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ties particulières d'indépendance, garanties que, dans l'organisation française et dans les organisations similaires, ne paraissent devoir présenter que les fonctionnaires dits judiciaires; 3° il faut qu'une responsabilité effective puisse atteindre les fonctionnaires qui permettent, ordonnent ou maintiennent des arrestations illégales. Ainsi la liberté individuelle a été conçue, par les auteurs de nos Déclarations et de nos constitutions, comme intimement liée aux institutions sociales qui la protègent.

Par là, l'Etat moderne est obligé, non seulement de ne faire aucune loi qui porte atteinte à la liberté individuelle en elle-même, mais encore d'établir et de maintenir dans ses lois les trois éléments qui viennent d'être indiqués et qui constituent la protection de la liberté individuelle. La liberté individuelle ainsi protégée, c'est la sûreté. Or, comme aux termes mêmes de l'art. 2 de la Déclaration de 1789 la sûreté est un droit individuel, le législateur ne peut porter aucune atteinte à la sûreté, c'est-à-dire à aucun des trois éléments qui constituent la protection de la liberté individuelle.

62. Des cas où la liberté individuelle est soumise à un régime de police. Quoi qu'on pense de l'insuffisance des dispositions légales qui protègent en France la liberté individuelle, il n'est pas douteux cependant qu'elle y est en principe soumise à un régime de droit. Mais il y a des cas, et des cas trop nombreux, où la liberté individuelle est encore en France soumise à un régime de police. Il n'est pas inutile d'indiquer les deux cas principaux.

L'état de siège. Il ne faut pas confondre l'état de siège fictif s'appliquant à une ville ouverte ou à un territoire en temps de paix, et l'état de siège réel, situation faite à une place de guerre ou à un poste militaire. Dans les places de guerre et postes militaires, la déclaration de l'état de siège peut être faite par le commandant militaire au cas d'investissement,

d'attaque de vive force ou par surprise, de sédition intérieure et lorsque des rassemblements armés se sont formés dans un rayon de dix kilomètres (Décret du 23 octobre 1883, art. 202 et décret du 14 octobre 1891, remplacé aujourd'hui par le décret du 7 octobre 1909, J. off., 15 octobre). Au cas d'état de siège réel, les pouvoirs dont l'autorité civile était revêtue pour le maintien de l'ordre et de la police passent tout entiers à l'autorité militaire. L'autorité civile continue néanmoins d'exercer ceux de ses pouvoirs dont l'autorité militaire ne l'a pas dessaisie et le gouverneur de la place délégue en conséquence aux magistrats telle partie de ses pouvoirs qu'il juge convenable.

L'état de siège peut être déclaré dans des villes ouvertes et des territoires. C'est alors un état de siège fictif, procédé auquel on a recours dans des circonstances exceptionnelles (L. 3 avril 1878).

A la suite des événements de 1870-71, on eut recours à l'état de siège fictif dans des proportions inconnues jusque-là. A un moment donné, plus de 42 départements étaient en état de siège. Pendant la période dite du 16 mai 1877, le gouvernement abusa de la déclaration d'état de siège. C'est pour éviter le retour d'un pareil abus que fut votée la loi du 3 avril 1878 en vertu de laquelle, en principe, l'état de siège ne peut être déclaré que par les chambres et pour une durée déterminée; il cesse de plein droit à l'expiration de ce temps (L. 3 avril 1878, art. 1).

Quant aux effets de l'état de siège, ils restent déterminés par la loi du 9 août 1849 (L. 3 avril 1878, art. 6). L'effet essentiel est la substitution de l'autorité militaire à l'autorité civile : « Aussitôt l'état de siège déclaré, les pouvoirs dont l'autorité civile était revêtue. pour le maintien de l'ordre et de la police, passent tout entiers à l'autorité militaire. L'autorité civile continue néanmoins à exercer ceux de ces pouvoirs dont l'autorité militaire ne l'a pas dessaisie » (L. 9 août 1849, art. 7). Les garanties normales de la liberté

individuelle sont par là même supprimées. Il faut ajouter que l'art. 8 de la loi de 1849 donne compétence aux tribunaux militaires pour connaître des crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la constitution, contre l'ordre et la paix publique, quelle que soit la qualité des auteurs principaux et des complices. Enfin l'art. 9 donne à l'autorité militaire le droit 1" de faire des perquisitions de jour et de nuit au domicile des citoyens; 2° d'éloigner les repris de justice et les individus qui n'ont pas leur domicile dans le lieu soumis à l'état de siège; 3° d'ordonner la remise des armes et munitions et de procéder à leur recherche et à leur enlèvement; 4o d'interdire les publications et les réunions qu'elle juge de nature à exciter ou à entretenir le désordre. L'art. 11 spécifie que les citoyens continuent, nonobstant l'état de siège, à exercer tous ceux des droits garantis par la constitution dont la jouissance n'est pas suspendue par la loi. Il importe aussi de noter que bien que l'autorité militaire, pendant la durée de l'état de siège, ait des pouvoirs exorbitants, ils restent toujours limités par la loi, et que si l'autorité militaire faisait un acte que la loi ne lui donne pas le droit de faire, il y aurait excès ou abus de pouvoir avec toutes leurs conséquences, notamment recours pour excès de pouvoir et aussi responsabilité du fonctionnaire, suivant le droit commun.

Situation des étrangers résidant sur le territoire français. Les étrangers, comme les Français, ont droit de la part de l'Etat au respect et à la protection de leur liberté individuelle. On considère que c'est un droit naturel de l'homme, et que par conséquent tous ceux, Français ou étrangers, qui se trouvent sur le territoire français, en sont également investis. Toutes les lois précédemment indiquées, qui garantissent le respect de la liberté individuelle, s'appliquent également, aux étrangers et aux Français. D'ailleurs les étrangers état soumis aux « lois de police et de sûreté qui obli

gent tous ceux qui habitent le territoire » (C. civ., art. 3, § 1), il est juste qu'en retour ils profitent des garanties que les lois assurent à la liberté individuelle.

A un certain point de vue cependant la situation des étrangers en France est soumise à un régime de police. C'est une règle, admise d'ailleurs dans tous les pays, que le gouvernement peut, par mesure de police, et en dehors de toute condamnation, expulser du territoire les étrangers y résidant. Ce droit d'expulsion est consacré par les articles 7 et 8 de la loi du 3 décembre 1849. Le ministre de l'intérieur peut, par mesure de police, et par un simple arrêté, qui n'a pas besoin d'être motivé, enjoindre à tout étranger voyageant ou résidant en France de sortir immédiatement du territoire, et peut même le faire reconduire à la frontière par les agents de l'autorité. Ce droit appartient au ministre même pour les étrangers qui ont obtenu du gouvernement l'autorisation de fixer leur domicile en France; mais l'arrêté d'expulsion cesse d'avoir effet dans un délai de deux mois, si l'autorisation de fixer le domicile en France n'est pas révoquée. Dans les départements frontières le préfet peut ordonner l'expulsion des étrangers, mais seulement des étrangers non résidants, et il doit en référer immédiatement au ministre de l'intérieur. Rap. C. pén., art. 272. L'art. 8 de la loi du 3 décembre 1849 établit une sanction pénale au cas de violation des arrêtés d'expulsion.

63. L'inviolabilité du domicile. Elle est une conséquence et comme le prolongement de la liberté individuelle. En parlant ici du domicile, on n'entend pas le mot dans son sens juridique tel qu'il est défini aux art. 102 et suiv. du code civil, et désignant le lien juridique qui rattache une personne à un certain lieu. Quand on parle d'inviolabilité du domicile, on entend la maison ou l'appartement qu'un individu occupe régulièrement en fait, à un moment donné, pour y loger seul ou avec les membres de sa famille.

Le principe de l'inviolabilité du domicile doit être. formulé dans des termes correspondants à ceux dans lesquels nous avons formulé le principe de la liberté individuelle. Nul ne peut pénétrer dans le domicile. d'un individu sans le consentement de celui-ci ; même les agents de l'autorité ne peuvent en principe y pénétrer qu'en vertu d'une décision de l'autorité judiciaire, sous les conditions et dans les formes déterminées par la loi.

La règle pratique de l'inviolabilité du domicile est formulée à l'art. 76 de la constitution de l'an VIII, encore en vigueur aujourd'hui. Le texte distingue suivant qu'il y a lieu de pénétrer dans un domicile privé pendant la nuit ou pendant le jour. Pendant la nuit. personne, même les agents de l'autorité porteurs d'un mandat de justice, n'a le droit de pénétrer dans l'intérieur d'une maison, à moins qu'il n'y ait réclamation venant de l'intérieur ou qu'il n'y ait un cas de force majeure. La loi prévoit les cas d'inondation ou d'incendie. Le temps de nuit se détermine par les dispositions de l'art. 1037 du code de procédure. Il s'étend de six heures du soir à six heures du matin, depuis le 1er octobre jusqu'au 31 mars, et de neuf heures du soir à quatre heures du matin, depuis le 1er avril jusqu'au 30 septembre. Il est bien entendu que cette inviolabilité du domicile pendant la nuit ne s'applique qu'au domicile privé, et non pas aux maisons ouvertes au public (L. 19-22 juillet 1791, tit. I, art. 9 et 10). Pendant le jour les agents de l'autorité publique peuvent entrer dans le domicile d'un citoyen contre son gré; mais ils ne le peuvent en principe qu'en vertu de la décision d'une autorité judiciaire. De même que, d'après la Déclaration de 1789, la liberté individuelle ne se sépare pas de sa garantie judiciaire, de même aussi ne saurait s'en séparer l'inviolabilité du domicile, laquelle n'est que le prolongement de la liberté individuelle. Cf. C. instr. crim., art. 36, 37, 50, 59, 61, 62, 87, 89; C. proc., art. 587.

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