Page images
PDF
EPUB

discussion au sénat. Mais le gouvernement, ne pouvant ni lever les impôts, ni engager les dépenses sans un vote du parlement, lui demande alors d'être autorisé provisoirement, c'est-à-dire en attendant que la loi générale du budget soit votée, à lever les impôts et à faire les dépenses nécessaires au fonctionnement des services publics pendant un, deux, trois mois ou plus, suivant les cas. Comme le montant des dépenses est ainsi évalué par mois, c'est-à-dire par douzième du montant total des dépenses annuelles, on appelle ce système le système des douzièmes provisoires.

La loi des comptes. Le parlement n'a pas seulement compétence exclusive pour autoriser les dépenses, il a et il doit avoir encore le pouvoir de vérifier l'emploi qui a été fait des crédits ouverts. C'est une règle qui existe en France depuis la Restauration, que le règlement définitif du budget de chaque exercice doit être voté par le parlement et faire l'objet d'une loi qu'on appelle par abréviation la loi des comples.

F. Le sénat haute cour de justice.

107. Des cas où le sénat est constitué en haute cour de justice. Aux termes de l'art. 9 de la loi const. du 24 février 1875, le sénat peut être constitué en haute cour de justice pour juger soit le président de la République, soit les ministres et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l'Etat. Rap. L. 16 juillet 1875, art. 12.

Que pour juger certains crimes et certaines personnes l'on institue une haute cour de justice spéciale comme les constitutions de 1791, de l'an III, de 1848, de 1852, ou que comme les Chartes et la constitution de 1875, l'on attribue compétence à une assemblée politique, on viole le principe de l'égalité de tous devant la loi, on crée une juridiction extraordinaire avec l'arrière-pensée qu'elle sera moins impartiale que les tribunaux de droit commun. Cela condamne le sys

tème. Cette pensée, on l'a surtout quand on confie le jugement des infractions politiques et des hommes politiques à une assemblée politique, à une assemblée qui en fait, le plus souvent, est composée d'adversaires politiques de ceux qu'elle doit juger et qui par conséquent est dans l'impossibilité absolue de juger impartialement les accusés traduits devant elle. L'institution du sénat haute cour de justice constitue une véritable tache dans notre constitution républicaine.

Les cas où le sénat peut être constitué en haute cour de justice sont au nombre de trois :

1er cas. Le sénat est constitué en haute cour de justice pour juger le président de la République, qu'il soit poursuivi pour crime de haute trahison ou pour une infraction de droit commun. Le président ne peut être mis en accusation que par la chambre et ne peut être jugé que par le sénat. Cela ressort très nettement de l'art. 12 de la loi const. du 16 juillet 1875 combiné avec l'art. 9 de la loi const. du 24 février 1875. Il est dit, en effet, au § 1 de l'art. 12 de la loi de juillet : « Le président de la République ne peut être mis en accusation que par la chambre des députés et ne peut être jugé que par le sénat ». Le texte ne peut pas être plus formel.

A l'art. 6, § 2 de la loi const. du 25 février 1875, on lit : « Le président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison ». On s'est demandé quelquefois si cette formule excluait la responsabilité du président pour les infractions de droit commun. Evidemment non. Dans un pays de démocratie et d'égalité comme le nôtre, il n'y a pas un citoyen quel qu'il soit qui puisse être soustrait à l'application de la loi, échapper à la responsabilité pénale. «La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » (Décl. des droits 1789, art. 6). La véritable portée du § 2 de l'art. 6 de la loi du 25 février 1875 apparaît très nettement si on le rapproche du § 1 du même article. Ce dernier texte déclare les ministres solidairement responsables de la politique générale et individuellement de leurs actes personnels; le législateur veut qu'au contraire les actes accomplis par le président de la République dans l'exercice de ses fonctions n'entraînent sa responsabilité que lorsqu'ils constituent des faits de haute trahison. La responsabilité du président de la République pour infraction de droit commun reste donc intacle.

Le président de la République bénéficie seulement d'un privilège de juridiction. Même pour les infractions de droit commun, il ne peut être mis en accusation que par la chambre et ne peut être jugé que par le sénat. On comprend aisément quelle a été la pensée du législateur. Cependant, dans un pays qui se pique de pratiquer l'égalité démocratique, un pareil privilège ne devrait point exister.

2e cas.

Le sénat est constitué en haute cour de justice pour juger les crimes commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions quand ceux-ci sont mis en accusation par la chambre des députés (L. const. 24 février 1875, art. 9 et L. const. 16 juillet 1875, art. 12, § 2).

Pour les infractions commises en dehors de l'exercice de leurs fonctions, les ministres sont justiciables des tribunaux de droit commun et il n'y a rien de particulier à dire. Quant aux infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions, il faut distinguer. S'il s'agit d'un simple délit, les ministres sont exclusivement justiciables des tribunaux de droit commun, sauf bien entendu l'application de la règle de l'inviolabilité parlementaire s'ils sont membres du parlement.

Pour les crimes commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions, deux hypothèses peuvent se présenter. Si la chambre des députés ne dit rien, le droit commun s'applique; la procédure ordinaire suit son cours et les ministres sont traduits devant la cour d'assises. Mais la chambre des députés peut intervenir et déclarer qu'il y a lieu de poursuivre un ministre ou un ancien ministre pour crime commis dans l'exercice de ses fonctions. Alors, les tribunaux de droit commun ne sont plus compétents, et seul le sénat haute cour de justice est compétent pour juger les ministres ou anciens ministres mis ainsi en accusation par la chambre des députés. La compétence du sénat est alors simplement facultative et préventive. Elle est facultative puisqu'elle dépend de la volonté de la chambre

qui apprécie si elle doit intervenir ou non. Elle est préventive, car, bien entendu, le sénat ne pourra être saisi d'un crime ministériel que tant que la cour d'assises n'est pas définitivement saisie. Nous estimons qu'il faut appliquer par analogie la disposition du § 4 de l'art. 12 de la loi du 16 juillet 1873 et dire que la mise en accusation de la chambre pourra saisir le sénat à la condition qu'elle intervienne avant l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises.

[ocr errors]

3e cas. Le sénat peut enfin être constitué en haute cour de justice « pour connaître des attentats à la sûreté de l'Etat. Telle est la formule de l'art. 9 de la loi const. du 24 février 1875. Le sénat est compétent quel que soit l'auteur du crime d'attentat à la sûreté de l'Etat, simple particulier ou fonctionnaire. Le sénat est alors constitué en haute cour de justice par un décret (L. const. 16 juillet 1875, art. 12, § 3).

La compétence du sénat est facultative; c'est le gouvernement qui apprécie souverainement si tel crime d'attentat à la sûreté de l'Etat doit être soustrait à la juridiction ordinaire et remis à la connaissance du sénat, juridiction politique. Il y a là évidemment un pouvoir extrêmement dangereux donné au gouvernement et qui rappelle singulièrement l'ancien droit d'évocation des monarchies absolues. C'est une arme politique mise par la constitution entre les mains du gouvernement, d'autant plus dangereuse que le sénat, par suite de son recrutement, est plus facilement docile aux inspirations gouvernementales.

Quelque étendu que soit le pouvoir du gouvernement de soustraire aux tribunaux de droit commun la connaissance des attentats à la sûreté de l'Etat, il arrive cependant un moment où il ne le peut plus, c'est quand la cour d'assises est définitivement saisie, c'est-à-dire quand est rendu par la chambre des mises en accusation l'arrêt de renvoi. On lit en effet à l'art. 12, § 4 de la loi du 16 juillet 1875: « Si l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le

décret de convocation du sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi ». Ici encore la compétence du sénat est facultative et préventive.

Il faut que le décret qui constitue le sénat en haute cour de justice pour juger une personne prévenue d'un crime d'attentat à la sûreté de l'Etat soit rendu en conseil des ministres et porte, comme tout décret pour lequel la loi exige cette formalité, qu'il a été délibéré en conseil des ministres. C'est une garantie évidemment bien fragile.

108. Des pouvoirs du sénat haute cour de justice. Le principe essentiel est celui-ci. Le sénat constitué en haute cour de justice cesse d'être une assemblée politique; il devient une juridiction. Cette proposition est la conséquence naturelle et logique des textes qui donnent au sénat une compétence juridictionnelle. Elle a été exprimée formellement par le législateur constituant de 1875 à l'art. 4 de la loi du 16 juillet : « Toute assemblée de l'une des deux chambres qui serait tenue hors du temps de la session commune est illicite et nulle de plein droit, sauf le cas... où le sénat est réuni comme cour de justice; et dans ce dernier cas, il ne peut exercer que des fonctions judiciaires ». Ainsi le sénat a tous les pouvoirs d'une juridiction judiciaire; et il a seulement les pouvoirs d'une juridiction judiciaire. De nombreuses conséquences découlent de cette double proposition.

[ocr errors]

1o Le sénat haute cour de justice a tous les pouvoirs d'une juridiction judiciaire. C'est ainsi qu'il peut faire citer des témoins et condamner ceux qui ne se présentent pas. Les témoins doivent déposer sous la foi du serment, et le refus de prestation de serment entraîne l'application des peines prévues au code d'instr. crim. (art. 304, 307).

La haute cour peut évidemment ordonner toute les mesures qui lui paraîtront utiles pour la découverte de la vérité. Nous croyons même qu'il faut appliquer

« PreviousContinue »