Page images
PDF
EPUB

sous vos yeux une analyse rapide des lois qui, jusqu'à la promulgation de la Charte du 4 juin, ont successivement réglé en France la police des cultes.

Pendant une longue suite d'années, la religion catholique, apostolique et romaine a été dominante et même exclusive dans le royaume; aucun autre culte n'y était toléré; les lois de l'Eglise et les lois civiles formaient un même code; l'infraction des lois religieuses était, comme celle des autres lois de l'Etat, réprimée et punie par l'autorité civile, et des règlements de police obligeaient tous les citoyens, sans exception, à l'observation des fêtes commandées par l'Eglise romaine.

L'Assemblée constituante permit le libre exercice de toutes les religions; mais cette liberté ne fut pas de longue durée; bientôt tous les cultes furent abolis et leurs ministres proscrits par la Convention nationale; elle sentit néanmoins la nécessité d'établir des jours de repos ; elle institua la décade avec quelques autres fêtes appelées civiques, et l'observation de ces fêtes fut exigée avec plus de rigueur peut-être que ne l'avait été l'observation des fêtes de la religion catholique, lorsqu'elle était en France exclusive et intolérante.

Revenue à des principes plus modérés, la Convention permit, en l'an III, l'exercice de tous les cultes, mais en déclarant que la République n'en adoptait aucun, qu'elle n'en salariait aucun, et que nul citoyen ne pouvait être contraint à contribuer aux dépenses d'un culte.

Une loi du 7 vendémiaire an IV prononça des peines contre ceux qui outrageraient les objets d'un culte dans les lieux destinés à son exercice ou ses ministres en fonctions. Elle défendit, sous les mêmes peines, aux juges, aux administrateurs et à tous autres, de contraindre les citoyens à observer certaines fêtes religieuses ou d'empêcher de les célébrer.

Chacun ayant recouvré la faculté d'exercer librement son culte, observa les fêtes et les jours de repos établis par sa religion; la décade fut négligée, et vraisemblablement elle serait tombée dès lors en désuétude si le Corps législatif n'eût pas fait, le 17 thermidor an VI, une loi pour forcer les citoyens à célébrer le décadi et les autres fêtes civiques. Cette loi ne fit que renouveler, pour l'observation de la décade, le règlement du 8 novembre 1782 sur l'observation des dimanches et fêtes, dont M. le directeur général de police vient d'ordonner l'exécution.

Les écoles publiques et les établissements particuliers d'instruction devaient vaquer, le jour de la décade, sous peine d'être fermés; tous actes et exploits de justice étaient interdits à peine de nullité; toute vente publique était punie d'une amende de 25 à 300 francs; les boutiques, ateliers et magasins devaient rester fermés; tout travail était défendu dans les lieux et voies publics ou en vue des lieux et voies publics, sous peine, pour la première contravention, d'une amende de trois journées de travail et d'un emprisonnement de trois jours; en cas de récidive, le contrevenant pouvait être condamné à 300 francs d'amende et à dix jours d'emprisonnement.

Les consuls, par un arrêté du 7 thermidor an VIII, dispensèrent les simples citoyens d'observer la décade, et déclarèrent que cette fête n'était d'obligation que pour les fonctionnaires publics.

Cet arrêté, très-utile sans doute, puisqu'il tendait à empêcher de trop fréquentes cessations de travail pour les citoyens qui observaient tout la fois la décade pour obéir à la loi et les fètes

religieuses pour obéir à leur conscience, était néanmoins une usurpation sur l'autorité législa tive. Les citoyens ne peuvent être déliés que par une loi des obligations qu'une loi leur à imposées le pouvoir exécutif a bien le droit de régulariser et d'assurer, par des règlements, l'exécution des lois, mais il n'a pas le droit de les abroger, pas même celui de les modifier.

La corruption des mœurs avait été une suite inévitable de ces temps d'anarchie où la licence, portée jusqu'à l'excès, était appelée liberté; le gouvernement espéra trouver du remède à un mal contre lequel les lois sont impuissantes, en favorisant la propagation de la morale chrétienne.

Dans une convention passée entre le gouvernement et le pape, il fut solennellement reconnu que la religion catholique, apostolique et romaine. était celle de la grande majorité des Français; il fut convenu qu'elle serait librement exercée en France, que son culte serait public, et que ses ministres recevraient un traitement du gouvernement.

Les différentes religions chrétiennes étant celles de la presque totalité des Français, le jour de repos institué par ces religions fut déclaré le jour de repos des fonctionnaires publics, et le dimanche fut substitué au décadi : il ‍était déjà une fête religieuse pour tous les chrétiens, il devint une fête légale pour tous les citoyens ; les actes solennels qui se faisaient le décadi furent renvoyés au dimanche; toutes les lois postérieures au Concordat défendirent de faire, le dimanche, aucun acte judiciaire, aucune exécution en matière civile et criminelle, et les tribunaux n'ont jamais manqué de réprimer les infractions à cette prohibition, soit en annulant les actes, soit en punissant d'une amende les officiers ministériels qui les avaient faits.

On craignit, sans doute, qu'un zèle exagéré ne voulût abuser de la protection spéciale accordée par le gouvernement au culte chrétien, pour forcer les simples citoyens à observer le dimanche, qui, par la loi du 18 germinal an X, n'était une fête d'obligation que pour les fonctionnaires publics la prohibition faite par la loi du 7 vendémiaire an IV, à tout particulier, de contraindre aucun individu à célébrer certaines fêtes, ou de l'empêcher d'en observer d'autres, fut renouvelée par le Code pénal; mais les juges et les administrateurs cessèrent d'être compris dans cette prohibition.

Une nouvelle charte a été donnée à la France; elle garantit la liberté des cultes; elle les protége tous; néanmoins elle déclare que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'Etat.

C'est dans cet état de la législation sur l'exercice des cultes, que M. le directeur général de la police du royaume a cru pouvoir renouveler d'anciens règlements qui obligeaient, sous des peines graves, tous les citoyens à observer les dimanches et fêtes.

Si les ordonnances publiées à cet effet par M. le directeur général ont excité de vives réclamations, elles ont aussi trouvé des défenseurs. Avant de vous faire connaître. Messieurs, l'opinion de votre commission, et d'en développer les motifs, j'exposerai d'abord les raisons sur lesquelles s'appuient les défenseurs des deux ordonnances du 7 juin, pour soutenir qu'elles sont régulières, même nécessaires, et qu'elles doivent étre maintenues.

La religion catholique a été pendant une longue suite de siècles la religion de l'Etat ; par la Charte

:

du 4 juin elle a été proclamée de nouveau la religion de l'Etat elle est aujourd'hui en France ce qu'elle était avant 1789. On a donc dù remettre en vigueur les règlements qui existaient alors sur l'observation des dimanches et fêtes.

Le Roi s'est réservé, par la Charte, le droit de faire les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois; son ministre a donc pu régler, au moins provisoirement, les effets de la prééminence accordée à la religion catholique sur les autres cultes, jusqu'à ce que ces effets soient définitivement réglés par la loi.

Avant même que la religion catholique fût déclarée la religion de l'Etat, lorsqu'elle était seulement celle d'un grand nombre de citoyens, déjà l'Etat avait adopté pour fêtes légales celles instituées par cette religion. Or, a-t-on jamais, disent les partisans des ordonnances du 7 juin, contesté au chef de la police le droit de prendre les mesures convenables pour l'embellissement et la solennité des fêtes civiles et légales, d'ordonner la clôture des magasins, de défendre les étalages, d'interdire la circulation des voitures, etc.? D'ailleurs, ajoutent-ils, les ordonnances de M le directeur général sur l'observation des dimanches et fêtes ne font que rappeler les dispositions de la loi du 17 thermidor an VI, sur l'observation de la décade; cette loi n'a jamais été régulièrement abrogée, et le dimanche avant été substitué à la décade comme fête légale, le gouvernement a pu renouveler, sur l'observation de cette fête, les dispositions de la loi de l'an VI.

Ceux qui défendent les ordonnances du 7 juin, sont obligés de convenir que, par la loi organique du Concordat, l'observation du dimanche n'est d'obligation que pour les fonctionnaires publics. Mais, disent-ils, l'autorité civile n'a pas voulu s'interdire la faculté de rendre, par la suite, cette fète obligatoire pour tous les citoyens, puisque le Code pénal n'a pas compris les juges et les administrateurs dans la prohibition faite aux particuliers de contraindre qui que ce soit à observer aucunes fêtes.

Enfin, ils terminent par faire observer que les catholiques ne peuvent pas se plaindre des ordonnances de M. le directeur général, puisqu'elles ont pour objet de donner à leur culte plus de solennité et d'éclat, et que les sectateurs des autres religions n'ont également aucun motif de s'en plaindre, puisqu'elles ne les gênent point dans l'exercice de leur culte particulier, et qu'elles ne les obligent pas à assister aux cérémonies de l'Eglise catholique.

Je vous ai présenté, Messieurs, sans chercher à les affaiblir, les motifs par lesquels on veut prouver la légalité des ordonnances du .7 juin; ils paraissent pressants, et néanmoins votre commission a partagé l'opinion des pétitionnaires qui attaquent ces ordonnances comme illégales.

La Charte constitutionnelle déclare que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'Etat; mais en même temps, elle autorise le libre exercice de tous les cultes, elle leur accorde à tous une égale protection; la religion catholique n'est donc pas en France, aujourd'hui, ce qu'elle était par nos anciennes institutions, intolérante et exclusive; les autres cultes étaient alors proscrits, maintenant ils sont protégés : cela suffit pour établir que des règlements faits sous l'empire d'une législation qui protégeait un seul culte, et qui proscrivait tous les autres, ne peuvent pas exister avec une Charte qui accorde aux cultes des particuliers la même protection qu'à la religion de l'Etat. Ces règlements ne sont pas

seulement abrogés implicitement comme incompatibles avec l'esprit général de la législation actuelle, ils le sont expressément par l'article 68 de la Charte du 4 juin, comme inconciliables avec la tolérance qu'elle a consacrée et avec la protection qu elle accorde à tous les cultes sans exception. D'ailleurs, une loi abrogée par une autre foi ne reprend jamais de plein droit sa force et son autorité; une fois abrogée, il faut une loi nouvelle pour la faire revivre. Eh! comment pourrait-on admettre que les anciens règlements sur l'observation des dimanches et fêtes n'ont pas été abrogés par cette multitude de lois qui, en permettant à chacun l'exercice du culte qu'il avait choisi, ne reconnaissaient d'autres fêtes que des fêtes civiles et légales qui n'avaient rien de commun avec les fêtes religieuses d'aucun culte?

La loi du 17 thermidor an Vl, qui réglait l'observation de la décade et des autres fêtes appelées civiques, a cessé d'exister au moment de la suppression de ces fêtes.

Il a été reconnu par la loi du 18 germinal an X que la religion catholique était celle de la grande majorité des Français; le dimanche et les fêtes conservés par le Concordat ont été substitués à la décade et autres fêtes purement civiles; mais la loi, en fixant au dimanche le repos des fonctionnaires publics seulement, a laissé aux simples citoyens la liberté de se livrer à leurs Occupations ordinaires.

Si le Code pénal, en prononçant des peines contre un individu qui voudrait en contraindre un autre à célébrer une fête, n'a pas compris dans sa disposition les juges et les administrateurs, on ne peut pas conclure de ce silence que le législateur a voulu leur laisser la faculté de forcer, suivant leur caprice, un citoyen à célébrer une fête dont la loi ne lui prescrit pas l'observation.

Il est vrai que la situation de la religion catholique en France, depuis le 4 juin, n'est pas la même qu'auparavant cette religion était alors celle d'un grand nombre d'individus, elle est aujourd'hui déclarée la religion de l'Etat. Mais quelles seront les conséquences de cette déclaration? Elles ne sont pas encore déterminées, et elles ne peuvent l'être que par une loi; il n'appartient qu'à l'autorité législative d'expliquer les principes de la Constitution et d'en régler l'application. Si l'on admettait que le droit réservé au Roi de faire les règlements et les ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois, lui donne celui de régler seul le mode d'exécution de la Charte constitutionnelle, la législature serait une institution inutile et sans objet, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif se trouveraient réunis dans les mains du Roi, et nous retomberions sous l'empire de cette ancienne maxime: Si veut le Roi, si veut la loi.

Les prérogatives de la religion de l'Etat ne peuvent donc être réglées que par une loi cette loi n'existe pas encore, et M. le directeur général de la police n'a pas pu la suppléer par une ordonnance.

D'après ces principes, votre commission a été unanímement d'avis que les ordonnances du 7 juin sont des actes irréguliers; néanmoins elle n'a pas pensé qu'il pût y avoir lieu à inculper M. le directeur général il est tombé dans l'erreur en considérant comme encore existants les règlements antérieurs à 1789, sur l'observation des dimanches et fêtes; mais cette opinion se trouve appuyée par des raisons spécieuses, et propres à justifier sa bonne foi.

L'expérience des siècles nous a appris qu'on ne peut pas trop se håter de mettre un terme aux controverses sur les matières religieuses il n'y a qu'une loi qui puisse faire cesser les incertitudes sur les droits et les prérogatives qui appartiennent à la religion de l'Etat, et il est urgent de faire cette loi pour éviter les fausses interprétations et les effets exagérés que l'excès du zèle religieux pourrait donner à la disposition constitutionnelle qui reconnaît une religion de l'Etat.

Sans doute, la religion de l'Etat doit avoir quelques prérogatives qui la distinguent des cultes particuliers; d'ailleurs, il faut aux hommes du repos c'est un besoin de la nature, et chez un peuple policé, les jours de repos doivent être fixés par la loi. L'état de société établit entre les hommes des relations habituelles, nécessitées par des besoins réciproques, qui ne doivent pas être interrompues suivant le caprice des individus : un peuple a bien le droit de choisir pour ses jours de repos les fêtes établies par la religion, et d'obliger tous les citoyens à les observer, pourvu toutefois qu'aucun d'eux ne puisse être contraint à faire des actes contraires à ses opinions religieuses, et qu'il ne soit point gêné dans l'exercice de son culte.

Lorsque la loi prescrit le repos et la cessation de tout travail extérieur pendant les fêtes instituées par la religion de l'Etat, les citoyens qui ne la professent pas sont tenus d'observer ces jours de repos, non pas pour obéir à un précepte" religieux, mais pour obéir à une loi de police, obligatoire pour tous les citoyens, quelle que soit leur religion.

Votre commission se proposait, Messieurs, de vous inviter à supplier le Roi de proposer une loi basée sur les principes que je viens de vous exposer, lorsqu'un de nos collègues vous a soumis un projet de loi sur la police extérieure des cultes, que vous avez pris en considération et renvoyé à l'examen de vos bureaux.

Si le projet est adopté, toutes les lois antérieures sur cette matière seront abrogées, et les ordonnances de M. le directeur général de la police se trouveront annulées de plein droit.

Par cette considération, votre commission m'a chargé de proposer à la Chambre d'ajourner tou'e délibération sur les pétitions relatives aux ordonnances du 7 juin, jusqu'à ce que le projet présenté par M. Bouvier ait été définitivement adopté ou rejeté.

Un grand nombre de membres appuient les conclusions du rapporteur, et demandent simultanément l'impression du rapport.

Ces deux objets, soumis à la décision de la Chambre par M. le président, sont résolus affirmativement à la presque unanimité.

M. Dupont (député de l'Eure), au nom de la même commission. Messieurs, votre commission des pétitions, à laquelle vous avez renvoyé celle qui vous a été présentée par le nomme JeanEtienne Dolard, m'a chargé de vous soumettre le résultat de l'examen qu'elle en a fait.

Cet individu, condamné le 20 décembre 1803, pour tentative de meurtre, affirme qu'il n'a pas commis ce crime, et accuse d'injustice les juges qui l'en ont déclaré coupable et lui ont appliqué la peine de dix années de gêne. Il accuse aussi d'abus d'autorité le directeur général de la police, pour lui avoir donné l'ordre de quitter Paris. Il vous demande enfin l'autorisation de poursuivre son dénonciateur, de prendre à partie les juges qui l'ont condamné, et de continuer sa résidence à Paris.

C'est presque à regret, Messieurs, que je viens vous distraire de vos travaux et détourner votre attention sur une demande que vous ne pouvez accueillir, puisqu'elle est en opposition avec la loi. Votre commission ne s'est pas dissimulé que souvent peut-être elle serait obligée de vous entretenir ainsi de plaintes injustes, de réclamations sans importance ou étrangères à vos attributions; mais elle a pensé, en même temps, que, quel que puisse être le nombre et l'objet des pétitions qui vous sont adressées, elles doivent être toutes examinées, sinon avec le même intérêt, au moins avec une égale attention, parce qu'autrement ce serait porter atteinte au droit sacré de pétition, et ébranler l'une des principales garanties de la liberté publique.

Examinons-donc, au moins succinctement, la demande du nommé Dolard.

Toujours, vous le savez, Messieurs, les condamnés à des peines afflictives ou infamantes ont été soumis à une législation particulière. C'est ainsi qu'après avoir subi leur peine, ils ne sont relevés que par la réhabilitation, des incapacités qui résultaient de leur condamnation. C'est ainsi qu'ils demeurent soumis à la surveillance de la police. et sont tenus, soit de donner au gouvernement caution de bonne conduite, ou de résider dans la commune qui leur est spécialement assignée. C'est ainsi enfin qu'aux termes d'un décret du 17 juillet 1806, les forçats libérés ne peuvent resider à Paris sans une autorisation du ministre de la police.

Or, le nommé Dolard, condamné à dix ans de gêne, c'est-à-dire à une peine afflictive et infamante, n'est pas réhabilité: il ne peut même l'être que cinq ans après l'expiration de sa peine. Il est donc soumis à la surveillance de la police, et le ministre n'a commis aucun abus d'autorité en lui donnant l'ordre de fixer sa résidence ailleurs qu'à Paris.

A la vérité, il soutient que sa condamnation a été le résultat des machinations d'un ennemi qu'il accuse de l'avoir faussement dénoncé ; mais la décision du jury qui l'a déclaré coupable, et l'arrêt qui l'a condamné à dix ans de gène, sont des vérités judiciaires qui légalement ne peuvent être révoquées en doute.

Au surplus, Dolard fùt-il fondé à demander la révision de sa condamnation et à prendre ses juges à partie, la loi lui en assure suffisamment les moyens. C'est d'après les règles qu'elle prescrit qu'il doit procéder, et seulement aux tribunaux compétents qu'il doit adresser sa demande, sans que vous puissiez intervenir dans une affaire de cette nature, où d'ailleurs vous n'apercevez ni abus d'autorité, ni déni de justice. Par ces considérations, la commission propose à la Chambre de déclarer qu'il n'y a lieu à délibérer sur la pétition de Jean-Etienne Dolard.

Le même orateur. Messieurs, dans votre séance du 28 juin, le sieur Piat de Villeneuve, domicilié à Paris, vous a adressé une pétition par laquelle il demande l'entière révision du Code d'instruction criminelle et du Code pénal, qui déjà, suivant lui, sont, au moins implicitement, abrogés par la Charte constitutionnelle.

Frappée de l'importance d'une semblable mesure législative, votre commission espérait que le sieur de Villeneuve lui en présenterait les éléments et les moyens d'améliorer nos codes actuels. Sans doute, ils sont loin d'avoir atteint la perfection, et peut-être le temps n'est-il pas éloigné où le gouvernement, éclairé par l'expérience, vous en proposera la révision, afin de les mettre en

harmonie avec nos lois politiques, et d'en faire disparaitre les imperfections plus ou moins nombreuses qui peuvent s'y rencontrer.

La commission se serait fait un devoir de vous transmettre les vues d'amélioration qu'eût pu vous proposer le pétitionnaire; mais elle n'a vu dans son mémoire que d'amères réflexions sur toute notre législation criminelle, qu'une violente accusation contre ses auteurs, accusation sans objet, et dont, par cela même, il serait superflu de vous Occuper davantage.

Cependant le sieur de Villeneuve, après avoir longuement critiqué l'ensemble du Code de procédure criminelle, finit par attaquer quelques articles qui confèrent aux juges d'instruction le droit de décerner des mandats contre tout domicilié, prévenu de délits correctionnels. C'est cette dernière partie de la pétition que votre commission m'a chargé de soumettre plus particulièrement à votre examen et à votre délibération.

Sans doute le législateur, comme le magistrat, doit respecter jusqu'au scrupule la liberté du citoyen, et, s'il est permis de parler ainsi, n'en disposer qu'à la dernière extrémité. Mais l'intérêt de l'ordre social n'exige pas moins impérieusement qu'aucun délit ne reste impuni, et la loi doit veiller avec une égale sollicitude au maintien de la sûreté publique et à la conservation de la liberté individuelle.

Guidée par ce principe régulateur, votre commission a examiné les articles attaqués par le sieur de Villeneuve, et, loin d'y trouver cet esprit d'intolérance et de dureté dont il se plaint, elle n'y a vu que le résultat de la sagesse et d'une juste prévoyance.

Remarquez, en effet, Messieurs, avec quelle circonspection la loi dispose de la liberté individuelle, lors même qu'il s'agit de crimes emportant peine afflictive. Si elle donne au magistrat le pouvoir de faire arrêter un citoyen, ce n'est qu'autant qu'il existe des indices graves contre lui, et sans que jamais une dénonciation puisse constituer une présomption suffisante pour décerner un mandat contre un domicilié. S'agit-il d'un délit correctionnel? si le fait n'emporte pas l'emprisonnement, le prévenu reste libre pendant l'instruction du procès, et ce n'est qu'autant que le délit est passible de l'emprisonnement qu'il peut être privé de sa liberté; et encore, dans ce cas, la loi lui laisse-t-elle la faculté de demander sa liberté provisoire en donnant caution.

Votre commission ne se dissimule pas cependant que l'arrestation d'un citoyen peut entrainer des inconvénients, et qu'il n'obtient pas toujours, lorsqu'il est acquitté, la réparation du préjudice qu'il éprouve. Mais peut-on se dissimuler davantage que, surtout dans les villes populeuses, la plupart des prévenus de délits graves échapperaient facilement à toute punition, si, à la faveur du domicile, ils pouvaient jouir de l'espèce de franchise que réclame le sieur de Villeneuve ? N'est-il pas certain qu'elle serait pour eux un grand moyen d'impunité, et que bientôt la plupart des procès correctionnels seraient jugés par contumace?

Votre commission pense que la demande du sieur de Villeneuve entraînerait des inconvénients qui ne permettent pas de l'accueillir, et elle vous propose de déclarer qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur sa pétition.

Il ne s'élève aucune opposition contre les conclusions du rapporteur.

Quelques membres demandaient l'impression des deux rapports. Sur l'observation du rapporteur lui-même qu'il ne juge pas que l'impression soit

nécessaire, il n'est point donné suite à cette demande.

M. Jalabert est appelé à la tribune pour le développement de la proposition qu'il a faite dans la dernière séance, tendant à supplier le Roi de présenter un projet de loi qui contienne un nouveau mode de perception de droit sur les boissons.

Messieurs, les finances ont été de tout temps l'objet de la sollicitude des gouvernements: malheureusement on n'a souvent songé qu'a soutirer l'argent du peuple, sans calculer si les impôts dont on grevait la nation ruinaient son industrie et démoralisaient sa population. Tout impôt dont les principes et les conséquences ne s'accordent point avec les intérêts de l'agriculture et du commerce et ne se mettent point en rapport avec l'esprit national, est nécessairement un impôt désastreux, d'une perception difficile, immorale et vexatoire.

Loin de nous toute idée d'attaquer les sources de l'impôt, premier besoin des gouvernements! Nous connaissons tous les charges énormes de l'Etat dans les circonstances présentes; aussi ne chercherons-nous qu'à améliorer ces sources, à assurer ses produits, en combinant cette amélioration avec le soulagement qu'il est nécessaire de donner aux diverses classes propriétaires, agricoles, commerçantes et industrielles.

Les droits sur les boissons doivent sans doute être conservés pour alimenter le trésor public; mais les formes odieuses et les frais énormes de perception ne doivent plus exister. Ce principe n'a pas besoin de grands développements : il est dans l'opinion publique; il a l'assentiment général. Examinons quel est l'impôt qu'il convient de lui substiuer, quel est celui qui contrarie le moins nes mœurs et nos habitudes, et dont les frais de perception sont le moins onéreux.

Les impôts indirects, quand ils sont calculés dans un esprit de justice, de modération, et que des lois sages en règlent la perception, sont sans doute ceux qui conviennent le mieux au peuple et à l'Etat. La perception en est très-facile; le consommateur paye sans effort, et souvent sans s'en douter. Dans cette classe sont les droits sur les tabacs et sur les sels. Vouloir appliquer les principes constitutifs de ces impôts aux boissons, c'est vouloir anéantir l'agriculture et le commerce. En effet, il ne se fabrique dans le royaume que les tabacs et les sels nécessaires à la consommation de ses habitants. En imposant la denrée, le consommateur seul paye l'impôt; il n'en est pas de même des boissons: la vigne croit et est cultivée dans les huit neuvièmes des départements; une population nombreuse est employée à sa culture; la récolte passe des mains du propriétaire dans celles du commerce, et sa circulation vivifie une grande partie du royaume. Les récoltes sont souvent abondantes; elles excèdent presque toujours les consommations et les exportations. En établissant un impôt sur cette denrée, le propriétaire seul en serait grevé; si l'impôt est entouré d'entraves et de vexations, s'il y a gène dans la circulation, une quantité considérable de la denrée reste invendue, le propriétaire est ruiné, et partie de la population employée à la culture tombe dans la misère.

Vous connaissez tous, Messieurs, les sacrifices qu'ont été obligés de faire, dans ces derniers temps, les propriétaires de vignobles : c'est l'espoir seul de voir bientôt détruire ce système d'oppression et de malheur qui les a encouragés jusqu'à présent.

Le temps est enfin venu de tout réparer :

n'allons pas chercher dans le système du gouvernement précédent d'insuffisantes modifications; son mode de perception doit être entièrement renversé un autre, aussi simple dans ses principes que dans son exécution, doit lui être substitué. Dégageons l'impôt d'entraves et d'inquisitions; dégageons-le d'énormes frais de perception, et imposons sur le commerce, sur la vigne et sur les fabriques, une somme annuellement déterminée; que la somme imposée sur le commerce soit répartie entre les départements et les communes, en raison du produit de la vente en détail; que celle à imposer sur la vigne et sur les fabriques le soit en raison des quantités récoltées et du cours de la denrée; chargeons les percepteurs d'en faire le recouvrement, et nous aurons atteint le but que nous nous proposons, de venir au secours de l'Etat, de soulager le propriétaire, et d'encourager l'agriculture et le commerce.

Les derniers comptes rendus par le gouvernement ont porté le produit des droits sur les boissons à 150,621,753 francs. La perception dans les départements qui ne font plus partie de la France peut être évaluée à 35,207,251 francs, et les frais de perception, pour les quatre-vingt-sept départements, à 21,667,970 francs. Les quatre-vingt-sept départements ont dù fournir au Trésor, en 1811, une somme de 48,746,532 francs. C'est pour prélever cette somme, en y comprenant demi pour cent pour frais de perception, que j'établirai mon système. La France récolte, année moyenne, 34 millions d'hectolitres (vin), et 9 millions d'hectolitres (bière, cidre et poiré), ce qui donne une quantité de boissons fabriquées ou récoltées, de 43 millions d'hectolitres. Prélevons un vingtième de ce produit, et nous aurons 2 millions 150 mille hectolitres; que le prix commun des boissons soit 10 centimes la bouteille, ou 10 francs l'hectolitre, ce prélèvement, converti en argent, donnera pour le Trésor, un produit de 21,500,000 francs. Afin de prélever cette somme sur tous les départements d'après le produit territorial et des fabriques, combiné avec le cours des denrées, nous n'avons qu'à prendre l'inventaire des droits réunis pendant cinq années, établir l'année moyenne tant des produits territoriaux et des fabriques, que du cours des ventes, et ordonner sur chaque département un prélèvement de la somme y correspondante. Par exemple, un département récolte, année moyenne, 300 mille hectolitres de vin; le prélèvement à faire sur le département sera de 15 mille hectolitres. Convertissons ce prélèvement en argent d'après un prix commun, nous aurons, pour le Trésor, une somme de 150,000, francs, si le prix commun est 10 francs, et 180,000 francs, si le prix commun est 12 francs.

Les éléments qui ont servi à donner le résultat des boissons récoltées ou fabriquées, existent dans chaque département. Les conseils généraux prélèveront une quantité égale au vingtième du produit de chaque commune, après avoir formé une année moyenne des années 1804, 1805, 1806, 1807, 1808, et d'après le cours moyen de chaque commune. En se conformant à ces principes, une commune qui récolte 10 mille hectolitres de vin, et dont le cours moyen est 6 francs, souffrira un prélèvement de 3,000 francs, et ainsi des autres.

Pour parvenir au prélèvement à faire sur les vignes et fabriques du contingent assigné à chaque commune, il sera procédé à la confection des matrices, soit pour les vignes, soit pour les

fabriques; des commissaires-estimateurs, choisis. par les conseils municipaux, classeront sur ces matrices les propriétaires, en raison des quantités présumées récoltées ou fabriquées. Supposons une commune où il sera fait quatre classes de vignobles, que la première soit estimée rapporter par hectare, année moyenne, 15 hectolitres, la seconde 10, la troisième 6, et la quatrième 4; qu'il existe dans cette commune 100 hectares de première classe, 200 de seconde, 400 de troisième, et 800 de quatrième : le résultat de la matrice sera en quantité 9,100 hectolitres, total égal à la base du prélèvement ordonné en nature sur cette commune. Si le cours de vente, année moyenne, est 10 francs l'hectolitre, cette commune devra verser au Trésor, en remplacement des droits supprimés, 4,550 francs. Alors les vignes de première qualité payeront par hectare 7 fr. 50, celles de deuxième 5 francs, celles de troisième 3 francs, et celles de quatrième 2 francs. Il en sera de même des fabriques; s'il y a quatre fabriques dans une commune, les commissaires-estimateurs détermineront quelle quantité chaque exploitation fabrique annuellement, et la somme à prélever en raison des quantités présumées fabriquées.

Pour compléter le remplacement des droits que je vous propose de supprimer, il vous paraîtra juste que les différentes professions qui retirent des bénéfices et du lucre de la vente et des mouvements des boissons, viennent au secours de l'Etat et payent leur portion contributive. Je vous ai proposé d'imposer la vigne et les fabriques pour le vingtième de leur produit annuel ce qui donnera une somme de 21,500,000 francs. Imposons sur le commerce 28,219,462 francs, nous aurons un produit de 49,719,462 fr. et nous n'aurons levé que 1 fr. 13 c. par hectolitre de boissons fabriquées ou récoltées.

Pour déterminer dans quelle proportion le commerce de chaque département sera admis dans cette contribution, nous consulterons le produit des ventes en détail, et il sera assigné à chaque département une somme proportionnée a cellequeces ventes produisaient aux droits réunis.

Les conseils généraux assigneront de la même manière, à chaque commune, son contingent; le contingent assigné, il sera formé un syndicat de tous les marchands de vin en gros et en détail, commissionnaires, aubergistes, traiteurs, limonadiers, cafetiers, et tous débitants de boissons, autres que ceux qui vendent des boissons provenant de leurs récoltes; des syndics nommés par cette communauté répartiront la somme imposée sur tous les individus formant le syndicat, en raison des ventes et des affaires présumées. Des rôles de prélèvement de vingtièmes, ainsi que des rôles de complément, seront confectionnés dans la forme ordinaire, et remis aux percepteurs des communes.

Ce projet d'impôt, aussi simple dans ses principes que dans son exécution, a le double avantage de produire des sommes considérables avec de modiques frais de perception, et des résultats fixes qui peuvent être diminués ou augmentés suivant les besoins de l'Etat. Le propriétaire et le cultivateur n'en seront point alarmés; un faible droit imposé sur la denrée, et partout proportionné à sa valeur, leur garantit une libre circulation qui augmente la concurrence et les dédommage de l'avance qu'ils auront faite. Le commerçant et le débiteur n'auront plus sous leurs yeux des commis qui, l'exercice à la main,

« PreviousContinue »