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nation. On fait observer que, dans ce système, il est encore l'organe suprême direct, parce que en réalité tous les organes de l'Etat dérivent de lui.

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La souveraineté peut être exercée directement par la nation elle-même alors il y a ce qu'on appelle au sens général du mot, gouvernement direct. En pareil cas il n'y a point d'organes de représentation, mais seulement des commis, suivant l'expression de J.-J. Rousseau, des commis de la nation, des agents qui seront chargés d'assurer l'exécution de la volonté de la nation directement exprimée par elle. Ces agents n'exprimeront pas la volonté de la nation, ne seront pas ses représentants; ils seront tout simplement ses préposés (J.-J. Rousseau, Contrat social, liv. III, ch. 1).

Mais en 1791, on déclarait que la constitution française était représentative (tit. III, pr., art. 2), et encore aujourd'hui le régime politique de la France est un régime représentatif. Dès lors, il faut distinguer les représentants et les agents, distinction fondamentale, théoriquement et pratiquement; théoriquement parce qu'elle répond incontestablement à une réalité et qu'il suffit d'y faire une certaine modification pour qu'elle soit l'expression vraie des faits (cf. § 38), et pratiquement, parce qu'elle est la clef de tout le droit public français.

Les représentants ou organes de représentation sont ceux qui veulent aux lieu et place de la nation et dont la volonté est comme si elle émanait directement de la nation. La notion de représentant repose bien sur l'idée de mandat; la nation exprime sa volonté par son corps électoral; mais son corps électoral n'exerce pas lui-même la souveraineté dont il est l'organe direct et suprême; il a un ou plusieurs mandataires; ces mandataires exprimeront une volonté qui est la leur en fait, mais qui en droit, par suite du phénomène de la représentation, sera comme si elle émanait directement de la nation; elle aura les mêmes caractères, la même force. En tant qu'organe de représen

tation, les représentants n'ont pas une volonté distincte de la volonté de la nation; ce qu'ils disent, ce qu'ils commandent, c'est la nation qui le dit, qui le commande. D'après la constitution de 1791 (tit. III, pr., art. 2), les représentants étaient le corps législatif et le roi. On verra plus loin que l'ordre judiciaire avait aussi le caractère de représentant. La conséquence logique de l'idée de représentation, c'est que la volonté des représentants, étant la volonté de la nation elle-mème, ne peut être contrôlée par une volonté supérieure à elle-même.

Les agents sont placés sous l'autorité et le contrôle des organes de représentation; ils n'ont aucun caractère de représentation, c'est-à-dire qu'ils n'expriment point la volonté de la nation. Ce n'est pas à dire cependant que les agents ne fassent que des actes matériels d'exécution; ils peuvent aussi faire des actes juridiques, mais ils ne le peuvent que dans les limites fixées par la volonté nationale, exprimée par les organes de représentation. La volonté de l'agent n'est pas la volonté de la nation; elle est en fait et reste juridiquement la volonté de l'agent, à laquelle la loi a conféré le pouvoir de créer un certain effet de droit quand elle se meut dans un certain domaine.

Comme cette volonté de l'agent n'est pas la volonté de la nation, elle est une volonté contrôlée et surveillée par les organes de représentation; les agents peuvent aussi être contrôlés et surveillés par d'autres agents, d'où le système de hiérarchie des agents, de contrôle juridictionnel et de répartition des compé

tences.

Cette distinction des représentants et des agents est exprimée très nettement par nos constitutions, notamment par l'art. 2 du préambule du litre III de la constitution de 1791 : « La nation, de qui seule émane tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. La constitution française est représentative : les représentants sont le corps législatif et le roi », et par l'art. 2 de la section I du chapitre Iv du titre III de la même constitution: « Les administrateurs n'ont aucun caractère de représentation. Ils sont

agents élus à temps par le peuple, pour exercer, sous la surveillance et l'autorité du roi, les fonctions administratives ».

La théorie française des organes de l'Etat se résume dans les trois points suivants : a) Il existe un organe direct suprême qui exprime la volonté même de la nation, support de la souveraineté originaire; b) il existe, suivant les époques, un ou plusieurs organes de représentation qui sont les mandataires de la nation et dont la volonté est comme la volonté même de la nation; c) il existe des agents de l'Etat qui n'ont point le caractère représentatif, qui expriment une volonté qui est la leur en fait et en droit et qui peuvent faire au nom de l'Etat valablement des actes juridiques ou régulièrement des actes d'exécution. matérielle, à la condition qu'ils interviennent dans les limites de la compétence qui leur est impartie par la loi et dans le but que la loi a eu en vue en leur donnant cette compétence.

Cette théorie, que, suivant une terminologie souvent employée, on peut appeler théorie du mandat représentatif, n'est pas sans doute inscrite dans nos lois constitutionnelles de 1875. Mais l'on ne saurait douter cependant qu'elle ne soit encore à la base de notre droit public. On sait que l'Assemblée de Versailles, pressée d'achever une œuvre transactionnelle, n'a point voulu formuler de théorie générale, mais seulement édicter quelques dispositions organiques indispensables. On a cité plus haut les textes sur lesquels s'appuyait cette théorie et on peut dire qu'elle fait partie de notre droit coutumier constitutionnel. D'ailleurs l'Assemblée de Versailles a voté deux textes qui cadrent parfaitement avec ces principes. C'est, d'une part, la loi dite du septennat, du 20 novembre 1873, qui porte que « le pouvoir exécutif est confié... »; et, d'autre part, l'art. 13 de la loi du 30 novembre 1875, qui prohibe le mandat impératif, reproduction de dispositions similaires inscrites dans les constitutions de 1791 et de 1848 et considérées comme la con

séquence du mandat représentatif donné par la nationpersonne à l'assemblée qu'elle nomme.

A. Le corps des citoyens.

40. La composition du corps des citoyens. — Par cette expression nous désignons la collectivité plus ou moins étendue comprenant les membres de la nation associés, directement ou par représentation, à la puissance politique. Chaque pays, sous l'empire des faits et en conséquence de son évolution historique, détermine quels sont les individus membres de la nation qui fourniront le corps des citoyens. Il peut se faire même que toute la puissance politique soit concentrée dans un homme et qu'il n'y ait point de corps des citoyens quelque limité qu'il soit. Il en était ainsi encore en Russie avant 1905. Depuis quelques années, tous les pays qu'on peut considérer comme civilisés ont admis d'une manière plus ou moins étendue la capacité politique des membres de la nation. La tendance certaine est même le suffrage universel, c'està-dire un régime où le corps des citoyens se compose de tous les individus mâles ou des deux sexes, majeurs et non frappés de déchéance juridictionnellement constatée. La France a le suffrage universel ainsi entendu depuis 1848; et tous les pays évoluent certainement en

ce sens.

Dans quelques pays, le corps des citoyens est associé directement aux fonctions politiques ou du moins à certaines fonctions politiques, la fonction législative et la fonction juridictionnelle. Dans d'autres, et ce sont de beaucoup les plus nombreux, le corps des citoyens exerce seulement des fonctions électorales. Il élit un corps représentatif ou un chef d'Etat ou un corps administratif. Aussi le corps des citoyens est-il le plus habituellement appelé le corps électoral.

Quand, comme nous, on nie l'existence de la personnalité et de la souveraineté de la nation, on a va

qu'aucune difficulté ne peut se présenter sur la situation des membres de la nation. Ceux-ci ne peuvent évidemment avoir un droit à faire partie du corps des citoyens. Chaque législation positive organise la composition du corps électoral sous l'action du milieu dans lequel elle évolue, et les membres du corps électoral sont placés dans une situation légale ou objective. Assurément, il est à souhaiter que le progrès des lumières, que le sentiment toujours plus profond et plus net de la solidarité sociale permette à tous les pays d'arriver à une large extension du droit de suffrage. Cela n'est pas une question de droit, mais seulement une question de fait.

Au contraire, dans les pays comme la France, qui ont mis à la base même de leur droit public le principe de la souveraineté nationale (Déclaration des droits de 1789, art. 3), se pose la question de savoir si ce principe implique pour tous les membres de la nation le droit de faire partie du corps des citoyens, à l'exception, bien entendu, des individus incapables ou indignes. Le législateur qui exclut pour d'autres raisons certains individus du corps des citoyens ne viole-t-il pas le principe de la souveraineté nationale?

Du principe de la souveraineté nationale, il ne résulte point nécessairement et logiquement que les membres de la nation, pris individuellement, aient un droit quelconque de participer à la puissance publique. En effet, dans la vraie doctrine de la souveraineté nationale, la nation en corps est une personne distincte des individus qui la composent; c'est elle qui est titulaire de la souveraineté et point les individus; par conséquent les individus n'ont comme tels aucune part de la souveraineté; et ils n'ont aucun droit comme tels de participer à la puissance politique. Le législateur doit déterminer les conditions les plus favorables pour dégager la volonté nationale et désigner les personnes qui seront chargées d'exprimer cette volonté. On peut leur donner le nom d'électeurs; et ainsi l'électorat est

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