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femmes, aux enfants, aux individus frappés d'une déchéance pénale, et même aux étrangers. Le droit de pétition ainsi compris est bien certainement un droit supérieur au législateur, que celui-ci peut réglementer, mais qu'il ne peut ni restreindre ni supprimer.

Au contraire, une pétition peut être adressée par un individu ou un groupe d'individus dans un but d'intérêt général. On ne demande point une décision individuelle, mais bien qu'il soit pris une décision par voie générale et dans l'intérêt collectif, soit qu'on s'adresse d'ailleurs au parlement pour qu'il vote une loi ou repousse un projet de loi, abroge ou modifie une loi existante, soit qu'on s'adresse au gouvernement pour qu'il prenne une mesure générale dans le domaine de sa compétence ou pour qu'en vertu de son droit d'initiative il présente au parlement tel ou tel projet de loi. En pareil cas, la pétition n'est-elle pas l'exercice d'une sorte d'initiative législative, une participation à la puissance politique? Le droit de pétition ainsi compris ne doit-il pas être reconnu seulement à ceux qui ont la jouissance des droits politiques? Ne doit-il pas être refusé aux femmes, aux enfants, aux individus frappés de déchéance et aux étrangers? Nous sommes disposé à le penser. En fait jamais une solution bien nette n'a été donnée.

Le droit de pétition aux chambres a eu à certaines époques une importance beaucoup plus grande qu'aujourd'hui. Sous l'application des constitutions qui refusaient aux chambres l'initiative, le droit de pétition fournissait un moyen détourné pour saisir les chambres de questions importantes que ne leur soumettait pas le gouvernement. Aujourd'hui, députés et sénateurs ont un droit d'initiative complet et, de ce chef, le droit de pétition est devenu inutile. D'autre part, la presse, avec la puissance considérable qu'elle a de nos jours, est un moyen autrement puissant pour imposer une question à l'attention des pouvoirs publics que le modeste droit de pétition. Elle

peut soulever l'opinion publique et forcer l'action du parlement et du gouvernement, quand des pétitions, même réunissant des milliers de signatures, restent oubliées dans l'in pace des commissions parlementaires.

Enfin les pétitions proprement dites adressées au gouvernement deviennent aussi à peu près inutiles. L'individu qui se prétend victime d'un acte arbitraire est, dans le droit moderne, armé de recours contentieux qui garantissent ses droits d'une manière bien plus énergique et effective que la pétition. Par le caractère de généralité que la jurisprudence a donné au recours pour excès de pouvoir, par l'étendue qu'on tend à reconnaître à la responsabilité de l'Etat et des fonctionnaires, l'individu est de mieux en mieux protégé contre l'arbitraire administratif, et le droit de pétition devient de plus en plus inutile.

71. La liberté religieuse. Tout individu a incontestablement le droit de croire intérieurement ce qu'il veut en matière religieuse. Cela est proprement la liberté de conscience, qui n'est pas seulement la liberté de ne pas croire, mais aussi la liberté de croire ce que l'on veut. La liberté de conscience ainsi comprise échappe forcément et naturellement aux atteintes du législateur, comme la liberté de penser proprement dite. Ni en droit ni en fait le législateur ne peut pénétrer dans l'intérieur des consciences individuelles et leur imposer une obligation ou une prohibition quelconque. Pas plus que la liberté de penser, la liberté de conscience proprement dite n'a besoin d'être affirmée en droit. Les législateurs et les gouvernements l'ont malheureusement souvent oublié et l'oublient parfois encore.

La question de l'intervention de l'Etat ne peut se poser que lorsque les croyances religieuses se manifestent extérieurement, soit par un exposé verbal ou écrit, soit par la pratique du culte correspondant à ces croyances. On s'est demandé souvent ce qui dis

tingue une religion d'une philosophie. Assurément il est impossible de donner un critérium de distinction fixe. Cependant il nous semble que la religion implique d'une part la croyance à certaines propositions d'ordre métaphysique, et d'autre part l'accomplissement de certains rites correspondant à ces croyances, quelque variées que soient ces croyances, quelque caractère que présentent ces rites. En un mot, deux éléments très généraux caractérisent la religion : toute religion implique un certain nombre de dogmes plus ou moins primitifs, plus ou moins compliqués et en second lieu un certain rite, un certain culte aussi infiniment variable.

Cela posé, affirmer la liberté religieuse, c'est d'abord affirmer le droit pour quiconque d'exprimer publiquement par la parole ou par l'écrit ses croyances religieuses. Mais la liberté religieuse ainsi comprise se confond avec la liberté d'opinion. Les auteurs de la Déclaration des droits de 1789 le comprenaient bien, quand ils disaient : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Cette expression même religieuses montre que dans l'esprit des hommes de 1789 il y avait quelque chose de nouveau dans ce respect des opinions religieuses; mais la nouveauté consistait justement dans l'assimilation des opinions religieuses aux opinions politiques, philosophiques, sociales, artistiques, etc... La liberté d'exprimer ses croyances religieuses par la parole et par l'écrit ne se distingue donc en rien de la liberté d'opinion en général, et tout ce qui a été dit précédemment sur les libertés de réunion, d'enseignement, de la presse, doit recevoir son application quand les réunions, l'enseignement et la presse ont pour but de propager des croyances religieuses. Les lois qui garantissent aujourd'hui ces diverses libertés doivent s'appliquer quelles que soient les opinions ou les croyances qui sont exprimées sous la protection de ces lois.

Mais toute religion contient un second élément : le rite ou culte. Pour que la liberté religieuse existe, il faut que chacun soit libre de pratiquer un culte religieux quelconque, que nul ne soit empêché directement ou indirectement de pratiquer le culte correspondant à ses croyances religieuses, et qu'à l'inverse, nul ne soit contraint directement ou indirectement de pratiquer un culte quelconque. La liberté religieuse, c'est donc essentiellement la liberté du culte. Mais naturellement le principe en vertu duquel la liberté de chacun doit être limitée dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer la liberté de tous, est vrai pour la liberté religieuse comme pour toutes les libertés. En conséquence, le législateur peut et doit intervenir pour réglementer l'exercice extérieur du culte de manière qu'il ne porte aucune atteinte à la liberté individuelle de qui que ce soit. Le droit que chacun possède de pratiquer librement son culte a pour limite la liberté physique, intellectuelle et religieuse de tous les autres.

La liberté religieuse ainsi comprise a été très longue à s'établir dans les pays civilisés; et l'on a pu se demander si la France contemporaine respectait vraiment la liberté religieuse. Dans aucun des domaines de la pensée, l'intolérance n'a fait plus sentir son action néfaste. Tout fidèle en effet croit aisément que sa religion seule possède la vérité absolue, la vérité métaphysique et la vérité morale; il veut par suite imposer aux autres ses propres croyances; il y voit facilement l'accomplissement d'un véritable devoir. Il aura naturellement la tentation d'employer la part d'autorité dont il dispose à favoriser et même à imposer la pratique de telle ou telle religion. En outre, dans tous les temps et dans tous les pays, les gouvernants ont vu dans la religion une force tantôt alliée, tantôt ennemie, et par suite ont pratiqué naturellement une politique religieuse de privilège ou d'oppression, de privilège pour la religion dont on faisait

un instrument de gouvernement, d'oppression contre la religion dont on redoutait l'influence.

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Outre l'art. 10 de la Déclaration des droits de 1789, beaucoup de textes de nos Déclarations, de nos constitutions et de nos lois ont formulé le principe de la liberté religieuse. La const. de 1791 déclarait garantir comme droit naturel et civil « la liberté à tout homme... d'exercer le culte auquel il est attaché » (lit. I, § 2). « Le libre exercice des cultes ne peut être interdit » (Décl. 1793, art. 7). Rapp. const. 1793, art. 122. Nul ne peut être empêché d'exercer en se conformant aux lois le culte qu'il a choisi. Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d'un culte. La République n'en salarie aucun » (Const. an III, art. 334). La formule de la const. de l'an III, d'une exactitude parfaite, était reproduite dans les considérants de la grande loi du 7 vendémiaire an IV relative à la police et à l'exercice extérieur des cultes. Dans la formule du serment que l'art. 53 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII imposait à l'empereur, celui-ci devait promettre de respecter et de faire respecter la liberté des cultes. La Charle de 1814 reconnaissait expressément la liberté du culte : « Chacun professe sa religion avec une égale liberté et obtient pour son culte la même protection » (art. 5). Il est vrai qu'on disait à l'art. 6: « Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'Etat ». Rapp. les art. 5 et 6 de la Charte de 1830. A l'art. 7 de la const. de 1848, on lit: << Chacun professe librement sa religion et reçoit de l'Etat pour l'exercice de son culte une égale protection ». La const. de 1852 donnaît au sénat le droit de « s'opposer à la promulgation des lois contraires à la liberté des cultes » (art. 26). Enfin la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat contient un article ainsi conçu : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ».

On voit ainsi que ni le nombre ni la précision des textes proclamant le principe de la liberté religieuse n'ont fait défaut depuis 1789. Dans le fait, la liberté religieuse a-t-elle été respectée ? Question extrêmement complexe, qu'il n'est pas possible d'étudier ici.

Le concordat de 1802. L'union des Eglises et de l'Etat. - Quoi qu'on pense du concordat de 1802 et des raisons vraies qui déciderent Napoléon à le signer, il n'est pas douteux qu'il donna pendant un temps la paix religieuse à la France. La convention des 16 messidor-23 fructidor an IX, conclue entre le gouvernement français et le pape Pie VII et connue sous le nom de concordal de 1802, est précédée de la double déclaration suivante : « Le gouvernement de la République française reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de la grande majorité des citoyens français. Sa Sainteté reconnaît également que cette même religion a retiré et altend encore en ce moment le plus grand bien et le plus grand éclat de l'établissement du culte catholique en

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