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tère de représentants de la nation; ils sont simplement des agents d'exécution, les commis du parlement, qui seul représente la volonté nationale; ils doivent rendre compte de tous leurs actes au parlement, devant lequel ils sont responsables; ils doivent lui obéir en tout et ne peuvent exercer sur lui aucune action. Dans une autre conception au contraire, l'individu ou les individus qui forment le gouvernement sont véritablement des représentants de la souveraineté nationale au même titre que le parlement; ils constituent un organe, qui marche l'égal du parlement, soit que l'on admette que la souveraineté est partagée entre ces deux organes (théorie rigide de la séparation des pouvoirs), soit que l'on considère que les deux organes collaborent à l'exercice de la souveraineté, mais y participent d'une manière différente à cause de leur structure différente. Le gouvernement peut, doit peut-être même être soumis ici encore au contrôle du parlement; mais il pourra exercer à son tour une action sur le parlement; et la garantie de la liberté résultera précisément de cette action réciproque des deux organes l'un sur l'autre.

Nous ne voyons pas que l'existence d'un organe de gouvernement, ayant le caractère représentatif, placé à côté du parlement élu, et collaborant avec lui à l'activité de l'Etat, puisse être une atteinte aux principes démocratiques et républicains. Nous croyons au contraire qu'elle en sera l'application et la garantie. La tyrannie sanglante de la Convention, assemblée unique, réunissant les pouvoirs de législation et de direction, est, ce nous semble, une expérience suffisante. Mais nous reconnaissons volontiers que c'est un problème délicat de déterminer la composition et le mode de nomination de l'organe représentatif d'exécution. Si on le constitue par un seul individu, nommé au suffrage universel, il est à craindre que dans un pays comme la France, centralisé politiquement et administrativement, imprégné de monarchisme, voire même de césarisme, le chef du gouvernement n'aspire

et peut-être n'arrive à la dictature. Le coup d'Etat du 2 décembre 1851 fait par le prince Louis-Napoléon, président de la République, élu au suffrage direct et universel, démontre que des craintes de ce genre ne sont pas chimériques. Si le chef de l'Etat est élu par un suffrage restreint, il est sans autorité et sans force sur le parlement élu au suffrage universel. Le mode d'élection de notre président de la République actuel est la cause principale de son rôle de plus en plus effacé. Si l'on confie le gouvernement à un collège, on court le risque de rompre son unité et de créer au sommet de l'Etat une véritable anarchie. La période du Directoire de l'an III à l'an VIII, pendant laquelle le pouvoir gouvernemental appartient à cinq directeurs, est marquée par une série de coups d'Etat et des conflits de tout genre, dont la cause principale est l'anarchie gouvernementale provenant assurément de la collégialité du gouvernement.

La constitution de 1875 a créé un président de la République qui personnifie le gouvernement et qui a véritablement caractère de chef d'Etat. Aujourd'hui, en fait, à beaucoup d'égards, le président de la République est traité comme un simple agent; mais il est facile d'établir que, d'après le droit de 1875, le président de la République a véritablement le caractère représentatif et que le gouvernement qu'il personnifie est à côté du parlement un second organe de représentation. Quand, le 24 mai 1873, sur l'interpellation du duc de Broglie et le vote de l'Assemblée nationale, M. Thiers fut obligé de se retirer, le maréchal de MacMahon fut élu président de la République. Après les tentatives infructueuses d'une restauration monarchique au profit du comte de Chambord, est votée la loi du 20 novembre 1873, dite loi du septennal, dont l'art. 1 porte: « Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac-Mahon... à partir de la promulgation de la présente loi; ce pouvoir continuera à être exercé avec le titre de président de la

République et dans les conditions actuelles jusqu'aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles ». Le nouveau président de la République n'est pas, comme M. Thiers, responsable politiquement devant l'assemblée, puisqu'une durée fixe de sept années lui est assurée. On crée en la personne du Maréchal une sorte de monarchie constitutionnelle. Ne pouvant faire une monarchie définitive, l'Assemblée fait une monarchie temporaire. On dit bien, dans l'art. 1er de la loi, que « le président continuera à exercer le pouvoir exécutif dans les conditions actuelles ». Mais ces expressions ne peuvent viser la loi des Trente (L. 13 mars 1873) faite spécialement en vue de M. Thiers; elles ne peuvent pas davantage impliquer une responsabilité du Maréchal devant l'Assemblée, puisqu'on donne à ses pouvoirs une durée fixe de sept années. Le président devenait vraiment roi constitutionnel pour sept ans, et de même qu'au roi constitutionnel on reconnaît le caractère représentatif, de même on l'attribuait au président de la République.

Votée après de longues péripéties (cf. Duguit et Monnier, Les constitutions de la France, Notices historiques, p. cxxxiv et suiv.), la loi du 25 février 1875 reconnaît implicitement au président de la République le caractère qui lui était donné par la loi du 20 novembre 1873. Le maréchal de Mac-Mahon n'était que le premier président de la série indéfinie des présidents futurs de la République. L'amendement Wallon, devenu l'art. 2 de la loi constitutionnelle du 23 février 1875, règle le mode de nomination du président, mais ne détermine point son caractère juridique. Il reste fixé par la loi du 20 novembre 1873. La loi constitutionnelle nouvelle ne se borne pas, comme les septennalistes le demandaient, à organiser une république de sept ans; elle fait de la république le gouvernement définitif du pays; elle organise le gouvernement, mais elle ne change rien au caractère du président de la République tel qu'il avait été fixé par la loi du 20 novembre.

Ainsi, d'après la constitution de 1875, le président de la République est chef d'Etat personnifiant le gouvernement; il est investi du pouvoir exécutif; il n'est pas un simple agent du parlement; il est, comme le parlement, un organe de représentation. Mais, en fait, sous l'action de causes qui seront étudiées plus loin, le président de la République tend à n'être plus qu'un simple agent, un simple commis du parlement, et le gouvernement à n'être plus un organe de représentation, mais seulement une autorité administrative.

52. Des rapports du parlement et du gouvernement. Lorsque l'individu ou les individus qui exercent les fonctions de gouvernement ne sont rien autre chose que les agents ou les commis du parlement, la question de leurs rapports avec le parlement ne soulève aucune difficulté. Ils ne peuvent exercer aucune action sur le parlement; ils ne peuvent par exemple. ni l'ajourner ni le dissoudre; ils sont responsables de tous leurs actes devant lui; il doit pouvoir à chaque instant les congédier; ils sont les simples exécuteurs de ses volontés. Ce système aboutit incontestablement à la concentration de toute la puissance entre les mains du parlement. C'était l'idéal des auteurs de la constitution montagnarde en 1793, et c'est celui de l'école radicale actuelle.

La question des rapports du gouvernement et du parlement devient très délicate, quand les hommes qui, en fait, sont investis des fonctions gouvernementales ne sont pas considérés comme les simples commis du parlement. La solution de cette question présente en même temps une importance de premier ordre. Si en effet un seul organe politique concentre tous les pouvoirs, c'est fatalement l'arbitraire, la tyrannie. Il faut donc deux organes politiques. Mais si les rapports de ces deux organes ne sont pas ingénieusement réglés, des conflits, des coups d'Etat, des révolutions sont à craindre; l'expérience le prouve.

On peut concevoir que le chef du gouvernement,

auquel on reconnaît un droit propre ou qui s'attribue en fait et en droit le caractère de représentant de la volonté nationale, concentre, en vertu de ce droit propre ou de ce caractère représentatif, tous les pouvoirs, mais néanmoins consente à l'élection d'un parlement venant limiter son pouvoir législatif, la loi ne pouvant être faite que du consentement du parlement et du chef de l'Etat. Un pareil système aboutit incontestablement à la subordination complète du parlement au chef de l'Etat et peut, suivant le tempérament de celui-ci et les circonstances, équivaloir, à peu de chose près, à un régime de monarchie absolue. La présence d'un parlement élu, quelque limités que soient ses pouvoirs, constitue cependant au profit des gouvernés une garantie dont il ne faut pas méconnaître l'importance, et parfois un pareil régime a conduit, par la force des choses, à l'établissement d'un véritable système parlementaire.

Si au contraire les deux organes, parlement et gouvernement, sont considérés comme ayant une puissance égale, soit parce qu'ils émanent de deux éléments différents auxquels cependant appartient en fait une force égale, soit parce qu'on voit dans l'un et l'autre des organes de représentation de la volonté nationale, comment doivent se régler leurs rapports?

La solution du problème a d'abord apparu dans le système de la séparation des pouvoirs : le parlement, a-t-on dit, est organe de représentation pour le législatif et le gouvernement organe de représentation pour l'exécutif. C'est le système que les auteurs de la constitution de 1791 croyaient trouver en Angleterre et dans l'Esprit des lois. Ils voulurent l'instituer en France; on sait au prix de quelles contradictions et quel en fut le résultat (cf. supra, § 44). En l'an III et en 1848, on voulut revenir à ce système sans plus de succès.

53. Le régime parlementaire. La solution la plus élégante et la plus pratique du problème posé, et

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