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50. Les gouvernements monarchiques. Nous employons ici le mot gouvernement pour désigner ce que très souvent on appelle le pouvoir exécutif. Cette dernière expression prête à beaucoup de confusions, comme l'expression correspondante de pouvoir législatif. Le mot gouvernement est lui-même employé dans deux sens différents. Nous avons déjà désigné par le mot gouvernement l'ensemble des organes directeurs de l'Etat. En parlant ici du gouvernement, nous avons en vue cet organe que, dans la langue politique moderne, on oppose au parlement, qui est placé à côté de lui, au sommet de l'Etat, souvent sous son contrôle, et qui joue particulièrement le rôle actif dans la direction des affaires publiques. Le gouvernement n'est pas toujours un pouvoir au sens vrai du mot; il ne l'a peut-être jamais été, et, en tout cas, il l'est de moins en moins. De plus, l'expression pouvoir exécutif semble impliquer que le gouvernement a toutes les attributions qu'on qualifie communément d'exécutives et a seulement celles-là; or, ce n'est point exact, car le gouvernement n'a point toutes les fonctions qualifiées d'exécutives, et il a certaines fonctions qui, certainement, ne sont pas exécutives. Bref, parler du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, c'est prendre parti sur l'existence, le sens et la portée de la séparation des pouvoirs. Nous nous sommes expliqué à cet égard (cf. §§ 44 et 45).

La structure, les caractères du gouvernement proprement dit sont assez variables. Cependant, sa forme habituelle est celle-ci un individu est titulaire de toutes les attributions qui appartiennent au gouvernement; il a des collaborateurs, des subordonnés appelés ministres, dont le rôle politique est variable, et qui ont surtout un rôle important lorsque le gouvernement est parlementaire. Ainsi, le plus habituellement, le gouvernement a une structure unitaire; le haut personnage qui personnifie le gouvernement est le chef de l'Etat. Plus rarement, la structure du gou

vernement est collective. Il en a été ainsi en France sous le Directoire et il en est ainsi aujourd'hui en Suisse.

Les chefs d'Etat personnifiant le gouvernement sont, dans la plupart des pays européens, héréditaires; d'après l'expression consacrée, les gouvernements sont, en général, monarchiques. Nous ne voyons pas, en effet, d'autre différence possible entre la monarchie et la république que celle-ci : la monarchie est la forme de gouvernement dans laquelle il y a un chef d'Etat héréditaire; la république celle où il n'y a pas de chef d'Etat, ou celle dans laquelle le chef de l'Etat n'est pas héréditaire.

La monarchie peut être despotique, absolue ou limitée.

La monarchie despotique et la monarchie absolue ont cela de commun que le monarque réunit tous les pouvoirs et que sa puissance n'est point limitée par la présence à côté de lui d'un autre organė, par la présence d'un parlement. Montesquieu a parfaitement indiqué la différence entre la monarchie despotique et la monarchie absolue. Seulement il appelle simplement monarchie ce que nous appelons monarchie absolue. «Le gouvernement monarchique, dit-il, est celui où un seul gouverue, mais par des lois fixes el établies, au lieu que dans le despotique, un seul sans loi et sans règle entraîne tout par sa volonté et ses caprices « (Esprit des lois, liv. II, chap. 1). Ainsi, en effet, dans la monarchie absolue, le monarque fait la loi; mais il est lié par la loi qu'il fait lui-même. Dans la despotie, le chef commande sans être lié par aucune règle générale. Il importe de noter d'ailleurs que si l'on parle de l'absolutisme et du despotisme en parlant de la monarchie, c'est parce que dans l'histoire, ce sont les monarchies qui se sont présentées le plus souvent avec ces caractères. Mais tout gouvernement peut être despotique ou absolu, un gouvernement républicain comme un gouvernement monarchique. Il y a donc

despotisme toutes les fois qu'un gouvernement, composé d'un seul ou de plusieurs, commande sans être limité par des lois préétablies; il y a absolutisme toutes les fois qu'il n'y a qu'un seul organe de gouvernement réunissant en lui tous les pouvoirs, mais se considérant comme limité par les règles générales, préétablies par lui-même.

La monarchie peut être despotique ou absolue quelle que soit son origine. Souvent les monarques absolus se sont présentés comme investis de leur pouvoir par la divinité elle-même. L'empereur de Russie, empereur absolu jusqu'aux réformes de 1905-1906, était en même temps chief de la religion orthodoxe. Les rois de France du xvire et du XVIIe siècle rattachaient leur pouvoir absolu à une délégation divine (cf. § 10). Mais le principe de la souveraineté originaire du peuple n'exclut point forcément l'absolutisme, même le despotisme monarchique. Le despotisme politique n'a pas eu de défenseur plus logique et plus énergique que l'anglais Hobbes, qui affirmait l'existence du contrat social et de la souveraineté originaire du peuple, mais qu'il n'y avait de société politique possible qu'à la condition que chacun fit abandon complet à un seul, ou à quelques-uns de son indépendance naturelle. Et J.-J. Rousseau, tout en affirmant l'inaliénabilité de la souveraineté, aboutissait à l'absolutisme de la majorité qui ne vaut pas mieux que celui d'un roi.

Les monarchies limitées. - Les monarchies modernes sont des monarchies limitées; à côté du monarque et partageant avec lui les pouvoirs directeurs de l'Etat existe un autre organe, un parlement en général, dont une partie au moins est élue à un suffrage plus ou moins étendu.

Nous avons montré au § 22 que la monarchie limitée était, comme tout gouvernement mixte ou composé, le résultat de la coexistence dans un pays donné de deux ou plusieurs forces sociales ou gouvernantes, qui s'organisent politiquement, partagent la puissance

politique et se pondèrent réciproquement. C'est un fait naturel aux sociétés modernes à structure complexe, ayant un long passé historique; et la monarchie limitée est la forme politique qui dans la plupart des pays modernes a groupé dans une collaboration continuelle et réglée les forces gouvernantes coexistant dans ces mêmes pays. Si on laisse de côté les fictions et les hypothèses, si l'on n'admet, comme nous, que les faits, si l'on ne voit dans les gouvernements que des individus ou des groupes d'individus exprimant leur volonté propre, pouvant l'imposer par la force sociale dont ils disposent, quand elle est conforme au droit, la monarchie limitée ne soulève aucune difficulté. La Joi par exemple y est le résultat du concours de volontés du monarque et du parlement. A cela nous n'apercevons aucune difficulté. Inutile d'ailleurs même de faire intervenir la notion de volontés concourantes, formant une volonté unique, qui nous ramènerait à l'hypothèse et à la fiction. Il y a des volontés individuelles qui se conditionnent réciproquement et rien de plus.

Mais au contraire, si comme la majorité des auteurs on admet le principe de la puissance politique une et indivisible appartenant à un sujet de droit, on se trouve en présence d'un problème insoluble, le problème des gouvernements mixtes.

Si le monarque prétend à un droit antérieur à celui du peuple, un droit qu'il tiendrait de son hérédité, soit par prescription, soit par concession divine, on ne voit pas comment son pouvoir pourrait être limité par des organes représentatifs de la volonté nationale. Le roi peut bien alors concéder quelques libertés et quelques garanties, autoriser même la réunion d'une assemblée élue. Mais ces concessions ne peuvent être que précaires et révocables à la volonté du monarque.

Avec le principe de la souveraineté inaliénable, une et indivisible de la nation, on ne peut faire la théorie juridique de la monarchie limitée qu'en faisant de la monarchie, suivant l'expression du XVIe siècle, une

simple commission toujours révocable à la volonté du peuple. Or, évidemment, une pareille conception juridique n'est pas conforme à la réalité des faits. Il est incontestable que dans toutes les monarchies modernes, même les plus libérales, le roi est considéré comme détenteur d'une part de la souveraineté, ou plus exactement, comme collaborant à l'exercice de la souveraineté, et, en fait, il participe vraiment à l'exercice de cette souveraineté. Si l'on ne peut voir en lui un représentant de la volonté nationale, il faut y voir la personnification d'un autre élément de puissance publique, d'une force sociale qui fait sentir son action dans ces pays à côté de la force appelée souveraineté nationale.

Cf. Esmein, Droit constitutionnel, 5e édit., 1909, p. 241 et suiv., et notre Traité de droit constitutionnel, 1911, I, p. 79 et p. 396.

51. Les gouvernements républicains. Ce sont tous les gouvernements dont le titulaire unique ou les titulaires en collectivité ne sont pas héréditaires, n'ont qu'un pouvoir viager ou temporaire. Peu importe donc que le gouvernement soit confié à un seul homme, ou qu'il soit exercé par une collectivité; il sera républicain, s'il n'y a pas hérédité. Le gouvernement qui appartiendrait à un collège de personnes héréditaires ne serait point, à notre avis, gouvernement républicain. Un pareil gouvernement ne serait pas impossible; mais à notre connaissance l'histoire n'en offre pas d'exemple. Si tous les pouvoirs non héréditaires étaient concentrés entre les mains d'un seul ou entre les mains d'une collectivité, il y aurait un gouvernement républicain absolu ou despotique.

Sur le principe même de l'organisation du gouvernement républicain, deux tendances se partagent les Etats républicains modernes. Suivant l'une, qui procède directement de Rousseau, le gouvernement républicain n'est qu'une commission, un emploi. L'individu ou les individus qui le forment n'ont point le carac

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