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déclarée et publiée, sans que d'ailleurs aucune autorisation soit nécessaire. Seulement, du moment où l'association était ainsi déclarée et publiée, elle devait avoir la pleine capacité juridique dans les limites, bien entendu, de son but, puisque ce but est la raison même de sa création et doit marquer la limite de son action. Le législateur de 1901 ne l'a pas voulu, et c'est en cela surtout que son œuvre est incomplète. Il a pris soin d'énumérer limitativement les seuls actes juridiques que peut faire l'association déclarée et publiée. Elle peut ester en justice, acquérir à titre onéreux, posséder et administrer, en dehors des subventions de l'Etat, des départements et des communes : 1° les cotisations de ses membres ou les sommes au moyen desquelles ces cotisations ont été rédimées, ces sommes ne pouvant être supérieures à 500 fr.; 2o le local destiné à l'administration de l'association et à la réunion de ses membres; 3° les immeubles strictement nécessaires à l'accomplissement du but qu'elle se propose (art. 5). Ce n'est point là une pleine capacité, puisque les associations déclarées, en dehors des subventions de l'Etat, des départements et des communes, ne peuvent rien acquérir à titre gratuit.

Après comme avant la loi de 1901, les associations ne peuvent faire des acquisitions à titre gratuit que si elles sont reconnues d'utilité publique par le gouvernement. Cette reconnaissance est un acte discrétionnaire de l'administration, et, une fois accordée, elle peut toujours être retirée. L'association reconnue d'utilité publique devient un établissement d'utilité publique et se trouve placée sous le contrôle administratif. Elle peut recueillir des libéralités, mais seulement. avec l'autorisation de l'autorité administrative, conformément aux dispositions de l'art. 910 du code civil et de l'art. 5 de la loi du 4 février 1901. Tout cela n'est plus la liberté d'association (L. 1er juillet 1901, art. 10 et 11). L'art. 11 § 1 spécifie que même les associations reconnues d'utilité publique ne peuvent posséder et

acquérir d'autres immeubles que ceux nécessaires au but qu'elles se proposent. Cela est logique. C'est le principe de la spécialité : le but poursuivi est le fondement et la limite de la capacité des associations. Mais dans cette limite du but, toute acquisition devrait pouvoir être faite à titre gratuit ou à titre onéreux, librement, par toute association déclarée et publiée. Cela seul eût été vraiment la liberté d'association.

La raison traditionnelle, qu'on a encore invoquée en 1901 pour repousser cette solution, est le danger provenant de l'accumulation possible des biens collectifs soustraits aux transactions entre vifs et aux transmissions héréditaires, d'après l'expression courante, le danger de la mainmorte. L'argument est sans valeur. Le danger de la mainmorte dans nos sociétés modernes est chimérique. On ne parle point du danger de la mainmorte pour les biens souvent considérables qui appartiennent à des sociétés commerciales. Pourquoi la mainmorte n'est-elle pas un danger lorsqu'il s'agit d'une société d'assurance, d'un grand magasin? Pourquoi l'est-elle lorsqu'il s'agit d'une association philanthropique ou d'enseignement? Il n'y a point de raison. Mais les gouvernements craignent toujours que la liberté d'association ne soit trop grande et que les libres groupements ne s'emparent de domaines où ils veulent garder la direction, sinon le monopole. Et alors ils secouent l'épouvantail usé de la mainmorte. Comment du reste parler de la mainmorte à une époque où la concentration des capitaux est un phénomène d'une puissance irrésistible et qui prépare la forme socialiste de l'Etat futur? Chose singulière, ce sont les politiciens socialistes qui, en 1901, ont le plus âprement mis en relief le prétendu danger de la mainmorte.

75. Les congrégations. Le but du législateur de 1901 a été bien moins de donner la liberté d'association que de soumettre certaines associations, les congrégations, à un système particulièrement restric

tif. Son œuvre à cet égard a été complétée par les lois des 4 décembre 1902, 17 juillet 1903 et 7 juillet 1904. Ces lois soumettent les congrégations à un régime sévère de police qui peut se résumer ainsi. Aucune congrégation ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui doit déterminer les conditions de son fonctionnement (L. 1er juillet 1901, art. 13, § 1 et art. 16). Les congrégations existant en fait au moment de la promulgation de la loi étaient mises en demeure de demander l'autorisation dans les trois mois; faute de l'obtenir elles devaient se disperser et il devait être procédé à la liquidation de leurs biens (art. 18, complété par la loi du 17 juillet 1903). Aucune congrégation autorisée ne peut fonder aucun nouvel établissement qu'avec une autorisation donnée par un décret en conseil d'Etat (art. 13, § 2 et L. 4 décembre 1902). La dissolution d'une congrégation même autorisée par une loi et la fermeture d'un établissement même autorisé peuvent toujours être prononcées par un décret rendu en conseil des ministres (art. 13, § 3). Cf. Décrets du 16 août 1901 et arrêté minist. du 1er juillet 1901.

La rigueur de ce régime a encore été augmentée par la loi du 7 juillet 1904, qui décide que toutes les congrégations autorisées à titre de congrégations exclusivement enseignantes, seront supprimées dans un délai de dix ans, et que, par conséquent, aucune autorisation ne sera désormais donnée à des congrégations exclusivement enseignantes. Ces congrégations ne peuvent plus recruter de nouveaux membres; leurs noviciats sont dissous de plein droit, à l'exception de ceux qui sont destinés à former le personnel des écoles françaises à l'étranger, dans les colonies et dans les pays de protectorat (L. 7 juillet 1904, art. 1 et 2). L'art. 3 décide que dans le délai de dix années la fermeture de chaque établissement scolaire sera effectuée aux dates fixées par un arrêté de mise en demeure du ministre de l'intérieur. L'art. 4 ordonne et règle

a liquidation des congrégations ainsi supprimées. Aux termes de l'art. 6 est déclaré expressément abrogé l'art. 109 du décret du 17 mars 1808, qui donnait l'existence légale à l'Institut des frères de la doctrine chrétienne. De la loi du 7 juillet 1904, rapp. L. fin. 22 avril 1905, art. 36; DD. 2 janvier et 17 juin 1903.

Les auteurs de cette législation draconienne contre les congrégations ont invoqué deux ordres de considérations. D'abord ils ont fait valoir la continuité historique du droit français à cet égard; ils ont rappelé à satiété ce principe du droit monarchique d'après lequel les congrégations ne pouvaient se former qu'avec l'autorisation royale et étaient toujours à la discrétion de l'administration centrale. Ils ont affirmé qu'il convenait que la troisième république suivit les principes et la politique de la monarchie ancienne. D'autre part, on a dit qu'on ne pouvait point appliquer le droit commun aux congrégations, qu'elles étaient tout à fait différentes des associations ordinaires, parce que leurs membres renonçaient au monde, abandonnaient la famille, laissaient de côté leurs intérêts personnels pour s'engager par des vœux à suivre une règle leur imposant l'obéissance passive et l'abdication de toute initiative. On a ajouté que ce régime rigoureux de police était d'autant plus nécessaire que les congrégations dissimulaient sous des prétextes religieux une active campagne politique, que leurs richesses s'étaient accrues dans des proportions considérables (elles représentent, disait-on, un milliard), et qu'enfin leur action sur les consciences, leur mainmise sur les intelligences constituaient un véritable péril.

La liberté d'association étant aujourd'hui reconnue et organisée, le régime spécial de police sous lequel les lois du 1er juillet 1901 et du 7 juillet 1904 ont placé les congrégations, ne peut se justifier en droit que s'il existe un critérium juridique certain, qui permette d'établir une différence déterminée entre les associa

tions ordinaires et les congrégations. Or, il nous semble bien que ce critérium n'existe pas.

Pour qu'il y eût un critérium juridique permettant de distinguer la congrégation de l'association ordinaire, il faudrait qu'il y eût de la part des membres de la congrégation une manifestation extérieure de volonté tombant sous la prise du droit et susceptible de donner à l'association considérée un caractère particulier. Or, il nous paraît qu'un pareil critérium n'existe point. Les caractères que les rapporteurs de la loi à la chambre et au sénat, M. Trouillot et M. Vallé, ont paru admettre comme signes distinctifs de la congrégation sont les suivants au premier rang, les vœux, solennels ou perpétuels, simples ou temporaires, en général vœux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance; les statuts de la congrégation qui ont une partie canonique qui forme la règle; la perpétuité de l'association qui est la conséquence du but pieux qu'elle poursuit; le costume et la vie en commun. Or, il est facile de montrer qu'aucun de ces éléments ne peut avoir une influence quelconque sur le caractère d'une association.

D'abord la destination religieuse et le caractère de perpétuité qui en dérive: il est certain que le but religieux en vue duquel est constituée une association ne lui donne point le caractère de congrégation; on a dit à maintes reprises à la chambre et au sénat que des associations fondées entre laïques en vue d'un but religieux restaient soumises au droit commun; et la chambre a montré qu'elle acceptait cette solution en écartant l'amendement qui exceptait les associations religieuses du bénéfice de l'art. 2 de la loi de 1901 (séance 4 février 1901). Aujourd'hui il ne peut pas y avoir d'association, ayant un but religieux, formée entre prêtres, puisque depuis la loi de séparation, aux yeux de la loi civile, il n'y a plus de prêtres. Quant à la vie en commun, c'est là un fait qui ne peut avoir aucune influence sur la nature juridique

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