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et qu'une même personne ne peut être soumise qu'à une seule souveraineté; 2 La souveraineté est indivisible, c'est-à-dire que dans un Etat, un homme, un corps, une section du peuple, une circonscription ne peuvent prétendre avoir une portion quelconque de la souveraineté; 3° La souveraineté est inaliénable, parce qu'elle est la personnalité de la nation en tant qu'elle est douée d'une volonté commandante et qu'une personnalité ne peut pas s'aliéner; 40 Elle est imprescriptible, pour la même raison qu'elle est inaliénable. Chacune de ces conséquences est en contradiction avec des faits certains.

CHAPITRE II

LES FONCTIONS DE L'ÉTAT

28. Les fonctions de l'Etat au sens juridique. -Nous employons cette expression parce qu'elle est commode et conforme à l'usage, Il est évident que dans notre théorie de l'Etat, elle n'est pas exacte. Nous devrions dire l'activité juridique des gouvernants. Mais peu importe l'expression pourvu qu'on s'entende. Bien souvent en parlant des fonctions de l'Etat on a en vue l'intervention de celui-ci dans la vie sociale, économique, intellectuelle de la nation. Les uns veulent réduire au minimum cette intervention; ils prétendent que l'Etat doit se borner à assurer la sécurité extérieure de la nation et du territoire, la sécurité des individus à l'intérieur, et ne doit intervenir d'aucune manière dans les relations économiques, dans la vie intellectuelle et morale du pays, que l'activité des gouvernants doit se réduire aux trois services de guerre, de police et de justice. Ce sont les partisans, d'ailleurs chaque jour moins nombreux, de la maxime célèbre : « Laissez faire, laissez passer ». D'autres, au contraire, estiment que l'Etat a une mission très étendue, qu'on ne peut point déterminer par des règles fixes, qui est très variable, et qui de nos jours tend naturellement à s'accroître. Ils estiment que l'Etat a un but de culture, et qu'il ne peut remplir ce but qu'en intervenant activement dans les relations économiques des individus, dans les rapports du capital et du travail, en prenant en main la gestion des intérêts matériels, moraux, intellectuels de la nation. Nous ne voulons point discuter cette question, mais nous

devons constater que la tendance générale est dans tous les pays modernes l'augmentation considérable de l'activité étatique. On peut le regretter; on peut au contraire s'en réjouir; on n'y changera rien; il y a là un fait inévitable et indéniable. Cf. supra, § 26.

En parlant des fonctions de l'Etat, nous avons seulement en vue les fonctions juridiques de l'Etat. Ce sont évidemment les fonctions qui se manifestent dans le domaine du droit. Mais cette définition est trop vague et doit être précisée. Pour cela, on rappelle que le droit, soit le droit objectif, soit le droit subjectif, touche essentiellement aux volontés, que le droit objectif est une règle qui s'impose aux volontés et que le droit subjectif est un pouvoir des volontés. De cela il résulte que les fonctions juridiques de l'Etat impliquent une manifestation de volonté des gouvernants, considérée au point de vue de son action sur les autres volontés. Etudier les fonctions juridiques de l'Etat, ce n'est point étudier le résultat que poursuivent les gouvernants au point de vue social, intellectuel, moral, économique; c'est étudier les effets que produit sur les volontés une manifestation de volonté, par laquelle les gouvernants poursuivent un but quelconque.

Il importe de bien saisir cela et de comprendre que pour classer les différentes fonctions juridiques de l'Etat, on ne doit point considèrer le but poursuivi. Pour atteindre un certain but, les gouvernants veulent; cet acte de volonté produit un effet dans le monde du droit, c'est-à-dire un effet sur les volontés: il crée, constate ou modifie le droit objectif, crée ou constate une situation subjective. Voilà la fonction juridique. C'est uniquement d'après l'action que les actes des gouvernants produisent sur les volontés, d'après leurs effets dans le domaine du droit objectif ou du droit subjectif, que nous devons déterminer les différents modes de la fonction juridique de l'Etat.

Dans la doctrine dominante, on distingue aujour

d'hui trois grandes fonctions de l'Etat : A. La fonction législative; B. La fonction administrative; - C. La fonction juridictionnelle. Mais des divergences existent sur la notion que l'on doit se former de chacune de ces fonctions. Voici, sauf à discuter et à justifier ces définitions, comment nous les entendons. Par la fonction législative l'Etat formule le droit objectif ou le met en œuvre; par la fonction administrative l'Etat crée une situation de droit subjectif ou conditionne par un acte individuel la naissance d'une situation légale; par la fonction juridictionnelle l'Etat constate l'existence et l'étendue d'une règle de droit ou d'une situation de droit, au cas de violation ou de contestation et ordonne les mesures nécessaires pour en assurer le respect.

Ces très brèves définitions suffisent à montrer que nous considérons les fonctions de l'Etat en ellesmêmes, abstraction faite complètement des corps ou des individus, ou comme on dit des organes ou des agents qui en fait sont chargés de les remplir. D'après une terminologie aujourd'hui communément admise, nous étudions ces fonctions au point de vue purement matériel, c'est-à-dire nous cherchons à déterminer leur nature intrinsèque, sans tenir compte du caractère de l'organe ou de l'agent qui les remplit. Au contraire on définit les fonctions au point de vue formel, quand on les définit d'après le caractère de l'organe ou de l'agent qui les remplit.

Cela ne veut pas dire cependant que le point de vue formel soit sans importance. Le plus souvent pour déterminer les recours dont un acte est susceptible, il faut se placer au point de vue formel, et non au point de vue matériel.

On a souvent confondu le point de vue matériel et le point de vue formel; le législateur lui-même a fait parfois cette confusion. Ainsi on confond souvent la fonction juridictionnelle et la fonction judiciaire. La fonction judiciaire est la fonction que remplissent les

fonctionnaires, existant dans la plupart des pays et formant l'ordre dit judiciaire; c'est le point de vue formel. Or l'ordre judiciaire fait sans doute beaucoup. d'actes juridictionnels, mais il fait aussi beaucoup d'actes qui n'ont pas ce caractère. D'autre part de nombreux actes juridictionnels sont faits par des organes ou des agents qui n'appartiennent pas à l'ordre judiciaire. C'est pourquoi, si l'on veut être précis et éviter les confusions, il faut dire fonction juridictionnelle et non fonction judiciaire.

Les auleurs français indiquent souvent deux fonctions essentielles de l'Etat la fonction législative et la fonction exécutive. Quelques-uns font rentrer dans la fonclion exécutive la fonction administrative et la fonction juridictionnelle (qu'ils appellent fonction judiciaire); d'autres font de la fonction juridictionnelle une troisième fonction, distincte de la fonction exécutive. Peut-être le législateur français, à certaines époques, a-t-il admis l'existence d'une fonction exécutive. Mais ses dispositions sur ce point n'ont jamais été très précises. Nous espérons démontrer § 54 a) que la fonction exécutive n'a point un caractère spécifique qui la distingue des autres fonctions, que les actes qu'on veut y rattacher appartiennent à l'une des trois fonctions législative, administrative ou juridictionnelle, ou bien sont des actes sans caractère juridique, comme par exemple tous les acles de contrainte matérielle, qui forment assurément une des branches les plus importantes de l'activité de l'Etat, mais qui, parce que précisément ce sont des actes de contrainte matérielle, ne peuvent se rattacher à une fonction juridique. Au reste l'expression qu'on trouve dans nos constitutions est surtout pouvoir exécutif; nous croyons bien qu'on n'y trouve pas une fois l'expression fonction exécutive. Par l'expression pouvoir exécutif, le législateur constituant désignait un fragment de la souveraineté, incorporé dans un certain organe. De ce que les constitutions créaient un organe incorporant le pouvoir exécutif, ou plus brièvement un pouvoir exécutif, on a conclu qu'il y avait réellement une fonction exécutive; mais c'était confondre encore le point de vue matériel et le point de vue formel.

Même observation relativement à la fonction gouvernementale et à la fonction réglementaire, qui sont parfois indiquées comme des fonctions ayant un caractère propre. Il sera facile de montrer que les actes qu'on rattache à ces prétendues fonctions sont des actes législatifs ou administratifs, ou des actes sans caractère juridique et que la confusion des deux points de vue matériel et formel a été la vraie cause de l'erreur, que si par exemple on a voulu trouver entre la loi et le règlement une différence qui n'existe pas, c'est

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