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dustrie et des bénéfices qui auraient dû appartenir aux presses françaises? Voulez-vous ravir encore à notre commerce ces ressources et ces espérances?

Ainsi, Messieurs, la censure serait à la fois injuste et dangereuse; il reste à prouver qu'elle serait inconstitutionnelle.

Le droit, que la Charte réserve, d'établir les lois qui doivent réprimer les abus de la liberté de la presse, n'est pas sans doute le droit d'en empêcher l'usage.

Mais, dit-on, que signifient alors ces mots : « En se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus? »

Réprimer les abus, ce n'est pas prévenir les abus, ce n'est pas arrêter l'usage.

L'abus ne nait et ne peut naître que de l'usage. C'est un usage injuste, excessif, intolérable. Mais comment abuserez-vous, si l'on vous empêche d'user? Ainsi réprimer l'abus c'est arrêter, punir le mauvais usage, mais l'usage commencé.

Quand un agent de l'autorité voudra réprimer l'abus, la loi et les magistrats interviendront pour prononcer entre lui et le citoyen qui aura publié son opinion.

Mais quand cet agent ne voudra que prévenir l'abus, c'est à-dire empêcher l'usage, lui seul jugera; ni la loi ni les magistrats n'auront à pro

noncer.

On demande comment l'écrivain, qui voudrait user de la liberté de la presse, se conformera aux lois qui répriment des abus, si ces lois ne sont pas des lois de prévention.

La réponse est facile pour soumettre cet écrivain à la censure préalable, qui est une loi de prévention, i faudrait que, pour réprimer les abus, la censure fût le seul moyen possible auquel on put se conformer.

Mais s'il en existe d autres, qui ne soient pas la censure, et s'ils se concilient avec la liberté consacrée par la Charte, ne faudra-t-il pas les regarder comme les seuls qui soient indiqués par la restriction de la Charte?

Les lois qui faciliteraient la répression, et aux quelles les auteurs pourraient se conformer, seraient, par exemple, celles qui exigeraient :

Que nul écrit ne fût imprimé sans une déclaration préalable de l'imprimeur;

Que l'ouvrage imprimé contint le nom de l'auteur ou de l'imprimeur, et même les noms de l'un et de l'autre, en certains cas;

Que nul auteur ne pût livrer son ouvrage à des presses clandestines, et qu'il fût menacé d'une peine, quand même son ouvrage ne contiendrait d'ailleurs rien de répréhensible;

Qu'il ne pût s'adresser qu'à un imprimeur breveté par le Roi, et qui aurait fourni le cautionnement exigé;

Que l'an eur et l'imprimeur fussent tenus de déclarer le nombre des exemplaires;

Qu'ils fussent obligés d'indiquer le lieu où en serait le dépôt, pendant les premiers jours de la publication.

Vous voyez, Messieurs, qu'il est possible de présenter des lois qui assujettiraient l'écrivain à des formalités, auxquelles il se conformerait pour faciliter le moyen de réprimer les abus, c'est-à-dire de les rendre moins fréquents, moins dangereux, plus faciles à punir; et toutes ces formalités s'exécuteraient sans nuire à l'exercice de la liberté même, sans subir une censure préalable, sans se conformer à des lois de prévention.

Quant aux lois répressives, elles sont déjà in

diquées par le Code pénal; il suffirait de les combiner avec la plupart des dispositions contenues dans la seconde partie du projet de la loi proposée; en y insérant que l'auteur et l'imprimeur seraient solidairement responsables, on commencerait à atteindre le but désiré, et l'on pourrait au besoin ajouter encore les articles que l'expérience indiquerait, pour compléter cette partie de notre législation.

Mais ces explications ne sont pas nécessaires en ce momeut. La Charte a prononcé, il s'agit de l'exécuter:

Soit qu'on examine l'esprit ou la lettre de la Charte, le sens grammatical ou le sens légal, il est impossible d'admettre que réprimer sigailie prévenir.

Peut-on supposer que la Charte ait, dans le même article, donné, par une déclaration expresse. la faculté d'imprimer librement, et ait retiré, an même instant, cette faculté par une restriction tacite?

Qu'est-ce que publier librement ses opinious. c'est-à-dire, qu'est-ce que la liberté de la presse?

«La liberté de la presse, répond Blackstone. consiste à ne pas mettre de restriction antérieure aux publications, et non à les exempter de poursuites criminelles, quand la publication a eu lieu.»

Qu'avons-nous besoin d'invoquer des autorités étrangères? Le projet de loi, le ministre lui-même nous l'apprendrait s'il en était besoin.

L'article 1er dit que tout écrit de plus de trente feuilles d'impression pourra être publié librement et sans examien ou censure préalable.

Le ministre, dans son discours, dit la même chose, et il ajoute que soumettre tous les livres à la censure, ce serait anéantir la liberté.

Ainsi, point de censure, impression sans examen préalable, s'appelle liberté de la presse.

Etre soumis à la censure ou à l'exanien préalable, c'est ne pas jouir de la liberté de la presse.

Donc, la Charte ayant promis la liberté, a nécessairement dispensé de la censure préalable; done, la loi qui là propose, serait inconstitutionnelle.

Ainsi, l'esprit de la Charte ne permet pas la censure préalable, ce qui sufiirait pour décider la question.

Mais la lettre repousse également cette censure; réprimer n'a jamais été synonyme de prévenir. Prévenir, c'est empêcher que le mal naisse. Réprimer, c'est empêcher qu'il fasse des progrès.

La loi qui prévient ne réprime pas; elle n'a rien à réprimer, à punir, puisqu'elle empèche le délit de naltre.

La loi qui réprime le délit, en le punissant, l'empêche de faire des progrès, d'avoir des suites plus funestes. Il est vrai que la peine infligée est un exemple qui prévient accidentellement un autre délit; mais faut-il en conclure que le droit ou le devoir de prevenir le délit soit celui de le réprimer, et que le droit ou le devoir de le réprimer, soit celui de le prévenir? On conçoit aisé nient que la police est chargée de prévenir les délits, et que les magistrats judiciaires sont chargés de le réprimer.

Le ministre a tellement reconnu la justesse de l'expression, que, dans son discours, il l'a employée dans le même sens.

«Les lois répressives, dit-il, sont insuffisantes contre des effets dont elles ne peuvent punir l'auteur que lorsque le mal est déjà trop grand...

Dans cette phrase, réprimer signifie arrêter le mal pour le mal, et non le prévenir.

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En effet, tel est le sens légal. Ce mot a été employé dans cette seule acception toutes les fois qu'il a été question de législation. Jamais réprimer n'a signifié prévenir. On pourrait en citer de nombreux exemples.

Ainsi, Messieurs, nul doute que la Charte, ne soumettant la liberté de la pressè qu'à des lois répressives, n'a ni annoncé ni pu annoncer l'exisience et la possibilité de la censure, et dès lors la proposition contenue dans le projet de loi serait contraire à notre droit public, serait incoustitutionnelle.

La commission, pleinement convaincue que, si les circonstances l'exigeaient impérieusement, il n'est aucun de vous qui ne s'empressât de seconder le gouvernement et de le défendre par tous les sacrifices nécessaires et couvenables, même par la suspension de l'exercice d'un droit aussi sacré et aussi indispensable que celui de la liberté de la presse, la commission vous propose le rejet du projet de loi.

Elle a cependant examiné la question si, en rejetant au fond la loi proposée, parce qu'elle est inconstitutionnelle, il n'était pas convenable de l'accepter momentanément avec de justes modifications, pour obvier aux inconvénients que le gouvernement redoute de l'exercice actuel de la liberté de la presse.

La commission a décidé, à la simple majorité, qu'il n'y avait pas lieu d'examiner ceite question, tint que le ministre du Roi ne présenterait pas à cet égard un projet de loi avec les motifs qui pourraient vous éclairer et vous déterminer, et que même ce projet de loi ne devrait être présenté qu'à la sui'e de celui qui organiserait l'exercice de la liberté de la presse, et qui compléterait les lois répressives qui doivent l'assurer sans danger.

Il est pénible, sans doute, de penser et d'annoncer que le premier projet de loi qu'on propose à la Chambre doit être rejeté; mais, osons le dire, cet accident, qu'il n'a pas tenu à nous de prevenir, devient l'occasion de montrer au monarque et à la nation quels sont notre attachement et notre respect pour la Charte. Le Roi verra dans Votre écision le succès même des insti utions libérales qui sont son ouvrage; et la nation, si elle juge que nous avons défendu ses droits et interprété ses vaux, élèvera vers le trône un hɔmmage de reconnaissance; elle restera encore plus disposée à exécuter les autres lois que nous aurons cru juste ou convenable d'adopter.

Nous avons traversé des temps, pendant lesquels dire la vérité était une vertu périlleuse; aujourd'hui ce n'est plus qu'un simple devoir, aussi doux que facile à remplir; le Roi veut, le Roi aime la vérité; il est si digne de l'entendre!

Mais comment assurer ce triomphe à la vérité, si ce n'est par la liberté de la presse? Qu'elle existe en France, qu'elle soit combinée avec les sages lois de répression, qu'il sera toujours plus facile de faire exécuter que celles qui établiraient une censure, et alors les vrais citoyens, les sujets sincèrement attachés au monarque, les écrivains digues du nom français, deviendront les organes de l'opinion générale, les guides et les interprètes de l'esprit public; i's useront sagement de cette liberté, prêts à réprimer la licence des malveillants, s'il s'en montrait que les lois ne pussent atteindre.

Il la réclamerait avec nous la liberté de la presse, ce magistrat éloquent et vertueux, qui avait longtemps rempli le ministère de la librairie, ce sage Malesherbes qui sut à la fois défendre les droits de sa patrie et la personne de son

roi, et qui, par un dévouement généreux, mérita d'être associé à ses augustes malheurs. Ah! si Malesherbes était encore parmi nous, il nous exhorterait à défendre des droits qui peuvent seuls garantir la Charte, et qui doivent assurer la gloire et la prospérité de la France; oui, s'il était parmi nous..... Mais quoi! son génie ne lui a-t-il pas survécu? Cet ouvrage, que nous devons à l'usage du droit que nous réclamons, ouvrage que cet homme de bien et de talent a légué à sa patrie et à la postérité, vous assistera dans vos méditations; oui, les opinions de ce sage ont dirigé les nôtres, et elles sollicitent avec nous le rejet du projet de Joi présenté.

On demande l'impression du rapport de M. Raynouard, et la distribution à six exemplaires. Aux termes du règlement. le rapport doit être imprimé et distribué dans les bureaux.

M. le Président en fait l'observation et annonce que la discussion en séance générale s'ouvrira vendredi prochain. Il invi e les membres qui auraient à parler en faveur du rapport, à inscrire leur nom au secrétariat de la droite du bureau, et au côté opposé ceux qui sont dans l'intention de combattre les motifs de la commission.

M. Rivière est invi'é à monter à la tribune pour exposer les développements de sa proposition du 30 juillet, tendant à ce que le Roi soit supplié de faire présenter à la Chambre un projet de loi «qui, en déterminant ce qui doit composer la liste civile et la dotation de la couronne, établisse les règles de l'administration des biens qui formeront cette dotation. »

M. Rivière. Messieurs, dans votre séance du 28 juin dernier, notre collègue M. Delhorme vous a fait la proposition de supplier le Roi de faire présenter à la Chambre un projet de loi pour fixer la liste civile; en déclarant que vous preniez cette proposition en considération, vous l'avez renvoyée à l'examen de vos bureaux, et si elle n'a encore obtenu aucun résul at positif, il ne faut l'attribuer qu'à l'absence des éléments nécessaires pour asseoir votre détermination.

M. Delhorme avait bien prévu qu'un noble sentiment de répugnance pourrait, dans cette circonstance, rendre pénible pour le Roi Lexercice de son initiative sur une disposition qui touche aux intérêts privés de sa personne. Cette prévoyance de notre collègue s'est justifiée, car nous ne pouvons douter aujourd'hui que le même sentiment n'empêchât peut-être encore trop longtemps Sa Majesté de vous désigner les objets qui devrout composer la liste civile, et n'éloignât ainsi une régularisation devenue nécessaire, indispensable, à cause de sa liaison avec la fixation du budget des dépenses de l'Etat.

Dans cette position il a donc fallu recourir à des exemples antérieurs pour y trouver les bases de la proposition que j'ai l'honneur de vous présenter, et que je vous prie de considérer comme étant la suite et le complément nécessaire de celle qui vous a été faite par M. Delhorme.

Ma proposition a pour objet de supplier le Roi de faire présenter à la Chambre un projet de loi qui détermine la composition de la liste civile de Sa Majesté, ainsi que la dotation des princes de la famille royale, et je pense que ce projet devrait contenir les dispositions suivantes:

TITRE PREMIER.

SECTION PREMIÈRE.

De la liste civile, et de la dotation de la couronne. Art. 1er. Il sera payé par le trésor royal une

somme de vingt-cinq millions pour la dépense du Roi et de sa maison civile.

Art. 2. Cette somme sera versée chaque année entre les mains de la personne que le Roi aura commise à cet effet, en douze payements égaux, qui se feront de mois en mois, sans que lesdits payements puissent, sous aucun prétexte, être anticipés ni retardés.

Art. 3. Le Louvre et les Tuileries seront destinés à l'habitation du Roi. Le Roi jouira également de tous les bâtiments adjacents employés actuellement à son service.

Les palais, bâtiments, emplacements, terres, prés, corps de fermes, bois et forèts composant le domaine de Versailles, celui de Marly, de SaintCloud, de Meudon, Saint-Germain en Laye, Rambouillet, Compiègne, Fontainebleau et autres palais et châteaux, tels qu'ils sont désignés dans la loi du 1er juin 1791, le sénatus-consulte du 30 janvier 1810, celui du 1er mai 1812, et celui du 14 avril 1813, formeront la dotation de la cou

ronne

La couronne demeure chargée de meubler, entretenir et réparer les palais, maisons et biens qui lui sont affectés.

Art. 4. Les diamants, perles, pierreries, tableaux, statues, pierres gravées, bibliothèques et autres monuments des arts, qui sont, soit dans les palais du Roi, soit dans le garde-meuble, soit dans les musées de la couronne, font partie de la dotation de la couronne. L'inventaire en sera dressé et transmis en double à la Chambre des pairs et à celle des députés.

Art. 5. Les manufactures royales de Sèvres, des Gobelins, de la Savonnerie et de Beauvais contitinueront d'appartenir à la couronne, et d'être entretenues aux frais de la liste civile.

SECTION II.

De la conservation des biens qui forment la dotation de la couronne.

Art. 6. Les biens qui forment la dotation de la couronne sont inaliénables et imprescriptibles, sauf ceux qui y ont été réunis, provenant de confiscations et dont la restitution serait par la suite ordonnée.

Art. 7. Ils ne peuvent être engagés ou chargés d'hypothèques où d'affectations.

Art. 8. La vente et l'échange des immeubles attachés à la dotation de la couronne ne peuvent avoir lieu qu'en vertu d'une loi.

SECTION III.

De l'administration des biens qui forment la dotation de la couronne.

Art. 9. Les biens de la couronne sont régis sous les ordres du ministre de la maison du Roi, par un intendant de la liste civile, lequel exerce les actions judiciaires du Roi, et contre qui toutes les actions à la charge du Roi sont dirigées et les jugements prononcés. Néanmoins, conformément au Code de procédure civile, les assignations lui seront données en la personne des procureurs du Roi et procureurs généraux, lesquels seront tenus de plaider et défendre les causes du Roi, soit dans les tribunaux, soit dans les cours.

Art. 10. Les domaines productifs qui sont attachés à la dotation de la couronne peuvent être affermés, sans que néanmoins la durée des baux puisse excéder le temps déterminé par les articles 595, 1429, 1430, et 1718 du Code civil, à

moins qu'un bail emphyteotique n'ait été autorisé par une loi.

Art. 11. Les bois et forêts dépendants de la couronne sont exploités conformément aux lois et règlements sur l'administration forestière.

SECTION IV.

Des charges de la dotation de la couronne.

Art. 12. Les biens qui forment la dotation de la couronne ne supportent pas des contributions publiques.

Art. 13. Les biens de la couronne ne sont jamais grevés des dettes du Roi décédé, non plus que des pensions qu'il pourrait avoir accordées.

Art. 14. Toutes les pensions de retraite des personnes employées au service de la maison civile du Roi, sont acquittées par un fonds de retenue fait sur le traitement desdits employés, lequel ne peut recevoir d'autre affectation, et est placé sous l'administration et la responsabilité du ministre de la maison du Roi.

Art. 15. Conformément à l'article 23 de la Charte, la liste civile est fixée pour tout le règne du Roi.

TITRE II.

Des domaines privés du Roi.

Art. 16. Le Roi peut acquérir des domaines privés par donation, succession ou acquisition, le tout conformément aux règles du droit civil.

Art. 17. Ces domaines supportent toutes les charges de la propriété, toutes les contributions et charges publiques dans les mêmes proportions que les biens des particuliers.

Art. 18. Le Roi dispose de ses domaines privés, soit par acte entre-vifs, soit par disposition à cause de mort, sans être lié par aucune des dispositions prohibitives du Code civil.

Art. 19. Mais si le Roi n'a pas disposé desdits biens après dix ans qu'ils sont dans ses mains, ou s'il décède avant d'en avoir disposé, ils sont réunis de droit au domaine de la couronne.

Art. 20. Les dispositions de l'article ci-dessus ne sont pas applicables aux propriétés dans les colonies que le Roi peut acquérir, conserver, transmettre ou aliéner comme des propriétés ordinaires.

TITRE III.

Dispositions relatives à la dotation des princes de la famille royale.

Art. 21. Il sera payé annuellement par le trésor public une somme de 8 millions pour les princes de la famille royale; le Roi en fera la répartition; mais la part assignée à un seul prince ne pourra jamais s'élever à plus de 3 millions.

Telles sont, Messieurs, les dispositions que je vous propose d'adopter pour parvenir à la fixation de la liste civile du Roi et de la dotation des princes de la famille royale. Vous remarquerez qu'elles diffèrent très-peu de ce qui avait été réglé en 1791 pour la liste civile du roi Louis XVI, et il ne vous échappera pas que, sans le système d'économie que la bonté paternelle du Roi lui a fait adopter pour tout ce qui a rapport à ses jouissances personnelles, la fixation faite en 1791, suffisante alors pour la splendeur du trône, cesserait de l'être aujourd'hui, soit à cause du renchérissement progressif de tous les objets de consommation, soit par la différence de notre position.

Et en effet, Messieurs, dans les circonstances

où nous nous trouvons, la liste civile du Roi, ainsi que la dotation des princes de sa famille, doivent être considérées sous un rapport politique très-élevé. Le Roi n'a pas hésité de placer sous la garantie des mêmes lois les propriétés qu'on appelait nationales et les autres propriétés des Français, et les princes ont juré, comme Sa Majesté, l'observation de l'acte de cette garantie, qui consacre l'irrévocabilité des ventes des domaines nationaux.

Mais il reste au Roi comme aux princes une dette sacrée à acquitter en faveur des serviteurs qui ont perdu leur fortune en défendant les droits de la maison régnante, et la liste civile se présente pour réparer en quelque chose la rigueur nécessaire de la disposition qui se trouve à ce sujet dans la Charte constitutionnelle.

Si, comme j'ose l'attendre, ces motifs déterminent la Chambre à prendre en considération la proposition que je viens de lui faire, je la supplie d'en ordonner le renvoi dans les bureaux, pour être jointe à celle faite par M. Delhorme, et pour qu'il vous soit fait un rapport en même temps sur l'une et l'autre propositions.

La chambre décide à l'unanimité qu'elle prend en considération la proposition de M. Rivière, et ordonne l'impression des développements par lesquels il vient de la motiver.

Le renvoi dans les bureaux est également ordonné.

L'ordre du jour appelle le développement de la proposition faite par M. Hebert dans la séance du 27 juillet, tendante à ce que le Roi soit supplie de présenter un projet de loi ainsi conçu :

En temps de paix, les troupes de toutes armes formant l'armée française salariée par l'Etat, ne pourront être composées que de nationaux. »

M. Rivière obtient la parole sur l'ordre du jour. L'orateur, invoquant l'article 44 de la Charte constitutionnelle, exprime le vœu que le développement de la proposition de M. Hébert ne soit entendu qu'en comité général.

MM. Laborde, Sylvestre de Sacy, Chappuis et le comte de Perrigny s'étant présentés pour appuyer la demande de M. Rivière, M. le président déclare que d'après le vœu de cinq membres la Chambre va se former en comité général.

Les tribunes sont évacuées.

La séance publique a été ajournée à jeudi prochain.

CHAMBRE DES PAIRS.

PRÉSIDENCE DE M. LE CHANCELIER.

Séance du mardi 2 août 1814.

A deux heures après midi, les pairs se réunissent en vertu de l'ajournement porté au procèsverbal de la séance du 30 juillet dernier.

Le garde des registres, sur l'ordre de M. le président, fait lecture de ce procès-verbal.

Un membre attaque, comme peu conforme aux intentions de la Chambre et directement contraire à ses intérêts et aux principes qu'elle doit être jalouse de maintenir, le prononcé de la délibération pris dans la dernière séance, lequel se trouve rapporté au procès-verbal dans les termes suivants: M. le Président, au nom de l'assemblée, declare qu'elle adopte le règlement arrêté par le Roi, avec les amendements proposés par la Chambre des Députés. L'opinant est persuadé que la Chambre, en adoptant dans sa dernière séance les amendements faits au règlement du 28 juin, s'est dé

terminée par les mêmes motifs qui, dans la séance du 28 juin, l'avaient portée à adopter de confiance et sans discussion le règlement dont il s'agit, présenté au nom du Roi par M. le chancelier. Elle a vu, sans doute, dans les amendements proposés, comme elle avait alors vu dans le règlement originaire, un acte de l'autorité royale statuant sur ees objets qui sont exclusivement de sa compétence. En effet, les objets traités dans le règlement ne pouvaient faire la matière d'une loi, puisqu'ils sont tous relatifs à une question de cérémonial et de préséance, à des distinctions et à des prérogatives qui ne peuvent émaner que du Roi, source de tout honneur et de toute distinction.

Une loi telle qu'il la faudrait pour investir la Chambre des pairs d'une prééminence capable de balancer, dans l'intérêt de la monarchie, l'influence essentiellement démocratique de la Chambre des députés, une telle loi ne serait jamais adoptée par cette dernière Chambre. Il faut donc reconnaître qu'au Roi seul appartient d'établir les rapports de distinction et de prééminence qui sont l'objet de ce règlement. L'opinant ajoute que la Chambre a reconnu ce principe, lorsque, s'occupant de son règlement intérieur, elle a, sur le rapport et d'après l'avis de sa commission, évité d'y comprendre ce qui paraissait devoir être réglě par Sa Majesté. Le règlement du 28 juin a statué sur ces objets laissés en réserve; et lorsqu'il a été présenté à la Chambre, elle n'a vu dans ces dispositions que la conséquence d'un principe reconnu par elle, et s'est empressée de les adopter. Autrement elle aurait, comme la Chambre des députés, délibéré sur ces dispositions, et la matière ne lui eût pas manqué, sans doute, pour y proposer des amendements. Elle a cru devoir s'en abstenir; elle a cru devoir, par respect pour l'autorité royale, adopter le réglement tel qu'il lui était proposé. Les mêmes motifs, on doit le croire, ont déterminé sa conduite à l'égard des amendements adoptés dans la dernière séance. Elle ne les a pas adoptés comme résolution de la seconde Chambre, mais comme modifications apportées par le Roi à son règlement du 28 juin. L'opinant demande, en conséquence, que le prononcé de la délibération soit ainsi rectifié : L'assemblée, persistant dans les motifs qui l'ont déterminée à adopter sans discussion, dans la séance du 28 juin, le règlement présenté, au nom du Roi, par M. le chancelier, adopte, par les mêmes motifs, les amendements à ce règlement, proposés, au nom de Sa Majesté, par M. le chancelier dans sa séance de ce jour.

Quelques membres appuient la rectification demandée, en observant qu'il est de la plus haute importance pour la Chambre d'établir en principe le droit exclusif du monarque à statuer sur tout ce qui tient au cérémonial et aux distinctions honorifiques. Ils trouvent, ainsi que le préopinant, la reconnaissance tacite de ce principe dans ce qui s'est passé au sujet du règlement intérieur, dont celui qu'a proposé Sa Majesté ne fait que remplir les lacunes et compléter les dispositions, en ce qui concerne le cérémonial.

Un pair observe, pour l'exactitude des faits, que ni le règlement du 28 juin ni les amendements proposés à ce règlement ne portent en entier sur des objets de cérémonial et de préséance.

Un autre pair, en appuyant et développant cette observation, en conclut que le principe invoqué par le premier opinant est sans application à la circonstance. Il ajoute que rien ne constatant les motifs de chaque vote, et ces motifs, pour beau

coup de membres, pouvant être fort différents, il est téméraire de supposer à tous les votants un motif commun, ainsi qu'on le fait dans la rédaction proposée. Passant ensuite à l'examen des faits attaques par cette rédaction, il soutient que ces faits ne peuvent être ainsi dénaturés; qu'il est impossible de voir dans le règlement adopté par la Chambre, avec les amendements qui l'àccompagnaient, autre chose qu'un projet de loi renvoyé, discuté, délibéré dans les formes constitutionnelles, et que la Chambre l'a tellement envisagé sous ce rapport, qu'elle a voté au scrutin sur son adoption, ainsi que l'exige l'article 48 du règlement pour l'adoption des projets de loi. D'après ces motifs, l'opinant demande la question préalable sur la rectification du procèsverbal.

Cette demande est appuyée par divers membres, dont les uns, en adoptant la théorie qu'on a voulu établir, ne pensent pas qu'elle ait rien de commun avec la réforme proposée du procèsverbal; les autres, sans admettre ni contester cette théorie, observent qu'il s'agit ici, non de principes, mais de faits, et que le procès-verbal contenant à cet égard une relation exacte, il n'y a pas lieu de le réformer.

Un membre s'étonne que, sous prétexte d'un amendement au procès-verbal, on pretende faire adopter à la Chambre la disposi ion constitutionnelle la plus étendue, la plus importante qu'on puisse établir, savoir qu'une des branches de la puissance législative a le droit d'obliger les deux autres par des règlements à la confection desquels celles-ci n'auront eu aucune part. 1l observe que déja mème on suppose ce principe établi, et qu'on prétend l'induire du silence de la Chambre, lorsqu'il fut proposé de borner son règlement aux objets sur lesquels son autorité s'étend sans autre concours. Mais en admettant qu'une telle proposition eût été faite (ce qui n'est pas exact, la commission, dans son rapport du 11 juin, s'étant contentée d'indiquer les lacunes qu'elle avait cru devoir prescrire à son travail sans faire à l'assemblée aucune proposition à ce sujet) la Chambre pourrait-elle se croire liée par une proposition sur laquelle on ne dit pas même qu'elle ait été invitée à délibére? Oserait-on induire de son silence l'adoption d'un principe qui n'exigerait pas moins, pour être reconnu, que tout l'appareil des formes constitutionnelles? L'opinant ne pense pas qu'une semblable doctrine puisse être admise. Il ajoute qu'en Angleterre, chaque chambre est l'unique juge de ses prérogatives. et que, sans ce principe, dont la rigueur se tempère par les communications qui ont lieu d'une chambre à l'autre, il ne voit aucun moyen d'assurer aux différentes chambres du pouvoir législatif l'indépendance réciproque dont elle doivent jouir.

M. le Président observe, pour l'éclaircissement des faits, que la Chambre des députés ayant traité comme projet de loi le règlement du 28 juin, il était impossible que la Chambre des pairs ne fût pas, comme elle, mise à portée de délibérer sur ce règlement, quoique dans l'origine elle l'eût adopté sans examen; que c'est par ce motif que le Roi a chargé son chancelier de transmettre à la Chambre des pairs les amendements proposés par la chambre des Députés et consentis par Sa Majesté, aux termes de l'article 46 de la Charte constitutionnelle; que l'ordre du Roi qui donne cette mission au chancelier est porté sur une expédition du règlement et des amendements, adressée au ministre de l'intérieur par la Cham

bre des députés, expédition revêtue de la signature des présidents et secrétaires de cette Chiambre, et absolument semblable à celle qu'ellemeine aurait transmise directement à la Chambre des pairs, si, pour l'adoption définitive du règlement, les communications se fussent trouvées officiellement établies.

M. le Président, après ses observations, met aux voix la question préalable demandée sur la rectification du procès-verbal.

La question préalable n'étant point adoptée, le premier opinant est invité à produire sa proposition.

La rédaction qu'il en présente est de nouveau combattue. L'un de MM. les secrétaires observe que l'envoi fait à la Chambre par Sa Majesté, tant du règlement que des amendements proposés par la Chambre des députés; le discours prononcé à cette occasion par M. le chancelier, et dont la Chambre a ordonné l'insertion dans le procèsverbal; la teneur même, ainsi que la forine des actes soumis à la délibération, tout prouve nonseulement que le règlement du 28 juin a été traité comme projet de loi par la Chambre des députés, mais qu'il a été considéré comme tel par le Roi, d'après les amendements de cette Chambre. Il ne pense plus qu'on puisse admettre au procès-verbal rien de contraire à la vérité de ce fait ou qui tende à l'obscurcir.

Un membre distingue entre les faits dont il est impossible de s'écarter et les principes qui ont dû servir de base à la délibération de la Chambre. Il pense que l'adoption des amendements ayant surtout été déterminée par le consentement qu'y a donné Sa Majesté et par la proposi'ion qu'elle a fait faire en conséquence, on pourrait exprimer convenablement ce motif dans le prononcé de la délibération en substituant à ces mots amendements proposés par la Chambre des députés, ceux-ci : amendements proposés par le Roi.

Un autre membre observe que, si l'on considère comme une nouvelle proposition de Sa Majesté les amendements présentés dans la dernière séance, la Chambre ne peut se dispenser d'adresser ces amendements adoptés par elle à la Chambre des députés. Elle se trouve alors en contradiction avec elle-mème, ayant déjà fait rarvenir au Roi, avec son adoption, les amendements qui lui avaient été envoyés par Sa Majesté.

Un de MM. les secrétaires propose, pour tout concilier, la rédaction suivante: amendements proposés par la Chambre des députés et consentis par Sa Majesté.

Cette rédaction, mise aux voix par M. le prési dent, est d'abord adoptée. On réclame ensuite contre son adoption et l'on propose de s'en tenir aux derniers mots : amendements consentis par Sa Majesté, qui, également conformes aux faits et aux principes, semblent devoir satisfaire l'assemblée.

Après quelques débats, la Chambre adopte définitivement cette proposition.

La rédaction du procès-verbal, modifiée par ce seul amendement, est enfin mise aux voix et adoptée.

M. le Chancelier, président, annonce qu'il a rendu compte au Roi du vou plusieurs fois exprimé dans cette Chambre pour que le traité de paix du 30 mai dernier lui fùt officiellement communiqué. Ilexpose que Sa Majesté, prenant ce vœu en considération, a jugé convenable qu'une expédition en forme du traité dont il s'agit fût remise aux

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