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La France vient de briser le joug sous lequel elle gémit avec vous depuis tant d'années.

Vous n'avez jamais combattu que pour la patrie; vous ne pouvez plus combattre que contre elle, sons les drapeaux de l'homme qui vous conduit.

Voyez tout ce que vous avez souffert de sa tyrannie: vous étiez naguère un million de soldats; presque tous ont péri; on les a livrés au fer de l'ennemi, sans subsistances, sans hôpitaux; ils ont été condamnés à périr de misère et de faim.

Soldats! il est temps de finir les maux de la patrie. La paix est dans vos mains; la refuserezvous à la France désolée? Les ennemis même vous la demandent; ils regrettent de ravager ces belles contrées, et ne veulent s'armer que contre votre oppresseur et le nôtre. Seriez-vous sourds à la voix de la patrie, qui vous rappelle et vous supplie? Elle vous parle par son Sénat, par sa capitale et surtout par ses malheurs; vous êtes ses plus nobles enfants, et ne pouvez appartenir à celui qui l'a ravagée, qui l'a livrée sans armes, sans défense, qui a voulu rendre votre nom odieux à toutes les nations, et qui aurait peutêtre compromis votre gloire, si un homme qui n'est pas même Français, pouvait jamais affaiblir l'honneur de nos armes et la générosité de nos soldats.

Vous n'êtes plus les soldats de Napoléon; le Sénat et la France entière vous dégagent de vos serments.

Signé Les membres du Gouvernement pro-
visoire LE PRINCE DE BÉNÉVENT,
FRANÇOIS DE MONTESQUIOU, DAL-
BERG, BEURNONVILLE, JAUCOURT.
Pour copie conforme:

Le secrétaire adjoint du gouvernement provisoire.

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Rien n'est plus intéressant et plus touchant que ce qui s'est passé ce soir à l'audience que S. M. l'Empereur de Russie a donnée au Sénat. Après avoir reçu les hommages de ce corps: « Un homme qui se disait mon allié, a dit l'empereur Alexandre, est arrivé dans mes « Etats en injuste agresseur; c'est à lui que j'ai « fait la guerre et non à la France; je suis l'ami « du peuple français; ce que vous venez de faire « redouble encore ce sentiment il est juste, il « est sage de donner à la France des institutions « fortes et libérales qui soient en rapport avec les « lumières actuelles. Me salliés et moi nous ne ve«nons que protéger la liberté de vos décisions. » L'Empereur s'est arrêté un moment; et Sa Majesté a repris avec la plus touchante émotion :

« Pour preuve de cette alliance durable que je « veux contracter avec votre nation, je lui rends << tous les prisonniers français qui sont en Russie. « Le gouvernement provisoire me l'avait déjà de« mandé. Je l'accorde au Sénat, d'après les réso«<lutions qu'il a prises aujourd'hui. »

Le Sénat est sorti pénétré des sentiments de la plus vive reconnaissance et de la plus grande admiration.

ACTES DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

Paris, le 3 avril 1814. Commissaires nommés par le Gouvernement provisoire, pour:

La justice M. Henrion de Pensey;

Les affaires étrangères: M. le comte Laforêt, et M. le baron Durand, adjoint;

L'intérieur M. le comte Beugnot, et jusqu'à son arrivée, M. Benoît;

La guerre, en y réunissant l'administration de la guerre le général Dupont;

La marine M. le baron Malouët, et jusqu'à son arrivée, M. Jurien ;

Les finances, le trésor et les manufactures et commerce M. le baron Louis;

La police générale M. Anglès, maître des requêtes; Le secrétariat général du gouvernement provisoire: M. Dupont (de Nemours), membre de l'Institut, et M. Roux de Laborie, avocat en la cour impériale, adjoint.

M. de Lavalette s'étant absenté, M. de Bourienne, ancien conseiller d'Etat, est nommé directeur général des postes.

Pour extrait conforme :

DUPONT (de Nemours).

SÉNAT CONSERVATEUR.

Extrait des registres du Sénat conservateur. Séance du dimanche 3 avril 1814, présidée par M. le sénateur comte Barthélemy.

A midi, les membres du Sénat se réunissent en vertu de l'ajournement porté au procès-verbal de la séance d'hier.

Le Sénat entend la lecture et approuve la rédaction de ce procès-verbal.

Il approuve pareillement la rédaction du procès-verbal relatif au transport et à la réception du Sénat chez S. M. I'Empereur de Russie.

A l'occasion de ce dernier procès-verbal, et de l'assurance donnée au Sénat par l'Empereur Alexandre de délivrer tous les Français prisonniers de guerre dans ses Etats, le Sénat, profondément touché de cet acte magnanime, qui doit rendre tant d'infortunés à leurs familles, arrête que le gouvernement provisoire sera invité à prendre toutes les mesures nécessaires pour accélérer leur

retour.

L'assemblée arrête également de consacrer dans

ses registres le souvenir d'une si grande magnanimité.

Un membre demande que le procès-verbal dont il s'agit soit imprimé et distribué, au nombre de six exemplaires, à chacun des sénateurs.

Cette proposition est adoptée.

L'assemblée, sur la proposition d'un autre membre, prend l'arrêté suivant :

«Le Sénat rappelle dans son sein tous les sénateurs absents, excepté ceux dont la présence sera jugée utile dans les départements.

« Le présent arrêté sera transmis au gouvernement provisoire pour l'exécution. »

M. le président communique à l'assemblée plusieurs lettres qu'il a reçues de divers membres du Sénat. Quatre de ces lettres, écrites sous la date courante du 3 avril, contiennent l'adhésion des sénateurs d'Aboville, François de Neufchâteau, Lenoir-Laroche et Shée, aux mesures prises par le Sénat dans ses précédentes séances. Les sénateurs Lejeas, Legrand, Fallet-Barol s'excusent par trois autres lettres sous la même date de ne pouvoir, attendu leur état de maladie, assister aux séances du Sénat.

Le Sénat ordonne qu'il sera fait mention de ces lettres au procès-verbal.

L'ordre du jour appelle la rédaction définitive du décret rendu dans la séance d'hier.

M. le sénateur comte Lambrechts, chargé de cette rédaction, en présente le projet.

11 est, après deux lectures successives, renvoyé à l'examen d'une commission spéciale, formée des sénateurs Barbé-Marbois, de Fontanes, Garat et Lanjuinais.

Les commissaires se retirent pour cet examen dans la salle du Conseil. La séance est suspendue jusqu'à leur retour.

A quatre heures la séance est reprise; M. le sénateur comte Lambrechts donne lecture du projet revu et adopté par la commission spéciale.

Ce projet, mis aux voix par M. le président, est adopté par le Sénat dans les termes suivants : « Le Sénat conservateur,

<< Considérant que dans une monarchie constitutionnelle, le monarque n'existe qu'en vertu de la constitution ou du pacte social;

« Que Napoléon Bonaparte, pendant quelque temps d'un gouvernement ferme et prudent, avait donné à la nation des sujets de compter pour l'avenir sur des actes de sagesse et de justice; mais qu'ensuite il a déchiré le pacte qui l'unissait au peuple français, notamment en levant des impôts, en établissant des taxes autrement qu'en vertu de la loi, contre la teneur expresse du serment qu'il avait prêté à son avénement au trône, conformément à l'article 53 de l'acte des constitutions du 28 floréal an XII;

« Qu'il a commis cet attentat aux droits du peuple lors même qu'il venait d'ajourner, sans nécessité, le Corps législatif, et de faire supprimer comme criminel un rapport de ce corps, auquel il contestait son titre et sa part à la représentation nationale;

« Qu'il a entrepris une suite de guerres en violation de l'article 50 de l'acte des constitutions du 22 frimaire an VIII, qui veut que la déclaration de guerre soit proposée, discutée, décrétée et promulguée comme des lois;

<« Qu'il a inconstitutionnellement rendu plusieurs décrets portant peine de mort, nommément les deux décrets du 5 mars dernier, tendant à faire considérer comme nationale une guerre qui n'avait lieu que dans l'intérêt de son ambition démesurée;

« Qu'il a violé les lois constitutionnelles par ses décrets sur les prisons d'Etat;

« Qu'il a anéanti la responsabilité des ministres, confondu tous les pouvoirs et détruit l'indépendance des corps judiciaires;

« Considérant que la liberté de la presse établie et consacrée comme l'un des droits de la nation, a été constamment soumise à la censure arbitraire de sa police, et qu'en même temps il s'est toujours servi de la presse pour remplir la France et l'Europe de faits controuvés, de maximes fausses, de doctrines favorables au despotisme et d'outrages contre les gouvernements étrangers;

« Que des actes et rapports entendus par le Sénat ont subi des altérations dans la publication qui en a été faite;

« Considérant qu'au lieu de régner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français, aux termes de son serment, Napoléon a mis le comble aux malheurs de la patrie, par son refus de traiter à des conditions que l'intérêt national l'obligeait d'accepter et qui ne compromettaient pas l'honneur français;

«Par l'abus qu'il a fait de tous les moyens qu'on lui a confiés en hommes et en argent;

«Par l'abandon des blessés sans pansements, sans secours, sans subsistances;

«Par différentes mesures dont les suites étaient la ruine des villes, la dépopulation des campagnes, la famine et les maladies contagieuses.

« Considérant que, par toutes ces causes, le gouvernement impérial établi par le sénatus-consultedu 28 floréal an XII, a cessé d'exister,et que le vœu manifeste de tous les Français appelle un ordre de choses dont le premier résultat soit le rétablissement de la paix générale, et qui soit aussi l'époque d'une réconciliation solennelle entre tous les Etats de la grande famille européenne; « Le Sénat déclare et décrète ce qui suit : « Art. 1er. Napoléon Bonaparte est déchu du trône, et le droit d'hérédité établi dans sa famille est aboli.

« Art. 2. Le peuple français et l'armée sont déliés du serment de fidélité envers Napoléon Bonaparte.

« Art. 3. Le présent décret sera transmis par un message au gouvernement provisoire de la France, envoyé de suite à tous les départements et aux armées, et proclamé incessamment dans tous les quartiers de la capitale. »

Aucun autre objet ne se trouvant à l'ordre du jour, M. le président lève la séance.

Les président et secrétaires,
BARTHÉLEMY.
COMTE DE VALENCE, PASTORET.

CORPS LÉGISLATIF.

PRESIDENCE DE M. FÉLIX FAULCON.

Séance du 3 avril 1814.

Le Corps législatif, réuni en son palais et dans la salle ordinaire de ses séances, en vertu de l'invitation que lui en ont fait faire ce jour MM. les membres composant le Gouvernement provisoire, M. Félix Faulcon, vice-président, a occupé le fauteuil; MM. Bois-Savary, Laborde et Faure, secrétaires.

M. le président a fait lecture d'un arrêté du Gouvernement provisoire, en date du 2 de ce mois, par lequel il annonce que le Sénat a prononcé la déchéance de Napoléon Bonaparte et de sa famille, et a déclaré que les Français sont dégagés envers lui de tous les liens civils et militaires, et de toute obéissance.

A cet arrêté, était jointe copie de la lettre écrite le même jour, soir, aux membres du Gouvernement provisoire, par le président du Sénat, pour lui annoncer cet acte.

Le Corps législatif, après avoir délibéré en séance secrète et en la forme accoutumée sur cette importante communication, a rendu la séance publique et pris l'arrêté dont suit la teneur:

Vu l'acte du Sénat du 2 de ce mois, par lequel il prononce, la déchéance de Napoléon Bonaparte et de sa famille, et déclare les Français dégagés envers lui de tous liens civils et militaires, et de toute obéissance;

Vu l'arrêté du Gouvernement provisoire du même jour, par lequel le Corps législatif est invité à participer à cette importante opération;

Le Corps législatif, considérant que Napoléon Bonaparte a violé le pacte constitutionnel," « Adhérant à l'acte du Sénat,

« Reconnaît et déclare la déchéance de Napoléon Bonaparte et des membres de sa famille.

« Le présent sera transmis par un message au Gouvernement provisoire et au Sénat.

Signé Félix Faulcon, président; Chauvin de Bois-Savary, D. Laborde, Faure, secrétaires; Aubert, Barrot, Botta, Boutelaud, Bruys-Charly, Caze de la Bove, Challan, Chappuis, Charles (Duhud), Chatenay-Lanty, Cherrier, Chirat, Clausel de Coussergues, Clément, Colchen, Dalmassy, Dampmartin, Dauzat. Delattre, Duchesne de Gillevoisin, Dorbach, Ebaudy de Rochetaillé, Emeric-David, Emmery, Estourmel, de Falaiseau, Finot, Flaugergues, Fornier de Saint-Lary, de Fougerais, Gallois, Garnier, Geoffroy, Gérolt, de Girardin, Goulard, Gourlay, de Grote, Griveau, Jacobi, Janod, Jaubert, Lajard (de la Seine), Lefeuvre, Lefèvre-Gineau, Delesné-Harel, Louvet, Metz, Moreau, Morellet, Pémartin, Perès, Petersen, Petit de Beauverger, Petit (du Cher), Pictet-Diodati, Poggi, Poyfère de Cère, de Prunèle, Ragon-Gillet, Raynouard, Rigaut de l'Isle, Rivière, Rossée, le baron de Septenville, Sylvestre de Sacy, Sturtz, Thiry, Travaglini, Van Recum, Vigneron, Villiers, de Waldner-Freundstein. »

L'impression de cet arrêté et sa distribution, à six exemplaires à chacun des membres du Corps législatif, ont été ordonnées.

Par une autre décision prise dans cette séance, MM. les députés doivent se rendre en corps auprès de LL. MM. l'Empereur de Russie et le Roi de Prusse, à l'effet de leur présenter les hommages du Corps législatif.

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Le Gouvernement provisoire arrête:

1o Que tous les emblêmes, chiffres et armoiries qui ont caractérisé le gouvernement de Bonaparte seront supprimés et effacés partout où ils peuvent exister;

20 Que cette suppression sera exclusivement opérée par les personnes déléguées par les autorités de police ou municipales, sans que le zèle individuel d'aucun particulier puisse y concourir ou les prévenir;

30 Qu'aucune adresse, proclamation, feuille publique ou écrit particulier ne contiendra d'injures ou expressions outrageantes contre le gouvernement renversé, la cause de la patrie étant trop noble pour adopter aucuns des moyens odieux dont il s'est servi.

Paris, ce 4 avril 1814.

Signe LE PRINCE DE BÉNÉVENT. FRANÇOIS JAU-
COURT. LE GENERAL BEURNONVILLE. LE DUC
DALBERG. MONTESQUIOU.

Par le gouvernement provisoire :

Signé DUPONT (de Nemours), secrétaire général.

ADRESSE

Du Gouvernement provisoire au peuple français.

FRANÇAIS!

Au sortir des discordes civiles, vous avez choisi pour chef un homme qui paraissait sur la scène du monde avec les caractères de la grandeur. Vous avez mis en lui toutes vos espérances; ces espérances ont été trompées. Sur les ruines de l'anarchie il n'a fondé que le despotisme.

Il devait au moins par reconnaissance devenir Français avec vous. Il ne l'a jamais été. Il n'a cessé d'entreprendre, sans but et sans motif, des guerres injustes, en aventurier qui veut être fameux. Il a, dans peu d'années, dévoré vos richesses et votre population.

Chaque famille est en deuil; toute la France gémit il est sourd à nos maux. Peut-être rêvet-il encore à ses desseins gigantesques, même quand des revers inouïs punissent avec tant d'éclat l'orgueil et l'abus de la victoire.

Il n'a su régner ni dans l'intérêt national ni dans l'intérêt même de son despotisme. Il a détruit tout ce qu'il voulait créer, et recréé tout ce qu'il voulait détruire. Il ne croyait qu'à la force, la force l'accable aujourd'hui, juste retour d'une ambition insensée!

Enfin cette tyrannie sans exemple a cessé : les puissances alliées viennent d'entrer dans la capitale de la France.

barbares; Alexandre et ses magnanimes alliés ne Napoléon nous gouvernait comme un roi de parlent que le langage de l'honneur, de la justice et de l'humanité. Ils viennent réconcilier avec l'Europe un peuple brave et malheureux.

Français, le Sénat a déclaré Napoléon déchu du tróne; la patrie n'est plus avec lui : un autre ordre de choses peut seul la sauver. Nous avons connu les excès de la licence populaire et ceux du pouvoir absolu : rétablissons la véritable monarchie en limitant, par de sages lois, les divers pouvoirs qui la composent.

Qu'à l'abri d'un trône paternel, l'agriculture épuisée refleurisse; que le cominerce chargé d'entraves reprenné sa liberté ; que la jeunesse ne soit plus moissonnée par les armes, avant d'avoir la force de les porter; que l'ordre de la nature ne soit plus interrompu, et que le vieillard puisse espérer de mourir avant ses enfants! Français rallions-nous; les calamités passées vcnt finir et la paix va mettre un terme aux bouleversements de l'Europe. Les augustes alliés en ont donné leur parole. La France se reposera de ses longues agitations, et, mieux éclairée par la dou

ble épreuve de l'anarchie et du despotisme, elle trouvera le bonheur dans le retour d'un gouvernement tutélaire.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE M. FÉLIX FAULCON, VICE-PRÉSIDENT.

Séance du 4 avril 1814.

Le procès-verbal de la séance d'hier est lu et adopté.

Les membres du Corps législatif ci-après dénommés, en témoignant leurs regrets de n'avoir pu hier signer l'acte d'adhésion à l'acte du Sénal qui a prononcé la déchéance de Napoléon Bonaparte, y ont apposé leurs signatures, savoir: MM. Paroletti, le baron Blanquart de Bailleul, Hacquin-Girard, Ferreri, Dumolard, Gabaléon de Salmour,Nell, Etienne Rivarola, Zaccaléoni, Casenave, de Rivas, d'Armenouville, le comte Henri de Montesquiou.

MM. Riffart de Saint-Martin, de Mont-Louis-Bouchet, Boidi-Ardizzoni, Nougarède de Fayet, Montiglio, Cavagnari, Faget de Baure, écrivent que n'ayant pu assister à la séance d'hier, ils adhèrent à l'arrêté qui a été pris pour la déchéance de Napoléon Bonaparte.

Madame Caroline Bonet de Treiches prévient le Corps législatif que M. Bonet de Treiches, l'un de ses membres, qui s'est rendu dans son département immédiatement après la session du mois de décembre dernier, s'y trouve retenu par les événements de la guerre, et ne peut dans ce moment joindre l'expression de son vœu à celui de ses collègues.

Le bureau ayant été chargé de rédiger, au nom du Corps législatif, une lettre pour les membres du Gouvernement provisoire, un de MM. les secrétaires fait lecture de cette lettre, dont la teneur suit :

A MM. les membres du Gouvernement provisoire.

Messieurs,

Le Corps législatif nous a chargés de vous exprimer la vive satisfaction que lui a fait éprouver la communication de l'acte du Sénat qui vous appelle au Gouvernement provisoire.

Cet acte vous confie encore l'honorable mission de lui présenter les bases d'une charte constitutionnelle. Puisse-t-elle établir un équilibre invariable dans ses premiers pouvoirs, et asseoir enfin le bonheur de tous et la sûreté de chacun sur des fondements solides et durables! Les membres du Corps législatif se trouvent heureux de ce qu'il est à la fois dans la nature de leurs droits et de leurs devoirs de prendre part à ce grand œuvre de régénération politique.

Nous sommes avec respect,

Messieurs,

Vos très-humbles et très-obéissants

serviteurs,

FÉLIX FAULCON, vice-président.
CHAUVIN DE BOIS-SAVARI, LA BORDE,
FAURE, secrétaires.

Le Corps législatif approuve la rédaction de la lettre telle qu'elle vient de lui être communiquée, et M. le président lève la séance.

SÉNAT CONSERVATEUR.

PRÉSIDENCE DE S. A. S. LE PRINCE DE BÉNÉVENT.

Séance du 6 avril 1814.

Le Sénat conservateur, délibérant sur le projet de constitution qui lui a été présenté par le Gou

vernement provisoire, en exécution de l'acte du Sénat du 1er de ce mois;

Après avoir entendu le rapport d'une commission spéciale de sept membres,

Décrète ce qui suit (1):

Art. 1er. Le Gouvernement français est monarchique et héréditaire de mâle en mâle par ordre de primogé niture.

Art. 2. Le peuple français appelle librement au trône de France, LOUIS-STANISLAS-XAVIER DE FRANCE, frère du dernier Roi, et après lui les autres membres de la maison de Bourbon, dans l'ordre ancien.

Art. 3. La noblesse ancienne reprend ses titres. La nouvelle conserve les siens héréditairement. La Légion d'honneur est maintenue avec ses prérogatives. Le Rot déterminera la décoration.

Art. 4. Le pouvoir exécutif appartient au Roi. Art. 5. Le Roi, le Sénat et le Corps législatif concourent à la formation des lois.

Les projets de lois peuvent être également proposés dans le Sénat et dans le Corps législatif.

Ceux relatifs aux contributions ne peuvent l'être que dans le Corps législatif.

Le Roi peut inviter également les deux corps à s'occuper des objets qu'il juge convenables.

La sanction du Roi est nécessaire pour le complément de la loi.

Art. 6. Il y a cent cinquante sénateurs au moins et deux cents au plus.

Leur dignité est inamovible et héréditaire de mâle en måle par ordre de primogéniture. Ils sont nommés par le Roi. Les sénateurs actuels, à l'exception de ceux qui renonceraient à la qualité de citoyens français, sont maintenus et font partie de ce nombre. La dotation actuelle du Sénat et des sénatoreries leur appartient. Les revenus en sont partagés également entre eux, et passent à leurs successeurs. Le cas échéant de la mort d'un sénateur sans postérité masculine directe, sa portion retourne au trésor public. Les sénateurs qui seront nommés à l'avenir ne peuvent avoir part à cette dotation. Art. 7. Les princes de la famille royale et les princes du sang sont de droit membres du Sénat.

On ne peut exercer les fonctions de sénateur qu'après avoir atteint l'âge de majorité.

Art. 8. Le Sénat détermine les cas où la discussion des objets qu'il traite doit être publique ou secrète. Art. 9. Chaque département nommera au Corps législatif le même nombre de députés qu'il y envoyait.

Les députés qui siégeaient au Corps législatif lors du dernier ajournement, continueront a y siéger jusqu'à leur remplacement. Tous conservent leur traitement. A l'avenir ils seront choisis immédiatement par les colléges électoraux, lesquels sont conservés, sauf les changements qui pourraient être faits par une loi à leur organisation.

La durée des fonctions des députés au Corps législatif est fixée à cinq années.

Les nouvelles élections auront lieu pour la session de 1816.

Art. 10. Le Corps législatif s'assemble de droit chaque année le 1er octobre. Le Roi peut le convoquer ex

(1) Le Moniteur du 8 avril 1814 faisait précéder la Constitution de la note suivante:

«On était impatient de connaître la Charte constitutionnelle, Le Gouvernement provisoire fut chargé de ce travail, et s'est entouré, pour le faire, des personnes qui s'étaient le plus occupées de la législation française.

Dès que les bases de cet acte constitutionnel ont été convenues, S. A. S. le prince de Bénévent les a portées au Senat, qu'il a convoqué pour cet effet, le 5 de ce mois, et sur l'invitation duquel, il a, après la première lecture, nomme une commission composée de MM. Wimar, Garat, Lanjuinais, Fabre, Cornet, Grégoire et Abrial.

La discussion s'est ouverte sur chaque article, qui a été pesé et mûrement réfléchi avant l'adoption.

Lorsque toutes les observations ont été recueillies, la séance a été indiquée pour le même jour, 6 avril, a huit heures du soir. Cette séance, a laquelle assistait S. A. S. le prince architrésorier, était présidee par S. A. S. le prince de Bénévent, et elle a été ouverte par la lecture du travail fait dans la matinée. De nouvelles observations de plusieurs membres ont encore signalé l'équité et l'union des sentiments qui régnaient dans l'assemblée, et le Sénat a adopté à l'unanimité les vingt-neuf articles quí composent la Charte constitutionnelle de la France. >>

traordinairement, il peut l'ajourner, il peut aussi le dissoudre; mais dans ce dernier cas un autre Corps législatif doit être formé, au plus tard dans les trois mois, par les colléges électoraux.

Art. 11. Le Corps législatif a le droit de discussion. Les séances sont publiques, sauf le cas où il juge à propos de se former en comité général.

Art. 12. Le Sénat, le Corps législatif, les colléges électoraux et les assemblées de canton élisent leur président dans leur sein.

Art. 13. Aucun membre du Sénat ou du Corps législatif ne peut être arrêté sans une autorisation préalable du corps auquel il appartient.

Le jugement d'un membre du Sénat ou du Corps législatif, accusé, appartient exclusivement au Sénat. Art. 14. Les ministres peuvent être membres soit du Sénat, soit du Corps législatif.

Art. 15. L'égalité de proportion dans l'impôt est de droit. Aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s'il n'a été librement consenti par le Corps législatif et par le Sénat. L'impôt foncier ne peut être établi que pour un an. Le budget de l'année suivante et les comptes de l'année précédente sont présentés chaque année au Corps législatif et au Sénat, à l'ouverture de la session du Corps législatif.

Art. 16. La loi déterminera le mode et la quotité du recrutement de l'armée.

Art. 17. L'indépendance du pouvoir judiciaire est garantie. Nul ne peut être distrait de ses juges naturels.

L'institution des jurés est conservée, ainsi que la publicité des débats en matière criminelle.

La peine de la confiscation des biens est abolie.
Le Roi a le droit de faire grâce.

Art. 18. Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants sont maintenus; leur nombre ne pourra être diminué ou augmenté qu'en vertu d'une loi. Les juges sont à vie et inamovibles, à l'exception des juges de paix et des juges de commerce. Les commissions et les tribunaux extraordinaires sont supprimés et ne pourront être rétablis.

Art. 19. La cour de cassation, les cours d'appel et les tribunaux de première instance proposent au Roi trois candidats pour chaque place de juge vacante dans leur sein. Le Roi choisit l'un des trois. Le Roi nomme les premiers présidents et le ministère public des cours et des tribunanx.

Art. 20. Les militaires en activité, les officiers et soldats en retraite, les veuves et les officiers pensionnés conservent leurs grades, leurs honneurs et leurs pen. sions.

Art. 21. La personne du Roi est inviolable et sacrée. Tous les actes du Gouvernement sont signés par un ministre. Les ministres sont responsables de tout ce que ces actes contiendraient d'attentatoire aux lois, à la liberté publique et individuelle, et aux droits des citoyens.

Art. 22. La liberté des cultes et des consciences est garantie. Les ministres des cultes sont également traités et protégés.

Art. 23. La liberté de la presse est entière, sauf la répression légale des délits qui pourraient résulter de l'abus de cette liberté. Les commissions sénatoriales de la liberté de la presse et de la liberté individuelle sont conservées.

Art. 24. La dette publique est garantie.

Les ventes des domaines nationaux sont irrévocablement maintenues.

Art. 25. Aucun Français ne peut être recherché pour les opinions ou les votes qu'il à pu émettre.

Art. 26. Toute personne a le droit d'adresser des pétitions individuelles a toute autorité constituée.

Art. 27. Tous les Français sont également admissibles à tous les emplois civils et militaires.

Art. 28. Toutes les lois actuellement existantes restent en vigueur, jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé. Le Code des lois civiles sera intitulé: Code civil des Français.

Art. 29. La présente Constitution sera soumise à l'acceptation du peuple français dans la forme qui sera réglée. LOUIS-STANISLAS-XAVIER sera proclamé Roi des Français aussitôt qu'il aura juré et signé par un acte portant: J'accepte la Constitution; je jure de l'observer et de la faire observer. Ce serment sera réitéré

dans la solennité où il recevra le serment de fidélité des Français.

Signe LE PRINCE DE BÉNÉVENT, président;

LES COMTES DE VALENCE et DE Pastoret,
secrétaires.

Le prince archi-trésorier; les comtes ABRIAL,
BARBÉ-MARBOIS, EMMERY, BARTHÉLEMY, BEL-
DERSBUCH, BERTHOLLET, Beurnonville, COR-
NET, CARBENARA, LEGRAND, CHASSELOUP, CHOL-
LET, COLAUD, DAVOUS, DE GREGORY, DECROY,
DEPÈRE, DEMBARRÈRE, DHAUBERSAERT, DESTUTT-
TRACY, D'HARVILLE, D'HÉDOUVILLE, FABRE (de
l'AUDE), FERINO, DUBOIS-DUBAIS, DE FONTANES,
GARAT, GREGOIRE, HERWYN DE NEVÈLE, JAU-
COURT, KLEIN, JOURNU-AUBERT, LAMBRECHT, LAN-
JUINAIS, LEJEAS, LEBRUN DE ROCHEMONT, LEMER-
CIER, MEERMANN, DE LESPINASSE, DE MAUTBADOU,
LENOIR-LAROCHE, DE MALLEVILLE, REDON, Ro-
GER-DUCOS, PERÈS, TASCHER, PORCHER DE RICHE-
BOURG, DE PONTÉCOULANT, SAUR, Rigal, Saint-
MARTIN DE LAMOTTE, SAINTE-SUZANNE, SIEYES,
SHIMMELPENNINck, Van Deden Van de Gelder,
VAN DE POLL, VENTURI, VAUBOIS, DUC DE VALMY,
VILLETARD, VIMAR, VAN ZUYLEN VAN NYEVELT.

A M. le préfet de la Seine.

Le Gouvernement provisoire vous transmet, Monsieur, l'acte constitutionnel que le Sénat vient de décréter, et qui appelle au trône LOUISSTANISLAS-XAVIER DE FRANCE, ROI DES FRANÇAIS.

Vous voudrez bien, Monsieur, le faire publier solennellement dans les divers quartiers de Paris, d'après les formes accoutumées. Paris, le 7 avril, 1814.

Le Gouvernement provisoire :

Signé LE PRINCE DE BÉNÉVENT.

LE GÉNÉRAL COMTE DE BEURNONVILLE. MONTESQUIOU. FRANÇOIS JAUCOURT. DUPONT (de Nemours), secrétaire général.

CORPS LÉGISLATIF.

PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE HENRI DE MONTES-
QUIOU, VICE-PRÉSIDENT.
Séance du 7 avril 1814.

A neuf heures du soir le Corps législatif se réunit en comité général et secret.

M. le comte Henri de Montesquiou, vice-président, occupe le fauteuil.

MM. Bois-Savary, Laborde et Faure, secrétaires, prennent leurs places au bureau.

M. le comte de Beurnonville, sénateur, membre du Gouvernement provisoire, est annoncé et introduit.

Il présente un arrêté qui le charge de communiquer à l'Assemblée la Constitution proposée par le Gouvernement provisoire et acceptée par le Sénat.

Lecture faite de cet acte constitutionnel :

<< Considérant qu'il y trouve la garantie de tous les droits et une distribution de pouvoir propre à mettre désormais la France à l'abri des maux qu'elle a soufferts;

« Le Corps législatif se félicite de pouvoir enfin manifester les sentiments qu'il a dû jusqu'à ce jour renfermer dans son sein, et exprimer la vive satisfaction qu'il éprouve à voir l'auguste maison de Bourbon rappelée au trône, et le titre de ROI DES FRANÇAIS déféré à LOUIS-STANISLASXAVIER, frère de notre dernier Roi.

་་

«Il accepte à l'unanimité cette Charte constitutionnelle et charge une commission de la rédaction d'une lettre au Gouvernement provisoire, pour l'informer de son entière adhésion. »

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