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cice d'une fonction. Dans tous les cas, si les droits politiques étaient véritablement des droits, c'étaien des droits concédés et non pas des droits inhérents à la qualité d'homme, des droits que la puissance publique pouvait concéder comme elle l'entendait, avec les conditions et les réserves qu'il lui semblait bon d'établir; ces droits ne devaient donc pas être énoncés dans un acte fixant les limites des pouvoirs de l'Etat. Les droits du citoyen ne sont pas ce que nous appelons aujourd'hui les droits politiques, mais plutôt ce qu'on appelle parfois les droits civiques. La constitution de 1791 les appelait droits civils (tit. I). Ce sont les droits naturels de l'individu en tant qu'ils sont reconnus et garantis par l'Etat.

La constitution de 1875 est la seule où l'on ne trouve aucune mention, aucun rappel des droits inscrits dans la Déclaration de 1789. Dans ces conditions, on peut se demander si les règles de la Déclaration des droits de 1789 ont cessé d'avoir force légale positive, et si le parlement pourrait, à l'heure actuelle, faire des lois portant atteinte aux droits naturels individuels de l'homme sans violer les dispositions fondamentales de notre droit public. Nous répondrons non, sans hésiter; et nous croyons fermement que toute loi contraire aux termes de la Déclaration des droits de 1789 serait une loi inconstitutionnelle.

Le législateur ne

59. Le principe d'égalité. peut faire aucune loi qui porte atteinte à l'égalité des individus. En 1789, on se borne à déclarer (Décl., art. 1) que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit; on ne met point l'égalité au nombre des droits individuels naturels. En 1793, dans l'énumération des droits naturels individuels, on place au premier rang le droit à l'égalité et on ajoute : << Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi » (Décl. 1793, art. 2 et 3). En l'an III encore, on place l'égalité au nombre des droits de l'homme, mais au second rang après la liberté (Décl. de l'an III,

art. 1). La formule de la Convention est certainement moins exacte que celle de l'Assemblée nationale. Il est en effet difficile de concevoir l'égalité comme un droit, ou du moins comme un droit distinct des autres droits; elle est la conséquence de ce que les hommes ont des droits dérivant de leur qualité d'hommes et qui par conséquent doivent être égaux. Le législateur ne peut pas faire de loi portant atteinte à l'égalité des hommes, parce que par là il porterait atteinte certainement aux droits naturels de quelques-uns. Mais qu'importe ces distinctions un peu subtiles? Ce qu'il faut seulement signaler et retenir, c'est qu'en faisant de l'égalité un droit et en le plaçant au premier rang des droits de l'homme, la Convention de 1793 marquait nettement son intention de donner à l'égalité la prédominance sur la liberté. Le principe d'égalité était en harmonie parfaite avec les tendances dictatoriales de la Convention; il n'y a pas de gouvernement tyrannique qui n'ait eu pour but d'étendre un niveau égalitaire sur tous les individus. En invoquant le faux principe de l'égalité naturelle et absolue des hommes, on colorait d'une justification apparente la lourde tyrannie qu'on faisait peser sur le pays. Au contraire, le libre développement des activités individuelles, la tolérance libérale du gouvernement favorisent les inégalités, les différences intellectuelles et physiques entre les hommes, et c'est le devoir de l'Etat de faire des lois en harmonie avec ces différences naturelles ou acquises.

D'autre part, en faisant de l'égalité un droit, on devait en conclure que les individus avaient droit à ce que l'Etat fit, dans la mesure du possible, disparaître les inégalités existant en fait. C'est évidemment à cette idée que se rattache la disposition de l'art. 21 de la Déclaration des droits de 1793: « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens de sub

sister à ceux qui sont hors d'état de travailler ». Assurément, la Convention n'eut pas la conception actuelle d'une obligation directe s'imposant à l'Etat de donner l'assistance aux indigents et d'assurer du travail aux ouvriers sans travail; mais elle pensait que, l'égalité étant un droit, tous avaient un droit à ce que l'Etat, en distribuant des secours, en assurant du travail à tous, fit disparaître autant que possible les inégalités existant en fait.

Aucune conception de ce genre n'apparaît dans la Déclaration des droits de 1789 des inégalités de fait existent, il n'y a point obligation pour l'Etat de les faire disparaître, mais seulement d'assurer à tous une égale protection. Cela n'exclut point au reste, bien au contraire, l'égalité véritable, celle qui consiste, suivant une vieille formule, à traiter également les choses égales et inégalement les choses inégales. L'égalité absolue, mathématique des hommes, comprise à la manière de 1793, est, on l'a dit très justement, le paradoxe de l'égalité; elle aboutit en réalité à l'inégalité. Ce n'est point celle d'ailleurs qu'avait en vue l'Assemblée de 1789.

D'abord, en déclarant que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, jamais, en 1789, on n'eut la pensée d'affirmer le principe de l'égalité politique, c'est-à-dire l'égale participation de tous à la puissance publique (cf. supra, § 58). La Convention au contraire en 1793, mettant au premier plan l'égalité naturelle et sociale des hommes, établit le suffrage universel égalitaire (Décl. 1793, art. 3). C'est aussi au nom du principe d'égalité qu'en 1848 on proclame le suffrage universel direct et égalitaire; et aujourd'hui encore tout un parti voit dans le suffrage universel, tel que nous le pratiquons, l'application nécessaire du principe d'égalité. Cependant, dans la réalité des choses, le système du suffrage universel dit égalitaire est la violation du vrai principe d'égalité. Qu'on accorde à tous une participation à la puissance publique, cela

est juste, puisque tous ont intérêt à ce que les affaires publiques soient bien gérées et que tous supportent les charges publiques. Mais qu'on accorde à tous une égale participation à la puissance publique, sous prétexte que tous sont membres du corps social, c'est un pur sophisme, car si tous les individus sont membres du corps social, ils rendent à la société des services. différents et ont une capacité différente. Par conséquent, pour respecter le principe d'égalité, on devrait accorder à chacun une participation à la puissance politique variant suivant sa capacité et les services qu'il est susceptible de rendre et qu'il rend en effet à la société. Ce serait moins simple que de dire : tout citoyen a une voix et n'a qu'une voix; mais ce serait plus équitable et plus conforme à la vérité des choses.

En 1789, quand on proclamait le principe de l'égalité, on voulait surtout affirmer que tous les citoyens doivent être protégés par la loi de la même manière, avec la même force, dans leur personne et leur propriété, non pas qu'ils aient tous exactement les mêmes prérogatives sociales; mais les prérogatives dont ils disposent doivent recevoir de la loi exactement la même protection sans distinction de personne ou de classe. « La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège... » (Déclaration des droits de 1789, art. 6). Ainsi tout homme a le droit de devenir propriétaire; mais tous les hommes n'ont point le droit d'avoir la même quantité de richesse, car, si l'appropriation des richesses est le résultat du travail, tous les hommes n'ont pas la même habileté et ne produisent pas la même quantité de richesse. Mais tous les propriétaires, petits ou grands, devront être protégés par la loi exactement de la même manière et avec la même énergie.

De même que la loi doit assurer à tous une égale protection, de même elle doit, pour les mêmes infractions, infliger les mêmes peines. « Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » (Déclar. 1789, art. 6). La loi devra établir

les mêmes peines sans distinction de classes sociales. Mais toutefois le législateur porterait l'égalité à un point où elle serait de l'inégalité s'il ne laissait au juge aucune liberté d'appréciation. L'application de la peine doit varier suivant la situation personnelle du délinquant. L'individualisation de la peine est la condition même de l'égalité dans l'application de la loi pénale. Le principe de l'égalité interdit au législateur d'établir des exclusions au point de vue de l'accession de tous aux dignités, places et emplois. La règle a été formulée en termes parfaits à l'art. 6: « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux (de la loi) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » (Rap. Déclar. de 1793, art. 5). Nul ne peut donc, à cause de son origine, de ses croyances philosophiques, religieuses, de ses convictions politiques, être exclu de tel ou tel emploi, être privé de telle ou telle prérogative. Toute loi qui prononcerait une pareille exclusion violerait les principes de la Déclaration des droits.

60. La liberté en général. C'est le pouvoir qui appartient à tout individu d'exercer et de développer son activité physique, intellectuelle et morale, sans que le législateur y puisse apporter d'autres restrictions que celles qui sont nécessaires pour protéger la liberté de tous. La Déclaration des droits de 1789 contient de la liberté une définition à laquelle il n'y a rien à reprendre : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui; ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ». Rapprochez l'art. 6 de la Déclaration de 1793, qui dans un langage emphatique et moins clair exprime la même idée : <«< La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui :

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