainement dirait-on que les embranchements auront pour résultat d'accroître le mouvement et par suite d'influer sur la gare de Paris. Avec un pareil raisonnement, les Pourvoi par les liquidateurs de la compa- terrains avoisinant une gare de chemin de fer gnie Heim et par le gérant de la compagnie seraient perpétuellement à la merci des conAlquier pour violation des art. 2 et 3 de la cessionnaires du chemin, puisqu'il suffirait que loi du 3 mai 1841, en ce que le jugement at- ceux ci ajoutassent de temps en temps quelque taqué avait prononcé au profit de la compagnie tronçon à leur ligne pour se procurer à Paris, du chemin de fer du Nord l'expropriation de par la voie expéditive et avantageuse de l'exterrains qu'elle disait nécessaires pour l'agran- propriation, les terrains objet de leur convoidissement de sa gare à Paris, en vertu d'un tise. Or, en cela, c'est violer les art. 2 et 3 de droit d'expropriation qui ne lui appartenait la loi du 3 mai 1841, dans leurs dispositions qu'à titre de concessionnaire des embranche-protectrices de la propriété privée. ments de Lille à Calais et de Creil à Saint- Pour la compagnie du chemin du Nord, on Quentin, et pour la construction de ces embranchements mêmes.

Le chemin de fer du Nord est, à sa sortie de Paris, bordé par des terrains appartenant à la compagnie Heim et à la compagnie Alquier. La compagnie concessionnaire dudit chemin, ayant besoin de ces terrains pour l'agrandissement de sa gare, a pris, pour se les approprier, la voie de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Le 18 oct. 1848, jugement du tribunal civil de la Seine qui prononce, en effet, au profit de la compagnie du chemin de fer du Nord, l'expropriation par elle poursuivie.

La compagnie qui s'intitule compagnie du chemin de fer du Nord se trouve, en vertu de l'ordonnance de fusion du 1er avril 1847, réunir en sa personae plusieurs qualités qu'il faut bien distinguer. D'abord, en vertu de la loi du 15 juill. 1845, du cahier des charges y aunexé et de l'ordonnance du 10 sept. 1845 qui approuve l'adjudication passée à son profit, elle est concessionnaire de l'exploitation du chemin de fer de Paris à la frontière de Belgique par Lille et Valenciennes. Ensuite elle

(1) V.. dans le même sens, Cass. 21 nov. 1836 (t. 1 1837, p. 118); - Et le Rép. gén. du Journ. Pal., v Expropriation pour utilité publique, no 253. - V. aussi Cass. 10 mai 1847 (t. 1 1847, p. 678).

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répondait : — S'il s'agissait d'user de la construction d'un chemin de fer nouveau, on serait, sans contredit, fondé à opposer l'inobservation des conditions prescrites par les art. 2 et 3 de la loi du 3 mai 1841, et notamment l'absence d'une loi ou ordonnance déclarant l'utilité publique. Mais tel n'est pas le cas de l'espèce. Il s'agit ici de l'extension d'une gare commune, et cette extension est nécessitée par l'établissement d'un chemin de fer pour lequel le droit d'expropriation existe; le même droit d'expropriation peut donc être appliqué à l'extension de cette gare. Il résulte de la réciprocité de parcours stipulée par l'art. 57 du cahier des charges coté A, annexé à la loi de 15 juill. 1845, que chacun des embranchements ne fait qu'un avec le chemin principal auquel il se rattache, et dont une partie est commune, et de plus que les gares et stations de la partie commune sont réellement les gares

et stations de chacun des embranchements. mins et ne s'applique qu'aux terrains compris Dès lors, en attribuant le droit d'expropriation | dans ces limites; — Attendu que la fusion des aux concessionnaires des embranchements, on sociétés du chemin de fer du Nord et de Creil l'a nécessairement accordé pour l'extension de à Saint-Quentin ne peut conférer à la compala gare commune que commandait la con- gnie du Nord un droit que ne lui accordait pas struction des embranchements. Ainsi, c'est à l'adjudication de ce chemin, et que celle du juste titre que la compagnie du chemin de fer chemin de Creil à Saint-Quentin ne lui accordu Nord a usé pour l'extension de la gare de dait que dans les limites de ce dernier cheParis du droit d'expropriation qui lui avait été min; - D'où il suit qu'en prononçant l'exproattribué comme concessionnaire des embran-priation, le jugement áttaqué a fait une fausse chements de Lille à Calais et Dunkerque et de Creil à Saint-Quentin,

M. le premier avocat général Nachet a présenté, entre autres observations, les suivantes: - La compagnie du Nord ne pouvait, on en convient, user, en qualité de concessionnaire de la ligne principale, du droit d'expropriation. Mais pouvait-elle en user, en qualité de concessionnaire des embranchements, pour l'extension de la gare de Paris, commune, suivant elle, à la ligue principale et aux embranchements? Oui, si la ligne principale peut -être considérée comme une partie des lignes d'embranchement qui viennent s'y rattacher, comme on cherche à le démontrer au moyen de la réciprocité de parcours stipulée par le cahier des charges. Mais peut-on induire de cette réciprocité que les lignes d'embranchement ne font qu'une seule et même ligne avec la ligue principale? Évidemment non, et ce n'est là qu'une facilité de service qui n'empêche pas que les lignes ne demeurent parfaitement distinctes, comme elles le sont dans la loi qui en décrète l'établissement, et par le fait des adjudications diverses auxquelles elles out donné lieu et qui pouvaient faire tomber les embranchements entre les mains de compagnies qui n'eussent aucuns rapports d'intérêts avec la compagnie concessionnaire de la ligne principale. Impossible dès lors de laisser l'une de ces compagnies s'attribuer un droit d'expropriation qui appartient exclusivement à l'autre. En conséquence, M. l'avocat gé

néral a conclu à la cassation.

DU 27 FÉVRIER 4849, arrêt C. cass., ch. civ., MM. Portalis fer prés., Hello rapp., Nachet 4er av. gén, (concl. conf.), De Verdière, Carelle et Fabre av.

-

LA COUR (après délib. en la ch. du cons.): Vu les art. 2 et 3 de la loi du 3 mai 1841, l'art. 4 de la loi du 15 juill. 1845, et l'art. 3, tit. 2, du cahier des charges coté A annexé à la loi de 1845; - Attendu que la compagnie défenderesse, en tant que concessionnaire du chemin de fer du Nord, n'est pas substituce au droit de l'État d'exproprier pour cause d'utilité publique les propriétaires des terrains nécessaires à l'établissement de la gare de Paris; Que ce droit, qui ne pouvait résulter que d'une disposition expresse de la loi, ne lui a pas été conféré et ne pouvait pas l'être, puisque c'est de l'État lui-même qu'elle devait recevoir tous les travaux au fur et à mesure de leur achèvement; Attendu que le droit d'expropriation autorisé, soit pour l'embranchement de Lille à Calais et Dunkerque, soit pour celui de Creil à Saint-Quentin, se renferme dans les limites du tracé de ces che

application de la loi de 1845 et de l'art. 3 du cahier des charges coté A, et formellement violé les art. 2 et 3 de la loi de 1841: CASSE,

COUR DE CASSATION.
(4 avril 1849.)

F. N.

LEGS, ACCEPTATION, PROCURATION, RENONCIATION, MUTATION.

DROIT DE

La qualité de légataire prise dans une procuration donnée à l'effet d'administrer les biens dépendant du legs, emporte acceptation de ce legs, bien qu'avant l'exécution el même l'acceptation du mandat le mandant ait renoncé au legs dont il s'agit (1). C. civ. 778, 779.

Par suite, et nonobstant cetle renonciation, le legs reste soumis au droit de mutation par decès. L. 22 frim. an VII, art. 4.

ENREGISTREMENT C. MOUChel.

La dame Mouchel est décédée à Laigle le 18 nov. 1845, eu laissaut pour héritiers des collatéraux. Suivant un testament du 29 mai précédent, elle avait légué à son mari l'usufruit de tous ses biens, en lui imposant la charge de différents legs particuliers.

Par acte notarié du 27 décembre suivant, le sieur Mouchel, déclarant agir comme usufruitier des biens dépendant de la succession de son épouse décédée, aux termes du testament

(1) V. conf. Duranton, t. 6, no 359.

Contr. Poujol, Donat., sur l'art. 778, no 6.

M. Zachariæ (t. 4, p. 261) pense également que le fait par le successible de prendre la qualité d'héritier dans l'acte par lequel il donne mandat d'accepter entraine acceptation, sans que la révocation du mandat puisse détruire l'effet de celle acceptation.

Juge cependant que, sons la Coutume de Paris, la qualité d'héritier prise dans une procuration donnée à un tiers pour la levée des scelles, la confection de l'inventaire et la vente du mobilier n'étaient pas tellement attributives du titre d'héritier pur et simple, que le successible ne pût ultérieurement renoncer: Cass. 1er août 1809.

V. aussi Toullier, t. 4, no 525; Vazeille, sur l'art. 778, no 1.

Quoi qu'il en soit, l'appréciation des actes qui peuvent emporter acceptation tacite de l'hérédité ne rentre pas dans le domaine exclusif des juges du fond. Cass. 27 juin 1857 (t. 2 1837, p. 9).

précité, donna mandat au sieur Lizot de gérer et administrer en son nom, tant activement que passivement, les biens immeubles dépendant de la succession.

Ultérieurement et alors que cette procuration n'avait pas même encore été acceptée par le sieur Lizot, le sieur Mouchel prit, le 17 mars 1846, divers arrangements avec les héritiers collatéraux de sa femme, puis, par acte passé au grelle du tribunal civil de Mortagne le 20 du même mois, il déclara renoncer purement et simplement au legs d'usufruit qui lui avait été fait. Ce ne fut que depuis cette renoncia tion que le sieur Lizot fit quelques actes d'administration en vertu de la procuration dont il avait eu connaissance.

En cet état, la régie de l'enregistrement prétend qu'il y a eu renonciation tardive et inefficace de la part du sieur Mouchel; en conséquence elle décerne coutre lui une contrainte en paiement des droits de mutation pour le legs d'usufruit résultant du testament de sa femme.

seulement alors que ce dernier est lié envers les tiers avec lesquels le mandataire a contrac té; — Qu'auparavant, il n'y a que concession de pouvoir de contracter, pouvoir qu'on peut retirer; - Qu'en outre, dans le cas de l'art. 778 C. civ., il serait par trop contraire à l'esprit de la loi de déclarer héritier un individu qui, ayant pris cette qualité dans un mandat, change de résolution et le révoque avant toute exécution de l'acte ;

D

En fait: Attendu qu'il est constant que la renonciation du sieur Mouchel au legs dont s'agit, par acte notarié du 17 mars 1846, enregistré, a eu lieu avant toute exécution du mandat par lui donné au sieur Lizot, laquelle exécution n'a eu lieu que le 10 avril 1846 ; — En droit :-Attendu que Lizot a agi sans qualité, après révocation de son mandat, révocation qui a eu lieu de plein droit, ipso facto, par la renonciation de Mouchel; Qu'il résuite seulement de cet acte fait sans qualité que, dans le cas où il ne serait pas ratifié par les ayant droit, ceux qui ont agi avec Lizot Le 31 mai 1847, jugement du tribunal civil ont leur recours en dommages-intérêts contre de Mortagne qui annule la contrainte par les lui ou contre Mouchel, si celui-ci n'a pas prémotifs suivants :-«Attendu que, si les art. 778 venu Lizot de la révocation de mandat par la et 779 C. civ. sont absolus et ne souffrent pas renonciation; - Qu'en vain on invoque l'ar d'exception, il faut néanmoins en interpréter rêt de la Cour suprême du 27 juin 1837 (1), les termes d'après les principes généraux du puisque, dans l'espèce de cet arrêt, la renonciadroit, pour ne pas leur donner une étendue tion avait eu lieu après l'exécution du mandat, plus grande que celle qu'ils comportent ; - ce qui en faisait un acte parfait, irrévocable, Qu'il importe de bien préciser le sens que doit quant à ce qui avait été fait, tandis que, dans avoir le mot acte dans ces deux articles; l'espèce, la renonciation a précédé l'exécution Que si la procuration est, lato sensu, un acte indument faite du contrat, ce qui change tout authentique ou privé, elle n'est réellement un à fait la question; En droit, attendu que acte parfait, complet, ni un acte proprement la fraude ne se présume pas, que c'est à la rédit, stricto sensu, que lorsqu'elle a été acceptée gie à la prouver; En fait, attendu que par le mandataire et a, en outre, reçu un com- cette preuve n'est pas suffisamment faite; mencement d'exécution; qu'auparavant, elle Que loin de repousser les réponses faites par n'est qu'un projet et qu'un vou, qui, s'il n'est Mouchel à ses allegations à cet égard, elle se ni accepté ni réalisé, n'entraine aucune consé-borne à dire qu'elle pourrait répondre à des quence légale; comme, en droit romain, en cas hypothèses par d'autres hypothèses. » de stipulation, la demande du stipulant n'a Pourvoi par l'administration pour violation aucune valeur si elle n'a été suivie d'une ré- des art. 778 et 779 C. civ., et de l'art. 4 de la loi ponse de la part du promettant, de même aus- du 22 frim. an VII, en ce que le jugement atsi, en cas de donation, le donateur est libre taqué a déclaré qu'il n'y avait pas lieu de perde révoquer ses dons tant qu'ils n'ont pas été cevoir le droit de mutation sur un legs que le acceptés par les donataires, et que, le testa- legataire avait accepté, en donnant mandat à ment ne pouvant être accepté qu'au décès du un tiers de gérer les biens légués, par le motestateur, ce dernier a toujours le droit de le tif que le legataire avait renoncé à son legs amodifier pendant sa vie ;-Qu'ainsi, comme vant l'exécution du mandat.-Il y a acceptation l'enseigne M. Troplong sur l'art. 2005 du Code parfaite de la part d'un légataire du moment civil (Du mandat), il serait contraire à la na- qu'il en a pris la qualité dans un acte authenture des choses et à la raison que le mandat tique ou privé, et, par exemple, dans un mansurvécût à la volonté de celui dont il émane et dat; le défaut d'exécution de ce mandat ne qui révoque ses pouvoirs...; il est important de saurait anéantir, à l'égard du mandant, l'acdistinguer si la révocation a lieu rebus inte- ceptation qui en était immédiatement résultée, gris,

-

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lorsque le mandataire avait commencé à agir: venu irrévocablement exigible. soit entré en fonction, ou bien si elle a lieu ceptation; le droit de mutation était donc dedans le premier cas, le mandat est censé n'a

voir

y ait acte dans le sens complet du mot, il faut que le mandat ait été accepté et ait reçu un Commencement d'exécution; - Qu'en effet, en un acte ne devient parfait pour un

principe,

Pour le sieur Mouchel on répondait : C'est

toujours d'après l'appréciation des actes et de l'intention qu'il faut résoudre les questions d'acceptation de succession, suivant les art. 778 et 779 C. civ. On ne peut dire qu'il y ait acte d'héritier par cela scul qu'on a pris

individu que lorsqu'il le lie et ne peut être ré- dans un acte la qualité d'héritier. Souvent, en voqué par lui; que le mandat n'est parfait que par l'exécution, c'est-à-dire lorsque le mandataire a contracté pour le mandant, puisque c'est

(1) V. t. 2 1837, p. 9.

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