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que de Dieu le droit de faire des lois... nous appartient à nous seul sans dépendance et sans partage... » Doctrines du droit divin providentiel. << Dans ces doctrines, dit M. de Vareilles-Sommières, ce n'est pas par une manifestation surnaturelle de sa volonté que Dieu détermine le sujet du pouvoir, c'est par la direction providentielle des événements et des volontés humaines ». Dans la théorie du droit divin ainsi comprise, le pouvoir vient de Dieu seul; mais les hommes. qui le possèdent en sont investis par des moyens humains, qui s'accomplissent sous la direction invisible de la Providence divine toujours présente. La doctrine du droit divin providentiel a eu deux illustres interprètes au commencement du dernier siècle, Joseph de Maistre et Bonald; c'est à eux qu'elle doit d'occuper une place importante dans l'histoire de la pensée contemporaine.

Il est clair que ces diverses doctrines n'expliquent rien, et comme elles reposent sur la croyance à l'intervention constante d'une force consciente et surnaturelle dans le monde, elles échappent évidemment à la discussion scientifique. Mais il importe de remarquer que, contrairement à ce que l'on croit souvent, ces doctrines n'aboutissent pas nécessairement à l'absolutisme. Assurément la théorie du droit divin surnaturel affirmant que le chef de l'Etat tient son pouvoir directement de Dieu, et qu'il est responsable devant lui seul, conduit logiquement à écarter tout pouvoir pondérateur. Dans cette doctrine on n'aperçoit guère que les lois de morale religieuse susceptibles de limiter la toute puissance du souverain élu de Dieu. Mais les doctrines du droit divin providentiel ne sont nullement inconciliables avec un gouvernement limité par l'intervention de représentants du peuple et par l'existence de lois humaines consacrant la responsabilité effective des gouvernants.

11. Doctrines démocratiques. Qu'on ne croie pas que les doctrines démocratiques soient toujours

des doctrines libérales. C'est là une erreur très communément répandue contre laquelle on ne saurait trop soigneusement se mettre en garde. Nous appelons démocratiques toutes les doctrines qui placent l'origine du pouvoir politique dans la volonté collective de la société soumise à ce pouvoir et qui enseignent que le pouvoir politique est légitime, parce que et seulement parce qu'il est institué par la collectivité qu'il régit. Or ces doctrines, chez deux de leurs plus illustres représentants, Hobbes et J.-J. Rousseau, aboutissent à l'omnipotence de la puissance politique et à la subordination complète et sans limite de l'individu.

il faut noter aussi que ces doctrines démocratiques n'impliquent nullement la forme républicaine du gouvernement. Comme l'a montré Rousseau lui-même, la théorie de l'origine populaire du pouvoir politique se concilie avec toutes les formes du gouvernement, et la meilleure est celle qui s'adapte le mieux à la situation de la société à laquelle elle s'applique. Le XIX siècle a vécu sur deux idées politiques : il a cru que tout était sauvé en affirmant le principe que tout pouvoir émane du peuple et en créant un parlement élu directement par le peuple; il a cru aussi qu'en proclamant que la république était la forme nécessaire à la démocratie, on établissait la liberté sur des bases indestructibles. Des événements contemporains, sur lesquels il ne convient pas d'insister, montrent à l'évidence que ce sont là deux erreurs, et que s'il est un gouvernement contre l'arbitraire duquel il importe de prendre de sérieuses garanties, c'est le gouvernement populaire, parce que c'est celui qui a le plus de tendance à se croire omnipotent. On a dressé les parlements élus contre le despotisme des rois; il faut affirmer le droit intangible de l'individu contre le despotisme des parlements.

12. Critique des doctrines démocratiques. La substance même des doctrines que l'on vient d'exposer brièvement est passée dans la législation

politique de la France moderne, et deux articles de la législation de 1789-91 en ont nettement formulé le résumé: « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément » (Déclaration des droits de 1789, art. 3). « La souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la nation; aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice » (Const. 1791, tit. III, pr., art. 1). Ces dispositions sont devenues, pour une certaine école politique, des dogmes intangibles à l'égal des articles d'une religion révélée et elles forment toujours assurément un principe positif de notre droit politique. Malgré cela, comme nous n'admettons aucun dogme, nous devons en discuter la valeur. Or il n'est pas difficile de montrer qu'elle est nulle et que le prétendu dogme de la souveraineté nationale est une hypothèse gratuite, et de plus un postulat inutile.

D'abord, la souveraineté de la collectivité implique que la collectivité possède une personnalité, une volonté distincte de la personne, de la volonté des individus qui la composent. Or cela est indémontré et indémontrable. Pour établir l'existence d'un moi commun, d'une personne collective, Hobbes, J.-J. Rousseau et tous ceux qui adoptent la même idée ont eu recours à l'hypothèse du contrat social. Mais ce n'est qu'une hypothèse vaine. C'est un cercle vicieux d'expliquer la société par le contrat, car l'idée de contrat n'a pu naître dans l'esprit de l'homme que du jour où il a vécu en société. D'autre part, y aurait-il un contrat tacite entre tous les membres du corps social, qu'une volonté générale et commune, qu'un moi commun n'en naîtrait pas. Par le contrat social, les membres d'une même collectivité veulent une même chose; mais rien ne prouve que de ce concours de volontés naisse une volonté distincte des volontés individuelles concourantes.

Cette volonté commune existerait-elle, on n'aurai point démontré par là qu'elle peut légitimement s'im poser aux individus. En admettant que la puissance politique appartienne à la collectivité personnifiée, or n'a point démontré que cette puissance publique es légitime. La volonté de la collectivité est, dit-on, supérieure à la volonté individuelle. Pourquoi? Pour être collective, la volonté du groupe n'en est pas moins une volonté humaine, et on ne démontre pas qu'une volonté humaine puisse s'imposer à une autre volonté humaine. On a dit que la Révolution avait substitué le droit divin du peuple au droit divin des rois; c'est vrai; car l'affirmation que la collectivité a le pouvoir légitime de commander parce qu'elle est la collectivité, est une affirmation d'ordre métaphysique ou religieux de même que l'affirmation du droit divin des rois.

J.-J. Rousseau a cru résoudre la difficulté en écrivant : « Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne ». Qui ne voit que c'est un pur sophisme? En vérité, quoi qu'on fasse, cette prétendue volonté générale ne s'exprime jamais qu'au moyen d'une majorité et la puissance publique, le pouvoir de commander appartient à une majorité qui impose sa volonté à une minorité. Or on ne démontre pas, on ne peut pas démontrer qu'une majorité ait légitimement le pouvoir d'imposer sa volonté, cette majorité serait-elle l'unanimité moins un. La puissance de commander reconnue à une majorité peut être une nécessité de fait; elle ne peut pas être un pouvoir légitime.

Le principe de la souveraineté nationale est non seulement indémontré et indémontrable; mais il est encore inutile. Plus que personne nous croyons qu'il est bon et équitable que la plus grande quantité possible d'individus soient associés à la puissance politique dans un pays donné, et nous estimons que le progrès consiste avant tout à élever le degré de culture générale et à faire participer à la puissance

politique un nombre toujours plus grand d'individus. En un mot, le suffrage universel réglementé et organisé est l'idéal vers lequel nous désirons que tendent tous les Etats. Dès lors on comprendrait que l'on défendit le principe de la souveraineté du peuple, s'il avait pour conséquence nécessaire, logique, le suffrage universel. Or il n'en est rien, La souveraineté en effet n'est pas dans cette conception la somme des volontés individuelles; elle est une volonté générale dans laquelle viennent se fondre, se perdre en quelque sorte les volontés individuelles. Quand Rousseau dit (Liv. III, chap. 1) que si l'Etat est composé de 10.000 citoyens, chacun d'eux a la dix-millième partie de l'autorité souveraine, il se met en contradiction. avec lui-même. Car après avoir affirmé que la souveraineté est indivisible, il la fractionne en autant de parts qu'il y a de citoyens; après avoir dit que le moi commun est titulaire de la souveraineté, il la donne par indivis à la somme des citoyens. La vérité logique est que dans la doctrine de la souveraineté nationale, c'est la personne collective qui possède la souveraineté, et que les citoyens pris individuellement n'en ont pas la plus petite parcelle; ils n'ont donc aucun droit à participer à l'exercice de la souveraineté. Par conséquent le suffrage universel ne dérive aucunement, en bonne logique, du principe de la souveraineté nationale. La seule conséquence qui en découle, c'est qu'il faut trouver le meilleur système pour dégager la volonté nationale, mais rien ne prouve que ce soit le suffrage universel. Cela est si vrai que l'Assemblée de 1789 n'a pas eu un moment la pensée qu'en établissant le suffrage restreint et à deux degrés elle violât le principe de la souveraineté nationale qu'elle avait solennellement promulgué. La Convention elle-même, après avoir établi le suffrage politique universel et direct dans la constitution inappliquée de 1793, rétablit le suffrage restreint et à deux degrés dans la constitution de l'an III, et n'en proclame pas moins énergi

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