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exercer une pression sur tel député en lui faisant miroiter sa nomination à une charge grassement rétribuée. L'expérience prouve que ces promesses ne laissent point les députés indifférents, surtout ceux qui ont des craintes pour leur réélection. A notre sens, le législateur devrait établir l'incapacité absolue des députés et des sénateurs d'être nommés à une fonction publique, non seulement pendant la durée de leur mandat, mais encore pendant un certain temps, deux ans par exemple après son expiration. C'était la règle de la constitution de 1791.

Aujourd'hui, la règle ne s'applique qu'aux députés; elle ne s'applique pas aux sénateurs. Le député qui est nommé ou promu à une fonction publique cesse, par le fait même de son acceptation, d'appartenir à la chambre. Il faut qu'il soit nommé à une fonction salariée par l'Etat. Par exemple le député nommé maire reste député. La règle est générale et s'applique à toutes les fonctions salariées par l'Etat. Il n'est fait exception que pour les députés nommés ministres ou sous-secrétaires d'Etat «< qui ne sont point soumis à la réélection » (L. 30 novembre 1875, art. 11, § 2).

Par le fait de sa nomination à une fonction publique salariée, le député est placé dans la situation où il aurait été s'il avait été fonctionnaire avant d'être député. Si la fonction publique est compatible avec le mandat de député, comme celle de professeur titulaire dans une Faculté par exemple, l'ancien député peut se représenter, être régulièrement nommé et exercer à la fois la fonction et le mandat de député. Si, au contraire, la fonction est incompatible et qu'il soit réélu député, il perc sa fonction et on lui fait application des art. 8-10 de la loi du 30 novembre 1875.

91. Irresponsabilité parlementaire. Il importe d'assurer l'indépendance du député, non seulement à l'égard du gouvernement, mais encore à l'égard des particuliers. Pour que le député puisse remplir son mandat avec une entière liberté et une pleine indépen

dance, il faut qu'il soit soustrait à toute possibilité de poursuite pénale à l'occasion d'acles rentrant dans ses attributions parlementaires, il faut qu'il échappe à toute responsabilité pécuniaire envers des particuliers à l'occasion des acles rentrant dans les dites attributions. Tels sont les raisons et le principe de l'art. 13 de la loi const. du 16 juillet 1875 : « Aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions ». De ce texte constitutionnel il convient de rapprocher tout de suite l'art. 41 §§ 1 et 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, qui formule une conséquence du principe : « Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l'une des deux chambres ainsi que les rapports ou autres pièces imprimés par ordre de l'une des deux chambres. Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des deux chambres fait de bonne foi dans les journaux ».

L'irresponsabilité parlementaire n'existe que pour les actes faits par le député ou sénateur dans l'exercice de ses fonctions; mais elle existe pour tous ces actes. Cela comprend d'abord les discours prononcés, non seulement en séance publique, mais encore en commission, tous ces discours, alors même qu'ils auraient été l'objet d'une publicité spéciale par suite d'un affichage ordonné par la chambre, les rapports lus en séance publique ou publiés par le Journal officiel ou les journaux, et aussi les votes exprimés par les députés ou sénateurs. Cette irresponsabilité protège aussi le député à l'égard des actes faits par lui dans une commission d'enquête parlementaire.

Le député échappe à toute action publique, qui serait mise en mouvement par le ministère public pour un prétendu délit. Il échappe aussi à toute poursuite des particuliers qui useraient du droit de citation directe, par exemple pour une poursuite en diffamation, ou qui formeraient simplement une action en responsabilité

devant les tribunaux civils. Tout tribunal qui serait saisi d'une action publique ou civile, dirigée contre un député à l'occasion d'un acte de sa fonction, devrait se déclarer incompétent, même d'office et cela en tout état de cause.

92. Inviolabilité parlementaire. Toujours dans le but d'assurer l'indépendance des membres du parlement, les législations politiques modernes décident qu'ils ne peuvent être poursuivis pendant les sessions des chambres, à l'occasion d'une infraction étrangère à leur fonction, sans l'autorisation de la chambre dont ils font partie. Cette règle est inscrite dans l'art. 14, § 1 de la loi const. du 16 juillet 1875 : « Aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut pendant la durée de la session être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de la chambre dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit ».

La règle de l'inviolabilité, consacrée aujourd'hui par l'art. 14, § 1 précité de la loi du 16 juillet 1875, constitue pour les membres du parlement un véritable privilège. Mais ce privilège se justifie amplement par la nécessité d'assurer l'indépendance du parlement, de soustraire ses membres à l'espèce de chantage que le gouvernement, qui dispose de l'action publique, pourrait exercer sur eux, et aux tracasseries que des particuliers, par le droit de citation directe, pourraient susciter à des députés dont ils croient avoir à se plaindre. L'inviolabilité, comme l'irresponsabilité (§ 91), n'est pas établie à vrai dire dans l'intérêt du député qui en profite, mais dans l'intérêt du parlement, dans l'intérêt, peut-on dire, de la souveraineté nationale elle-même, que le parlement est censé représenter. Les immunités ne constituent donc point des droits subjectifs, mais bien une situation objective. Par conséquent le député ne peut y renoncer. Il ne pourrait pas être poursuivi pour un fait relatif à ses fonctions, alors même qu'il accepterait cette poursuite; il ne

pourrait pas être poursuivi pour une infraction sans l'autorisation de la chambre à laquelle il appartient, alors même qu'il accepterait la poursuite. Le tribunal saisi devrait, même d'office, et nonobstant une demande formelle du député tendant à être jugé, se déclarer incompétent jusqu'à ce que la chambre ait autorisé la poursuite. Ces solutions sont hors de toute contestation.

L'inviolabilité n'existe que pendant la session. - Elle commence avec la session et finit avec elle (cf. § 93). Les ajournements que les chambres s'octroient à ellesmêmes n'interrompent pas la session et par conséquent ne suspendent point l'inviolabilité. On peut se demander s'il en est de même au cas d'un ajournement prononcé par le président de la République, en vertu des pouvoirs à lui conférés par l'art. 2, § 2, de la loi const. du 16 juillet 1875. On décide en général que l'inviolabilité n'est point suspendue pendant cet ajournement, précisément parce qu'il n'y a là qu'un ajournement et que la session n'est point close. La session n'est close qu'au moment où le décret de clôture a été lu aux chambres.

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A quels faits s'applique l'inviolabilité? Seulement à des faits constituant une infraction, que la poursuite soit exercée par le ministère public ou par un particulier agissant en vertu du droit de citation. directe en matière correctionnelle, établi par l'art. 182 C. instr. crim. L'inviolabilité s'applique à toutes les infractions qualifiées crimes ou délits. L'art. 14 porte: << en matière criminelle ou correctionnelle ». Elle ne s'applique point aux contraventions de police. Il y a là une règle tout à fait exceptionnelle qu'il faut interpréter restrictivement; or le texte ne parle que des crimes et délits. D'ailleurs cela se conçoit; les poursuites en matière de contravention ne sont jamais assez graves pour qu'elles puissent porter atteinte à l'indépendance des députés.

Flagrant délit. - L'inviolabilité judiciaire n'existe

pas lorsqu'il y a flagrant délit. Il faut considérer qu'il y a flagrant délit et que par conséquent l'immunité est supprimée dans tous les cas qui sont indiqués par l'art. 41 du code d'instr. crim. : le délit se commet ou vient de se commettre; le prévenu est poursuivi par la clameur publique; le prévenu est trouvé saisi d'effets, armes, instruments ou papiers faisant présumer qu'il est auteur ou complice, pourvu que ce soit dans un temps voisin du délit. Lorsqu'il y a flagrant délit, l'inviolabilité parlementaire, à notre avis, cesse complètement; le droit commun reprend son empire; le député, présumé auteur du flagrant délit, peut être poursuivi et arrêté comme s'il n'était pas député; il n'y a point lieu de demander à la chambre une autorisation quelconque, et celle-ci ne peut requérir la suspension ni de la détention ni de la poursuite. Ces solutions nous paraissent incontestables devant le texte de l'art. 14 qui excepte sans aucune réserve le flagrant délit. Comme l'inviolabilité parlementaire est une dérogation profonde au droit commun, une exception grave au principe primordial de l'égalité devant la loi, on ne peut l'étendre en dehors des termes stricts du texte.

Effets de l'inviolabilité. Elle n'a point pour conséquence de soustraire le représentant à toute poursuite judiciaire; seulement les poursuites sont nulles et le représentant ne peut être arrêté, tant que l'autorisation n'a pas été donnée par la chambre à laquelle il appartient.

L'inviolabilité judiciaire couvre-t-elle non seulement la personne du député, mais encore son domicile? C'est-à-dire l'autorité judiciaire (ou l'autorité administrative dans le cas où elle a ce pouvoir) peut-elle ordonner et faire des perquisitions au domicile d'un membre du parlement, pendant la session, sans l'autorisation de la chambre dont il fait partie? En vertu de la règle d'interprétation restrictive déjà invoquée, la solution affirmative nous paraît cer

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